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    L'Art et la danse

                                                             Marie Anne de Camargo par Lancret.

         Louis XV (1710-1774), l'arrière petit fils de Louis XIV, n'a pas hérité du penchant de son aïeul pour la danse, le ballet de Cour en conséquence a perdu peu à peu de sa raison d'être et en ce XVIIIème siècle les artistes de profession formés à l'Académie qui ont remplacé sur scène les nobles amateurs se partagent maintenant les faveurs du public dans deux genres principaux: la tragédie lyrique et l'opéra-ballet.


         La Régence qui a secoué l'austérité du règne précédent a placé l'Opéra au centre d'une vie sociale brillante vouée aux plaisirs de toutes sortes (la direction du théatre dut même faire poster des sentinelles dans les couloirs des loges des danseuses afin d'éloigner les dons Juans en quête d'aventures...)
         Mais si les coulisses étaient apparement très apréciées la qualité de ce qui se passait sur scène  était par contre, semble-t-il, très discutable en témoignent ces critiques:

                 "Il y a dans nos ballets une certaine uniformité qui me lasse et qui m'ennuie. Nos danses sont presque toutes dessinées les unes comme les autres", écrit Rémond de Saint Mard (1682-1757) dans ses Réfléxions sur l'Opéra (1741)

        et Jean-Jacques Rousseau (1712-1778) déplore dans La Nouvelle Héloïse (1761):

                "Ils ont des opéras appelés ballets qui remplissent si mal leur titre que la danse n'y est pas moins déplacée que dans les autres arts".

        Qu'il s'agisse en effet d'opéra-ballet ou de tragédie lyrique où la danse est certes moins présente, celle ci est reléguée en fait à une fonction purement décorative c'est à dire, en ce qui concerne l'opéra-ballet, à une succession de tableaux dont la signification est si vague et peu évidente qu'il est tout à fait possible d'enlever des "entrées" ou d'en mettre de nouvelles sans aucun problème, voire même d'en réutiliser pour d'autres créations.
        ("Faire entrer les danses" telle était la mention indiquée par le librettiste, c'est la raison pour laquelle ces passages de danse intercalés étaient appelés "entrées").

        A ce bric à brac organisé s'ajoutent les caprices des danseurs vedettes qui imposent leurs désiderata et exigent impérativement de paraitre à leur avantage. Aucun interprète à ce niveau ne se soucie d'un quelconque ensemble, l'unique préoccupation de chacun étant de briller dans sa prestation personelle "l'ajustant toujours à sa mode, et sans aucune relation directe ou indirecte au plan général qu'il ignore et qu'il ne s'embarasse pas de connaitre" (Louis de Cahussac 1706-1759). 
        Le maitre de ballet, qui n'était pas traité comme un égal par les autres concepteurs du spectacle mais comme un subalterne, ne recevait d'ailleurs aucune indication sur l'intrigue principale... et ne se voyait remettre qu'un simple mémoire détaillant le nombre d'entrées nécessaires... 
        Il est vrai que le sujet des opéra-ballets n'offrait d'ailleurs en lui-même que peu d'intérêt, simple prétexte à célébrer un monde de plaisirs, de fêtes et d'amours, en témoignent les titres: Les Fêtes Vénitiennes (1710), Les Amours de Vénus (1712) ou Les Caprices de l'Amour (1747).

        Le danseur, dont seules les prouesses physiques présentaient un réel attrait aux yeux du public, et que le port du masque cantonnait toujours dans un rôle de pantin, était encore très loin d'être considéré comme un véritable artiste voué à l'inteprétation... 
        Comme l'écrivit très justement Louis de Cahussac, le librettiste de Rameau, collaborateur de l'Encyclopédie et théoricien de la danse et de l'opéra français:
                "Dans l'état où est la danse de nos jours les danseurs et les compositeurs de ballet même ne connaissent, n'ambitionnent, ne cultivent que la partie mécanique de l'art. Elle semble suffire en effet aux désirs des spectateurs auxquels ils ont intérêt à plaire". 

      
     Et pour plaire on ne reculera devant aucun sacrifice sur le costume qui, il faut bien le reconnaitre, sombre dans le ridicule... Les mendiants sont vêtus de lamé comme les princes, les plumes et le clinquant sont partout, on représente les vents avec des soufflets à la main et des moulins à vent sur la tête... Mais le public qui use lui avec abondance de dentelles et de colifichets ne s'offusque pas de cet état de choses, bien au contraire.
        Quand au décor il est tout aussi riche... avec profusion de mers et de rochers qui valurent aux danseuses du corps de ballet d'être surnommées "les gardes côte". 

        Il ne reste pas de transcription chorégraphique de l'oeuvre de Jean Philippe Rameau (1683-1764), Les Indes Galantes (1735), qui amena le genre de l'opéra ballet à son apogée. Mais la partition permit de constater par contre l'importance qui y avait été donnée à la danse considérée cette fois comme un élément essentiel, peut être était-ce là un semblant de premier pas préfigurant les changements à venir...

                    Chorégraphie de Maurice Béjart pour le Béjart Ballet de Lausanne.

         Car un renouveau s'était opéré en fait en Angleterre où le danseur-chorégraphe John Weaver (1693-1753), en ajoutant au ballet de Cour des éléments de pantomime propres au théatre anglais, venait de semer les prémices d'un ballet qui rendait chants et récitatifs complètement démodés:
                "Sans recours au verbe, les gestes et les mouvements suffisent à exprimer une manière d'être, des actions et des passions. Le corps parlant des pieds à la tête ainsi que les Grecs et les Romains l'avaient compris".

        Il faut dire que contrairement à ce qui se passait en Angleterre, la pantomime se résumait en France à des farces grossières, et ce fut l'ambition du danseur et chorégraphe Jean Georges Noverre (1727-1810) que de lui redonner ses lettres de noblesses, entreprise dont se fit l'écho Le Mercure de France:
                "Mr. Noverre fut révolté de ces basses caricatures et il résolut d'en purger la scène de l'Opéra", et ce dernier de ponctuer lui-même:
                "J'ose dire sans amour propre que j'ai ressuscité l'art de la pantomime, il était enseveli sous les ruines de l'Antiquité".
        Car la pantomime allait pouvoir donner un sens à l'intrigue et la danse se concevoir enfin comme un art organisé et non plus comme un divertissement bavard et confus: La porte s'ouvrait sur le "ballet d'action" totalement indépendant.
           Mais la route était encore très longue avant que ne s'accomplisse cette importante évolution qui fera que "la danse mécanique et d'exécution" sera remplacée par "la danse pantomime ou d'action", et Jean-George Noverre, initiateur de cette réforme complète, et que l'on considère à juste titre comme le créateur du ballet moderne, se retrouva, pour employer l'expression restée célèbre de l'un de nos anciens ministres de l'Education, face à un autre "Mammouth à dégraisser"...

        Parmi ses principaux objectifs figurera la suppression des masques:
                "Détruisons les masques" écrivait-il, "ayons une âme, et nous serons les premiers danseurs de l'univers",
        suivi de cet autre impératif, l'allègement des costumes traditionnels:
                "Défaites vous de ces perruques énormes et de ces coiffures gigantesques qui font perdre à la tête les justes proportions qu'elle doit avoir avec le corps, secouez l'usage de ces paniers raides et guindés qui privent l'exécution de ses charmes, qui défigurent l'élégance des attitudes, et qui effacent la beauté des contours que le buste doit avoir dans ses différentes positions... Je ne voudrai plus de ces tonnelles raides... Je diminuerai de trois-quarts les paniers ridicules de nos danseuses".

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         L'essentiel de sa doctrine résumée dans ses Lettres sur la danse et sur les ballets (1760)  qui demeure aujourd'hui le plus célèbre classique fut aussitôt traduit en anglais, allemand ou italien... Car ces idées nouvelles reçurent un accueil immédiatement favorable dans toutes les grandes capitales européennes, Vienne, Londres, Stuttgart ou Berlin, où elle furent aussitôt développées. Mais l'Opéra de Paris par contre très conservateur n'était pas ouvert aux innovations... Noverre parcourut alors l'étranger, devint entre autres l'ami de Glück (1714-1787) et de Fréderic II, et fort de ses succés revint en France où il obtint alors le poste de maitre de ballet à l'Académie (1776).
        Mais il n'y jouit pas malheureusement d'une entière liberté d'expression et dut se contenter la plupart du temps de présenter des divertissements et des oeuvres mineures. Il est certain que  Les Petits Riens (1778) serait complètement tombé dans l'oubli si le compositeur n'en avait été Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) (Les Petits Riens est la seule partition de Mozart spécifiquement destinée au ballet).


         Constamment en butte aux intrigues et aux jalousies Noverre fut finalement contraint à démissionner de l'Opéra en 1781, cependant ce qu'il y avait réalisé était décisif car il n'y avait plus de retour en arrière possible et ses ballets Médée et Jason (1763) ou Les Horaces (1777) qui, dit-on, inspira à  David (1748-1825) son tableau "Le Serment de Horaces", avaient définitivement ouvert la voie à ses disciples.


        Dans ce chaos que fut le ballet au XVIIIème siècle on vit émerger un nombre important de danseurs et de danseuses qui se mirent alors à rivaliser avec leurs homologues masculins et commencèrent à dominer la scène. Outre Marie Madeleine Guimard (1743-1816) Marie Allard (1742-1802) ou Louise Lamy, deux d'entre elles entrèrent dans la légende:

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          La première est une danseuse gracieuse et émouvante, Marie Sallé (1707-1756) dont la technique, exempte de virtuosité "sans gambades ni sauts" (elle n'a jamais fait un entrechat ou une pirouette) se distinguait par un don fortement développé pour l'expression. Son désir de rendre la danse théatrale plus expressive n'était, hélas, guère compris à Paris, mais très goûté au contraire à Londres où elle présenta Pygmalion, un ballet pantomime où elle parut "sans jupe, sans corps, et échevellée, et sans aucun ornement sur sa tête, elle n'était vétue, avec son corset et un jupon que d'une simple robe de mousseline tournée en draperie et ajustée sur le modèle d'une statue grecque". Tout comme Noverre, elle souhaitait une danse expressive libérée du poids des costumes encombrants, et militait déjà avant lui en ce sens à l'Opéra.

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          La grande rivale de Marie Sallé était une brillante technicienne, Marie Anne de Cupis de Camargo (1710-1770) qui réalisait avec un brio encore jamais vu sauts complexes, cabrioles ou entrechats et fut la première authentique ballerine virtuose.
        Elle est restée célèbre pour sa jupe dévoilant ses chevilles qui, plus qu'une simple anecdote, fut une innovation fondamentale qui permit l'introduction des pas battus pour les femmes (les jupes courtes triomphèrent finalement mais, comme l'exigera le règlement de police, à condition d'être portées "avec des caleçons de protection" qui semblent être à l'origine de ce qui sera plus tard le justaucorps).
        Le nom de Camargo passa alors dans le langage courant, toutes les grandes élégantes se chaussaient "à la Camargo" et une contredanse baptisée "la Camargo" fut même dansée dans les bals pendant tout le reste du XVIIIème siècle.

        Le contraste qui existait entre le style de "la Camargo" et de "la Sallé" attisa à l'époque de violentes passions et Voltaire (1694-1778) lui même ne savait laquelle choisir...

                "Ah, Camargo, que vous êtes brillante!
                 Mais que Sallé grands Dieux est ravissante!
                 Que vos pas sont légers et que les siens sont doux! 
                 Elle est inimitable et vous êtes nouvelle
                 Les nymphes sautent comme vous
                 Mais les Grâces dansent comme elle."



        Les danseurs masculins de leur côté ne cédaient rien en popularité aux danseuses et il faut citer Louis Dupré (1690-1774), le premier danseur à avoir été qualifié du titre flatteur de "dieu de la danse":

                "Lorsque le grand Dupré, d'une démarche hautaine,
                 Orné de son panache avançait sur la scène,
                 On croyait voir un dieu descendre des autels
                 Qui venait se mêler aux danses des mortels".


        Décrit en ces termes élogieux par l'écrivain Claude Joseph Dorat (1734-1780), Noverre par contre le qualifia de "machine parfaitement organisée mais à laquelle il manquait une âme".

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                                          Gaetano Vestris par Gainsborough.

        Sa succession à l'Opéra de Paris fut assurée ensuite par un florentin Gaetano Vestris (1729-1808) insupportable de vanité et d'arrogance. A une dame qui lui avait marché sur le pied par inadvertance et lui demandait en s'excusant si elle lui avait fait mal il répondit "Non madame, mais vous avez failli mettre tout Paris en deuil pendant 15 jours"... Celui ci affirmait également sans la moindre hésitation: "Il n'y a que trois grands hommes en Europe: le roi de Prusse, Mr de Voltaire et moi"... Gaetano Vestris resta 52 ans à l'Opéra et disait en toute simplicité de son fils qui lui succéda "Quand mon fils touche le sol c'est seulement par fraternité avec les autres danseurs"...
        A côté de ces fortes personalités il ne faut pas oublier de citer Jean Dauberval (1842-1806) qui termina sa carrière à Bordeaux où il créa le plus remarquable de tous les ballets comiques La Fille mal gardée qui fut présenté au tout début de la Révolution en 1789. Celui ci avait cotoyé pendant ses années à l'Opéra Maximilien Gardel (1741-1787) et son frère Pierre Gardel (1758-1840) également chorégraphe dont Noverre aimait à dire:
                "Il a parcouru à pas de géants la route que je lui ai ouverte, celle du ballet d'action".


       Ce ballet d'action qui finira malgré tout par triompher aussi en France même si le premier accueil a été un peu tiède... Car en accord avec l'esprit du "siècle des Lumières" la danse a maintenant réuni avec bonheur esprit et matière,

       "et en séduisant l'oeil elle captive le coeur et l'entraine aux plus vives émotions. Voilà ce qui constitue l'Art".
                ( J.G. Noverre)
         

     

      Chorégraphie de Frederic Ashton pour le Royal Ballet. Avec Marianela Nunes et Carlos Acosta dans les premiers roles. La danse des sabots est interprétée par William Tucket (rôle en travesti) La partition musicale consistait à l'origine en un pot pourri de 55 airs français à la mode, depuis elle s'est enrichie d'extraits d'oeuvres de Pugni, Minkus, Delibes etc... 

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        Sans nul doute le plus grand chorégraphe de notre temps, auteur de la fusion réussie de concepts modernes avec les idées du ballet classique, Georgi Melitonovitch Balanchivadze naquit dans le village de Banodzha (Georgie) le 22 Janvier 1904.

        Son père est l'un des fondateurs de l'opéra géorgien, son frère Andria deviendra un compositeur connu, sa mère et sa soeur Tamara sont passionées de ballet mais lui même ne se sent aucune attirance particulière pour la danse... Et c'est tout à fait par hasard qu'il suit Tamara qui, ayant atteint l'age requis, va auditionner pour entrer à l'école de danse du Marinsky à St. Petersbourg. Il a alors 9 ans, et l'amie qui les accompagne lui suggére, tant qu'à faire, de se présenter aussi... Ironie du sort... en effet Georgi n'aura pas fait le voyage pour rien, car à l'issue de l'examen c'est lui seul qui sera retenu...

        "Je ne suis pas un intellectuel, un cerveau... Je suis un sot. Je suis né comme ça. En revanche je sais voir, entendre et bouger vite. Quand j'étais petit je pouvais attraper les souris à la main. La plupart des chorégraphes d'aujourd'hui sont des intellectuels. Ils s'inspirent de Freud, de Jung, de Kierkegaard. Moi je suis moi-même".
         "Je ne peux pas voir quelquechose qui n'existe pas. Je ne crée rien ou n'invente rien. J'assemble. Dieu a déjà tout fait". 

      
     Ainsi se définira de nombreuses années plus tard l'élève de Pavel Gerdt formé à la technique de Petipa.
      
     Son premier ballet est un pas de deux, La Nuit (sur une musique d'Anton Rubinstein), qu'il compose à 16 ans alors qu'il n'est encore qu'élève au Marinsky. Ses camarades sont enthousiasmés par cette danseuse en chaussons de pointes très sobrement vétue d'une simple tunique... Mais les professeurs, par contre, pour qui pointes ne pouvait rimer qu'avec tutu font un accueil beaucoup moins chaleureux à ce dépouillement moderne...

        En 1921, l'élève Balanchivadze passe avec honneurs le dernier examen et se trouve immédiatement admis dans le corps de ballet. Cependant la chorégraphie l'attire toujours davantage et en 1923 il forme avec quelques camarades une petite compagnie, le Jeune Ballet, pour laquelle il composera plusieures oeuvres, mais que la direction du Marinsky l'obligera à dissoudre en le menaçant de renvoi, taxant son travail de "trop expérimental et subversif" (Il ne faut pas oublier qu'en 1917 la révolution était passée par là et que l'école du Marinsky considérée comme un symbole du tsarisme fut un temps fermée).

        Toutefois le destin qui avait engagé Georgi sur cette voie n'allait pas lui laisser barrer aussi facilement la route: Au cours de l'été 1924 il eut, ainsi que trois autres de ses camarades, la permission de quitter la toute nouvelle Union Soviétique pour une tournée en Europe de l'Ouest... d'où ils ne revinrent jamais... Faisaient partie de cette équipée Alexandra Danilova, sa femme, ainsi que Tamara Geva et Nicolas Efimov, autant de noms qui s'inscrivirent par la suite au firmament du ballet occidental.
        Invité à auditionner pour les Ballets Russes à la suite d'une représentation à Londres, le groupe rejoint la compagnie à Paris où, dès 1925, Georgi Balanchivadze à qui Diaghilev demande alors de transformer son nom en George Balanchine, fait office de maitre de ballet avec toute latitude de développer sa propre chorégraphie.
        Une très sérieuse blessure au genou l'ayant obligé à abandonner définitivement sa carrière d'interprète il va se consacrer uniquement dès lors à son travail de création. Ce sera l'époque de L'Enfant et les Sortilèges (1925), d'après l'oeuvre de Ravel ou Apollon Musagète (1928) sur une musique d'Igor Stravinsky avec qui il va créer plus d'une trentaine de ballets pendant les 50 années au cours desquelles ces deux géants vont collaborer avec un total succés. Car du Chant du Rossignol (1925) à Elégie (1982) en passant par l'Oiseau de Feu (1949) pour ne citer que ces trois oeuvres, George Balanchine se fera le plus génial illustrateur du musicien.

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        "Les chorégraphes ne sont pas des créateurs. Nous sommes des chercheurs. A chaque musique correspond une danse. Nous nous efforçons de la trouver". Ce que réussissait à coup sûr Balanchine, à en lire ces paroles de Stravinsky:
        "Balanchine composait la chorégraphie tandis qu'il écoutait mes enregistrements et je l'observais concevoir des gestes, des mouvements, des combinaisons, des compositions... Le résultat était un dialogue parfaitement complémentaire".



        
    Grace à sa culture musicale profonde (outre l'influence du milieu familial il a suivi un enseignement très poussé au Conservatoire de Musique où il s'était inscrit alors qu'il était encore élève au Marinsky), George Balanchine est devenu le maitre du ballet abstrait inspiré par la seule musique, c'est à dire sans intrigue, sans décor, et sans costume. Avec cet unique désir de son créateur de:
                                    
                                      " voir la musique et entendre la danse..."

      
     En témoigneront  tout au long de sa carrière le Concerto Barocco (Bach-1941), Sérénade (Thaïkovski-1935), le Palais de Cristal (Symphonie en ut de Bizet,créé en 1947 pour l'Opéra de Paris) ou encore Les Quatre tempéraments (Hindemith-1946).



        
    A la mort de Diaghilev, en 1929, les Ballets Russes se séparent et la route de Balanchine le mène alors de Londres à Copenhague, puis il revient un temps aux Ballets Russes qui s'installent à Monte Carlo, et décide finalement de fonder sa propre compagnie Les Ballets 1933. Et c'est à l'issue de l'une de leurs représentations qu'il est contacté par le mécène américain Lincoln Kirstein qui rêvant de créer une compagnie de ballet lui offre de matérialiser ce projet...
        George Balanchine a 29 ans et accepte alors de s'installer aux Etats Unis où, si l'on omet les fréquents séjours en Europe au cours desquels il fera de nombreuses créations, il restera jusqu'à sa mort. 

        Il a cependant émis une exigence...

                                    "But first a school..."

        D'abord une école... et la School of American Ballet  (SAB), fondée en 1934 fut le premier produit de la collaboration des deux hommes, une académie capable de rivaliser avec les écoles européennes à la réputation établie depuis longtemps, et un vivier nécessaire pour Balanchine qui va modeler le nouveau style de danse et de danseuse que l'on qualifie de "Balanchien". 

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    S'il convient davantage d'employer ici le mot "danseuse" et non le terme plus général de "danseur" c'est que pour lui:

    "le ballet c'est la femme, la femme est la reine de la danse l'homme n'est que le serviteur"

    et bien qu'il ait cependant chorégraphié de très beaux rôles masculin, c'est pour les femmes, qu'il adorait, que Balanchine a essentiellement créé:

    "la danse est faite pour les femmes. Les hommes devraient rester à la maison et faire la cuisine" commentait-il.
      
     
         Il joua d'ailleurs le Pygmalion toute sa vie et tomba amoureux de la plupart de ses découvertes, d'Alicia Markova à Darci Kistler (qui fut à 17 ans la plus jeune étoile du New York City Ballet) en passant par Maria Tallchief, Tamara Geva ou Suzanne Farrel pour qui il créa Diamonds dans le ballet Jewels (1967-Ballet inspiré par les vitrines du joailler Van Cleef et Arpels devant lesquelles Balanchine passait chaque matin).
        Certaines de ses égéries devinrent ses épouses, d'autres non, mais toutes inspirèrent ses créations et comme le fit remarquer l'une d'elles, Alexandra Danilova, avec une certaine dose d'humour : "Il épousait ses matériaux..."  



         Ses danseuses, Balanchine les choisit toutes selon des critères morphologiques bien précis, avec de très longues jambes et un buste court, et surtout ajoutait-il:
                 "Je ne veux pas des gens qui veulent danser, mais des gens qui ont besoin de danser".

         Très exigeante du point de vue corporel sa technique s'adresse essentiellement à des danseurs professionnels où déjà formés, avec un en-dehors poussé à l'extrème et une rapidité des pas de pointes ou de petite batterie souvent à la limite de l'impossibilité physique.
        Car priorité est donnée à la brillance des pas ainsi qu'à l'énergie et au mouvement. Et à cette rapidité et ce dynamisme il ajoute deux principes très importants: la pureté de lignes et la musicalité. En effet pour Balanchine au service de cette danse où

                "la seule raison du mouvement est la musique"

       (et qui ne dépend ni d'une narration ni d'une idée à démontrer), le travail du chorégraphe est essentiellement axé sur les lignes du corps et la beauté formelle tendant vers l'épurement

                "L'aspect visuel est l'élément essentiel. Le chorégraphe et le danseur doivent se souvenir qu'ils atteignent le public à travers l'oeil".
                "Il n' y a aucune signification cachée dans mes ballets. Je n'ai pas besoin de danseurs sentimentaux" concluait-il.



        De tradition classique cette technique se démarque cependant de l'esthétique du ballet du XIX ème siècle avec des positions toujours à la limite du déséquilibre dans le mouvement, et valorise chaque partie du corps, intégrant peu à peu les formes angulaires et les articulations brisées qui permettront d'aborder l'esthétique néo-classique:
                "Le Seigneur nous a donné des coudes, des poignets, et des doigts, pourquoi ne les utilise-t-on pas?" demandait ce fils spirituel de Petipa qui se réfère au pas d'école, mais pour les outrepasser.



        Après avoir créé et dissout plusieurs compagnies, toujours assisté financièrement par Lincoln Kirsten, il fonde le 11 Octobre 1948 le New York City Ballet où il restera maitre de ballet et principal chorégraphe jusqu'à sa mort en 1983, et dont l'une des raisons essentielles du succés est en majeure partie due au travail exigeant qu'il impose à ses danseuses.
        La compagnie prit une importance considérable après 1964 lorsqu'elle s'installa au Lincoln Art Center aménagé spécialement pour le ballet d'après les directives de Balanchine, et le New York City Ballet est devenu aujourd'hui l'une des plus grandes compagnies internationales et certainement la plus moderne.

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         Entre 1920 et 1982 George Balanchine créa quelques 425 ballets parmi lesquels il ne faut pas oublier ses ballets narratifs, car il y en eut quand même quelques uns...  Le Fils Prodigue (1929), La Somnambule (1946), La Chatte  (1927), ou ses reconstitutions de grands classiques  La Belle au Bois Dormant (1981) Le Lac des Cygnes (1951) Casse Noisette (1954) ou Coppélia (1974)
        Mais l'oeuvre la plus originale de celui qui travailla également avec succés pour Broadway et Hollywood restera certainement son Circus Polka, un ballet commandé en 1942 pour le cirque Barnum and Bailey "pour 50 éléphants et 50 jolies filles"... et dont Stravinsky lui même écrivit la musique... Le dessin animé de Walt Disney, Fantasia, paru en 1940 avait-il inspiré cette oeuvre peu commune? On l'ignore... Mais 425 représentations en furent données au Madison Square Garden avec dans les rôles principaux Vera Zorina, alors épouse de Balanchine, et l'éléphant  Modoc...

     

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         En 1978 George Balanchine commence à ressentir les premiers symptômes d'une maladie dont on ne fit le diagnostique qu'après sa mort. Il lui arrive en effet, au cours des répétitions, de perdre de plus en plus fréquemment l'équilibre, car il est atteint de la maladie de Creutzfeldt-Jakob qui va faire peu à peu de lui un invalide au cours des cinq années à venir. Et après avoir perdu la vue et l'ouie, devenu grabataire en 1982, celui que le monde entier considère comme le plus grand chorégraphe de notre temps, figure majeure du monde artistique du XXème siècle qui révolutionna le look du ballet classique, décèdera finalement à New York le 30 Avril 1983 à l'age de 79 ans.

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    "Le ballet est avant tout une affaire de tempo et d'espace: l'espace délimité par la scène, le temps fourni par la musique".
                                                     George Balanchine

     


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  • L'Art et la danse


        Très vexée de n'avoir pas été invitée au baptême d'une jeune princesse, une méchante sorcière lui jette un sort et la condamne à se piquer mortellement le doigt avant son seizième anniversaire. Toutefois grâce à l'intervention d'une bonne fée cette mort annoncée se transformera en un sommeil de cent ans au terme duquel un prince la réveille et l'épouse.
         Qui n'a jamais lu ou entendu ainsi résumé La Belle au Bois Dormant de Charles Perrault, publié en 1697 dans Les Contes de ma Mère l'Oye?.. dont on ignore complètement en réalité le côté sombre du récit...

        Car certes, le prince Désiré y épouse "la Princesse" ( à laquelle Perrault ne donne pas de nom) mais, n'en déplaise à la tradition, celle ci n'eut que deux enfants... et ne vécut pas dans une félicité immédiate, menacée par une belle mère ogresse qui tente de dévorer sa bru et ses petits enfants en l'absence du prince parti en guerre... Evidemment tout s'arrange in-extremis à la fin, mais le lecteur est ici à cent lieues de l'apothéose féerique du ballet de Petipa...
        Qui reste plus proche de la version des frères Grimm, Dornröschen Eglantine, le prénom que les deux frères donnent à la princesse), paru en 1812 dans leur collection Les contes de l'Enfance et du Foyer laquelle, à quelques détails près reste très fidèle au récit de Perrault mais s'achève au réveil de la princesse et à son mariage.

        Un premier ballet avait été créé sur ce thème en 1829 à l'Opéra de Paris, signé par Jean Aumer sur une musique de Ferdinand Herold. Mais cette Belle au Bois Dormant ne passa malheureusement pas à la postérité, car lorsque le chorégraphe quitta l'Opéra tous ses ballets sans exception furent éliminés du Répertoire.

        Et c'est Ivan Vsevolojski qui sortit la jolie princesse de sa léthargie. Le public russe de l'époque semblait avoir perdu son engouement pour le ballet, et le besoin d'une nouvelle production devenant évident il avait proposé en 1886 à Tchaïkovski de composer un ballet sur le thème d'Ondine. Mais le musicien qui avait déjà écrit un opéra sur le sujet dont il était si mécontent qu'il en avait brulé la partition, refusa net ce projet...  Le directeur des théatres impériaux eut alors l'idée de La Belle au Bois Dormant pour laquelle il était décidé à ne reculer devant aucune dépense afin de recréer la gloire des grands spectacles passés ( On dit que La Belle au Bois Dormant représente la production la plus chère qu'on ait jamais vue à l'époque, et peut être même jusqu'à aujourd'hui...) 

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        Cumulant les fonctions, Vsevolojski fut à la fois le librettiste et le costumier, et surtout fit collaborer pour la première fois tous les acteurs du projet, une avancée considérable, car avant lui chacun travaillait indépendamment sans se préoccuper de ce que faisaient les autres.

        Tchaïkovski, à qui il avait fait parvenir un exemplaire du livret, adhéra immédiatement au sujet et lui répondit aussitôt:
                "Je veux vous dire combien je suis charmé et enthousiaste. L'idée me plait et je ne souhaite rien de mieux que d'en écrire la musique".
        Et à son mécène, madame Von Meck, il fit cette remarque:
                "Le sujet est si poétique et m'inspire tant que je suis captivé" 

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        Captivé, il le fut certainement, car il termina l'ébauche du ballet en quarante jours... et laissa ce commentaire sur la denière page:
                "Terminé les ébauches. 26 Mai 1889 à 8h du soir. Dieu soit loué! J'ai travaillé 10 jours en Octobre, trois semaines en Janvier et une semaine maintenant... 40 jours en tout!"
        Et il commença l'orchestration le 30 Mai...

        Après son expérience catastrophique avec Reissinger pour le Lac des Cygnes, il avait souhaité toutefois, avant tout, s'assurer de la participation du chorégraphe... Précaution inutile car Marius Petipa avait déjà l'habitude de travailler en étroite collaboration avec les compositeurs "de la maison" à qui il pouvait demander de modifier la musique à sa convenance pendant les répétitions.

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        Tchaïkovski préférait toutefois composer seul, mais les contacts avec Petipa furent aussi fréquents que nombreux, et ce dernier lui fournit des instructions écrites extrèmement précises et détaillées auxquelles il adhéra, conservant malgré tout la latitude d'apporter ses propres inventions.
        
    Très rigoureux, le chorégraphe commendait au musicien le nombre exact de mesures désirées pour une danse ou une variation, en indiquant clairement de quelle sorte de musique il avait besoin et ce qu'elle devait exprimer, et il n'est pas exagéré d'écrire que les deux hommes travaillèrent main dans la main.
        Par mesure de précaution Tchaïkovski avait cependant l'habitude de composer toujours un peu plus que la quantité demandée... Et à Petipa qui avait commandé pour la Valse des Guirlandes 16 mesures d'introduction et 150 de valse, il fournit 36 mesures d'introduction et 261 de valse... (ce dont personne ne lui fit reproche et surtout pas Petipa qui put donner libre cours à son inspiration et à son art, créant pour l'occasion son ballet le plus achevé).

        Le thème du ballet est évidemment le conflit entre les forces du bien: la Fée Lilas et celles du mal: Carabosse, et chacune a un leitmotiv qui la représente, lequel transparait pendant tout le ballet et sert de fil conducteur à l'intrigue.
        Le divertissement de l'Acte III fait par contre une coupure complète avec les deux actes précédents et met l'accent cette fois sur les danses de caractère des nombreux invités au mariage.
        Cette profusion d'intervenants fait de la partition de la Belle au Bois Dormant la plus importante de toutes les partitions de ballet... Trois heures dans sa version la plus longue, qui représentent quatre heures de spectacle en comptant les entr'actes... Le ballet n'est de ce fait que très rarement donné dans son intégralité et chaque production procède à ses propres amputations, très souvent parmi les personnages de contes, certains cependant tel l'Oiseau Bleu (issu d'un conte de Madame d'Aulnoy) demeurant inamovibles...
       
        Les répétitions du ballet débutèrent en Août 1889 et la première avait été prévue pour le 3 Décembre. Mais à la suite de divers retards dans l' élaboration des décors elle se trouva reportée plusieurs fois. La première mondiale de la Belle au Bois Dormant n'eut lieu finalement que le 15 Janvier 1890 au théatre Marinsky de St.Petersbourg avec dans les deux rôles principaux Carlotta Brianza et Pavel Gertd, ainsi que Marie Petipa, la fille du chorégraphe, dans celui de la Fée Lilas. Traditionellement dansé "en travesti" (ce qui permet de souligner l'ambiguité du personnage) le rôle de Carabosse était tenu par Enrico Cecchetti qui dansait également celui de l'Oiseau Bleu au dernier Acte.

        La structure du ballet est construite autour d'un Prologue et de trois Actes et lorsque le rideau s'ouvre la Cour du roi Florestan est en effervescence à l'occasion du baptême de la princesse Aurore (prénom que Perrault donnera à la fille de la princesse). Toutes les fées ont été invitées, et chacune des sept apporte un cadeau à l'enfant: beauté, gràce etc... Lorsque survient soudain la méchante Carabosse, furieuse d'avoir été oubliée... Dans sa rage elle jette une malédiction sur le bébé: celle ci se piquera et en mourra. Heureusement, la Fée Lilas qui n'avait pas encore offert son don parle à son tour: Elle ne peut malheureusement pas annuler complètement ce sortilège, mais elle annonce que la princesse se piquera au doigt mais n'en mourra pas, elle sera seulement plongée dans un profond sommeil dont elle sera réveillée par le baiser d'un prince.



        L' Acte I célèbre le seizième anniversaire d'Aurore... Une ambiance de fête a envahi le palais avec la Valse des Guirlandes des villageois. La jeune princesse reçoit des présents et se succèdent tour à tour quatre prétendants royaux qui lui offrent chacun une rose (L'Adage de la Rose au cours duquel Aurore accomplit des équilibres impressionants est l'un des plus célèbres du ballet). Dissimulée sous un déguisement Carabosse qui a réussi à s'introduire lui fait alors cadeau d'un fuseau, un objet nouveau qui excite sa curiosité, car tout objet pointu a été banni du royaume depuis la malédiction. Elle s'en empare aussitôt, danse avec et finalement se pique et tombe inanimée... au même moment la Fée Lilas réapparait comme promis: la princesse et la Cour dormiront pendant cent ans jusqu'à l'arrivée d'un prince, le château se couvre de ronces et la forêt qui l'entoure devient impénétrable.



        L'Acte II nous transporte cent ans plus tard lorsque le prince Désiré qui s'est égaré au cours d'une partie de chasse a soudain une vision d'Aurore entourée de ses suivantes et accompagnée de la Fée Lilas ( On remarquera au passage cette curieuse propention qu'ont les princes de ballets à se perdre dans des clairières où il se passe des choses extraordinaires...) Dans le cas de Désiré celui ci, charmé par cette apparition, sera conduit au château où il découvre Aurore qui repose endormie, et conquis par sa beauté il la réveille d'un baiser, lui déclare son amour et la demande en mariage.


        L'Acte III a pour cadre le palais qui a retrouvé ses fastes d'antan à l' occasion du mariage d'Aurore et du prince. Plusieurs fées ont été invitées, la fée Or, la fée Argent, et les fées des Pierres Précieuses. La fée Lilas participe aussi bien entendu à la fête ainsi que de nombreux personnages de contes, certains tout droit sortis des Contes de ma Mère l'Oye: le Petit Chaperon Rouge, Cendrillon, le Chat Botté, le Petit Poucet ou encore, outre l'Oiseau Bleu, la Chatte Blanche de Madame d'Aulnoy.
        Tous les invités se réjouissent du bonheur des jeunes gens et le ballet se termine par une somptueuse Apothéose.


        Le tsar Alexandre III qui jouissait du privilège d'assister aux répétitions générales, avait à l'issue de celle ci convié Tchaïkovski dans sa loge et avait considérablement chagriné ce dernier qui, pensant avoir composé là une de ses meilleures musiques, ne reçut que ce commentaire anodin: "Très joli!"...
        Dans la salle se trouvait également ce soir là un petit garçon de 7 ans, Igor Stravinsky, que la variation de l'Oiseau Bleu inspira peut-être des années plus tard pour créer son Oiseau de Feu... Tandis qu'un autre petit garçon qui allait également devenir célèbre était, lui, sur la scène: George Balanchine en Cupidon dans une cage dorée.. et ces deux enfants qui ne se connaissaient pas allaient un jour produire ensemble plus de trente ballets!

        Quelques "jamais contents" qui avaient critiqué la pauvreté des productions précédentes condamnèrent maintenant la richesse de la Belle au Bois Dormant. On reprocha eventuellement au ballet de "n'être qu'un conte" et la musique de Tchaïkovski fut jugée "trop sérieuse".

        Ce qui n'empécha pas malgré tout le ballet de devenir extrèmement populaire, ni sa Première de marquer l'apogée de la tradition du ballet classique russe.
        En Novembre 1890 on célébrait déjà la 50éme représentation, et à cette occasion les danseurs remirent une couronne à Tchaïkovski sur la scène du théatre Marinsky.
        Donné 200 fois en dix ans, la Belle au Bois Dormant ne cessa jamais d'être représenté en Russie et arrivait en seconde position au palmarés des ballets les plus populaires derrière La fille du Pharaon (Petipa-Pugni).

        En 1899 le ballet de Petipa parut à Moscou au théatre Bolchoï, puis les Ballets russes de Diaghilev s'en emparèrent et l'exportèrent à l'Ouest.
        Ils n'en donnèrent tout d'abord que des extraits (Vaslav Nijinski et Tamara Karsavina dansèrent à Paris le pas de deux de l'Oiseau Bleu) et la version intégrale ne fut présentée pour la première fois hors de Russie que le 2 Novembre 1921 à l'Alhambra Theatre de Londres, et curieusement ne parvint pas à convaincre le public (En dépit des décors et des costumes magnifiques crées par Léon Bakst). Après des pertes financières considérables le ballet cessa alors d'être programmé et la tournée parisienne fut annulée.

        Diaghilev présenta cependant à Paris l'année suivante Le Mariage d'Aurore un ballet en un Acte composé d'extraits de l'Acte III dont Serge Lifar présenta une nouvelle version à l'Opéra en 1932.

        Mais la princesse Aurore ne se réveillera vraiment complètement dans l'intégralité de la chorégraphie originale de Petipa qu'au lendemain de la seconde guerre mondiale. Car ce fut en effet la première production présentée au Royal Opera House Covent Garden lorsque rouvrit le théatre en 1946... Le public d'alors qui sortait d'un cauchemard sut peut-être davantage apprécier cette part de rêve, et le succés fut immédiat et ne s'est jamais démenti depuis dans le monde entier.

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        Plusieurs chorégraphes ont retravaillé le sujet, parmi les plus celèbres Ninette de Valois en 1971, Rudolf Noureev en 1975 ou George Balanchine en 1981. Tous adhèrent à l'idée du conte de fée que Mats EK ou Jean Cristophe Maillot pour les Ballets de Monte Carlo transforment par contre à leur idée en une saga moderne où les princes sont tout sauf charmants.



        Interprété par toutes les grandes compagnies La Belle au Bois Dormant reste cependant un grand classique qui ne cesse d'enchanter petits et grands, telles ces deux petites filles, Galina Ulanova ou Anna Pavlova, dont ce fut la découverte émerveillée du monde du ballet... et qui grâce à la princesse Aurore eurent envie de devenir danseuses...



    Les extraits de La Belle au Bois Dormant sont interprétés par le Corps de ballet de l'Opéra de Paris.
    Avec  Aurélie Dupont et Manuel Legris dans les rôles principaux,  Delphine Moussin et Benjamin Pech dans le Pas de deux de l'Oiseau Bleu et Laetitia Pujol et Stéphane Elizabé dans le Pas de deux de la Chatte Blanche.  
    Chorégraphie de Rudolf Noureev. 

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        Instaurée en 1982 sous le patronage de l'UNESCO, la Journée Internationale de la Danse a été créée à l'initiative du Comité de Danse International qui a choisi la date du 29 Avril afin de commémorer l'anniversaire de la naissance de Jean-Georges Noverre (1727-1810), danseur et maitre de ballet français, considéré comme le créateur du ballet moderne.

        Le but de cette journée est de réunir le monde de la danse afin de rendre hommage à cet art en célébrant son universalité.

        La rédaction du message international a été confiée cette année au mythique danseur argentin, Julio Bocca, l'un des meilleurs de sa génération, de la stature d'un Baryshnikov, et qui s'est consacré corps et âme à son art. Formé à Buenos Aires il a reçu en 1986 la médaille d'or au concours international de Moscou et rejoint l'année suivante l'American Ballet Theatre. Invité de presque toutes les grandes compagnies il a fondé en 1990 le Ballet Argentino dont il assure encore actuellement la direction après avoir mis fin à sa carrière d'interprète en 2007:
        "Je respecte trop le ballet pour lui donner autre chose que le meilleur" expliqua-t-il aux médias, " Je sais que je vais beaucoup pleurer mais c'est le moment de partir"

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        "La danse est discipline, travail, enseignement, communication. Avec elle nous nous épargnons des mots que peut-être certaines personnes ne comprendraient pas et, en revanche, nous établissons un langage universel familier à tous.
         Elle nous donne du plaisir, nous rend libres, et nous console de l'impossibilité que nous avons nous, les humains, de voler comme les oiseaux, nous rapprochant du ciel, du sacré, de l'infini". 
                                                                    
    29 Avril 2010.

     

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  • L'Art et la danse


        Contraint à garder le lit pendant de longues semaines après une appendicite, Henri Emile Benoit Matisse, alors étudiant en droit, avait reçu d'un ami le conseil de peindre pour tromper son ennui et se vit offrir par sa mère une boite de couleurs...

        Ainsi débute la carrière de celui qui se trouva alors, pinceau en main, "transporté dans une espèce de paradis".
        Aussitôt rétabli son premier travail est de s'inscrire dans une école de dessin et en 1890 il abandonne définitivement ses études de droit pour se consacrer à la peinture qu'il sait être sa véritable vocation:
                "J'étais tout à fait libre, seul, tranquille, tandis que j'étais toujours un peu anxieux et ennuyé dans les différentes choses qu'on me faisait faire".

        Après avoir été admis à l'école des Beaux Arts de Paris et participé à plusieurs expositions, c'est le Salon d'Automne de 1905 qui va lui apporter la notoriété...

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        Matisse y a exposé deux toiles," Fenêtre Ouverte" et" La Femme au Chapeau", un portrait de sa femme où, avec de larges a-plats de couleurs pures et violentes complètement étrangères à la référence à l'objet, il revendique un art basé sur l'instinct:
                "Quand je met un vert ça ne veut pas dire de l'herbe, quand je met un bleu, ça ne veut pas dire le ciel"
        Ses oeuvres, ainsi que celles de ses acolytes Marquet, Vlaminck, Derain et Van Dongen provoquent un véritable scandale dans ce siècle imbibé d' impressionisme... Et faisant mention de la salle où avaient été regroupés les tableaux, le critique Louis Vauxcelles compara l'endroit à une "cage aux fauves"...
        Appelation aussitôt adoptée par les intéréssés dont Matisse se fit le chef de file.

        C'est pour le peintre le premier pas vers la célébrité et celui-ci entreprend à l'époque de nombreux voyages et expose à Berlin, Munich, Londres, New-York et Moscou où sa réputation lui vaut une commande importante du collectionneur Chtchoukine. Celui-ci lui confie en effet la décoration de la cage d'escalier de son hôtel particulier, projet qui se concrétisera en fin de comptes par deux panneaux de grande taille: la Musique, et son pendant la Danse.

        L'idée de cette" Danse", Matisse la portait en lui et l'avait déjà discrètement  placée en 1906 au centre de sa "Joie de Vivre":

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                "Vous savez, on n'a qu'une idée, on nait avec, toute une vie on développe son idée fixe, on la fait respirer" expliquait l'artiste qui fit effectivement "respirer" sa ronde initiale en lui accordant cette fois toute l' importance dans le dessin de sa nouvelle oeuvre.

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        Cette première version de "la Danse" (1909), actuellement exposée au MOMA (Museum of Modern Art) de New-York, est traitée dans des couleurs claires qui, bien que considérées par le peintre comme "l'apogée de la luminosité" ne le satisfirent pas entièrement et celui-ci se remit à l'oeuvre...
        Mais un point épineux de discorde venait de surgir entre l'artiste et son client: La nudité des personnages... Un détail qui n'était pas encore entré dans le code de la bonne société de l'époque... Après avoir pris connaissance de cette première ébauche du tableau, Chtchoukine avait en effet écrit à Matisse:
                "Je ne peux pas exposer des nus dans ma cage d'escalier... Essayez de refaire la même ronde avec des filles habillées..."
        Séduit malgré tout par la peinture il proposa alors dans un premier temps à son auteur d'en réaliser un plus petit format (qu'il mettrait dans un endroit discret...) et de modifier le grand panneau dont il maintenait la commande... Puis, sans doute pris de remords, il décida de faire fi des usages pudibonds, et ordonna dans un second temps à Matisse de ne rien changer à l'apparence de ses personnages et de poursuivre son travail...

        La seconde version de "la Danse" (1910), animée d'un rythme violent et joyeux est souvent associée à la Danse des Jeunes Filles du Sacre du Printemps de Stravinsky, inspirée du rituel primitif païen au cours duquel une jeune fille était offerte en sacrifice au dieu du Printemps et dansait jusqu'à épuisement mortel.

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        Les courbes dessinées par les postures déséquilibrées des cinq personnages semblent effectivement les entrainer dans une ronde frénétique, et le grand dépouillement du dessin reflète ici la fascination de Matisse pour l'art primitif.
        La peinture fut d'ailleurs jugée "païenne et dyonisaque" par les contemporains...
        La palette des couleurs était évidemment la palette "fauviste" classique et Matisse décrivit ainsi son travail:
                 "La surface du ciel a été colorée à saturation jusqu'à ce que le bleu, l'idée du bleu absolu, soit omniprésente. Un vert lumineux pour la terre et un vermillon éclatant pour le corps. Avec ces trois couleurs j'avais mon harmonie de lumière et la pureté de ton".

        Une fois terminés les deux panneaux furent exposés au Grand Palais... Et reçurent un accueil dévastateur de la part des critiques qui, fidèles à leurs habitudes, surent trouver les mots qui accablent, qualifiant entre autre Matisse de "malade mental" avec cette remarque:
                "On voit les mêmes peintures dans tous les asiles, mais là, il y a une excuse: la maladie..."

        Impatient et curieux de voir les résultats Chtchoukine de son côté avait décidé de faire le voyage à Paris... où il fut tellement désorienté et abasourdi, non par l'oeuvre mais par ces commmentaires scandalisés, qu'il annula sa commande sur le champ...
       Lorsque les clameurs se furent tues, en amateur éclairé poursuivi par la vision de ce qu'il avait reconnu comme un chef d'oeuvre il revint vite cependant sur sa décision, et expédia dès son retour cette dépèche à Matisse:
                "Réfléchi pendant voyage. Décidé prendre panneaux. Envoyez Danse et Musique rapidement S.V.P. Salutations."
        Et "la Danse", accompagnée de sa soeur" la Musique" arriva à Moscou le 17 Décembre 1910 (et se trouve actuellement exposée au musée de l'Hermitage à St. Petersbourg)

        L'histoire de Matisse et de "la Danse" ne faisait que commencer... car la composition va "respirer" de manière récurente dans le décor de plusieurs autres de ses oeuvres, dont "Les Capucines à la Danse" peintes en 1912.

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        Et c'est le monde du ballet cette fois qui va s'ouvrir à l'artiste lorsqu' Igor Stravinsky et Serge Diaghilev lui demandent de dessiner les décors et les costumes pour "Le Chant du Rossignol" présenté à Londres en 1919 (Massine et les Ballets russes de Monte Carlo solliciteront également son concours pour" Le Rouge et le Noir" et" Etrange Farandole")

        Comblé d'honneurs, Matisse obtient en 1927 le prix Carnegie, le plus prestigieux des prix internationaux, et c'est au cours d'une de ses visites aux Etats Unis qu'il rencontre le Dr. Barnes, propriétaire de l'une des principales collections américaines. Ce dernier lui propose alors de réaliser une grande décoration murale pour orner le palais qu'il vient d'édifier à Merion, près de Philadelphie, pour abriter ses oeuvres d'Art, et lui laisse entière carte blanche en ce qui concerne le sujet...

        Une nouvelle occasion pour le peintre de renouer avec ses plus célèbres tableaux et de faire "respirer" sa " Danse" encore une fois...
        Il s'agit maintenant d'un tryptique qui doit s'inscrire dans trois voussures, un travail différent qui va obliger Matisse à trouver une autre technique:
                "Mon but était de transposer la peinture dans l'architecture, de travailler la peinture à l'égal de la pierre et du ciment".
        Dans le cadre de cette recherche il eut l'idée de recourir à des papiers colorés qu'il ajustait comme un patron sur les plans qu'on lui avait faits parvenir (il travaillait à Paris) et qu'il épinglait ensuite sur sa toile afin d'agencer les formes de sa composition... Sans se douter qu'il ferait un jour de ce système une véritable technique artistique...

        Son premier essai, dans des tons de gris et bleu, fut loin de le satisfaire et il l'abandonna (Aujourd'hui connue sous le nom de "La Danse Inachevée" celle ci ne fut retrouvée qu'en 1992 dans le garde meubles de ses héritiers, et se trouve actuellement au musée d'Art Moderne de la ville de Paris).

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        Une seconde tentative le confronta malheureusement à une regrettable erreur de mesures dans les plans du Dr. Barnes... et plutôt que de rectifier son travail Matisse préféra recommencer une troisième version... Qui sera cette fois la bonne... "La Danse de Merion" combla pleinement son auteur qui eut cette remarque lors de la mise en place:
                "On croirait un chant qui s'élève vers le plafond vouté"

        De retour en France celui-ci ne put s'empécher malgré tout de reprendre la seconde version, celle aux mauvaises dimensions, qui sera baptisée "La Danse de Paris", exposée elle aussi aujourd'hui au musée d'Art Moderne.

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        Les petits morceaux de papiers découpés qui n'avaient été qu'une simple méthode de travail s'imposèrent alors à l'esprit de Matisse comme une véritable technique susceptible d'être améliorée et il mit alors au point ses gouaches découpées, retour à l'expérimentation à laquelle il avait renoncée un temps après son époque avant-garde avec son installation sur la Côte d'Azur.
        En 1937-1938 la danse l'inspire encore une fois et il réalise précisément ses "Deux Danseurs" avec sa technique de gouaches découpées et collées. Un système qui va lui permettre de continuer à travailler lorsqu'il tombe gravement malade et doit faire, à partir de 1941, de longs séjours à l'hôpital, puis se trouve condamné au fauteil roulant.

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        Collages, illustrations, et surtout sa chapelle du Rosaire à Vence, qu'il considérait comme son chef d'oeuvre et dont il dessina les plans, les vitraux et la décoration interieure, occupèrent ses dernières années, et il décède à Nice le 3 Novembre 1954 à l'age de 84 ans.

       Ecrit en 1947, le poème d'Aragon," Matisse parle" est certainement l'un des plus beaux hommages qui ait été rendu à ce chantre de la lumière et de la couleur toute puissante:

                  "Je rends à la lumière un tribut de justice
                   Immobile au milieu des malheurs de ce temps
                   Je peins l'espoir des yeux afin qu'Henri Matisse

                   Témoigne à l'avenir ce que l'homme en attend"


     
                          "Il faut regarder la vie avec des yeux d'enfant" 
                                                                          
     Henri Matisse.

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