• La petite danseuse de quatorze ans

      

    Petite danseuse

     

        A la fin des années 1890, Degas presque aveugle à la suite de l'évolution de la grave maladie oculaire qui le touche depuis de très nombreuses années se consacre quasi exclusivement à la sculpture.
        Il s'y adonne depuis une dizaine d'années déjà, réalisant des modèles en cire, peints aux couleurs naturelles, auxquels il ajoute des accessoires. Ces sculptures, toutefois, n'étaient pas detinées à être montrées, mais lui permettaient de fixer le mouvement pour servir, par la suite, de modèle à ses peintures.

        Une seule, cependant, fit exception:
                         " La petite danseuse de 14 ans", (connue aussi sous le nom de "La Grande Danseuse") qu'il avait tout d'abord l'intention de dévoiler au salon de Paris en 1880. Cependant, estimant que son travail n'était pas encore prêt, il exposa seulement à cette occasion une cage en verre vide... Façon originale d'éveiller par anticipation la curiosité du public sur l'oeuvre à venir... qui parut donc l'année suivante lors de l'exposition impressioniste de 1881:
                          Une jeune danseuse de 99cms de haut environ, réalisée en cire peinte, et agréméntée de cheveux véritables retenus par un ruban de satin vert, vêtue d'un bustier en soie ivoire et d'un tutu en tulle, et chaussée de chaussons de satin rose. (on a retrouvé sur l'un des nombreux dessins de Degas l'adresse d'un fabriquant de poupées et vétements de poupées chez qui, on le suppose, il s'était très vraisemblablement procuré les accessoires). 

        La statue reçut un accueil très mitigé...On la déclara laide, certains dirent que sa tête et ses traits étaient grotesques et primitifs, allant même jusqu'à dire qu'elle ressemblait à un petit singe...et pour finir on lui trouva un visage "où tous les vices impriment leurs détestables promesses" (il ne faut pas oublier, non plus, que dans l'imaginaire masculin de l'époque l'image de la danseuse renvoie à la fille légère).
        D'autre part, le fait que l'oeuvre soit présentée dans une vitrine, telle un spécimen dans un musée d'histoire naturelle ou un travail de taxidermiste, en accentuant l'aggressivité du réalisme choqua une grande partie des critiques.
        Quelques uns cependant, il faut le dire, surent s'émouvoir devant cette adolescente dont le visage révèle la dureté de la vie... Mais ce ne fut pas la majorité...

         La sculpture passa par la suite 40 années dans l'atelier du peintre où elle fut découverte à sa mort stockée parmi toutes celles qu'il avait accumulées. La fragilité de la cire laisse imaginer l'état de dégradation dans lequel on les retrouva, et les héritiers (sa femme et sa fille) décidèrent de les faire restaurer pour en faire exécuter des moulages en bronze.

        Il y eut 27 copies de "la petite danseuse" produites par la Fonderie Hebrard à Paris entre 1920 et 1950, et celle que possède le musée d'Orsay est datée entre 1920 et 1930.
        Dans la version "bronze" les seuls accessoires qui ont été conservés sont le tutu et le ruban retenant les cheveux, sans doute par souci de simplification par rapport à la statue en cire d'origine trés "habillée".
        Celle ci, et on le déplore, n'est malheureusement pas restée en France. Acquise en 1956 par le philantrope américain Paul Bellon, ce dernier en fit don à la National Gallery of Art de Washington, où se trouve maintenant exposée aujourd' hui la silhouette juvénile et jadis si controversée de Marie Van Goethem...

        Issue d'une famille pauvre d'origine belge, Marie Geneviève Van Goethem naquit dans le 9ème arrondissement de Paris, la cadette d'une famille de trois enfants.
        A la mort de son père, tailleur, sa mère n'eut d'autre recours que celui de devenir blanchisseuse, et l'argent se fit  plus rare que jamais pour Marie, Antoinette, son ainée, et Charlotte la benjamine.
        Très certainement poussées par leur mère qui espère pour ses filles de riches protecteurs, les trois soeurs vont rentrer à l'école de danse de l'Opéra. Antoinette la première en 1872, suivie un peu plus tard par Marie et Charlotte.
        C'est entre les années 1871 et 1885 que Degas se passionne pour l' Opéra et la danse, et les soeurs Van Goethem apparaissent dans ses carnets de dessins en 1873. Elles vivent non loin de l'atelier du peintre situé Rue St. Georges, et gagnent entre 6 et 10 francs par séance comme modèles, ce qui contribue de façon substantielle aux maigres revenus de la famille.
       Mais qui n'était sans doute pas suffisant, car lorsque Marie et ses soeurs furent engagées dans le Corps de Ballet on soupçonne déjà leur mère (un temps habilleuse au théatre) de les prostituer auprès des riches abonnés.

       Tout basculera vraiment, cependant, en 1882... Un journal de l'époque montre les ainées fréquentant assiduement des cafés et des cabarets dont la plupart ne sont pas des endroits recommandables pour des jeunes filles...
        Marie, qui est de plus en plus souvent absente de l'Opéra, est finalement révoquée du Corps de Ballet...Quand à Antoinette elle est emprisonnée pour avoir subtilisé un portefeuille...
        A partir de ce moment là les deux soeurs vont sombrer dans la spirale infernale du vol et de la prostitution... Marie n'a que 17 ans... et personne ne sait où et comment elle a terminé sa vie...

        Un bien triste sort... ayant peut-être servi de leçon à la jeune Charlotte qui fit carrière à l'Opéra et dansa avec la grande Carlotta Zambelli. Lorsqu'elle quitta le Corps de Ballet, l'Opéra l'engagea comme professeur et elle eut, parait-il, comme élève, Yvette Chauviré.

        Ces destins tragique inspirèrent Brigitte Lefèvre, actuelle directrice de la danse à l'Opéra, qui demanda à Patrice Bart de monter un ballet évoquant cette partie de la petite histoire. 
        Célébrée maintenant sur la scène où elle évolua jadis (grâce à la musique de Denis Lavaillant  et la chorégraphie de Patrice Bart et Martine Kahane) "la petite danseuse de Degas" nous y apparait aujourd'hui encore plus vivante et émouvante que jamais, déshéritée de la vie qui disparut dans le malheur mais qui, gâce à une sculpture, est devenue immortelle. 

     

     







                     

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  • Commentaires

    1
    Marine S
    Mercredi 15 Février 2012 à 20:14

    Bonjour, je voulais savoir si je pouvais vous prendre l'image pour un exposé. et savoir si c'était l'exemplaire de new york ou de paris?

    merci

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