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    L'Art et la danse

     
         Il était une fois le plus jeune enfant d'une famille pauvre qui s'élança à la conquète d'un trésor... et finit par gagner célébrité et fortune... Ce trésor c'était la danse... et le jeune héros s'appelait Rudolf Hametovitch Noureev... qui fit une entrée dans le monde assez théâtrale le 17 Mars1938 à bord du Transsibérien quelquepart près du lac Baïkal. 

        Lorsque la guerre éclate, sa famille qui habite Moscou se replie dans un petit village de leur province natale de Bachkirie, puis à Oufa, la ville voisine. Les conditions de vie, difficiles pour tous, le sont encore davantage pour les Noureev qui vivent dans une extrème pauvreté.
        Humilié le jour où il s'évanouit en classe tellement il a faim, le jeune Rudolf doit aussi endurer les moqueries de ses camarades parcequ'il n'a pas de chaussures ou porte le vieux manteau de ses soeurs...
        Un soir de réveillon, sa mère réussit à le faire entrer à l'Opéra d'Oufa, lui et ses trois soeurs, avec un seul billet, à la barbe des controleurs, pour voir un ballet patriotique Le Chant des Cigognes... Ce soir là, Rudolf qui n'a que six ans, sait qu'un jour il sera danseur...

        Les danses folkloriques enseignées à l'école le font très vite remarquer  et madame Udeltsova, qui avait fait partie du corps de ballet de Diaghilev se propose bénévolement  pour lui donner des leçons... Il fait avec elle suffisament de progrés en un an pour être envoyé à une ancienne soliste des ballets du Kirov... Son avenir semble tout tracé...
        Pourtant son père, qui souhaite pour son fils une carrière d'ingénieur ou de médecin ne l'entend pas de cette oreille et interdit les cours de danse qui entravent notablement sa scolarité...
        "Noureev travaille de moins en moins" se plaignent les professeurs, "sa conduite est stupéfiante, il saute comme une grenouille et c'est à peu prés tout ce qu'il sait faire..."
        C'était toutefois sans compter avec la détermination de ce garçon qui persiste à suivre ses cours en cachette et justifie ses absences, avec la complicité de sa mère, en prétextant d'autre activités.

        A 15 ans il commence à figurer dans des spectacles du théatre de la ville où ses progrés lui permettent de paraitre dans le corps de ballet.
        Un soir que le soliste est indisponible, Noureev propose crânement de le remplacer... Sa mémoire est extraordinaire... en quelques instants il va se préparer à exécuter une variation qu'il a vue sans jamais l'avoir dansée lui même... Il impressionne tellement son entourage ce jour là qu'on décidera de l'emmener en tournée à Moscou avec la troupe qui lui offre un contrat à plein temps...
        Mais son ambition est ailleurs... La célèbre école Vaganova du Kirov... Utopie?... Pas pour lui... Et lorsque la tournée se termine, au lieu de regagner Oufa avec ses camarades, il met à profit l'argent qu'il vient de gagner pour se rendre à Léningrad... où il trouve l'école de danse femée pour la semaine...Qu'à cela ne tienne!  la vieille madame Udeltsova  qui vit maintenant à Léningrad est là pour l'héberger.
     

     

    L'Art et la danse



        Bien qu'ayant dépassé la limite d'age, il est accepté au Kirov, avec ce commentaire du professeur qui l'a auditionné:
        "Soit vous serez un danseur extraordinaire, soit le modèle des ratés...et plus probablement le modèle des ratés"
        A 17 ans il n'avait pas, il est vrai, le niveau de ses pairs entrés à l'école 7 ans plus tôt. Mais il considéra cela comme un défi. Animé d'une volonté farouche de rattraper et de dépasser les autres, il accepte cependant mal la discipline, et surtout refuse de rentrer aux Jeunesses Communistes. Mais grâce au soutien de Pouchkine, son professeur, il repousse ses limites à l'extrème, passe tous les examens en trois ans, et débute dans la troupe à 20 ans.

    (Les dernières photos relatent le retour de Noureev en Union Soviétique en 1989, ses retrouvailles avec sa famille et sa réapparition sur la scène du Kirov où il interpréta pour l'occasion le rôle de James dans La Sylphide). 

     
        Il est choisi pour être le partenaire de Natalia Doudinskaya dans Laurencia et le succés est immédait. Quand il se déchire un ligament de la cheville peu de temps aprés, il reparait presqu'aussitôt sur scène, ignorant l'avis de son médecin qui lui prédit qu'il court le risque de ne plus jamais pouvoir redanser par la suite... Cette cheville, toutefois, le fit souffrir tout au long de sa carrière, et les problèmes qu'elle lui causa en auraient dissuadé plus d'un moins déterminé que lui...

     

        Tandis que son succés va croissant son tempérament impétueux et ses disputes fréquentes avec les professeurs lui forgent une réputation de mauvais caractère... Il se plaint un jour qu'une tournée en Allemagne de l'Est a été préjudiciable à sa forme physique... on lui répond qu'il ne dansera plus hors de Russie dorénavant...
        Et lorsqu'en 1961 la tournée du Kirov à Paris et à Londres se prépare, il n'est pas retenu.
         La chance va cependant lui sourire encore une fois... Le danseur étoile Konstantin Sergueev aura besoin d'être remplacé dans certains ballets, et Noureev est le seul à pouvoir le faire... Il partira donc... présenté officiellement comme "l'un des danseurs les plus passionants de ces dix dernières années".

     


        Paris (qui découvre le Kirov ) lui fait un accueil enthousiaste... Mais on le suveille de prés... ses entorses envers le réglement concernant les sorties nocturnes et les contacts avec les étrangers inquiètent les agents du KGB...
        Et lorsque la troupe arrive à l'aéroport du Bourget prète à s'envoler à destination de Londres, on remet à Noureev un billet pour Moscou où l'attend, lui dit-on, un gala... Il sent que c'est un piège... Il sait que s' il part il ne ressortira plus jamais d'URSS et sera écarté pour toujours de la scène... Sans perdre un instant il réussit à faire passer le message aux amis français venus l'accompagner et ceux ci transmettent sa requète à la police française:

        " I want to be free!... I want to dance!..."

        Une heure plus tard on lui a accordé l'asile politique et il est de retour à Paris...

        Poursuivi par les journalistes et harcelé par les autorités soviétiques il parcourt la France et l'Italie avec la compagnie des ballets du Marquis de Cuevas.
        Mais une rencontre va donner un tour décisif à sa carrière: Avec Erik Bruhn, le danseur étoile du Ballet Royal de Danmark, il découvre l'influence occidentale et l'assimile aussiôt pour créer ce style expressif à l'extréme, qui fera qu'après lui les danseurs ne pourront jamais plus ne pas s'investir totalement dans leurs rôles. 
        "Je suis arrivé avec le bagage" disait-il,"mais c'est à l' Ouest que j'ai appris ce qu'il fallait en faire".

        Ce bagage, il va aller le porter jusqu'à Londres où Margot Fonteyn l'invite peu de temps après à participer au gala annuel de la Royal Academy of Dancing... La porte de la gloire vient de s'ouvir pour lui... Avec le Royal Ballet qui restera sa troupe d'accueil jusqu'à la fin des années 70, et Margot Fonteyn comme partenaire, le succés est phénoménal.. (ils obtiennent 89 rappels à Vienne après le Lac des Cygnes...) Noureev a 23 ans, Margot Fonteyn 42... "Ce n'est pas elle, ce n'est pas moi, c'est le but que nous poursuivons ensemble" expliquait-il... et lorsqu'il quitte le Royal Ballet en 1977 ils resteront amis pour la vie.

     

         Etoile à la carrière internationale, Noureev se produit alors dans le monde entier avec des dizaines de troupes, apportant au répertoire classique talent et inspiration teintés d'anticonformisme:

     

        Lorsqu'il exécute pour la première fois les variations de Giselle ou du Lac des Cygnes avec le Royal Ballet ses modifications et ses ajouts indignèrent les puristes. 
        " il eut été absurde de cantonner Noureev dans un monde pré-établi" leur répondit très justement  Fréderick Ashton qui avait compris qu'on ne musèle pas cet artiste plein de fougue qui, un soir de Première de la Bayadère à Londres, prit un tel élan dans un saut qu'il disparut dans les coulisses... et réapparut nonchalament quelques instants plus tard...
        Noureev définissait ainsi le danseur:
    "Chaque pas doit porter la marque de son sang"... Personne n'oubliera ,en effet, ce don total qu'il faisait de lui même à chacune de ses apparitions où il irradiait à tout moment une humanité positive et puissante.
        Son "saut vers la liberté" lui fit la une de la presse internationale, mais sa personalité charismatique, aliée à une virtuosité et une présence magnétique doublée d'une puissance dramatique, le propulsèrent au sommet de son art.

        Acteur de cinéma, icône de la publicité, et même chef d'orchestre, Noureev toucha un public plus nombreux que n'importe quel autre danseur, et la presse populaire s'ingénia à construire à ce "Rimbaud des steppes" comme l'appelait Ashton, une image scandaleuse...Rapportant comment il lança un pâté aux crevettes à la tête d'un critique célèbre lors d'une réception en Australie ou bouscula une danseuse du corps de ballet de la Scala de Milan qui le génait pour entrer en scène...
        L'étoile n'a cependant jamais dévoré l'homme. De tempérament bouillant, s'il fut comédien il n'était jamais poseur, et s' il pouvait être arrogant il n'était pas vaniteux.

        En 1983 Rudolf Noureev est nommé directeur de la danse à l'Opéra de Paris et en porte le prestige sur les scènes internationales après avoir élevé la compagnie à son plus haut niveau. Ses talents de chorégraphe qui s'imposèrent avec la création de Tancrède à l'Opéra de Vienne en 1966 ont ici l'occasion de s'exprimer encore une fois à travers ses oeuvres les plus célèbres que sont ses versions des ballets de Petipa, le Lac des Cygnes ou Casse Noisette, auxquelles viennent s'ajouter Manfred, Roméo et Juliette, Cendrillon et Raymonda.
       Quand il quitte le poste de directeur de la danse en 1989 il demeure cependant "premier chorégraphe", et va donner La Bayadère, certainement un de ses ballets les plus réussis


        C'est grâce à sa volonté farouche et l'aide de collègues en qui il a toute confiance qu'il termine ce dernier ballet, car il a été diagnostiqué séropositif en 1984 et s'affaiblit progressivement. Les photos de la Première le 8 Octobre 1992, qui fut sa dernière apparition en public, révèlent au monde le degré avancé de sa maladie. Il espérait cependant pouvoir poursuivre encore ses activités, mais ses forces l'abandonnèrent très vite. 
        La nationalité française ne lui a pas été accordée pour des raisons politique et des pressions de l'URSS, et Rudolf Noureev décède "citoyen autrichien" à l'Hôpital du Perpétuel Secours de Levallois Perret le 6 Janvier 1993.

        Ainsi finit l' histoire de l'enfant prodige qui se battit pour "entrer dans la danse" et y rester, et pour qui, éternel nomade, le présent et l'avenir étaient plus importants que le passé car, disait-il:

        "Ne jamais regarder en arrière. C'est ainsi qu'on tombe dans l'escalier".


        
     
      
      

      


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    Petite danseuse

     

        A la fin des années 1890, Degas presque aveugle à la suite de l'évolution de la grave maladie oculaire qui le touche depuis de très nombreuses années se consacre quasi exclusivement à la sculpture.
        Il s'y adonne depuis une dizaine d'années déjà, réalisant des modèles en cire, peints aux couleurs naturelles, auxquels il ajoute des accessoires. Ces sculptures, toutefois, n'étaient pas detinées à être montrées, mais lui permettaient de fixer le mouvement pour servir, par la suite, de modèle à ses peintures.

        Une seule, cependant, fit exception:
                         " La petite danseuse de 14 ans", (connue aussi sous le nom de "La Grande Danseuse") qu'il avait tout d'abord l'intention de dévoiler au salon de Paris en 1880. Cependant, estimant que son travail n'était pas encore prêt, il exposa seulement à cette occasion une cage en verre vide... Façon originale d'éveiller par anticipation la curiosité du public sur l'oeuvre à venir... qui parut donc l'année suivante lors de l'exposition impressioniste de 1881:
                          Une jeune danseuse de 99cms de haut environ, réalisée en cire peinte, et agréméntée de cheveux véritables retenus par un ruban de satin vert, vêtue d'un bustier en soie ivoire et d'un tutu en tulle, et chaussée de chaussons de satin rose. (on a retrouvé sur l'un des nombreux dessins de Degas l'adresse d'un fabriquant de poupées et vétements de poupées chez qui, on le suppose, il s'était très vraisemblablement procuré les accessoires). 

        La statue reçut un accueil très mitigé...On la déclara laide, certains dirent que sa tête et ses traits étaient grotesques et primitifs, allant même jusqu'à dire qu'elle ressemblait à un petit singe...et pour finir on lui trouva un visage "où tous les vices impriment leurs détestables promesses" (il ne faut pas oublier, non plus, que dans l'imaginaire masculin de l'époque l'image de la danseuse renvoie à la fille légère).
        D'autre part, le fait que l'oeuvre soit présentée dans une vitrine, telle un spécimen dans un musée d'histoire naturelle ou un travail de taxidermiste, en accentuant l'aggressivité du réalisme choqua une grande partie des critiques.
        Quelques uns cependant, il faut le dire, surent s'émouvoir devant cette adolescente dont le visage révèle la dureté de la vie... Mais ce ne fut pas la majorité...

         La sculpture passa par la suite 40 années dans l'atelier du peintre où elle fut découverte à sa mort stockée parmi toutes celles qu'il avait accumulées. La fragilité de la cire laisse imaginer l'état de dégradation dans lequel on les retrouva, et les héritiers (sa femme et sa fille) décidèrent de les faire restaurer pour en faire exécuter des moulages en bronze.

        Il y eut 27 copies de "la petite danseuse" produites par la Fonderie Hebrard à Paris entre 1920 et 1950, et celle que possède le musée d'Orsay est datée entre 1920 et 1930.
        Dans la version "bronze" les seuls accessoires qui ont été conservés sont le tutu et le ruban retenant les cheveux, sans doute par souci de simplification par rapport à la statue en cire d'origine trés "habillée".
        Celle ci, et on le déplore, n'est malheureusement pas restée en France. Acquise en 1956 par le philantrope américain Paul Bellon, ce dernier en fit don à la National Gallery of Art de Washington, où se trouve maintenant exposée aujourd' hui la silhouette juvénile et jadis si controversée de Marie Van Goethem...

        Issue d'une famille pauvre d'origine belge, Marie Geneviève Van Goethem naquit dans le 9ème arrondissement de Paris, la cadette d'une famille de trois enfants.
        A la mort de son père, tailleur, sa mère n'eut d'autre recours que celui de devenir blanchisseuse, et l'argent se fit  plus rare que jamais pour Marie, Antoinette, son ainée, et Charlotte la benjamine.
        Très certainement poussées par leur mère qui espère pour ses filles de riches protecteurs, les trois soeurs vont rentrer à l'école de danse de l'Opéra. Antoinette la première en 1872, suivie un peu plus tard par Marie et Charlotte.
        C'est entre les années 1871 et 1885 que Degas se passionne pour l' Opéra et la danse, et les soeurs Van Goethem apparaissent dans ses carnets de dessins en 1873. Elles vivent non loin de l'atelier du peintre situé Rue St. Georges, et gagnent entre 6 et 10 francs par séance comme modèles, ce qui contribue de façon substantielle aux maigres revenus de la famille.
       Mais qui n'était sans doute pas suffisant, car lorsque Marie et ses soeurs furent engagées dans le Corps de Ballet on soupçonne déjà leur mère (un temps habilleuse au théatre) de les prostituer auprès des riches abonnés.

       Tout basculera vraiment, cependant, en 1882... Un journal de l'époque montre les ainées fréquentant assiduement des cafés et des cabarets dont la plupart ne sont pas des endroits recommandables pour des jeunes filles...
        Marie, qui est de plus en plus souvent absente de l'Opéra, est finalement révoquée du Corps de Ballet...Quand à Antoinette elle est emprisonnée pour avoir subtilisé un portefeuille...
        A partir de ce moment là les deux soeurs vont sombrer dans la spirale infernale du vol et de la prostitution... Marie n'a que 17 ans... et personne ne sait où et comment elle a terminé sa vie...

        Un bien triste sort... ayant peut-être servi de leçon à la jeune Charlotte qui fit carrière à l'Opéra et dansa avec la grande Carlotta Zambelli. Lorsqu'elle quitta le Corps de Ballet, l'Opéra l'engagea comme professeur et elle eut, parait-il, comme élève, Yvette Chauviré.

        Ces destins tragique inspirèrent Brigitte Lefèvre, actuelle directrice de la danse à l'Opéra, qui demanda à Patrice Bart de monter un ballet évoquant cette partie de la petite histoire. 
        Célébrée maintenant sur la scène où elle évolua jadis (grâce à la musique de Denis Lavaillant  et la chorégraphie de Patrice Bart et Martine Kahane) "la petite danseuse de Degas" nous y apparait aujourd'hui encore plus vivante et émouvante que jamais, déshéritée de la vie qui disparut dans le malheur mais qui, gâce à une sculpture, est devenue immortelle. 

     

     







                     

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    Ballet de la lune


         Le ballet de Cour, divertissement importé d'Italie et dont l'ancêtre le plus célèbre fut Le Ballet Comique de la Reine (1581) patronné par Catherine de Médicis, atteignit son apogée pendant le règne de Louis XIV (1638-1715).

        La danse faisait partie, à l'époque, des connaissances de base de tout gentilhomme au même titre que l'escrime ou l'équitation, et le jeune roi, svelte et gracieux, y montra très tôt de réelles dispositions. Dés l'age de 7 ans il travaillait déjà quotidiennement avec les maitres à danser Prevost puis Regnault, et perfectionna plus tard sa technique avec Pierre Beauchamp. (Son nom est d'ailleurs resté associé à l'entrechat royal, l'entrechat 5, qu'il exécutait parait-il à merveille). Il avait à peine 13 ans lorsqu'il fit ses débuts de danseur dans Le Ballet de Cassandre, et à 15 ans incarna le soleil levant dans Le Ballet de la Nuit (1653).

        C'est un nouveau venu à la Cour qui en avait composé la musique: Jean Baptiste Lully (1632-1687), fils d'un meunier de Florence. Engagé d'abord comme danseur, ses dons à la fois pour la danse et pour la musique firent grande impression auprès du souverain, ce qui lui valut rapidement la charge de compositeur pour Les Vingt-Quatre Violons du Roi, l'orchestre qui jouait aux bals, diners et concerts.



        Il se trouvait que parmi les musiciens de l'orchestre l'un d'eux avait un fils doué d'un talent exceptionnel que remarqua aussitôt Lully: Pierre Beauchamp, la personnalité la plus marquante du siècle dans l'univers chorégraphique, avec qui il créa, en collaboration avec le poète Benserade et les décorateurs Giacomo Torelli et Carlo Vigarani, la plupart des ballets qui furent présentés dans les décennies à venir.
        Le ballet de Cour est un genre qui mêle à la fois intimemment récit, danse et musique. Très colorié et varié, il reflète toutefois, sous le couvert de la mythologie, thème de prédilection, la vie de la Cour avec ses évènements marquants et ses intrigues.... Chaque année voyait naître de nouvelles créations avec pour personnage central le roi, transmettant à dessein le message politique de son autorité absolue.
        Au fil du temps, le monarque dont la silhouette s'était épaissie et qui était de plus en plus accaparé par les affaires de l'Etat, cessa cependant d'y paraitre. Mais, privé de son but principal et réduit à n'être qu'un simple divertissement, le ballet de Cour n'en perdit pas son prestige pour autant grâce à la réunion de ces deux talents remarquables qu'étaient Lully et Beauchamp, et que vint rejoindre Molière (1622-1673).

        En 1661, Louis XIV avait été invité par Fouquet au château de Vaux-le-Vicomte pour assister à la création des Facheux.
        Connaissant la passion du roi pour la danse, Molière avait imaginé de joindre à sa pièce quelques divertissements dansés et ce fut une réussite... Molière reçut l'ordre du roi de présenter à nouveau  Les Facheux à Fontainebleau... alors que le luxe ostentatoire affiché par Fouquet ce jour là lui vaudra de tomber en disgrâce et d'être emprisonné...
       Ce fut la naissance de la comédie-ballet qui devint rapidement le spectacle préféré du monarque. De nombreuses commandes s'en suivirent et en collaboration avec Beauchamp et Lully, Molière créa, entr'autres, Monsieur de Pourceaugnac en 1669, Le Bourgeois Gentilhommme en 1670 et Le Malade Imaginaire en 1673. Mais lorsqu'il disparut cette même année la comédie-ballet mourut avec lui car le genre ne lui survécut pas (Maurice Béjart lui rendit hommage en 1976 avec Le Molière Imaginaire).

     


        Afin d'assurer le développement de cet art de la danse qui lui tenait particulièrement à coeur, Louis XIV fonda en 1661 l'Académie Royale de Danse (avant même de fonder l'Académie Royale des Inscriptions et Belles Lettres en 1663 ou l'Académie des Sciences en 1666) dont firent partie treize maitres à danser choisis parmi les meilleurs (cénacle trop fermé, l'Académie de Danse cessa d'exister en 1780)

        Rares étaient, à l'époque, les danseurs professionels car ils n'avaient aucun statut, et peu d"entre eux participaient aux spectacles de la Cour. Aux côtés du Roi et de Lully, paraissait au contraire une majorité de courtisans plus ou moins doués,dont le niveau des prestations rendait évident le fait que pour accroitre le prestige du ballet il fallait en relever le niveau d'exécution... Il était nécessaire d'organiser une vraie formation au métier de la danse et de le faire reconnaitre comme tel (il arrivait parfois que le maitre à danser soit aussi le maitre d"armes...).

        C'est ce que fit le monarque en 1672 lorsqu'il apposa sa signature sur un parchemin autorisant Lully à fonder une Académie Royale de Musique qui prit plus tard le nom de Théatre National de l'Opéra, et dont les deux directeurs, Fraicine et Dumont, furent chargés de recruter dans les familles pauvres garçons et filles de 9 à 13 ans pour "leur apprendre gratuitement le métier", posant ainsi les bases de l'actuelle école de danse.

        Ce nouvel Opéra avait évidement besoin d'une troupe, mais s' il fut relativement facile de trouver des chanteurs de niveau professionel il y avait pénurie de danseurs... Même avec les privilèges qui leur permettaient de paraître dans des opéras sans déchoir de leur rang, les courtisans qui avaient participé aux ballets de Cour n'étaient pas intéréssés et l'on recruta les danseurs masculins parmi les élèves des maitres à danser. La difficulté s'accrut encore lorsqu'il s'agit de danseuses car aucune des professionelles qui avaient paru à la Cour n'ayant été admise dans la troupe il en résulta que pendant les dix premières années les rôles féminins furent dansés par des travestis.

        Subterfuge que le port du masque rendit cependant moins manifeste...  Car le masque était resté, et ce jusqu'à la seconde moitié du siècle, l'accessoire presque obligatoire du costume du danseur masculin, à l'effigie du dieu, ou du personnage qu'il représentait.
        Puisque le texte, parlé ou chanté, raccontait l'histoire, il était inutile de  recourir au mime et, sans avoir à traduire d'expressions sur leur visage, les danseurs pouvaient alors ainsi mieux se concentrer sur les poses ou les mouvements du corps.
       Le jour où opéra et ballet seraient deux formes séparées était encore lointain car le chant et la danse restaient des éléments indissociables du spectacle où l'un ne savait aller sans l'autre.



        Toutefois le passage de la danse à la scène avait opéré d'importantes évolutions, car en séparant spectateurs et danseurs il se créa un univers spécifique consacré à l'imagination dont les scènes surélevées et les scènes en pente (6%) modifièrent ensuite toute la perspective.
        Jusqu'alors "horizontale", car elle se décrivait au sol, la danse se "verticalisa".et devint plus aérienne, la danse d'élévation vit le jour. Il n'était plus donné à tout le monde de pouvoir la pratiquer, et elle fut véritablement l'apanage du danseur professionel. Mais elle atteignait, par contre, une plus large audience et n'était plus réservée aux privilégiés de la Cour.

        Sous la directoin de Beauchamp à l'Académie Royale de Musique, et de son successeur Pécour, une pleïade de talents vinrent séduire le public.  Les plus populaires furent sans conteste Michel Blondy, élève et neveu de Beauchamp "le plus grand danseur de l'Europe pour la danse haute, les entrées de furies et entrées de caractère"; et Claude Balon, renommé pour "un goût infini et une légèreté prodigieuse", légèreté que l'on célèbre encore aujourd'hui lorsque l'on dit d'un danseur qui rebondit bien qu'il a "du Balon' (ce qui n'a rien à voir avec l'homonyme rond ou ovale...). Il ne faut pas oublier de citer également parmi ces talents  Molière car, s'il n'était pas "un danseur noble" il réussissait très honorablement  dans cet art dont il aimait le style acrobatique de la Commedia dell'Arte.



         Beauchamp qui fut le véritable architecte du ballet de l'Opéra, non seulement comme chorégraphe mais aussi comme professeur, fit accomplir de notables progrés au Corps de Ballet qui demeura essentiellement masculin jusqu'au jour où il fut possible, en 1681, de faire monter sur la scène de l'Opéra les premières danseuses professionelles issues de l'école de danse, circonstance historique pour laquelle Lully écrivit spécialement  Le Triomphe de l'Amour.

        Aussi douées que pouvaient l'être les danseuse c'était cependant l'époque de la suprématie incontestable des danseurs masculins, car, encombrée par le poids des costumes, la danseuse de cette période était toujours la partenaire défavorisée. Les lourdes robes limitant considérablement les mouvements de jambes alors que les hommes pouvaient sans aucune gène faire montre d'une technique spectaculaire.



        Quelques danseuses celèbres firent leur apparition: Mademoiselle de La Fontaine, surnommée "reine de la danse" qui obtint un tel succés qu'elle était autorisée à régler elle même ses entrées, mesdemoiselles Roland, Lepeintre, ou encore Françoise Prevost ou Marie Thérèse de Subligny qui fut l'une des premières  professionelles françaises à se produire à Londres.

        Car le ballet français tient alors la première place qui lui revient de droit. Partout en Europe on s'arrache les maitres à danser et les danseurs français qui imposent la base de la danse classique internationale.
        En 1701, Beauchamp, qui a déjà codifié entre autres les 5 positions des pieds ainsi que des exercices de classe, publie une Chorégraphie de l' Art d' Ecrire la Danse par caractères, figures, et signes démonstratifs, trés vite traduit en allemand et en anglais ( il faut noter que l'un de ses disciples, Raoul-Auger Feuillet avait fait paraitre ce travail sous son propre nom l'année précédente de manière assez indélicate...)
       Quoi qu'il en soit, la langue chorégraphique est définitivement fixée et ne changera plus...à Londres, New York ou Moscou on parle, et encore aujourd'hui, français dans le ballet.

        Tout au long de ces années un déplorable écheveau d'intrigues s'était noué pour prendre la direction du théatre, encore géré de façon privée.
        En Janvier 1713, le vieux roi esaya de remettre de l'ordre en imposant un "Réglement concernant l'Opéra" qui lui reconnaissait le statut d' Institution d'Etat et d'Expression Officielle de la Culture Française.
        Ce réglement prescrivait l'établissement d'une troupe permanente de vingt danseurs, dix de chaque sexe, mais l'inovation la plus importante consistait en la création formelle de l'école de danse, la plus ancienne de toutes, qui a formé au cours du temps des générations d'étoiles et continue encore aujourd'hui à le faire.

        Ce fut le dernier cadeau que le monarque fit à l'art qui avait enchanté sa vie et auquel il donna ses lettres de noblesse. Et lorsque s'éteignit le Roi Soleil (nom que lui avait valu son rôle dans Le Ballet de la Nuit),  il léguait à la France une institution qui n'a jamais céssé depuis de porter très haut son prestige dans le monde.

     


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  • Carlotta Grisi - Giselle

       Quand, en 1835, le contrat de Jules Perrot avec l'Opéra de Paris se termina, il ne fut pas renouvelé. Mais lorsque, quelques années plus tard, le danseur s'y présenta accompagné de Carlotta Grisi, un jeune talent exceptionel découvert en Italie, il espérait, cette fois, qu'ils seraient engagés ensemble. Pourtant il se trompait, et elle fut la seule à faire ses débuts à l'Opéra en 1841.

        Tombé immédiatement sous le charme de celle qui partageait la vie de Jules Perrot (et dont il eut la soeur ainée, Ernesta Grisi, cantatrice, comme compagne) le critique Théophile Gautier, déjà passioné par le ballet, fit  de Carlotta sa muse et devint son chevalier servant pour le restant de ses jours... Nul ne s'étonnera dans ces conditons que l'écrivain se soit alors transformé en scénariste...

         La lecture d'un livre d'Henriche Heine, De l'Allemagne, où il découvrit la légende des Willis, ces fiancées disparues avant leurs noces qui entrainent les imprudents dans des rondes fatales à la nuit tombée, et un poème de Victor Hugo célébrant une jeune fille morte d'avoir trop dansé, attisèrent son imagination; et il se mit au travail avec la collaboration du dramaturge Jules Henry Vernoy de St. Georges.
         Ensemble ils s'attachèrent, comme l'écrivit lui même Théophile Gautier, à  "porter le ballet dans une sphère supèrieure".  Objectif  que les deux auteurs ont totalement réussi à atteindre car, par l'union de la danse et de l'art du théatre, Giselle, où le mouvement se transforme en langage de l'âme, exprime plus profondémént la psychologie des personnages que tous les autres ballets de l'époque.

        Le projet de Théophile Gautier tombait fort à propos et fut aussitôt accepté par l'Opéra qui avait besoin de quelquechose de nouveau pour sa nouvelle danseuse; on le mit donc immédiatement en chantier.
        La musique en fut confiée à Adolphe Adam, un jeune compositeur exceptionellement doué qui s'était fait connaitre avec un autre ballet, La Fille du Danube, en 1836. Celui ci travailla en étroite collaboration avec Carlotta et Perrot. Mais à titre privé seulement, car l'honneur de monter le ballet revenait au Premier Maitre de Ballet, Jean Coralli. Cependant, persuadé que Giselle ne serait jamais qu'un bouche trou dans la programation celui ci laissa, de bonne grâce, Jules Perrot régler toutes les danses exécutées par Carlotta... Rien ne fut officiel, Perrot ne reçut aucun salaire, et son nom ne parut jamais à l'affiche... (il fallut attendre pour cela que Serge Lifar le fasse reconnaitre comme l'un des créateurs du ballet et demande à ce qu'enfin son nom soit ajouté à celui de Coralli).

        "Rien ne me plait davantage que cette besogne qui consiste, pour trouver l'inspiration, à regarder les pieds des danseuses" disait Adolphe Adam dont la musique qu'il composa pour Giselle reste le chef d'oeuvre vanté par Tchaïkovski lui même.

        "La musique de monsieur Adam est supérieure à la musique ordinaire des ballets, elle abonde en motifs, en effets d'orchestre" en disait Théophile Gautier. Si le ballet fit fureur dans le Paris des années 1840 c'est effectivement surtout, outre son argument émouvant, pour sa partition sensationelle: aux personnages et à leurs actes s'attachent des leitmotive intégrés avec habileté au déroulement du drame, y compris par leur instrumentation. Les instruments sont, en effet, toujours en parfait accord avec les situations, telle la flûte avec la folie ou le violon avec l'amour (la danse la plus voluptueuse de Giselle dans l'Acte II est faite sur un alto).

        Il faut cependant souligner que le Pas de deux des Paysans de l'Acte I n'est pas l'oeuvre d'Adolphe Adam, mais celle de Frédéric Burgmüller... A l'origine ce Pas de deux n'était pas destiné à rester. Il avait été simplement ajouté lors de la Première pour plaire à un riche protecteur qui avait demandé qu'un rôle soit accordé à sa ballerine favorite Nathalie Fitzjames... Et comme ceci contrariait les créateurs Adolphe Adam n'en composa pas la musique... Il se trouva, cependant que les danses de ce divertissement plurent tellement au public qu'elle figurent encore aujourd'hui dans le ballet...



       La Première mondiale de Giselle eut lieu à l'ancien Opéra de la rue Le Peletier le 28 Juin 1841, qui était le vingt-deuxième anniversaire de Carlotta Grisi. Elle avait pour partenaire Lucien Petipa, le frère du chorégraphe; et les décors, relativement simples puisqu'au nombre de deux seulement, étaient l'oeuvre de Pierre-Luc-Charles Cicéri qui régna près de trente deux ans sur les décors de l'Opéra et révolutionna le genre par son imagination et son ingéniosité.

        Succés immédiat, Giselle aborde et exploite tous les thèmes du romantisme en général:
        Couleur locale et pastorale amoureuse qui s'achève en tragédie, inversion des identités sociales, irruption d'un mode fantastique issu des légendes germaniques, et rédemption par la force de l'amour.
        A cela il faut ajouter le ballet blanc du deuxième Acte, les envolées des ballerines, la virtuosité de la technique des pointes, et bien entendu la Femme, maitresse absolue du ballet de l'époque. Des ingrédients qui ont produit le chef d'oeuvre considéré à très juste titre comme l'apogée du ballet romantique.



        Giselle, une jolie villageoise, est aimée du garde chasse Hilarion. Mais elle s'éprend de Loys, un jeune paysan,  qui n'est autre qu'Albrecht, duc de Silésie, dissimulant sa véritable identité malgré la réprobation de son écuyer Wilfred.
        Berthe, sa mère,se méfie de ce nouveau prétendant et réprouve  l'amour excessif que sa fille porte à la danse, la menaçant même de finir un jour en Willi...
        Quant à Hilarion, éconduit, sa jalousie et sa curiosité sont aiguisées par ce rival mystérieux... et, après avoir réussi à découvrir la vérité, il la révèle à tous à l'occasion d'une chasse à laquelle participent le duc de Courlande et sa fille Bathilde, qui n'est autre que la fiancée officielle d'Albrecht... A cette nouvelle, Giselle trahie et détruite par le chagrin et la honte en perd sur le champ à la fois la raison et la vie.



        Le deuxième Acte s'ouvre sur une clairière où a été creusée la tombe de Giselle.
        Poussés par le remord et le chagrin, Hilarion et Albecht, venus tour à tour s'y recueillir, deviennent la proie des Willis et de leur reine l'implacable Myrtha. Après s'être saisies d'Hilarion qu'elles font danser  jusqu'à épuisement et précipitent dans une mare, elles s'attaquent à Albrecht...Mais Giselle, nouvelle Willi, tente de s'interposer et l'entraine près de la croix, symbole sacré, qui anéantit les pouvoirs de Myrtha... Si celle ci ne peut plus rien contre Albrecht elle a toujours, cependant, Giselle en son pouvoir, et lui ordonne d'attirer ailleurs son amant. Giselle s'exécute et Albrecht ne peut résister à son appel...Mais elle va cependant le sauver car elle le tiendra éloigné de ses consoeurs en dansant avec lui jusqu'aux premières lueurs de l'aube qui feront rentrer les Willis dans leurs tombes... mais les sépareront, elle et lui, pour l'éternité...



        Dans ses versions modernes le ballet se termine toujours de la même façon: Albrecht meurt lorsque Giselle disparait, ou bien s'écroule secoué de sanglots pendant que le rideau se ferme, ou encore s'éloigne à pas lents (version de Patrice Bart)
        Cependant, le livret de messieurs Jules Henry Vernoy, Théophile Gautier et Jean Coralli, la version originale, donne une fin différente:
        Au moment même où elle va disparaitre Giselle apreçoit Bathilde... et dans un élan de générosité demande à Albrecht de se réconcilier avec sa fiancée; ce qu'il fait en titubant vers Bathilde, les mains tendues réclamant son pardon, puis tombe d'épuisement dans les bras des assistants alors que le rideau tombe.

        C'est ainsi que fut présenté Giselle le 28 Juin 1841. Après le succés parisien, le ballet ne tarda pas à être produit à Londres, puis à St. Petersbourg l'année suivante, avant d'être monté à Boston et à New York en 1846. A Londres, Fanny Elssler, l'autre grande Giselle de l'époque, en donna une version hautement dramatique, et sa scène de la folie devint un modèle pour les générations suivantes.
        Car le rôle titre de Giselle est l'un des plus difficiles du répertoire (on dit qu'il est à une danseuse ce qu'Hamlet est à un acteur) exigeant de l' interprète, outre une maitrise technique irréprochable, des qualités d'expression dramatique passant de la joie de vivre au désespoir, puis à la folie et à la passion.
     
        Le ballet disparut du répertoire occidental pendant de nombreuses années, alors qu'il continua sa carrière en RussieMarius Petipa effectua diverses transformations entre 1860 et 1899, lui donnant la forme quasi définitive sous laquelle nous le voyons aujourd'hui, et que Michel Fokine ramena en France pour les  Ballets Russes de Diaghilev.
        Giselle est en effet le premier grand ballet à avoir franchi les décennies en conservant l'essentiel de sa chorégraphie originale. Chorégraphie tout à fait surprenante pour l'époque, qui frappa le public par la solidité de sa structure aussi bien dans les grands tableaux du corps de ballet que dans les soli. Avec leurs lignes strictes et symétriquement réfléchies, les ensembles donnaient au spectacle une puissance et une force inégalées et, investis d'une fonction dramatique comme les soli, allaient bien au-de-là du cliché purement décoratif des divertissements auxquels on avait été habitué jusque là.


        D'autres chorégraphes en firent à leur tour une relecture, parmi lesquels Serge Lifar en 1932, Alicia Alonso en 1972, et Patrice Bart et Eugène Poliakov en 1991.
        Il ne faut pas oublier non plus la version contemporaine qu'en fit Mats Ek en 1982, où Giselle un peu simplette finit ses jours dans un hôpital psychiatrique...

        Toujours d'actualité, comme tous les grands classiques, Giselle demeure encore...
        Car tant que le monde et les êtres humains existeront, les coeurs continueront à se briser... et les consciences à ne se réveiller souvent que trop tard.



                     A thing of beauty is a Joy for ever
                     Its loveliness increases; it will never pass
                     Into nothingness.
                                                  John Keats
       

      
    Les extraits de Giselle sont interprétés par le Corps de ballet du Bolchoï avec Natalia Bessmertnova et Yuri Vasyuchenko dans les premiers rôles.

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    Danse



     "Je compose des ballets pour ceux qui n'en ont jamais vus et pour les cinq personnes dans le monde qui comprennent très bien la danse. Entre les deux il y a les balletomanes. Et je les déteste."

        Ainsi s'exprimait au cours d' une interview le chorégraphe dont les spectacles faisaient salle comble dans les années 1960-1970 au Palais des Sports de Paris, et qui fut le seul à savoir remplir les 14.000 places de Bercy avec sa Neuvième Symphonie.
        Il lui avait été pourtant prédit à ses débuts qu'il "ferait fuir les gens"... Car, à l'époque où seule la danse classique avait la faveur des théâtres à l'italienne, le travail de Maurice Béjart boulversa le microcosme.

       Difficile à situer précisément car il ne suit pas une ligne unique et récuse même l'idée de style, son oeuvre éclectique, foisonnante, imprégnée de musique contemporaine et d'un goût pour le cosmopolitisme culturel fit de lui une figure du renouveau de la danse et son ambassadeur privilégié auprès du grand public.

        "Renier chaque jour sa doctrine, si tant est qu'on en ait une" disait-il



        Adepte d'un spectacle total, Maurice Béjart mêle les univers musicaux, lyriques, théâtraux et chorégraphiques et rendit la danse accessible à tous en touchant le public jusqu'au plus profond de l'âme enfin indissociable du corps.
        Optique que beaucoup ne partagèrent pas et qui lui aura valu de nombreux détracteurs...

        Iconoclaste pour les amateurs de tutus et de paillettes, qui lui reprochèrent son approche physique et sensuelle de la danse (car plus de cygnes ni de princes... mais des hommes et des femmes)...
        Ou trop classique pour les adeptes d'une déconstruction de la notion même de ballet qui l'accusèrent de s'être arrété dans ses recherches pour satisfaire le plus grand nombre et faire de l'éclectisme populaire...   
        Comment se situait lui-même celui qui a su associer exigence classique et curiosité sans frontières culturelles, et que l'on estime à juste titre comme l' un des fondateurs de la danse contemporaine?

        S'il rend hommage à Balanchine qu'il considère "sans conteste le plus grand chorégraphe de tous les temps", son modèle est Nijinsky qui, selon lui, "n'était pas un homme de rupture, mais s'inscrivait parfaitement dans un processus d'évolution du classique au contemporain."

        "Je ne suis pas le révolutionnaire qu'on croit: j'ai dépoussiéré..."

    tenait à faire remarquer lui même Béjart qui exigeait de ses interprètes une parfaite maitrise de la danse académique. Car, disait-il avec justesse:
     " se priver d'une telle formation, c'est comme si un architecte n'avait jamais mis les pieds dans une abbaye romane ou une cathédrale gothique".

        De technique classique sa danse privilégie les formes, la puissance, et décale les lignes tout en développant l'expressivité et la liberté du corps et en réhabilitant le danseur encore simple portefaix de la ballerine classique. Avec son corps de lutteur, trop grand et trop robuste, Maurice Béjart n'avait pas vraiment le physique de l'emploi, et en tant que chorégraphe il remit en cause la tradition du danseur androgyne pour imposer de véritables athlètes.

     




        Côté inspiration Maurice Béjart mêle le profane et le sacré, le Coran et St. Jean de la Croix, Freud et Nietzche, Malraux et Barbara. Côté musique Stravinsky à Brel et Boulez à Queen...
        Il n'hésita pas à mettre en scène les grands problèmes d'actualité et les philosophies orientales, et le cinéma ou la littérature habitent également  son oeuvre où l'on parle d'amour, de mort, de voyage, de solitude ou des grands mythes occidentaux, bref de la condition humaine.

        "Je prenais la vie et je la jetais sur la scène" disait-il.


        Une vie qui s'ouvre devant lui le 1er Janvier 1927 à Marseille. Fils du philosophe Gaston Berger il fut très vite cerné par la mort dès l'enfance et perdit sa mère à l'age de 7 ans. Une absence que le chorégraphe va tenter de circonscrire tout au long de sa carrière, environné des morts qui lui sont chers autour desquels il orchestrait savamment ses chorégraphies. (La plus récente Dance for Life emprunte une musique de Queen).

        Celui dont le rêve d'enfant était de devenir toréador a suivi ses premiers cours de danse classique sur simple recommandation médicale afin de fortifier son corps malingre... Et si après des études supérieures il obtint une licence de Philosophie il opta sans hésitation pour la danse devenue passion unique à laquelle il a voué sa vie entière.
        Entré à l'Opéra de Paris en 1945, et après être passé par le ballet Cullberg et la troupe de Roland Petit c'est vers la carrière de chorégraphe qu'il se tourna  alors définitivement (il avait déjà crée en 1950 son célèbre Oiseau de Feu) en montant les Ballets de l' Etoile (1954-1957) puis le Ballet Théâtre de Paris (1957-1959)

        Condamné à l'exil par la France et son gouvernement qui, trop frileux devant ses créations, refusèrent de lui accorder la moindre subside c'est à Bruxelles qu'il créa le Ballet du XXème siècle et demeura jusqu'en 1987.
       Malgré ce départ il restera toujours profondément attaché à la terre qui l'avait accueilli et  peu avant son décès avait formé  le projet de demander la naturalisation belge car, disait-il, "je ne désire pas qu'à ma mort le qualificatif de français soit accolé au mot chorégraphe..." (Ses cendres furent dispersées à sa demande sur les plages d'Ostende, face à la mer du Nord).

        C'est au cours de ces presque trente années passées en Belgique que Maurice Béjart a crée  quelques unes de ses plus fameuses chorégraphies:
        Le Sacre du Printemps (1959), Le Boléro (1961), Messe pour un temps présent (dont la Première mondiale eut lieu au Festival d' Avignon dans la Cour d' Honneur du Palais des Papes en 1967) ou encore Nijinsky clown de Dieu (1972), et qu'il s' intéressa également  à la même époque aux danses perses et indiennes.



        Mais des rapports de force avec le directeur du théâtre de la Monnaie  de Bruxelles l'amenèrent  finalement  à partir s'installer en  Suisse où il créa en 1987 le Béjart Ballet de Lausanne avec lequel il ne cessa de parcourir le monde pour se placer là où il se sentait le mieux: au carrefour des civilisations où il poursuivit inlassablement son oeuvre, donnant entre autres La Nuit (1992), La Route de la Soie (1999), Zarathoustra (2006), ou Le Tour du Monde en 80 minutes resté inachevé...

        Si, à celui qui nous a légué quelques 230 chorégraphies il a pu être reproché certaines créations moins réussies , il faut reconnaitre qu'il était lui même le premier à porter sur son travail une critique impitoyable. Maurice Béjart n'hésitait jamais à reconnaitre la médiocrité d'un résultat et avouait sans détours qu'il lui arrivait  certaines fois en revoyant une de ses chorégraphie complètement oubliée de dire :"Quel est le con qui a fait ça?".

        Le 22 Novembre 2007 l'Oiseau de Feu s'est envolé... Mais cet humaniste, incorrigible rêveur d'avenir continuera à nous dire éternellement au-de-là de la mort:

        "J'ai tendu des cordes de clocher à clocher
         Des guirlandes de fenêtre à fenêtre
         Des chaines d'or d'étoile à étoile, et je danse."
                                                     Arthur Rimbaud

     

     

     

                                                                        


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