• Auguste Bournonville (1805-1879) - Un romantisme optimiste

    Auguste Bournonville (1805-1879) 

         

        Né à Copenhague le 21 Août 1805 (le même jour que l'écrivain Hans Christian Andersen qui deviendra son ami et dont il adaptera l'un de ses contes dans un ballet A Folk Tale), Auguste Bournonville est le fils du maitre de ballet français Antoine Bournonville établi au Danemark. Rien d'étonnant dans un pareil contexte de voir le jeune Auguste intégrer dès ses huit ans l'école du Ballet Royal où il aura comme professeurs son propre père et l'italien Vincenzo Galeotti, maitre de ballet et chorégraphe principal du Ballet Royal du Danemark de 1775 à 1816.

        En même temps qu'il apprend la danse, Auguste reçoit une solide éducation: littérature, histoire, mais aussi musique, violon et chant, et ses nombreux talents lui valurent à 12 ans de chaleureuses félicitations alors que de sa voie de soprano il avait interprété une romance à l'occasion de l'anniversaire de la souveraine.

        Cependant Antoine rêve de confier son fils aux grands maitres de la danse: ceux qui sont à l'Opéra de Paris... et en 1820 il obtient du roi Frederick VI une bourse de 6 mois pour emmener Auguste en France.
        Bien qu'il n'eut que son père comme seul professeur pendant ce séjour à Paris, le jeune homme assistera à un maximum de spectacles et, découvrant un monde de la danse nouveau en pleine transformation, observe les illustres enseignants que sont Pierre Gardel (1758-1840) et Auguste Vestris (1760-1842), prend des notes et lorsqu'il regagne Copenhague n'a qu'une idée en tête: retourner un jour dans la capitale française...
        Cette autorisation, il l'obtiendra du roi quatre ans plus tard, une absence prévue de 15 mois qui s'étendra au final sur 6 ans car après avoir réussi l'examen de passage il sera engagé pendant 4 ans comme "premier double" à l'Opéra de Paris.

        Auguste a suivi cette fois les cours d'Auguste Vestris, dont il deviendra un pur produit, et dans les nombreuses lettres qu'il adressa à son père lui fit part avec enthousiasme de son expérience:
        "Je suis extrêmement satisfait de Mr. Vestris, et de plus ce dernier est très content de mon application et de mon désir de progresser. Il est très exact dans ses leçons et vient trois jours par semaine à 8h du matin, les trois autres à 9h, et reste jusqu'à 11h. Je me lève tous les matins à 6h et arrive une demi-heure avant la leçon afin d'être absolument prêt lorsque vient Mr. Vestris. Il m'a pris en amitié et cultive mon talent avec beaucoup de soin, et tout en corrigeant mes défauts avec intransigeance me traite avec considération".

     

    Auguste Bournonville (1805-1879) - Un romantisme optimiste

    Auguste Vestris   Thomas Gainsborough (1727-1788)


        Des leçons auxquelles le futur chorégraphe rendra hommage des années plus tard dans son ballet Le Conservatoire (1849) lorsque de retour à Copenhague en 1830 il y remplacera son père au poste de maitre de ballet du Ballet Royal de Danemark, charge qu'il occupera jusqu'en 1877 et qui lui donnera l'occasion de créer un répertoire de plus de 50 ballets admirés pour leur exubérance, leur légéreté et leur beauté.
        Car Auguste Bournonville a profité de ses expériences de second rôle pour apprendre tous les ballets de Pierre Gardel, Louis Milon (1766-1845) et Jean Aumer (1774-1833), et l'influence de ce qu'il a vu restant dans son oeuvre prépondérante, il demeurera fidèle sa vie durant à la grâce, la légèreté ainsi qu'au lié des mouvements de l'école française.

        Cependant, le chorégraphe dont la conception de la vie repose sur une vision positive et harmonnieuse du monde, va créer un style entièrement personnel à des années lumière du romantisme européen de l'époque obsédé par le "mal du siècle"... et ses ballets (à l'exception de sa version de La Sylphide (1836) qui reste encore très influencée par le courant français) se déroulent dans une atmosphère optimiste où éclatent l'exubérance et la joie de vivre.
        "La danse est par son essence une expression de joie, le désir de se laisser porter par les sons de la musique" écrira-t-il.
        Du romantisme il ne retiendra que le goût pour les univers fantastiques (La Kermesse à Bruges- 1851) ou les horizons exotiques, et nombre de ses ballets ont pour cadre un pays étranger:
        L'Italie dans Napoli (1842), La Fête des fleurs à Genzano (1858), l'Espagne avec Le Toréador (1840), La Ventana (1856), ou encore la Norvège à travers Le Mariage à Hardanger (1853) par exemple.

     

    Napoli  Acte III  (Tarentelle)   Musique de Edvard Elsted & Holger Simon Paulli    Chorégraphie d'Auguste Bournonville  Interprété par le Ballet Royal du Danemark 
        (
    Noter le chausson typique que portent les danseurs masculins, imaginé par Bournonville dans un esprit d'élégance: un chausson noir dont l'empeigne blanche en pointe dégage visuellement le cou de pied et allonge la silhouette)

     

        Créant son propre style, Auguste Bournonville s'affirme rapidement dans ses dramaturgies et ses idées, proposant des "ballets pantomime" où s'épanouit constamment ce romantisme optimiste, et à Copenhague sa danse d'une élégance inhabituelle toute en grâce et en légèreté impressionne le public.
        Interprète des principaux rôles masculins de ses ballets il leur donnera en outre une importance équivalente à ceux de la ballerine, autre particularité remarquable qui fit que, contrairement à la tendance de l'époque, la danse masculine ne s'effaça pas au Danemark au profit de la danse féminine, et que l'école danoise sera réputée pour former de grands interprètes masculins parmi lesquels figureront Erik Bruhn (1928-1986) ou encore Nikolaj Hübbe (1967- ), l'actuel directeur du Ballet Royal du Danemark.

     

    Auguste Bournonville (1805-1879) - Un romantisme optimiste

     

        Suivant l'exemple de nombreux enseignants, Bournonville, qui réorganisa l'école de danse (6 classes hebdomadaires avec des exercices gradués) , rédigea un manuel publié en 1861, Efterlade Skrifter (Etudes Chorégraphiques), à travers lequel il exprime, ainsi que dans ses Mémoires (Ma Vie de Théâtre), l'un des éléments importants de son credo: la grâce au naturel:
        "Grâce à la musique, la danse peut atteindre les sommets de la poésie, alors que par un excès d'efforts gymniques elle dégénère en bouffonerie. Si d'innombrables énergumènes peuvent exécuter des prouesses réputées "difficiles", évoluer avec une apparente aisance reste l'apanage de peu"... ou encore:
        "Etre maniéré n'est pas avoir du caractère: l'affectation est l'ennemie jurée de la grâce"...

        Cette qualité imprègne toute sa production où les jambes sont le rythme et les bras la mélodie, et si l'élévation et la batterie sont très présents l'exécution doit en rester élégante, sans effet de virtuosité:
        "Savoir cacher toute peine et tout effort mécanique sous l'apparence d'un calme harmonieux est le sommet de la science artistique" dira-t-il lui même. 
        Dans le même esprit, dépourvus de portés les pas de deux privilégient le jeu entre les danseurs, de même que les solos et les ensembles interviennent naturellement selon les besoins de l'histoire. 

        Le personnage le plus important de l'histoire du ballet danois effectuera à plusieurs reprises divers "séjours" à l'étranger car quelques disputes avec le roi lui vaudront d'être momentanément "exilé"... il danse à Naples (1940), dirige le ballet de l'Opéra de Vienne (1855-1856) puis le théâtre Royal de Stockolm (1861-1864), mais l'essentiel de sa carrière se déroulera à Copenhague où il donnera véritablement son identité au Ballet Royal lui imprimant cette signature originale qu'est "le style Bournonville" (Dans un autre domaine il s'inquiétera de la position sociale des danseurs et créera pour eux la première caisse de retraite).


        Le chorégraphe cessera d'enseigner au printemps 1877 et décède le 30 Novembre 1879 victime d'un accident vasculaire cérébral à son retour de l'église.
        Représentant la quintescence de la culture danoise, son oeuvre ne sera largement connue hors de son pays natal qu'après la Seconde Guerre Mondiale avec les premières tournées du Ballet Royal en 1950; mais la compagnie n'a cessé depuis de présenter ses ballet dans une tradition jamais interrompue et remonte souvent les plus célèbres, restant fidèle aux chorégraphies originales qui demeurent certainement la plus pure expression du style de Vestris à avoir survécu depuis le XVIII siècle...

     

    Auguste Bournonville (1805-1879) - Un romantisme optimiste

    Théâtre Royal Danois (Copenhague)   Résidence du Ballet Royal du Danemark

     

         Nombre de créations du plus célèbre chorégraphe danois sont inscrites aujourd'hui au Répertoire de plusieurs compagnies dans le monde et l'école du Ballet Royal de Danemark continue à enseigner cette "technique Bournonville", mettant avec justesse l'accent sur ce naturel sans lequel le ballet n'est qu'affectation, un élément fondamental intemporel, car quelle que soit l'époque,


        "Avant tout la danse doit se garder de céder aux sollicitations d'un public blasé friand d'effets étrangers à l'art". 
                                    Auguste Bournonville 

     

     La Fête des Fleurs à Genzano - Musique de Edvard Helsted  Chorégraphie d'Auguste Bournonville   Interprété par Natalia Belshakova (Rosa) et Vadim Golyaev (Paolo) et le corps de ballet du Kirov-Mariinski.
     
       Avec l'absence de portés, remarquer les bras souvent en position préparatoire, deux caractéristiques du style Bournonville.


        (Initiée par Antoine, la dynastie des Bournonville s'éteignit avec Auguste, car si ce dernier eut 7 enfants seule l'une des ses filles fut tentée par une carrière de danseuse qu'elle abandonna à 20 ans pour se marier... )

     


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    Marguerite et Armand - L'histoire vraie d'Alphonsine Plessis

     

        "Il n'y a pas d'honnêtes femmes alors? Si, plus qu'on ne le croit, mais pas du tout autant qu'on ne le dit"
                        Alexandre Dumas fils 

     

        Lorsque Alphonsine Rose Plessis naquit le 15 Janvier 1824 dans le petit village normand de Nonnant, personne n'aurait pu imaginer qu'elle deviendrait alors l'une des femmes peut-être les plus célèbres de France...
         Fille de Martin Plessis, ivrogne notoire, elle fut contrainte une nuit de se réfugier avec sa mère et sa soeur ainée Delphine chez une tante, alors que ce dernier avait tenté de mettre le feu à la maison. Mais ce répit fut malheureusement de courte durée pour les deux enfants, car leur mère ayant trouvé une place de domestique chez un lord anglais, leur père les réclama pour les mettre au travail, et à 10 ans Alphonsine mendiait déjà dans la rue... Cependant  celle-ci découvrit bientôt avec le temps qu'il y avait d'autres façons pour une jolie fille de gagner de l'argent et elle en fit bon usage...
       Transformant son nom en Marie Duplessis, elle devint très vite célèbre recevant entre autres dans son salon Balzac, Musset, Gautier dans un tourbillon de fêtes continuelles. Les étrangers en visite à Paris voulaient tous voir "La Duplessis" dont la phtisie (tuberculose pulmonaire) devint bientôt évidente:
        "Ses grands yeux aux cernes sombres brûlaient doucement sous ses paupières. Avec sa grâce voluptueuse elle ressemblait à une fleur qui a été piétinée dans un bal" écrivit l'un de ses admirateurs.

     

    Marguerite et Armand - L'histoire vraie d'Alphonsine Plessis

    Marie Duplessis (1847)

     

        Cependant, Marie Duplessis serait peut-être oubliée aujourd'hui si elle n'avait compté parmi ses amants Alexandre Dumas fils (1824-1895) qui s'inspira de leurs propres relations pour écrire en 1848 son roman La Dame aux Camélias:
        "La personne qui m'a servi de modèle pour l'héroïne de La Dame aux Camélias se nommait Alphonsine Plessis, dont elle avait composé le nom plus euphonique et plus relevé de Marie Duplessis. Elle était grande, très mince, noire de cheveux, rose et blanche de visage. Elle avait la tête petite, de longs yeux d'émail comme une Japonaise, mais vifs et fins, les lèvres du rouge des cerises, les plus belles dents du monde, on eut dit une figurine de Saxe.
        En 1841 lorsque je la vis pour la première fois elle s'épanouissait dans toute son opulence et sa beauté. Elle mourut en 1847, d'une maladie de poitrine à l'âge de 23 ans". 

        Marie Duplessis deviendra dans le roman Marguerite Gautier, à travers laquelle Alexandre Dumas fait un saisissant portrait de cette vie mondaine parisienne de l'époque et du caractère fragile et ephémère du monde des courtisanes, et le lecteur ne peut rester insensible face à la souffrance de cette dernière et de son amant, contraints de se ranger du côté de la norme:
        Amoureux de Marguerite, atteinte de tuberculose, Armand Duval devient son amant et obtient qu'elle renonce à sa vie de courtisane pour habiter avec lui à la campagne. Mais l'idylle est rompue par le père d'Armand qui, conscient du scandale craint que cela ne fasse rompre les fiançailles de sa plus jeune fille. En l'abscence d'Armand il convainct Marguerite de quitter son fils, et celle-ci s'exécutera sans révéler son sacrifice, laissant croire jusqu'à ses derniers moments au seul homme qu'elle ait jamais aimé qu'elle était partie avec un autre.

     

    Marguerite et Armand - L'histoire vraie d'Alphonsine Plessis

    Alexandre Dumas fils (1824-1895)

     

        "N'étant pas encore à l'âge où l'on invente je me contente de raconter" écrira Alexandre Dumas. "J'engage donc le lecteur à être convaincu de la réalité de cette histoire dont tous les personnages à l'exception de l'héroïne vivent encore. Je ne tire pas de ce récit la conclusion que toutes les filles comme Marguerite sont capables de faire ce qu'elle a fait. Loin de là, mais j'ai connaissance que l'une d'elles avait éprouvé dans sa vie un amour sérieux, qu'elle en avait souffert, et qu'elle était morte. J'ai raconté au lecteur ce que j'avais appris. C'était un devoir".
        Du roman naitra une pièce de théâtre, adaptée par Dumas lui-même, et le hasard voudra que le soir de la Première, le 2 Février 1852, après l'interdiction du ministre de l'Intérieur Léon Faucher qui l'estimait trop immorale, il y eut un compositeur dans la salle du Vaudeville... Giuseppe Verdi (1813-1901) est en effet de retour à Paris... et marqué par certaines similitudes entre sa propre vie et l'histoire contée sur scène va aborder dans sa Traviata des rives jusqu'alors inconnues dans l'opéra italien, écrivant l'une des pages des plus poignantes de toute la littérature lyrique et l'une des oeuvres les plus jouées dans le monde entier dans laquelle le compositeur renommera cette fois les héros Violetta Valéry et Alfredo Germont.
        "Celui dont les yeux restent secs devant cela n'a pas un coeur humain dans la poitrine" écrira un critique à l'issue de la Première à la Fenice de Venise le 6 Mars 1853. 

     

    Marguerite et Armand - L'histoire vraie d'Alphonsine Plessis

     

        Sans doute parce qu'à cette époque le monde de la danse se passionne davantage pour le monde des créatures surnaturelles (La Sylphide-1832, Giselle-1841, La Péri-1843 etc...) il faudra attendre le XXème siècle pour découvrir cette histoire sous forme de ballet. Et la version restée la plus célèbre est sans conteste celle créée en 1963 par Frederick Ashton pour sa muse Margot Fonteyn et son légendaire partenaire Rudolf Noureev.
        Alors qu'il avait assisté en 1961 à une représentation de La Dame aux Camélias interprétée par Vivian Leigh, le chorégraphe avait formé le projet de transposer la pièce en un ballet, mais celui-ci ne prit forme qu'en Avril 1962 alors qu'un soir écoutant la radio il entendit la Sonate pour piano en Si mineur de Franz Liszt...
        "Immédiatement j'y entrevis la totalité de l'oeuvre" dira-t-il plus tard, un choix musical dont il sera doublement convaincu lorsqu'il apprit qu'avant sa mort Marie Duplessis avait eu une liaison amoureuse avec Franz Liszt (1811-1886) qui ne put, parait-il, jamais songer à elle sans verser une larme...

     

    Marguerite et Armand - L'histoire vraie d'Alphonsine Plessis

    Page de garde d'une édition de 1854 de la Sonate en Si mineur de Liszt.

     

        Pour Ashton, Rudolf Noureev était la réincarnation de Liszt, l'artiste fougueux et charmeur qui captive les foules et s'imposa naturellement comme partenaire de Margot Fonteyn qui de son côté souhaitait elle aussi créer avec lui le ballet.
        Malgré des premières répétitions difficiles dues aux absences des danseurs, l'extraordinaire entente du couple permit ensuite au chorégraphe de régler l'oeuvre en 15 jours, et après une répétition générale orageuse au cours de laquelle Noureev coupa les pans de son habit qui le gênaient, la Première qui se déroula le 12 Mars 1963 à Covent Garden en présence de la Reine Mère et de la princesse Margaret, fut un immense succès et valut aux artistes 21 rappels...

        Sur un décor très dépouillé de Cecil Beaton ne comportant qu'un seul élément omniprésent: le lit sur lequel Marguerite Gautier agonise et revit sa relation tumultueuse avec Armand, le ballet qui utilise le procédé du flash back se divise en 5 scènes, en réalité 5 pas de deux:
        Prologue, La Rencontre, A la campagne, L'Insulte, La mort de la Dame aux Camélias.
        Car tous les seconds rôles sont quasi inexistants et l'intrigue se concentre uniquement sur l'amour de Marguerite et Armand et l'intervention de Mr. Duval (interprété par Michael Somes lors de la Première).

     

     

        Margot Fonteyn et Rudolf Noureev interprèteront le ballet plus d'une quarantaine de fois à Covent Garden, puis à la Scala de Milan, l'Opéra de Paris, en Amérique du Sud et aux Etats-Unis, avant de le danser pour la dernière fois à Londres en 1977.
        On a dit que Frederick Ashton avait interdit à tout autre interprète de danser Marguerite et Armand. D'autres danseuses furent cependant pressenties plus tard, mais toutes refusèrent, craigant la comparaison et jugeant que le ballet ne devait son succès qu'à l'exceptionnelle personalité des créateurs pour lesquels il avait été taillé sur mesure.

        C'est Sylvie Guillem, l'une des danseuses préférées de Rudolf Noureev qu'il nomma étoile à l'âge de 19 ans, qui à la demande d'Antony Dowel, directeur du Royal Ballet, acceptera en Mars 2000 de reprendre le rôle en compagnie de Nicolas Le Riche.
        Un défi relevé avec succès, car totalement différents de leurs prédécesseurs dont l'ombre ne vint aucunement ternir leur interprétation, Sylvie Guillem et Nicolas Le Riche furent tous deux excellents et interpréteront entre autres le ballet le 20 Janvier 2003 lors du prestigieux gala organisé au Palais Garnier à l'occasion des 10 ans de la disparition de Rudolf Noureev.




        Parmi les diverse adaptations de ce récit éminemment romantique diront les uns ou totalement kitch penseront les autres, figure Violetta, la mise en scène que Maurice Béjart donna en 1959 de La Traviata. Pierre Lacotte en 1977, puis John Neumeier l'année suivante créent leur propre version de La Dame aux Camélias et encore plus proche de nous c'est Jorge Lefèvre cette fois qui fait revivre à son tour l'histoire pour le Ballet Royal de Walonie...
        Plus d'un siècle et demi après sa naissance littéraire Marguerite Gautier aurait-elle enfin gagné ses lettres de danseuse?

     

     La Traviata -  Giuseppe Verdi    "Libiamo..." interprété par Placido Domingo et Teresa Strata. Extrait du film de Franco Zeffirelli (1982)

     

    Marie Duplessis décédée à Paris le 3 Février 1847, repose au cimetière de Montmartre.

     


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    Coco Chanel (1883-1971) - Un parfum de mystère.

     

    "La mode se démode, le style jamais".
                      Coco Chanel 

     

        Elle fut enterrée sous le nom de Gabrielle Chasnel car faire corriger légalement l'erreur sur son certificat de naissance eut été révéler qu'elle était née à l'hospice des pauvres...
        Jamais le mot "orphelinat" ne franchit ses lèvres, et elle paya ses frères pour qu'ils se fassent oublier, passant sa vie à rompre avec tous ceux, amis ou bienfaiteurs, qui connaissaient les détails d'une existence qui ne coïncidait pas avec la légende qu'elle souhaitait créer. Et lorsqu'une amie lui suggéra à la fin de sa vie, alors qu'elle se repliait sur elle même, de voir un psychologue, Chanel répondit effarée: "Moi?!!... qui n'ai jamais dit la vérité même à mon curé!..." 

        Gabrielle Bonheur Chasnel qui se réinventa une enfance naquit à Saumur le 19 Août 1883, baptisée à sa naissance Gabrielle Bonheur, du nom de la religieuse qui avait pris soin de sa mère; et après la mort de cette dernière et le départ de son père, la fillette qui est alors agée de 12 ans, tout en conservant des liens avec sa famille maternelle qui réside en Auvergne (sa mère est originaire de Courpière et elles vécurent à Issoire) sera confiée avec ses deux soeurs à l'orphelinat de l'abbaye cistercienne d'Aubazine, en Corrèze.
        Plutôt que de s'étendre sur des détails à la Dickens ou à la Zola il faut noter à cette occasion que les six années que la future styliste passa dans cette institution marquèrent profondément son imaginaire, car le style de ses vêtements aux lignes épurées et leurs couleurs neutres ne seront pas sans rappeler l'architecture sobre de l'abbaye ainsi que les costumes des religieuses et des pensionnaires (jusqu'au logo de sa maison dont on retrouve l'entrelac sur les vitraux de l'abbatiale).

     

    Coco Chanel (1883-1971) - Un parfum de mystère.

    Vitrail cistercien de l'abbaye d'Aubazine (Corrèze)

     

       Lorsque Gabrielle atteignit ses 18 ans elle fut renvoyée à ses grand-parents à Moulin et confiée aux dames chanoinesses de l'Institut Notre-Dame qui, en échange de travaux domestiques, lui enseignèrent la couture, ce qui lui permit d'être ensuite placée comme vendeuse dans une boutique de mercerie-lingerie où elle retrouva sa soeur Adrienne avec qui elle partageait une petite chambre chez leur employeur.
        Moulin était à l'époque une ville de garnison, et afin d'arrondir son maigre salaire la jeune fille qui maniait avec adresse l'aiguille et les ciseaux entreprit alors de faire des extras le dimanche matin chez un tailleur qui habillait les militaires... occasion pour elle de rencontrer les officiers du 10ème régiment de chasseurs à cheval qui, ne restant pas insensibles à son charme, l'inviteront à La Rotonde, le caf'cons de la ville, dont la principale attraction était une chanteuse... qui lui donnera des idées:
        Sa voix n'avait certainement rien de rare mais, soutenue par la claque du 10ème régiment et avec l'accord du directeur, la petite couturière qui ne manquait pas d'audace montera chaque soir sur cette même scène pour y interpréter son morceau favori, Qui qu'a vu Coco dans l'Trocadero, lequel lui vaudra de la part de ses admirateurs galonnés le surnom de Coco qu'elle conserva toute sa vie...

         Cependant ne bornant pas là ses ambitions, Coco, rêvant de music-hall, va alors tenter sa chance à Vichy en compagnie d'Adrienne qu'elle a attirée dans l'aventure, et après quelques auditions infructueuses y retrouve Etienne Balsan qui vient de démissionner de l'armée pour se consacrer à l'élevage des chevaux de course... Une rencontre opportune qui sonnera le glas de sa brève carrière musicale, et Adrienne s'en retournera seule à Moulin...  

        Que peut on espérer quand on est orpheline et couturière dans une petite ville de province? Certainement pas épouser un noble héritier, mais Coco était suffisamment jolie pour pouvoir prétendre à ce recours des jeunes femmes ambitieuses et sans fortune: elle avait trouvé un protecteur...

     

    Coco Chanel (1883-1971) - Un parfum de mystère.

     


        Auprès d'Etienne Balsan elle découvre alors la vie de château et les arcanes de la haute société, mais s'ennuie bientôt et songe à ouvrir une boutique de modiste... Ne fait-elle pas sensation aux courses avec les tenues très personnnelles et les petits chapeaux qu'elle se confectionne elle-même? Et plusieurs des amies d'Etienne ne lui ont-elles pas d'ailleurs déjà demandé ses services... Mais alors que Coco rêve de Paris, Balsan suggère Compiègne (où est situé son château de Royallieu), un différend qui va se règler très simplement lorsque le couple se rend à une chasse au renard dans les Pyrénées où Gabrielle va rencontrer Arthur Capel l'amour de sa vie.

        Séduisant et fortuné, "Boy", comme le surnommne  l'entourage, lui prête alors les fonds nécessaires à l'ouverture d'un salon de modiste au 21 rue Cambon à Paris, Chanel Modes ne désemplit pas et en 1913 alors qu'ils séjournent à Deauville il louera pour elle une seconde boutique, suivie d'une troisième à Biarritz en 1915 qui sera cette fois une vraie maison de couture où Gabrielle suivant son inspiration raccourcit les jupes, supprime la taille et libère le corps de la femme.
        Les restrictions engendrées par la Guerre ayant amené le manque d'étoffe, Coco taille alors ses robes dans les maillots en jersey des garçons d'écurie... et achètera à Rodier des pièces entières d'un textile utilisé uniquement à l'époque pour les sous-vêtements masculins. Ces nouvelles tenues d'une extrême sobriété annoncent déjà cette silhouette privilégiant la simplicité savamment étudiée qui lui vaudra sa réputation, et toutes les élégantes aspirent à ce look longiligne. 
        Paul Poiret l'accusera de transformer les femmes en "petites télégraphistes sous-alimentées", ce à quoi, faisant référence à la mode orientaliste de l'époque, elle lui répondra en disant qu'elle ne voulait pas de femmes "ayant l'air d'esclaves échappées d'un harem".

        En 1918 Coco Chanel a déjà édifié l'une des maisons de couture les plus importantes de l'époque, employant plus de 300 ouvrières, lorsque survient le drame qui affectera le reste de sa vie: Boy Capel décède dans un accident de voiture la nuit du 22 au 23 décembre 1919, et elle va alors se raccrocher désespérément à son travail comme une forcenée: Développant encore son entreprise, dès 1921 elle annexera en quelques années les 27, 29 et 31 de la rue Cambon, une adresse mythique à côté de la luxueuse place Vendôme où se trouve encore aujourd'hui la célèbre maison de couture.

     

    Coco Chanel (1883-1971) - Un parfum de mystère.

     


        La meilleure amie de Coco à cette époque était la pianiste Misia Sert (1872-1950) surnommée par les journalistes "la reine de Paris", et c'est par l'intermédiaire de cette dernière qu'elle rencontre Diaghilev qui souhaite remonter son Sacre du Printemps... Il a encore en sa possession les décors et les costumes de 1913, mais il cherche des fonds pour réunir l'orchestre important que demande la partition de Stravinsky. Lorsque Chanel lui fait part de sa décision de participer l'impresario lui annoncera avec suffisance:

        "Je suis allé chez la Princesse de Polignac, elle m'a donné 75.000 francs, c'est une grande dame américaine..."
        "Je ne suis qu'une couturière française"
    lui répondra Coco, "en voilà 200.000..."

         Avec les Sert et Picasso, Gabrielle sera invitée au souper qui suivit la première du ballet le 15 Décembre 1921 au théâtre des Champs-Elysées. Diaghilev était à un bout de la table, Stravinsky à l'autre... et à la fin de la soirée le compositeur du Sacre du Printemps était déjà follement amoureux de la couturière, une liaison passagère qui fera des deux protagonistes des amis pour la vie.

     

    Coco Chanel (1883-1971) - Un parfum de solitude et de réussite.

     

        Coco Chanel célèbra ses 40 ans avec la création de son premier parfum devenu mondialement célèbre: N°5, une révolution dans son genre, car une fragrance ne se composait jusque là que d'un seul parfum de fleur ou d'un mélange de deux ou trois facilement identifiables, mais Gabrielle va encore une fois changer tout cela:

        "Je ne veux pas de rose ou de muguet" dira-t-elle à Ernest Beaux, le propriétaire d'un laboratoire de Grasse, "Je veux un parfum qui soit un composé. Je veux un parfum artificiel, je dis bien artificiel, c'est à dire fabriqué. Sur une femme une odeur de fleur semble artificielle. Peut-être que pour avoir l'air naturel un parfum doit être créé artificiellement. Je veux un parfum de femme avec une odeur de femme". 

        Le mélange créé par Beaux ne contenait pas moins de 80 ingrédients dont le jasmin alors très cher et lorsqu'il en avertit Coco celle-ci (qui avait déjà très bien compris les règles du succès d'un produit...) lui répondit:

        "Dans ce cas mettez en encore davantage, je veux que ce soit le parfum le plus cher du monde"...

        Et lorsque se présentera la question du choix d'un nom, Chanel qui parmi les échantillons numérotés de 1 à 5 et de 20 à 24 qui lui avaient été présentés avait choisi le N°5, fit cette réponse:

        "Je lance ma collection le 5 Mai, cinquième mois de l'année, laissons lui le numéro qu'il porte, il lui portera chance..."
     
        Un baptême  judicieux pour le parfum peut-être le plus vendu au monde et dont la forme de la bouteille s'inspirait du flasque de vodka du grand-duc Dimitri Pavlovitch dernière liaison de la créatrice. 

        L'empire Chanel ne cessant de s'élargir, la réalisation des costumes pour Le Train Bleu de Diaghilev offrit à Coco une parenthèse agréable dans ce monde des affaires. Diaghilev souhaitait alors rivaliser avec Les Mariés de la Tour Eiffel présentés par son rival, Rolf Mare, et avait désespérément besoin d'une nouvelle production... Darius Milhaud composa la partition en 20 jours, Picasso assura le décor avec un agrandissement de l'une de ses toiles, Cocteau rédigea le livret et Coco procéda rapidement aux premiers essayages de ses créations que tous, dans le calme des salons de la rue Cambon, s'accordèrent à trouver superbes... mais qui ne résistèrent pas à la première répétition, et les ravissantes tenues que portaient baigneurs, joueurs de tennis ou champions de golf s'ouvrirent tragiquement aux coutures (Pour la perfection des détails tout ce qui était signé Chanel était cousu-main...) La créatrice à genoux dut alors recoudre les morceaux sur les danseurs en transpiration... et demanda par précaution à ses ateliers de confectionner un second jeu de vêtements.

     

    Le Train Bleu   Musique de Darius Milhaud - Chorégraphie de Bronislava Nijinska - Livret de Jean Cocteau - Décor de Pablo Picasso - Costumes de Gabrielle Chanel - Interprété par les étoiles et le corps de ballet de l'Opéra de Paris.


        Un nouveau venu aux côtés de Coco avait suivi avec intérêt les évolutions de Nijinsky et Lydia Sokolova pendant les répétitions, il s'agissait cette fois de l'homme le plus riche d'Angleterre: le duc de Westminster qui était en instance de divorce... La rumeur de mariage se répandit évidemment sans tarder, non sans raisons il faut le dire, mais s'il était une chose que l'argent et la célébrité accordaient à Chanel c'est le fait de conserver son indépendance... Et elle aura cette parole célèbre:

        "Tout le monde épouse le Duc de Westminster. Il y a un tas de duchesses mais une seule Coco Chanel!"

     

    Coco Chanel (1883-1971) - Un parfum de solitude et de réussite.

    Coco Chanel et le duc de Westminster


        La styliste qui venait d'ouvrir en 1927 une boutique à Londres dans le quartier de Mayfair et habillait entre autres la duchesse d'York, épouse du futur George VI, donna en 1929 pour son 46ème anniversaire une superbe réception célébrant en même temps la cloture de la saison parisienne des Ballets Russes (l'une des danseuses sera considérablement impressionnée par les soupières pleines de caviar...) A cette occasion Serge Lifar, alors étoile de la compagnie qui venait de recevoir des mains de Diaghilev une épingle de cravate en forme de lyre en fit immédiatement cadeau à son hôtesse dont comme tous les proches il avait perçu le drame intime:

        "Nous avons bu des torrents de champagne" se souvint-il,"Coco s'ecclipsa à 2h du matin. Elle ronronnait laissant croire à tous que l'on pouvait la séduire, mais ne cédait rien. Elle avait trouvé autrefois le bonheur et l'amour: Boy Capel, un séduisant anglais qui avait tout pour lui... C'était son drame... La gloire et l'argent étaient devenus sa revanche".

        Quelques mois après cette fête mémorable le Flying Cloud à bord duquel Coco venait d'embarquer en compagnie du duc de Westminster et de Misia Sert pour une croisière dans l'Adriatique, reçut un message radio leur demandant de venir de toute urgence au chevet de Diaghilev à Venise. Celui-ci, qui revenait de Munich où il avait rencontré Richard Strauss, était au Grand Hôtel en compagnie de Serge Lifar et Boris Kochno, soigné pour ce que le médecin appelait des rhumatismes, et lorsque les deux femmes arrivèrent elles reconnurent à peine leur ami qui décéda en fait le lendemain d'une complication due à son diabète.
        Comme à son habitude l'impresario était désargenté... Misia donna à Lifar de quoi payer l'hôtel et le médecin; Chanel, qui vint très souvent au secours des Ballets Russes régla les obsèques, et une gondole portant Lifar, Kochno, Misia et Coco, suivit la gondole mortuaire jusqu'au cimetière sur l'ile de San Michele: Cette femme forte et blessée par la vie entretint constamment des rapports privilégiés avec les artistes, les préférant sans doute inconsciemment à cette haute société qui certes l'avait enrichie, mais à laquelle elle n'appartenait pas de naissance et qui l'avait reléguée un temps dans le demi-monde. 

     

    Coco Chanel (1883-1971) - Un parfum de solitude et de réussite.

    Coco Chanel et Serge Lifar lors d'un gala à Monte- Carlo (1937)

       

        Gabrielle Chanel saura s'adapter sans difficultés majeures aux mutations des années 30, affrontant à la fois revendications syndicales et l'arrivée sur la scène de la mode d'Elsa Schiaparelli, et présentera alors des robes du soir légères d'une élégance suprême, rebrodées de perles ou de strass... "Mademoiselle" comme l'appelaient ses employées, affichait en effet un goût très prononcé pour les bijoux, ne se déplaçant jamais sans ses perles, et avait ouvert dès 1924 son atelier de bijoux fantaisie:

        "J'aime les faux bijoux parce qu'ils sont un défi, car je trouve honteux de se promener avec des millions autour du cou juste parce que l'on est riche. Le but du bijou n'est pas de faire paraitre une femme riche mais de l'embellir, ce qui est autre chose." 


        Lorsque s'annonce la Seconde Guerre Mondiale elle est à la tête d'une entreprise de 4000 ouvrières qu'elle va licencier, car elle fermera sa maison de couture, ne se consacrant qu'à son activité dans le domaine des parfums. Installée à demeure au Ritz, sa liaison avec le baron Spatz un ancien attaché d'ambassade allemand lui vaudra à la Libération d'être interrogée par le Comité d'Epuration et accusée de "collaboration avec l'ennemi", elle répondra avec son sens inné de la répartie:

        "A mon âge quand on a l'occasion de trouver un amant on ne lui demande pas son passeport"... 

        Coco ira par la suite s'installer en Suisse, loin des rumeurs de la capitale française, établissant pendant 10 ans sa résidence principale sur les bords du lac Léman où son voisin d'alors, Paul Morand, présageant de l'avenir écrira:
        "Sous l'arcade de ses sourcils, ses yeux pétillaient toujours... des volcans d'Auvergne que Paris croyait à tort éteints"...
        

        Car pendant ce temps Christian Dior impose à nouveau aux femmes, avec son style "new-look", le dictat d'une taille de guèpe et d'une poitrine pigeonnante avec le carcan d'un corset ou d'une guépière. Coco Chanel sera catastrophée face à un pareil retour en arrière:

       "Je vous aime beaucoup" lui dira-t-elle un jour, "mais vous habillez les femmes comme des fauteuils",

        et en 1954 elle décide de rouvrir sa maison avec une collection résolument à contre courant: des vêtements sobres et raffinés aux lignes fluides, un style classique dont le célèbre tailleur sera copié dans le monde entier:
        Un deux-pièces de tweed dont la veste à 4 poches est décorée de boutons bijoux et d'une ganse de couleur contrastante, complété par une blouse de soie réalisée dans le même tissus que la doublure, accompagné des indispensables accessoires: des chaussures bicolores et un sac matelassé à chaine dorée signé de ses initiales entrelacées.

     

    Coco Chanel (1883-1971) - Un parfum de mystère.

     


       Chanel habille alors les plus grands de ce monde, mais le raffinement et l'élégance de ce style intemporel sera encore une fois confronté à l'histoire lorsqu'apparait autour de 1965 la mini-jupe, et qu'en 1968 la vague hippie change encore la donne, cependant "Mademoiselle" fera fi des midinettes de l'époque affirmant que les modes ne sont bonnes que lorsqu'elles descendent dans la rue et non lorsqu'elles en viennent.
        Symbole du chic et de l'élégance français, Coco Chanel séjournera pendant les quinze dernières années de sa vie au Ritz, certainement pour la luxueuse discrétion qu'offrent les grands palaces, mais aussi pour des raisons pratiques évidentes, l'hôtel étant situé place Vendôme juste à côté de la rue Cambon. Car, enfermée dans son monde, Gabrielle Bonheur vit maintenant cloitrée dans la solitude dorée de sa tour d'ivoire se consacrant uniquement à son travail: 

        "Je n'ai RIEN... Je suis toute seule avec mes millions" dira-t-elle à quelques intimes qui l'approchent...

    Coco Chanel (1883-1971) - Un parfum de mystère.

    Coco et Boy Capel (1913)

     

         Celle qui confia "En perdant Capel j'ai TOUT perdu" décède un dimanche (jour dont elle avait horreur...), le 11 Janvier 1971, après une promenade à Longchamp et à quelques semaines de la présentation de sa collection prévue le 5 Février.
         Après des obsèques célébrées à l'église de La Madeleine, son corps fut transféré à Lausanne où selon ses dernières volontés elle fut inhumée sous une simple plaque de marbre portant 5 têtes de lion (son chiffre fétiche et son signe du zodiac) et ornée de camélias blancs, ses fleurs préférées.

     

    Coco Chanel (1883-1971) - Un parfum de mystère.

     

        "J'irai au paradis habiller de vrais anges, ayant fait sur terre avec les autres anges mon enfer"
                            Gabrielle Chanel 

     

         


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    La Comédie-Ballet, un fait du hasard.

    Château de Vaux-le Vicomte 

     

     

         L'histoire de la comédie ballet débute de façon tout à fait fortuite, lorsque le surintendant Nicolas Fouquet (1615-1680), alors ministre des Finances qui s'est honteusement enrichi aux dépens du roi pendant la Fronde, vient de faire achever les derniers aménagements de son château de Vaux-le-Vicomte dont les travaux commencés en 1656 ont réuni les plus grands noms de l'époque, Louis Le Vau (1612-1670) premier architecte du roi, le peintre Charles Le Brun (1619-1690), et le paysagiste André Le Nôtre (1613-1700) dont les talents se conjuguerons encore une fois à Versailles.

        Sans doute maladresse extrême qui signa sa perte, il a décidé d'une fête somptueuse afin de faire étalage de cette munificence devant le souverain et ses 600 courtisans... Et le maitre de céans fera donc appel à Molière (1622-1673) qui écrira pour l'occasion une nouvelle comédie, Les Fâcheux, et afin de satisfaire l'amour du roi pour la danse Pierre Beauchamp (1631-1705) reçut également commande d'un ballet dont il composera la musique, Jean-Baptise Lully (1632-1687) ne contribuant que partiellement à ce projet avec seulement une "courante".

        L'organisation de cette soirée qui ne voulait présenter que le meilleur mit les intervenants face à un problème de changement de costumes que résuma Molière en ces termes:
        "Le dessein était de donner aussi un ballet, et comme il n'y avait qu'un petit nombre choisi de danseurs excellents, on fut contraint de séparer les entrées de ce ballet, et l'avis fut de les jeter dans les entractes de la comédie, afin que ces intervalles donnassent temps aux mêmes balladins de revenir sous d'autre habits. De sorte que, pour ne point rompre aussi le fil de la pièce par ces manières d'intermèdes on s'avisa de les coudre au sujet du mieux que l'on put et de ne faire qu'une seule chose du ballet et de la comédie; mais comme le temps était fort précipité et que tout cela ne fut pas réglé entièrement par une même tête, on trouvera peut-être quelques endroits du ballet qui n'entrent pas dans la comédie aussi naturellement que d'autres" et il ajoute:
        "Jamais entreprise au théâtre ne fut si précipitée que celle-ci... Et c'est une chose, je vois, toute nouvelle qu'une comédie ait été conçue, faite, apprise et représentée en quinze jours..." 


    La Comédie-Ballet, un fait du hasard.

    Jean-Baptiste Poquelin, dit  Molière (1622-1673)

       

        En dépit de ce court délai la représentation sera aussi réussie que fastueuse, donnée dans un cadre féérique à l'orée du bois éclairée d'une multitude de flambeaux:
        "Le théâtre était dressé dans le parc, la décoration ornée de fontaines véritables et de véritables orangers. Il y eut ensuite un feu d'artifice et un bal où l'on dansa jusqu'à 3 heures du matin" se souviendra l'abbé de Choisy dans ses Mémoires. Et lorsque le rideau se lève sur le Prologue, rédigé par Paul Pelisson (1624-1693), homme de lettres et secrétaire de Fouquet, une Naïade donne le ton en s'adressant en ces termes aux danseurs et aux comédiens qui paraissent au son des hautbois et des violons:

        "Quittez pour quelque temps votre forme ordinaire
         Et paraissons ensemble aux yeux des spectateurs
         Pour ce nouveau théâtre, autant de vrais acteurs".

        Le succès de cette innovation fut total car selon La Fontaine (1621-1695):
        "On avait accommodé le ballet à la comédie autant qu'il était possible, et tous les danseurs y représentaient des fâcheux de plusieurs manières en quoi certes ils ne parurent nullement facheux à notre égard; au contraire, on les trouva fort divertissants, et ils se retirèrent trop tôt au gré de la compagnie", louanges auxquelles viendra se joindre le poète Jean Loret (1600-1665) qui écrira:

        "Le ballet entendu des mieux fut composé
         Par Beauchamp, danseur fort prisé,
         Et dansé de telle sorte
         Par les messieurs de son escorte
         Et même, où le sieur d'Olivet
         Digne d'avoir quelque brevet
         Et fameux en cette contrée
         A fait mainte agréable entrée".


    La Comédie-Ballet, un fait du hasard.

    Pierre Beauchamp (1631-1705)


         Seul le roi en définitive n'apprécia que très modérément cette fête enchanteresse, suspectant déjà l'origine de toutes ces splendeurs... Il faut dire que, une fois de plus, Fouquet n'avait pas regardé à la dépense...: jets d'eau, feux d'artifice, fastueux diner de 5 services donné pour 1000 couverts dans de la vaisselle d'or et de vermeil et supervisé par le grand Vatel (1631-1671) qui créa en manière de dessert une nouveauté mousseuse et sucrée que l'on appellera plus tard Chantilly, laquelle resta sur l'estomac du souverain qui ulcéré par cet apparat qui dépassait celui de sa Cour fut sur le point de faire arrêter Fouquet sur le champ... Et refusera, après le feu d'artifice, la chambre somptueuse qui lui avait été préparée s'en retournant furieux à Fontainebleau... Voltaire (1694-1778) résuma brièvement en quelques mots cette fête mémorable:


        "Le 17 Août à 6 heures du soir, Fouquet était le roi de France: à 2 heures du matin il n'était plus rien...",

        car effectivement, arrêté le mois suivant par d'Artagnan(1611-1673) et ses mousquetaires , le surintendant sera condamné au cachot à vie pour malversations et lèse-majesté.

    La Comédie-Ballet, un fait du hasard.

    Nicolas Fouquet (1715-1680)

     

        Le jeune roi a par contre énormément apprécié le nouveau genre de distraction qui lui a été présenté, celui-ci va alors se développer selon sa volonté en divertissement royal et, entre 1661 et 1673, Molière, courtisan, chantre de la gloire du souverain et avec sa troupe fournisseur de spectacle, va écrire en collaboration avec Jean-Baptiste Lully et Pierre Beauchamp plus d'une douzaine de comédies-ballets.
        Il faut remarquer au passage que ni l'auteur des Fâcheux ni ses contemporains n'utilisèrent le terme de "comédie-ballet" qui n'apparut qu'au siècle suivant, Molière n'emploiera lui-même que le mot "comédie" (exception faite du Bougeois Gentilhomme présenté comme "comédie-ballet" car la pièce est suivie d'un véritable ballet, Le Ballet des Nations, auquel prennent part tous les personnages), quand aux chroniqueurs ils usent de diverses périphrases afin de décrire ces spectacles:

        "pièce assez singulière: ballet et comédie en prose à la fois", "ballet en comédie ou comédie en ballet" ou encore "comédie qui était mêlée dans les entractes d'une espèce d'autre comédie en musique et de ballets".


    La Comédie-Ballet, un fait du hasard.


        Cette nouvelle formule n'est d'ailleurs pas originale car depuis le Moyen-Age les représentations théâtrales connaissaient des interventions musicales et le genre "comédie plus ballet" existait déjà en Italie au XVIème siècle tandis que certaines pièces représentées à l'Hôtel de Bourgogne dans les années 1630 étaient communément entrecoupées d'intermèdes.
       Toutefois l'introduction de quelques danses qui demeuraient dans ces cas là absolument étrangères au dialogue dramatique ne peut se comparer à la comédie-ballet dont l'originalité réside dans leur véritable intégration à l'oeuvre, et l'écrivain Donneau de Visé (1638-1710) affirmera très justement en 1673 dans Le Mercure Galant que:

        "Molière a le premier inventé la manière de mêler des scènes de musique et de ballets dans ses comédies",

        le trio vocal qui forme le Prologue musical de L'Amour Médecin (1665), chanté par la Comédie, la Musique et le Ballet, résumant très clairement le fondement de cette alliance:

        "Quittons, quittons notre vaine querelle
         Ne nous disputons point nos talents tour à tour
         Et d'une gloire plus belle
         Piquons nous en ce jour:
         Unissons nous tous trois d'une ardeur sans seconde,
         Pour donner du plaisir au plus grand roi du monde".


    La Comédie-Ballet, un fait du hasard.

    Jean-Baptiste Lully (1632-1687)


        Si l'originalité de ce genre nouveau consiste en effet à mêler ces trois langages dans une oeuvre commune, elle constituera cependant un véritable problème esthétique car

        "Comment enchainer ensemble tant de choses diverses?" dira lui-même Molière dans l'Avant-Propos des Amants Magnifiques.
        Dans certaines oeuvres la comédie restera préeminente tandis que les parties dansées et chantées y occupent une place relativement modeste, s'intercalant naturellement dans la suite de l'action dramatique comme dans L'Amour Médecin, Monsieur de Pourceaugnac ou Le Bourgeois Gentilhomme:

     

    Le Bourgeois Gentilhomme   Acte IV, scène 5    Cérémonie turque

     

         Mais la tendance qui l'emportera sans doute sous la pression de Lully et en conformité avec les goûts du roi et de la cour, verra un développement accru des intermèdes chantés et dansés avec la volonté de les organiser dramaturgiquement: Ils prendront même une telle ampleur pour Georges Dandin qu'ils deviendront une grande pastorale en musique de 4 Actes, qui enchâssent les 3 Actes de la petite farce paysanne, ce qui est en somme un étrange renversement, car c'est la comédie de Molière qui sert cette fois d'intermède à la pastorale de Lully.

         Une multitude de personnages peuplent ces "agréments" que Molière appelait encore "ornements": allégories, dieux, personnages de la pastorale ou empruntés à la vie quotidienne et à la réalité familière ou plus exotique car pour l'auteur toutes les sortes de sujets et toutes les formes de comédie pouvaient s'accomoder du genre nouveau et seront proposées à la collaboration du musicien et du chorégraphe:
        Les Fâcheux, La Princesse d'Elide (1664) ou Les Amants Magnifiques nous introduisent dans l'univers noble, tandis que Mr. de Pourceaugnac (1669), L'Amour Médecin(1665) ou Le Bourgeois Gentilhomme (1670) peignent à l'opposé la réalité bourgeoise, ou encore provinciale et campagnarde avec George Dandin (1668).

     

    Le Bourgeois Gentilhomme  -   Acte I, scène 2 
    (Mr. Jourdain s'entretient avec son Maitre de Musique et son Maitre à Danser)

     

        Jusqu'au Malade Imaginaire (1673-Musique de Marc-Antoine Charpentier), une ou deux de ces comédies-ballet naitront chaque année, toutes créées à l'origine pour animer les fêtes royales: La Princesse d'Elide à l'occasion des Plaisirs de l'Ile Enchantée (1664), Georges Dandin pour Le Grand Divertissement (1868) etc... Données au gré des séjours dans les diverses résidences: Le Louvre, Versailles, St.Germain-en-Laye, Chambord, la plupart de ces pièces se présenteront comme un spectacle qui prend place à côté d'autres plaisirs: chasse, bal, ballet, concert, collation, feu d'artifice et autres représentations théâtrales, en un môt il n'y aurait jamais eu de comédies-ballets sans l'ambition de Fouquet, le service du roi et les divertissements royaux.

     

    La Comédie-Ballet, un fait du hasard.

    Représentation de La Princesse d'Elide à Versailles dans le cadre de la seconde journée des Plaisirs de l'Ile Enchantée (7-13 Mai 1664)  

     

        Mais la fête de cour est éphémère et après avoir servi le roi en ses châteaux Molière donnait ses pièces à son public parisien en son théâtre du Palais Royal. Cependant le spectacle auquel assistaient les spectateurs citadins était très différent de celui qu'avaient pu applaudir les nobles courtisans, car la transposition sur une modeste scène de ces oeuvres créées dans un cadre et avec des moyens exceptionnels leur enlèvera une partie de leur charme (La pastorale de Lully sera par exemple complètement supprimée de George Dandin) et Molière déplorera lui-même:
        "Il serait à souhaiter que ces sortes d'ouvrage pussent toujours se montrer à vous avec les ornements qui les accompagent chez le Roi: Vous les verriez dans un état beaucoup plus supportable, et les Airs, et les Symphonies de l'incomparables Monsieur Lully, mêlés à la beauté des voix et à l'adresse des danseurs, leur donne sans doute des grâces dont ils ont toutes les peines du monde à se passer".

    La Comédie-Ballet, un fait du hasard.

    Ouverture du ballet des Fâcheux


         Est-ce parce qu'il leur manqua cette magnificence? Quoi qu'il en soit la disparition de Molière sonna le glas de cette forme de théâtre musical au profit de l'opéra. Quand à l'histoire littéraire que seul le texte intéresse, elle négligera injustement la partie musicale et renvera très souvent Terpsichore dans ses foyers...

        Cependant la vogue du théâtre baroque a favorisé la redécouverte de certaines d'entre elles dans leur version originale, et le succès de cette expérience montre que c'est appauvrir ces oeuvres que de les dépouiller de leurs ornements de musique et de danse qui, avec leur fantaisie propre, achèvent l'oeuvre "en une envolée légère", car les en priver c'est véritablement empêcher l'auteur de dire le dernier mot de sa sagesse comique.
          

    Vaux-le-Vicomte - Le Château qui inspira Versailles    

     


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    Loïe Fuller (1862-1928) - La Fée Lumière

    Loïe Fuller (1862-1928)


     

          Mary Louise Fuller naquit le 15 Janvier 1862 à Fullersburg, un faubourg de Chicago, et passa son enfance en compagnie de ses deux frères dans la pension de famille que tenaient leurs parents.

        Attirée par le monde du spectacle, la fillette potelée aux grands yeux bleus et au nez retroussé monte de bonne heure sur les planches, et à 16 ans fait déjà partie d'une troupe ambulante avant d'être engagée à New-York, un début de carrière qui sera un modèle de ratages, d'échecs, de vaches maigres, mais d'opiniatreté et de ténacité jusqu'à ce 16 Octobre 1891 où, selon l'une des versions de sa légendaire ascension à la gloire, elle doit interpréter le rôle d'une femme sous hypnose lors de la création d'une comédie Quack Medical Doctor (Le Charlatan). Soucieuse de ne pas trébucher sur son costume trop grand, une longue chemise blanche, elle improvise alors inconsciemment de grands mouvements amples devant lesquels le public s'écrie spontanément: "Un papillon! Une orchidée!"... Lorsqu'elle répète la scène, volontairement cette fois les jours suivants, les spectateurs réagissent de la même manière et celle qui depuis l'enfance rêvait de gloire comprend alors que son succès est là...

        "J'allais créer une danse! Comment n'y avais-je encore jamais pensé?" écrira-t-elle dans ses Mémoires.


        Lors d'un passage au Vaudeville elle s'était déjà entrainée au maniement de la jupe dans un genre dénommé "skirt dance" qui avait déjà à l'époque beaucoup de succès, et elle va analyser et développer ce style avec une précision et une rigueur scientifique:
        "Doucement, presque religieusement, je découvrais en agitant la soie que j'obtenais tout un monde d'ondulations: Deux de mes amies, Madame Hoffman et sa fille et Madame Hossack, venaient de temps en temps voir où j'en étais de mes découvertes et lorsque je trouvais un geste ou une attitude qui avaient l'air de quelque chose elles disaient: "Gardez le! répétez le!". Finalement je pus me rendre compte que chaque mouvement du corps provoque un résultat de plis d'étoffe, de chatoiement, de draperies mathématiquement et scientifiquement prévisibles".

        Le résulat de ces recherches sera la Danse Serpentine présentée à New-York au Park Theatre de Brooklyn le 15 Février 1892, et la création qui servait d'intermède entre les deux Actes d'une pièce remporta un immense succès auprès du public... Mais Loïe Fuller ayant alors menacé l'impresario de quitter le spectacle si son nom n'était pas ajouté sur l'affiche, sera renvoyée sur le champ... et ausitôt remplacée par l'une des nombreuses imitatrices qui n'avaient pas perdu de temps pour fleurir de toutes parts... (Afin de faire respecter ses droits d'auteur Loïe Fuller déposa une demande de copyright mais celle-ci fut invalidée par un jugement du tribunal américain qui fit jurisprudence jusqu'en 1978, déclarant que la danse abstraite ne peut être juridiquement reconnue comme une oeuvre dramatique. Quoi qu'il en soit la créatrice sera copiée, plagiée et pillée toute sa vie, et il lui arrivera même certaines fois de découvrir en arrivant dans une ville qu'un spectacle s'y donnant à son nom s'y jouait à guichets fermés!).

     

     

    Loïe Fuller -  La Danse Serpentine   Filmée par les frères Lumière en 1896 

     

        Aussi populaire que l'ait rendue la Danse Serpentine, Loïe Fuller n'obtint d'autre considération auprès de ses compatriotes que celle d'"une actrice qui danse", et ne sentant pas son travail véritablement pris au sérieux dans son pays d'origine, l'accueil chaleureux qu'elle reçut en France lors d'une tournée la persuada de rester à Paris où, refusée par l'Opéra mais engagée aux Folies Bergères, son imagination créatrice l'emmena sur des chemins que personne n'avait encore jamais explorés:
        Car, cette pionnière avait eu le génie d'exploiter le potentiel que représentait l'arrivée de l'éclairage électrique, et elle allait faire de la lumière, uniquement utilisée jusque là pour des besoins utilitaires, un élément esthétique fondamental.

     

          Il faut se souvenir qu'à cette époque les spectacles se donnaient encore dans une salle éclairée, et que la seule source lumineuse sur scène avait été pendant de années une rampe alimentée au gaz... 
         Aussi quel n'a pas dû être l'éblouissement de l'assistance devant cette féerie lorsque dans une salle éteinte, sur une scène tendue de noir (ce qui était jusque là tabou), Fuller, éliminant les feux de la rampe, parut sculptée par des dizaines de projecteurs latéraux qui donnaient une profondeur à laquelle le public n'était pas habitué, emplissant l'espace de ses formes lumineuses en mouvement noyée dans des flots de tissus légers métamorphosés par la couleur...

        "La grande attraction du moment c'est Miss Fuller, cette américaine qui tourbillonne sous la lumière électrique et fait flotter autour d'elle comme des ailes de papillon, des calices de fleurs ou des nuages irisés. Est-elle jolie? Je n'en sais rien, et elle n'a pas besoin d'être jolie. Elle est supérieure à la vie même" écrira un journaliste parisien.

     

    Loïe Fuller (1862-1928) - La Fée Lumière

     

            Mettant le progrès technologique au service de la danse, elle va réaliser les scénographies dont les théoriciens de la scène avaient toujours rêvé, et le succès remporté est à l'image du travail en amont qui est considérable car, afin d'obtenir avec des composés chimiques des teintures de gélatine destinées à créer des filtres colorés pour ses projecteurs, ou des sels fluorescents pour les rayons ultra violets, Loïe Fuller possède son propre laboratoire où elle effectue ses expériences, créant un émoi considérable alentours chaque fois que les mélanges explosent:
         "ça fait sensation dans le voisinage... Les gens m'appellent la sorcière" peut-on lire dans ses Mémoires.

        Mais ses recherches ne se borneront pas à la seule chimie car elle mêlera l'art avec la science et la technologie tout au long de sa carrière, et Mallarmé résuma sa danse en ces termes:
        "Ivresse d'art et d'accomplissement industriel".
        Elle déposa un total de dix brevets et copyright principalement reliés à ses dispositifs d'éclairage et ses accessoires, baguettes de bambou et d'aluminium avec lesquelle elle faisait virevolter ses voiles, planchers de verre éclairés par le dessous, miroirs sur scène démultipliant l'image, effets stroboscopiques, ou encore dessin des costumes qu'elle réalisait également elle même:
        "Je drapais le tissus de soie sur le mannequin, puis après l'avoir coupé et assemblé je lui essayais et lui indiquais les mouvements que je souhaitais lui voir exécuter... et pendant qu'elle bougeait je regardais la robe sous toutes ses faces. J'analysais le résultat, je réfléchissais et je transformais le mouvement jusqu'à satisfaire mon imagination.
        Jour après jour je vivais avec cette grande robe, l'étudiant, me familiarisant avec sa forme, apprenant toutes ses possibilités, et lorsque je la mettais moi-même, je savais exactement ce que je pouvais faire avec".


    Loïe Fuller (1862-1928) - La Fée Lumière

     

     

        Afin de mettre au point ses spectacles cette femme étonnante travaillait avec une équipe de 27 électriciens plus quelques autres techniciens, soit une troupe de 40 personnes qui l'accompagnaient dans ses recherches parfois jusqu'à 6 heures du matin. Une vision de "La Loïe" que le public d'aujourd'hui découvre souvent avec surprise, ignorant ce travail énorme et surtout la révolution qu'il représente, car le monde de la danse oublie trop souvent qu'il lui doit la première représentation chorégraphique qui intègre la lumière au mouvement.

         Tout Paris est à ses pieds:

        "Madame Loïe Fuller que j'admire est pour moi une femme de génie, avec toutes les ressources du talent. Je suis bien au dessous de ce que je devrais dire de cette grande figure, ma parole est peu préparée pour cela, mais mon coeur d'artiste lui est reconnaissant" dira Auguste Rodin qui fera partie des nombreux artistes et hommes de science (intéressés par ses recherches) à lui donner leur amitié: Henri de Toulouse-Lautrec, Jules Chéret, Alexandre Dumas fils, Anatole France qui rédigera la Préface de son Autobiographie (Quinze ans de ma vie-1908), Camille Flammarion, Pierre et Marie Curie etc...
        Ces derniers seront d'ailleurs à l'origine de l'une des anecdotes que rapporte dans son ouvrage la "fée lumière", qui ayant lu dans les journaux que le radium était lumineux avait déjà en tête un costume qui enchanterait le public... Ayant écrit aux deux savants ceux-ci lui expliquèrent dans leur réponse pourquoi ce projet était chimérique, et pour les remercier de lui avoir consacré quelques instants de leur temps si précieux elle leur fit parvenir ce message:
        "Je n'ai qu'un moyen de vous remercier de m'avoir répondu: Laissez moi danser chez vous pour vous deux..."
        Et Pierre et Marie Curie ayant accepté virent arriver le jour dit Loïe Fuller suivie de sa troupe d'électriciens qui pendant des heures réglèrent éclairages, tapis et rideaux noirs afin de reconstituer le spectacle dans la salle à manger...  

     

    Loïe Fuller (1862-1928) - La Fée Lumière


     

        Transcendant le corps pour atteindre une dimension spirituelle où le quotidien est transfiguré par la beauté de l'art à travers des lignes qui rappellent à l'homme qu'il fait partie de la nature, ses créations (Papillon, Violette, La Danse de l'Iris, La Danse du Lys...) qui sont autant de rêves impalpables, temps suspendu où la poésie est à son comble, firent de Loïe Fuller la muse des Symbolistes et de l'Art Nouveau. Mallarmé la considéra comme l'incarnation même de l'utopie symboliste, tandis que sa contribution à l'innovation technique de l'éclairage et des dispositifs scéniques fascinera  scientifiques, metteurs en scène, cinéastes et photographes. 

        Lors de l'Exposition Universelle de 1900 Loïe Fuller aura son propre pavillon que l'architecte Henri Sauvage (1873-1932) dessina sur le modèle de ses voiles dansants,

     

    Loïe Fuller (1862-1928) - La Fée Lumière

    Théâtre de Loïe Fuller à l'Exposition Universelle de Paris

     

     et elle impressionnera à cette occasion Jean Cocteau par ses prestations:

         "De cette foire confuse et poussièreuse je conserve une seule image vivante et flamboyante: Madame Loïe Fuller. Est-il possible d'oublier cette femme qui debout sur une trappe de verre manoeuvre avec des perches des flots de voiles souples, et sombre, active, invisible comme le frelon dans la fleur, brasse autour d'elle une orchidée de lumière et d'étoffe qui s'enroule, qui monte, qui s'évase, qui ronfle, qui tourne, qui flotte, qui change de forme comme la poterie aux mains du potier".
        L'année suivant Loïe Fuller ouvre son école où en en dehors de toute technique particulière elle sera encore une nouvelle fois pionnière en annonçant l'apparition de la danse libre et accueillera quelques temps Isadora Duncan parmi ses élèves. 

    Loïe Fuller (1862-1928) - La Fée Lumière


        Elle fonde alors sa propre compagnie de jeunes danseuses qui prend le nom de "Ballet Fantastique de Loïe Fuller" et avec lesquelles l'artiste retournera à l'occasion en Amérique pour présenter leurs spectacles,

     

     

    Le Jardin des Papillons -  Chorégraphie de Jody Sperling d'après Loïe Fuller - Interprété par la compagnie Time Lapse Dance 

     

         Mais les yeux abimés par ses années d'inlassables expérimentations sur les possibles effets de la lumière et les longues répétitions sous les éclairages violents, celle qui fut l'amie intime de la reine Marie de Roumanie perdit malheureusement complètement la vue et décède à Paris des suites d'une pneumonie le 1er Janvier 1928 à l'âge de 65 ans. 

        Peut-être parce que l'éclairage électrique devenu omniprésent n'avait plus ce caractère magique, ou parce qu'elle fut ecclipsée par sa compatriote Isadora Duncan qu'elle avait contribué à faire connaitre, Loïe Fuller, artiste emblématique du climat d'enthousiasme pour le progrès scientifique et la technologie qui marqua la Belle Epoque fut, malgré sa longue et impressionnante carrière, pratiquement oubliée après sa mort.
        Des quelques 60 danses qu'elle créa, de ses innombrables tournées en France et à l'étranger, il ne reste que peu de choses si ce n'est les traces des impressions créées que révèlent les oeuvres littéraires et surtout plastiques qui nous sont parvenues, car Loïe Fuller influença largement les arts décoratifs en témoigne la riche production de statuettes s'inspirant de ses longs voiles.

     

    Loïe Fuller (1862-1928) - La Fée Lumière

    Loïe Fuller- Danse du lys   Théodore Louis Auguste Rivière    

     

        Les historiens de la danse n'ont très longtemps accordé que peu d'intérêt à cette artiste il est vrai assez particulière, considérant son art trop proche du divertissement populaire...
        Le Dictionnaire de la Danse (Larousse) lui rend aujourd'hui justice et lui accorde la place qu'elle mérite en donnant cette définition de la Danse Serpentine:
        "Emblématique du répertoire fullérien, ce solo est aussi une oeuvre clé qui annonce le XXème siècle comme époque de fusion de la lumière et des arts cinétiques".

        Plusieurs compagnies s'intéressent aujourd'hui au travail de Loïe Fuller, notamment Jody Sperling qui avec sa compagnie Time Lapse Dance basée à New-York s'est acquis une réputation internationnale du style Fuller, et a créé au cours des dix dernières années plus de 25 oeuvres rendant un juste hommage à cette artiste trop méconnue...

        Car, chaque fois que le noir se fait dans la salle et que le rideau s'ouvre sur un enchantement de couleurs, qui se souvient encore de celle qui pour la première fois a fait danser la lumière?

     

    Loïe Fuller (1862-1928) - La Fée Lumière

    (Loïe Fuller fut incinérée et ses cendres reposent au colombarium du cimetière du Père Lachaise)

         

    Night Winds  - Chorégraphie de Jody Sperling - Interprété par Jody Sperling
    Musique de Charles Griffes

     

     


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