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    Coco Chanel (1883-1971) - Un parfum de mystère.

     

    "La mode se démode, le style jamais".
                      Coco Chanel 

     

        Elle fut enterrée sous le nom de Gabrielle Chasnel car faire corriger légalement l'erreur sur son certificat de naissance eut été révéler qu'elle était née à l'hospice des pauvres...
        Jamais le mot "orphelinat" ne franchit ses lèvres, et elle paya ses frères pour qu'ils se fassent oublier, passant sa vie à rompre avec tous ceux, amis ou bienfaiteurs, qui connaissaient les détails d'une existence qui ne coïncidait pas avec la légende qu'elle souhaitait créer. Et lorsqu'une amie lui suggéra à la fin de sa vie, alors qu'elle se repliait sur elle même, de voir un psychologue, Chanel répondit effarée: "Moi?!!... qui n'ai jamais dit la vérité même à mon curé!..." 

        Gabrielle Bonheur Chasnel qui se réinventa une enfance naquit à Saumur le 19 Août 1883, baptisée à sa naissance Gabrielle Bonheur, du nom de la religieuse qui avait pris soin de sa mère; et après la mort de cette dernière et le départ de son père, la fillette qui est alors agée de 12 ans, tout en conservant des liens avec sa famille maternelle qui réside en Auvergne (sa mère est originaire de Courpière et elles vécurent à Issoire) sera confiée avec ses deux soeurs à l'orphelinat de l'abbaye cistercienne d'Aubazine, en Corrèze.
        Plutôt que de s'étendre sur des détails à la Dickens ou à la Zola il faut noter à cette occasion que les six années que la future styliste passa dans cette institution marquèrent profondément son imaginaire, car le style de ses vêtements aux lignes épurées et leurs couleurs neutres ne seront pas sans rappeler l'architecture sobre de l'abbaye ainsi que les costumes des religieuses et des pensionnaires (jusqu'au logo de sa maison dont on retrouve l'entrelac sur les vitraux de l'abbatiale).

     

    Coco Chanel (1883-1971) - Un parfum de mystère.

    Vitrail cistercien de l'abbaye d'Aubazine (Corrèze)

     

       Lorsque Gabrielle atteignit ses 18 ans elle fut renvoyée à ses grand-parents à Moulin et confiée aux dames chanoinesses de l'Institut Notre-Dame qui, en échange de travaux domestiques, lui enseignèrent la couture, ce qui lui permit d'être ensuite placée comme vendeuse dans une boutique de mercerie-lingerie où elle retrouva sa soeur Adrienne avec qui elle partageait une petite chambre chez leur employeur.
        Moulin était à l'époque une ville de garnison, et afin d'arrondir son maigre salaire la jeune fille qui maniait avec adresse l'aiguille et les ciseaux entreprit alors de faire des extras le dimanche matin chez un tailleur qui habillait les militaires... occasion pour elle de rencontrer les officiers du 10ème régiment de chasseurs à cheval qui, ne restant pas insensibles à son charme, l'inviteront à La Rotonde, le caf'cons de la ville, dont la principale attraction était une chanteuse... qui lui donnera des idées:
        Sa voix n'avait certainement rien de rare mais, soutenue par la claque du 10ème régiment et avec l'accord du directeur, la petite couturière qui ne manquait pas d'audace montera chaque soir sur cette même scène pour y interpréter son morceau favori, Qui qu'a vu Coco dans l'Trocadero, lequel lui vaudra de la part de ses admirateurs galonnés le surnom de Coco qu'elle conserva toute sa vie...

         Cependant ne bornant pas là ses ambitions, Coco, rêvant de music-hall, va alors tenter sa chance à Vichy en compagnie d'Adrienne qu'elle a attirée dans l'aventure, et après quelques auditions infructueuses y retrouve Etienne Balsan qui vient de démissionner de l'armée pour se consacrer à l'élevage des chevaux de course... Une rencontre opportune qui sonnera le glas de sa brève carrière musicale, et Adrienne s'en retournera seule à Moulin...  

        Que peut on espérer quand on est orpheline et couturière dans une petite ville de province? Certainement pas épouser un noble héritier, mais Coco était suffisamment jolie pour pouvoir prétendre à ce recours des jeunes femmes ambitieuses et sans fortune: elle avait trouvé un protecteur...

     

    Coco Chanel (1883-1971) - Un parfum de mystère.

     


        Auprès d'Etienne Balsan elle découvre alors la vie de château et les arcanes de la haute société, mais s'ennuie bientôt et songe à ouvrir une boutique de modiste... Ne fait-elle pas sensation aux courses avec les tenues très personnnelles et les petits chapeaux qu'elle se confectionne elle-même? Et plusieurs des amies d'Etienne ne lui ont-elles pas d'ailleurs déjà demandé ses services... Mais alors que Coco rêve de Paris, Balsan suggère Compiègne (où est situé son château de Royallieu), un différend qui va se règler très simplement lorsque le couple se rend à une chasse au renard dans les Pyrénées où Gabrielle va rencontrer Arthur Capel l'amour de sa vie.

        Séduisant et fortuné, "Boy", comme le surnommne  l'entourage, lui prête alors les fonds nécessaires à l'ouverture d'un salon de modiste au 21 rue Cambon à Paris, Chanel Modes ne désemplit pas et en 1913 alors qu'ils séjournent à Deauville il louera pour elle une seconde boutique, suivie d'une troisième à Biarritz en 1915 qui sera cette fois une vraie maison de couture où Gabrielle suivant son inspiration raccourcit les jupes, supprime la taille et libère le corps de la femme.
        Les restrictions engendrées par la Guerre ayant amené le manque d'étoffe, Coco taille alors ses robes dans les maillots en jersey des garçons d'écurie... et achètera à Rodier des pièces entières d'un textile utilisé uniquement à l'époque pour les sous-vêtements masculins. Ces nouvelles tenues d'une extrême sobriété annoncent déjà cette silhouette privilégiant la simplicité savamment étudiée qui lui vaudra sa réputation, et toutes les élégantes aspirent à ce look longiligne. 
        Paul Poiret l'accusera de transformer les femmes en "petites télégraphistes sous-alimentées", ce à quoi, faisant référence à la mode orientaliste de l'époque, elle lui répondra en disant qu'elle ne voulait pas de femmes "ayant l'air d'esclaves échappées d'un harem".

        En 1918 Coco Chanel a déjà édifié l'une des maisons de couture les plus importantes de l'époque, employant plus de 300 ouvrières, lorsque survient le drame qui affectera le reste de sa vie: Boy Capel décède dans un accident de voiture la nuit du 22 au 23 décembre 1919, et elle va alors se raccrocher désespérément à son travail comme une forcenée: Développant encore son entreprise, dès 1921 elle annexera en quelques années les 27, 29 et 31 de la rue Cambon, une adresse mythique à côté de la luxueuse place Vendôme où se trouve encore aujourd'hui la célèbre maison de couture.

     

    Coco Chanel (1883-1971) - Un parfum de mystère.

     


        La meilleure amie de Coco à cette époque était la pianiste Misia Sert (1872-1950) surnommée par les journalistes "la reine de Paris", et c'est par l'intermédiaire de cette dernière qu'elle rencontre Diaghilev qui souhaite remonter son Sacre du Printemps... Il a encore en sa possession les décors et les costumes de 1913, mais il cherche des fonds pour réunir l'orchestre important que demande la partition de Stravinsky. Lorsque Chanel lui fait part de sa décision de participer l'impresario lui annoncera avec suffisance:

        "Je suis allé chez la Princesse de Polignac, elle m'a donné 75.000 francs, c'est une grande dame américaine..."
        "Je ne suis qu'une couturière française"
    lui répondra Coco, "en voilà 200.000..."

         Avec les Sert et Picasso, Gabrielle sera invitée au souper qui suivit la première du ballet le 15 Décembre 1921 au théâtre des Champs-Elysées. Diaghilev était à un bout de la table, Stravinsky à l'autre... et à la fin de la soirée le compositeur du Sacre du Printemps était déjà follement amoureux de la couturière, une liaison passagère qui fera des deux protagonistes des amis pour la vie.

     

    Coco Chanel (1883-1971) - Un parfum de solitude et de réussite.

     

        Coco Chanel célèbra ses 40 ans avec la création de son premier parfum devenu mondialement célèbre: N°5, une révolution dans son genre, car une fragrance ne se composait jusque là que d'un seul parfum de fleur ou d'un mélange de deux ou trois facilement identifiables, mais Gabrielle va encore une fois changer tout cela:

        "Je ne veux pas de rose ou de muguet" dira-t-elle à Ernest Beaux, le propriétaire d'un laboratoire de Grasse, "Je veux un parfum qui soit un composé. Je veux un parfum artificiel, je dis bien artificiel, c'est à dire fabriqué. Sur une femme une odeur de fleur semble artificielle. Peut-être que pour avoir l'air naturel un parfum doit être créé artificiellement. Je veux un parfum de femme avec une odeur de femme". 

        Le mélange créé par Beaux ne contenait pas moins de 80 ingrédients dont le jasmin alors très cher et lorsqu'il en avertit Coco celle-ci (qui avait déjà très bien compris les règles du succès d'un produit...) lui répondit:

        "Dans ce cas mettez en encore davantage, je veux que ce soit le parfum le plus cher du monde"...

        Et lorsque se présentera la question du choix d'un nom, Chanel qui parmi les échantillons numérotés de 1 à 5 et de 20 à 24 qui lui avaient été présentés avait choisi le N°5, fit cette réponse:

        "Je lance ma collection le 5 Mai, cinquième mois de l'année, laissons lui le numéro qu'il porte, il lui portera chance..."
     
        Un baptême  judicieux pour le parfum peut-être le plus vendu au monde et dont la forme de la bouteille s'inspirait du flasque de vodka du grand-duc Dimitri Pavlovitch dernière liaison de la créatrice. 

        L'empire Chanel ne cessant de s'élargir, la réalisation des costumes pour Le Train Bleu de Diaghilev offrit à Coco une parenthèse agréable dans ce monde des affaires. Diaghilev souhaitait alors rivaliser avec Les Mariés de la Tour Eiffel présentés par son rival, Rolf Mare, et avait désespérément besoin d'une nouvelle production... Darius Milhaud composa la partition en 20 jours, Picasso assura le décor avec un agrandissement de l'une de ses toiles, Cocteau rédigea le livret et Coco procéda rapidement aux premiers essayages de ses créations que tous, dans le calme des salons de la rue Cambon, s'accordèrent à trouver superbes... mais qui ne résistèrent pas à la première répétition, et les ravissantes tenues que portaient baigneurs, joueurs de tennis ou champions de golf s'ouvrirent tragiquement aux coutures (Pour la perfection des détails tout ce qui était signé Chanel était cousu-main...) La créatrice à genoux dut alors recoudre les morceaux sur les danseurs en transpiration... et demanda par précaution à ses ateliers de confectionner un second jeu de vêtements.

     

    Le Train Bleu   Musique de Darius Milhaud - Chorégraphie de Bronislava Nijinska - Livret de Jean Cocteau - Décor de Pablo Picasso - Costumes de Gabrielle Chanel - Interprété par les étoiles et le corps de ballet de l'Opéra de Paris.


        Un nouveau venu aux côtés de Coco avait suivi avec intérêt les évolutions de Nijinsky et Lydia Sokolova pendant les répétitions, il s'agissait cette fois de l'homme le plus riche d'Angleterre: le duc de Westminster qui était en instance de divorce... La rumeur de mariage se répandit évidemment sans tarder, non sans raisons il faut le dire, mais s'il était une chose que l'argent et la célébrité accordaient à Chanel c'est le fait de conserver son indépendance... Et elle aura cette parole célèbre:

        "Tout le monde épouse le Duc de Westminster. Il y a un tas de duchesses mais une seule Coco Chanel!"

     

    Coco Chanel (1883-1971) - Un parfum de solitude et de réussite.

    Coco Chanel et le duc de Westminster


        La styliste qui venait d'ouvrir en 1927 une boutique à Londres dans le quartier de Mayfair et habillait entre autres la duchesse d'York, épouse du futur George VI, donna en 1929 pour son 46ème anniversaire une superbe réception célébrant en même temps la cloture de la saison parisienne des Ballets Russes (l'une des danseuses sera considérablement impressionnée par les soupières pleines de caviar...) A cette occasion Serge Lifar, alors étoile de la compagnie qui venait de recevoir des mains de Diaghilev une épingle de cravate en forme de lyre en fit immédiatement cadeau à son hôtesse dont comme tous les proches il avait perçu le drame intime:

        "Nous avons bu des torrents de champagne" se souvint-il,"Coco s'ecclipsa à 2h du matin. Elle ronronnait laissant croire à tous que l'on pouvait la séduire, mais ne cédait rien. Elle avait trouvé autrefois le bonheur et l'amour: Boy Capel, un séduisant anglais qui avait tout pour lui... C'était son drame... La gloire et l'argent étaient devenus sa revanche".

        Quelques mois après cette fête mémorable le Flying Cloud à bord duquel Coco venait d'embarquer en compagnie du duc de Westminster et de Misia Sert pour une croisière dans l'Adriatique, reçut un message radio leur demandant de venir de toute urgence au chevet de Diaghilev à Venise. Celui-ci, qui revenait de Munich où il avait rencontré Richard Strauss, était au Grand Hôtel en compagnie de Serge Lifar et Boris Kochno, soigné pour ce que le médecin appelait des rhumatismes, et lorsque les deux femmes arrivèrent elles reconnurent à peine leur ami qui décéda en fait le lendemain d'une complication due à son diabète.
        Comme à son habitude l'impresario était désargenté... Misia donna à Lifar de quoi payer l'hôtel et le médecin; Chanel, qui vint très souvent au secours des Ballets Russes régla les obsèques, et une gondole portant Lifar, Kochno, Misia et Coco, suivit la gondole mortuaire jusqu'au cimetière sur l'ile de San Michele: Cette femme forte et blessée par la vie entretint constamment des rapports privilégiés avec les artistes, les préférant sans doute inconsciemment à cette haute société qui certes l'avait enrichie, mais à laquelle elle n'appartenait pas de naissance et qui l'avait reléguée un temps dans le demi-monde. 

     

    Coco Chanel (1883-1971) - Un parfum de solitude et de réussite.

    Coco Chanel et Serge Lifar lors d'un gala à Monte- Carlo (1937)

       

        Gabrielle Chanel saura s'adapter sans difficultés majeures aux mutations des années 30, affrontant à la fois revendications syndicales et l'arrivée sur la scène de la mode d'Elsa Schiaparelli, et présentera alors des robes du soir légères d'une élégance suprême, rebrodées de perles ou de strass... "Mademoiselle" comme l'appelaient ses employées, affichait en effet un goût très prononcé pour les bijoux, ne se déplaçant jamais sans ses perles, et avait ouvert dès 1924 son atelier de bijoux fantaisie:

        "J'aime les faux bijoux parce qu'ils sont un défi, car je trouve honteux de se promener avec des millions autour du cou juste parce que l'on est riche. Le but du bijou n'est pas de faire paraitre une femme riche mais de l'embellir, ce qui est autre chose." 


        Lorsque s'annonce la Seconde Guerre Mondiale elle est à la tête d'une entreprise de 4000 ouvrières qu'elle va licencier, car elle fermera sa maison de couture, ne se consacrant qu'à son activité dans le domaine des parfums. Installée à demeure au Ritz, sa liaison avec le baron Spatz un ancien attaché d'ambassade allemand lui vaudra à la Libération d'être interrogée par le Comité d'Epuration et accusée de "collaboration avec l'ennemi", elle répondra avec son sens inné de la répartie:

        "A mon âge quand on a l'occasion de trouver un amant on ne lui demande pas son passeport"... 

        Coco ira par la suite s'installer en Suisse, loin des rumeurs de la capitale française, établissant pendant 10 ans sa résidence principale sur les bords du lac Léman où son voisin d'alors, Paul Morand, présageant de l'avenir écrira:
        "Sous l'arcade de ses sourcils, ses yeux pétillaient toujours... des volcans d'Auvergne que Paris croyait à tort éteints"...
        

        Car pendant ce temps Christian Dior impose à nouveau aux femmes, avec son style "new-look", le dictat d'une taille de guèpe et d'une poitrine pigeonnante avec le carcan d'un corset ou d'une guépière. Coco Chanel sera catastrophée face à un pareil retour en arrière:

       "Je vous aime beaucoup" lui dira-t-elle un jour, "mais vous habillez les femmes comme des fauteuils",

        et en 1954 elle décide de rouvrir sa maison avec une collection résolument à contre courant: des vêtements sobres et raffinés aux lignes fluides, un style classique dont le célèbre tailleur sera copié dans le monde entier:
        Un deux-pièces de tweed dont la veste à 4 poches est décorée de boutons bijoux et d'une ganse de couleur contrastante, complété par une blouse de soie réalisée dans le même tissus que la doublure, accompagné des indispensables accessoires: des chaussures bicolores et un sac matelassé à chaine dorée signé de ses initiales entrelacées.

     

    Coco Chanel (1883-1971) - Un parfum de mystère.

     


       Chanel habille alors les plus grands de ce monde, mais le raffinement et l'élégance de ce style intemporel sera encore une fois confronté à l'histoire lorsqu'apparait autour de 1965 la mini-jupe, et qu'en 1968 la vague hippie change encore la donne, cependant "Mademoiselle" fera fi des midinettes de l'époque affirmant que les modes ne sont bonnes que lorsqu'elles descendent dans la rue et non lorsqu'elles en viennent.
        Symbole du chic et de l'élégance français, Coco Chanel séjournera pendant les quinze dernières années de sa vie au Ritz, certainement pour la luxueuse discrétion qu'offrent les grands palaces, mais aussi pour des raisons pratiques évidentes, l'hôtel étant situé place Vendôme juste à côté de la rue Cambon. Car, enfermée dans son monde, Gabrielle Bonheur vit maintenant cloitrée dans la solitude dorée de sa tour d'ivoire se consacrant uniquement à son travail: 

        "Je n'ai RIEN... Je suis toute seule avec mes millions" dira-t-elle à quelques intimes qui l'approchent...

    Coco Chanel (1883-1971) - Un parfum de mystère.

    Coco et Boy Capel (1913)

     

         Celle qui confia "En perdant Capel j'ai TOUT perdu" décède un dimanche (jour dont elle avait horreur...), le 11 Janvier 1971, après une promenade à Longchamp et à quelques semaines de la présentation de sa collection prévue le 5 Février.
         Après des obsèques célébrées à l'église de La Madeleine, son corps fut transféré à Lausanne où selon ses dernières volontés elle fut inhumée sous une simple plaque de marbre portant 5 têtes de lion (son chiffre fétiche et son signe du zodiac) et ornée de camélias blancs, ses fleurs préférées.

     

    Coco Chanel (1883-1971) - Un parfum de mystère.

     

        "J'irai au paradis habiller de vrais anges, ayant fait sur terre avec les autres anges mon enfer"
                            Gabrielle Chanel 

     

         


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  • Christian Bérard (1902-1948) - Bébé Cadum

    Illustration de Christian Bérard pour le parfum Coeur Joie de Nina Ricci

     


         Christian Bérard que ses amis surnommèrent affectueusement "Bébé" parce qu'il était aussi joufflu que le célèbre bambin dont le visage vantait à l'époque sur tous les murs les mérites d'une savonnette, naquit à Paris le 20 Août 1902, fils d'André Bérard architecte officiel de la capitale.

        Le jeune garçon, enthousiaste et inventif, démontra des dons artistiques précoces, et sur ses cahiers voisinaient, reproduites avec le même talent, les scènes de ballets ou de cirque inspirées des spectacles auxquels il assistait avec ses parents, ainsi que les élégantes toilettes qu'il recopiait sur les magazines de mode de sa mère. Malheureusement, la disparition de cette dernière, victime de la tuberculose, mit fin prématurément à cette enfance entourée de tendresse, et lorsque André Bérard se fut remarié avec sa secrétaire celui-ci, de concert avec sa nouvelle épouse dont il subit l'influence hostile, ne cessa alors de dénigrer ce fils et de le critiquer avec mépris.
        Sans doute est-ce la raison pour laquelle Christian Bérard cherchera toute sa vie désespérément à plaire, à faire plaisir, et sera extrêmement sensible aux compliments...

        Sarcasmes et critiques acerbes endurés dans le cercle familial n'ayant heureusement pas eu raison de ses ambitions artistiques, après des études au lycée Jeanson de Sailly, le jeune homme entre en 1920 à l'Académie Ranson où il a pour maitres les peintres nabis Edouard Vuillard (1868-1840) et Maurice Denis (1870-1943) qu'il admire. Mais c'est un voyage effectué deux ans plus tard en Italie où il découvre la sobre clarté des fresques de Giotto (1267-1337), de Piero della Francesca (1415-1492), et la sérénité énigmatique des personnages qu'elles représentent, qui se révélera alors pour lui déterminant et, se situant résolument à l'opposé des "modernes", il se lie avec un groupe de peintres de même sensibilité en réaction contre Picasso et le cubisme: Léonide et Eugène Berman (1898-1976) (1899-1972), Pavel Tchelitchev (1898-1957), Francis Rose (1909-1979) et Christian Bérard privilégient la forme humaine et se baptisant les "néo-humanistes" couvrent leurs toiles de portraits pensifs, de scènes singulières, et de visions oniriques avec un certain accent surréaliste.

     

    Christian Bérard (1902-1948) - Bébé Cadum

    Portrait de Madame L.     Christian Bérard

     

        Le public découvre les premières oeuvres du jeune peintre lors d'une exposition organisée en 1925 à la galerie Pierre, en majorité des portraits peints avec subtilité et avec une grande habileté dans un style néo-romantique et poétique laissant transparaitre une humanité profondément ressentie, et son compagnon de toujours, Boris Kochno (1904-1990) remarquera à ce sujet que "lorsqu'il peignait son exubérance enfantine naturelle disparaissait pour faire place à une telle intensité de concentration qu'on eut dit qu'il recevait des directives d'un ailleurs".


        Cependant cet artiste au talent prodigieux se tournera avec un tel succès vers tant d'autres directions qu'elles ecclipseront sa réputation de peintre, lui-même estimant d'aileurs que ce domaine était celui dont il était le moins satisfait:
        "Au lieu de montrer ses tableaux" dira encore Boris Kochno, "il les cachait comme on cache sa nudité".

        Car, dès les débuts de sa carrière Christian Bérard est attiré par les décors de théâtre et le dessin de costumes. Rendu très populaire dans les cercles à la mode par sa spontanéité, sa gentillesse et son charisme, il y fera des rencontres déterminantes dont la première fut celle de Jean Cocteau (1889-1963) qui lui commandera en 1930 sa première création pour La Voix Humaine à la Comédie Française. Ce sera le début d'une étroite collaboration ainsi que d'une profonde amitié, et pour le décorateur l'entrée dans un monde où en compagnie de Jean Giraudoux (1882-1944), Jean Genet (1910-1986), Louis Jouvet (1887-1951) ou encore la compagnie de Madeleine Renaud (1900-1994) et Jean-Louis Barrault (1910-1994) il imposera un nom qui deviendra très vite célèbre. 
        Avec sa conception personnelle du décor qu'il envisage avant tout comme une machine utile destinée au bon déroulement de l'action, Bérard a joué un rôle important dans ces spectacles qui ont marqué l'histoire du théâtre et représenta à l'époque tout un courant de pensée en scénographie. Chacune de ses oeuvres exprimera sa volonté de réduire ce décor au minimum, jamais rien de gratuit ou d'inutile, rien de strictement esthétique n'apparaitra dans les réalisations de ce créateur qui se laissait inspirer jusqu'aux couleurs de son travail par le texte des pièces qu'il abordait ou la partition musicale s'il s'agissait d'un opéra ou d'un ballet.
        "Ce qui caractérise son talent c'est sa puissance, ce sens du spectacle et du geste de théâtre. Il était à la taille de n'importe quel auteur dramatique" dira de lui Louis Jouvet.


    Christian Bérard (1902-1948) - Bébé Cadum

    Décor de Christian Bérard pour l'Ecole des Femmes (1936)

    (Le muret en coin au centre s'ouvre pour révèler un jardin, ce qui règle le problème des deux lieux de la pièce. Quand aux lustres ils enlèvent tout réalisme et rappellent au spectateur qu'il est au théâtre)

     

         L'estimant déjà trop connu, René Blüm (1878-1943) qui, dans la tradition de Diaghilev (1872-1929) continuait à écumer les mansardes de Montmartre à la recherche de nouveaux talents, montra tout d'abord quelque réticence à travailler avec Christian Bérard, mais après avoir vu ses oeuvres l'invitera à participer en 1931 à la création de Cotillon de George Balanchine (1904-1983) pour les Ballets Russes de Monte-Carlo.

     

    Christian Bérard (1902-1948) - Bébé Cadum

     Tamara Toumanova dans Cotillon  Musique d'Emmanuel Chabrier, Chorégraphie de George Balanchine.
    Décor et costumes de Christian Bérard. 

     

        Le décorateur travaillera ensuite pour les Ballets du Colonel Basil, à Londres,  et réalise en 1936 pour La Symphonie Fantastique de Massine (1896-1979) un chef d'oeuvre de frises légères, dessinant également à la demande programmes et affiches.

     

        Puis viendra Roland Petit (1924-2011) avec qui il va créer en 1944 Les Forains, le ballet qui lança la carrière du chorégraphe et dont se souvient le compositeur Henri Sauguet (1901-1989):
        "Bérard choisit une gamme de couleurs qui faisait songer aux tableaux de jeunesse de Picasso peintre des acrobates et des clowns tristes. Bérard s'en inspira-t-il? Toujours est-il qu'il arrangea pour ce ballet des costumes aux couleurs tendres qui allaient bien avec la musique que j'étais en train de composer".

     

    Christian Bérard (1902-1948) - Bébé Cadum

    Projet de décor de Christian Bérard pour Les Forains (1944) 


        Et il va concevoir encore pour les Ballets des Champs Elysées, auxquels il prendra une part active aux côtés de Roland Petit, les décors et les costumes de plusieurs productions dont La Jeune Fille Endormie, ou encore une reprise de La Sylphide (1946).

     

    Christian Bérard (1902-1948) - Bébé Cadum

    La Sylphide - Projet de Christain Bérard pour le costume de James 

     

        Ces travaux à la scène n'empêchèrent pas Christian Bérard d'accomplir parallèlement une carrière tout aussi brillante dans le milieu de l'illustration où il transposa cette même ligne sensible, fluide et élégante dans des domaines aussi divers que la mode, l'affiche ou la littérature (entre autres de superbes gouaches pour Gigi de Colette).

       Cette activité l'amènera à cotoyer les plus grands noms de la haute couture, Coco Chanel (1883-1971), Elsa Schiaparelli (1890-1973), Nina Ricci (1883-1970) ou encore Christian Dior (1905-1957) dont il devient les collaborateurs et signe les croquis des collections, ajoutant encore si besoin était à sa notoriété.

      

    Christian Bérard (1902-1948) - Bébé Cadum

    Illustration de Christian Bérard pour le style "New Look" (Christian Dior)

     

        Sa créativité s'étendit jusqu'à la décoration intérieure, ses panneaux décoratifs, fausses fresques, faux marbres, paravents peints ornèrent à l'époque les plus chics intérieurs parisiens, et l'on peut encore admirer aujourd'hui un exemple de ce travail sur les murs du restaurant parisien "La Méditerranée":

     

    Christian Bérard (1902-1948) - Bébé Cadum

    "La Méditerranée"  Place de l'Odéon - Paris 6ème


        Mais ne limitant pas là son talent il dessina également des tissus, des tapis, une collection de foulards, et magazines de mode et de décoration solliciteront également sa contribution: Vogue, Harper's Bazaar, Art & Style, Formes et Couleurs ou encore Style de France.


    Christian Bérard (1902-1948) - Bébé Cadum

    Création de Christian Bérard pour Ascher Silk - Londres


        Rien n'arrêtait l'imagination de ce créateur infatigable qui destinait constamment sur les nappes, les serviettes ou les menus des restaurants, des caricatures, des décors et des costumes que les garçons surveillaient attentivement du coin de l'oeil et subtilisaient rapidement afin de les vendre à des collectionneurs... 

        Car cet être inclassable qui était de toutes les fêtes eut une vie mondaine très animée, sortant dans le beau monde en bleu de travail rapiécé couvert de taches de peinture, la barbe maculée de cendre de cigarette ou piquée de fleurs selon son humeur et, avec la nonchalence d'un dandy, aimait surprendre et faire le clown. Une phrase de l'historien d'art Jean Clair (1940-) résumera d'ailleurs assez justement la destinée de ce personnage fantasque hors du commun:
        "La gloire parisienne aura trop durablement ecclipsé le génie secret et grave de Bérard".


    Christian Bérard (1902-1948) - Bébé Cadum

    Christian Bérard (1902-1948)


        L'artiste disparait prématurément à l'âge de 47 ans le 11 Février 1949 alors qu'il travaillait tard dans la nuit au théâtre Marigny en compagnie de Louis Jouvet, Jean-Louis Barrault et Madeleine Renaud à la réalisation des costumes et des décors pour Les Fourberies de Scapin. Après avoir donné quelques dernières instruction il se leva de sa chaise prêt à partir en disant: "Très bien... C'est ça..." et il s'écroula victime d'une embolie cérébrale.

        "Christian Bérard était mon bras droit. Vous pouvez imaginer le vide laissé par un artiste qui devinait tout... Bérard est mort, mais il n'y a pas de raison d'arrêter de suivre ses instructions. Je sais ce qu'il dirait sur tout en toutes circonstances. Je l'écoute et je suis ses ordres" dira Jean Cocteau qui lui dédiera son film Orphée l'année suivante.
        Quand à Francis Poulenc il composera, lui, un Stabat Mater en mémoire de cet homme de mode et de scène qui créa les décors et les costumes de plus de 50 pièces, opéras ou ballets, et qui, n'obéissant qu'à son naturel extravagant était tellement irrésisitible que tous ceux qui l'approchaient tombaient sous son charme.

     

     Témoin de son époque, Christian Bérard laisse une oeuvre multiple et singulière parmi laquelle les décors et les costumes du magnifique film de Jean Cocteau, La Belle et la Bête (1946), représentent son chef d'oeuvre le plus connu.

     


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    Marie Laurencin (1883-1956) - Une fragrance raffinée

    Portrait de Jeune Fille - Marie Laurencin

     

       

        Fille d'un contrôleur des contributions directes d'origine picarde souvent absent de sa vie et d'une mère normande modeste couturière, Marie Mélanie Laurencin naquit le 31 Octobre 1883 dans le Paris de la fin du XIXème siècle.
        Coco, comme on l'appelle chez elle, suivra des études secondaires au lycée Lamartine, mais cultive particulièrement l'art du dessin:
        "Dans ma jeunesse on apprenait à peindre comme on apprenait à chanter. Moi je dessinais tout le temps. Un jour ma mère m'a demandé de décorer une tasse à thé. J'ai peint pour la première fois avec des couleurs vitrifiables. J'ai réussi et j'allais dans une école de dessin, une école de la ville de Paris" écrit-elle dans son Journal.

        Brillante, décidée, dans un monde d'hommes (phénomène peut-être encore plus accentué dans le domaine des Arts et Lettres) cette jeune femme intègre en 1904 l'académie Humbert. Elle va y cotoyer Georges Braque (1882-1963), qui disait d'elle:
        "Je l'ai connue avec la natte dans le dos", et elle aura également comme condisciple le futur affichiste et illustrateur Georges Lepape (1887-1971) qui sera immédiatement frappé par son talent:
        "Un jour je remarque une jeune fille qui vient pour la première fois. Sa mise est stricte, simple, sans souci d'élégance, son teint est sans poudre ni rouge aux joues, ses cheveux bruns un peu crépus, nattés dans un chignon sur la nuque. Pour travailler elle porte un pince nez retenu par un fil qui passe sur l'oreille (Marie Laurencin était très myope et certains y voient la raison du flou de son style). Elle achève chaque dessin sans effort apparent. Un dessin sûr, puissant et sensible en même temps... C'est prodigieux! Je n'ai jamais constaté une telle maîtrise!... Braque est ébloui lui aussi par ce phénomène".


    Marie Laurencin (1883-1956) - Une fragrance raffinée

    Quatre danseuses sur la terrasse  -  Marie Laurencin


        Braque introduira ce "phénomène" auprès des artistes du Bâteau-Lavoir, une vieille bâtisse du quartier de Montmartre qu'il habite avec Picasso (1881-1973) et où se regroupent des peintres: Rousseau (1844-1910), Van Dongen (1877-1968), des poètes: Max Jacob (1876-1944), Guillaume Apollinaire (1880-1918), et des comédiens: Charles Dullin (1885-1949), Harry Baur (1880-1943).


    Marie Laurencin (1883-1956) - Une fragrance raffinée

    Le Bâteau Lavoir   Place Emile Goudeau


        Celle que l'on surnommera plus tard "la Dame du cubisme" apportera alors à ce milieu d'hommes une impressionante touche de féminité et va participer à cette époque survoltée de création, observant son entourage:

        "Le peu que j'ai appris m'a été enseigné par ceux que j'appelle les grands peintres, Matisse (1869-1954), Derain (1880-1954), Picasso, Braque". 

         Jean Cocteau (1889-1963) écrira plus tard:
        "Avec Berthe Morisot (1841-1895), Marie Laurencin est une preuve de cette marge exquise où se meuvent les femmes autour du travail des hommes. Tandis que Matisse, Picasso, Braque, Apollinaire, Max Jacob créaient un monde, Marie les accompagnait et mettait en liberté une foule de jeunes filles qui relèvent des Demoiselles d'Avignon de Picasso et des Petites Filles Modèles de Madame de Ségur-Rostopchine. Ces jeunes filles aux visages triangulaires de plâtre et de clair de lune, tenant des éventails pareils aux jalousies, regardant s'ébattre et se cabrer des chiens qui pouraient être biches ou licornes ou n'importe quel animal de fable".


    Marie Laurencin (1883-1956) - Une fragrance raffinée

    Femmes au chien - Marie Laurencin


        Cotoyant Picasso et ses premières oeuvres Marie Laurencin en subit naturellement l'influence, mais son propre style émergera, fait de douceur et de féminité, évoluant vers un régistre de charme basé sur une palette de couleurs tendres et raffinées où l'accent est mis davantage sur la nuance que sur l'expression:
        "Je n'aimais pas toutes les couleurs. Alors pourquoi me servir de celles que je n'aimais pas? résolument je les mis de côté" expliquera-t-elle.

     

    Marie Laurencin (1883-1956) - Une fragrance raffinée

    Les Danseuses - Marie Laurencin

     

        Marie Laurencin expose pour la première fois en 1907 au Salon des Indépendants et fait la connaissance la même année de Wilhem de Kostrowitsky, alias Guillaume Apollinaire, une rencontre d'où va naitre une liaison aussi passionnée que tumultueuse:
        "Mon destin, ô Marie, est de vivre à vos pieds en redisant sans cesse ô combien je vous aime" lui écrira-t-il dans l'une de ses innombrables lettres.
        Devenue son égérie et sa muse elle posera à ses côtés pour une toile du Douanier Rousseau: La Muse et son Poète qui fut particulièrement critiquée pour n'être pas ressemblante et au sujet de laquelle Apollinaire fit cette remarque pleine de bon sens:
        "Si je ne suis pas ressemblant comment m'avez vous reconnu?" 


    Marie Laurencin (1883-1956) - Une fragrance raffinée

    La Muse et son Poète -  Le Douanier Rousseau


        En 1912 la compagne du "mal aimé" participe au Salon de la Section d'Or avec un ensemble de portraits, mais ce sera en Juin la rupture avec celui qui l'a immortalisée sous le nom de Tristoune Ballerinette dans Le Poète Assassiné et qui, très affecté par cette séparation, épanchera son chagrin dans l'écriture de L'Adieu:

                         "Nous ne nous verrons plus sur terre
                             Odeur du temps de Bruyère 
                          Et souviens toi que je t'attends" 

        Marie, elle, ne passera pas sa vie à attendre et épouse le 22 Juin 1914 le baron Otto von Wätjen rencontré à Montparnasse l'année précédente, mais la fatalité vient perturber la lune de miel du jeune couple:
        "Au tocsin d'Août 1914 les deux jeunes époux se trouvaient sur une plage entre Arcachon et Biarritz. Avec son Allemand, Marie a fui sous les huées et sous les pierres... Mais notre camarade Otto ne tenta rien pour regagner son pays et prendre dans l'armée sa place d'officier, Otto aimait Marie et la France" racontera le romancier et critique d'Art André Salmon (1881-1969).
        Réfugiée avec son époux à Madrid puis à Barcelone l'artiste compose alors des poèmes pour la revue dadaïste de Francis Picabia (1879-1953) et retrouve grâce à ce dernier le couple de peintres Sonia et Robert Delaunay (1885-1979)(1885-1941) avec lesquels elle s'associe. Elle reçoit également dans son exil le soutien épistolaire de sa tendre amie Nicole Groult (1887-1967), épouse du décorateur André Groult (1884-1966) et soeur du couturier Paul Poiret (1879-1944), mais la mort d'Apollinaire, victime en 1918 de l'épidémie de grippe espagnole, la plongera dans un chagrin aussi profond qu'avait été leur amour.

         Ses biens ayant été placés sous séquestre et son appartement parisien  finalement vendu, Marie Laurencin vécut quelques temps après-guerre à Düsseldorf auprès de la famille de son époux, puis le couple va regagner Paris en 1920 et se sépare l'année suivante. 

        "J'ai épousé un allemand, ce qui m'a valu 6 ans d'exil. Je suis divorcée parcequ'il était alcoolique. Maintenant je ne me remarierai plus. J'étais baronne... Tout ça, titre, argent, c'est parti et ça ne me fait rien" confiera-t-elle au marchand d'Art René Gimpel (1881-1945).


    Marie Laurencin (1883-1956) - Une fragrance raffinée


         Au coeur des "Années Folles" Marie Laurencin s'affirme alors rapidement comme l'une des femmes peintres les plus célèbres de son temps et Paul Rosenberg sera désormais son marchand.

         Devenue l'artiste officielle du milieu mondain elle occupe bientôt une place privilégiée dans le Paris des années 1920 où ses portraits s'arrachent désormais à prix d'or.

     

    Marie Laurencin (1883-1956) - Une fragrance raffinée

     Coco Chanel - Marie Laurencin


        Diaghilev (1872-1929) la sollicitera pour son ballet Les Biches (1924) dont le triomphe lui vaudra par la suite de nombreuses commandes: Les Roses, l'Eventail de Jeanne pour Henri Sauguet (1901-1989), Le Déjeuner sur l'Herbe (1945), Dominique Dominique (1951) pour Roland Petit (1924-2011) et les Ballets des Champs-Elysées, ou encore Un jour d'été pour l'Opéra Comique, et La Belle au Bois Dormant (1946) pour les Ballets de Monte-Carlo. 

        Elle créera également des décors pour le théâtre et la Comédie Française en particulier, un monde où elle devait se plaire tout particulièrement car révéla René Gimpel:
        "Marie adore l'artificiel. Elle aime même les fleurs artificielles. Elle ne peut souffrir les plantes parfumées. C'est pourquoi je lui ai envoyé une demi-douzaine de plantes vertes. Elle y verra une forêt, des décors et mille autres choses que nous ne pouvons imaginer. D'ailleurs quand elle peint des fleurs, elle ne peint qu'une fleur et en la répétant vingt fois fait un bouquet".


    Marie Laurencin (1883-1956) - Une fragrance raffinée

    Portrait de Jeune Femme - Marie Laurencin 


        Fêtée de tous côtés Marie Laurencin noua des liens profonds et féconds avec de nombreux écrivains dont elle illustra les oeuvres: André Gide (1869-1951), Max Jacob, Saint-John Perse (1887-1975), Marcel Jouhandeau (1888-1979), Lewis Carroll (1832-1898) et bien d'autres.

        Auteur elle-même, elle écrivit en fait tout au long de sa vie, des courts billets, des lettres, des journaux intimes ainsi que des poèmes, et dans Le Carnet des Nuits qui sera publié en 1942 elle raconte sa jeunesse et les années au Bâteau-Lavoir avec la même délicatesse que celle qui émane de ses peintures:

                                 "Hier c'est ce chapeau fané,
                                  Que j'ai longtemps trainé.
                                  Hier c'est une pauvre robe
                                  Qui n'est plus à la mode.
                                  Hier c'était le beau couvent
                                  Si vide maintenant.
                                  Et la rose mélancolie
                                  Des cours de jeune fille.
                                  Hier c'est mon coeur mal donné
                                  Une autre, une autre année!
                                  Hier n'est plus ce soir qu'une ombre
                                  Près de moi dans ma chambre".



        En 1937 Marie Laurencin, dont la renommée s'étend maintenant hors des frontières après plusieurs expositions à l'étranger, est faite Chevalier de la Légion d'Honneur, et l'Etat Français lui commande Les Fêtes de la Danse pour le Cabinet des Estampes du Louvre, et acquiert également La Répétition pour le Musée d'Art Moderne.

     

    Marie Laurencin (1883-1956) - Une fragrance raffinée

    Les Fêtes de la Danse (lithographie) - Marie Laurencin

     

    Marie Laurencin (1883-1956) - Une fragrance raffinée

    La Répétition - Marie Laurencin


           Cependant la désinvolte élégance de ses femmes légèrement mélancoliques enveloppées de voiles, de plumes et de fleurs, ne résista pas à l'usure du temps et les années de la Seconde Guerre Mondiale annoncent son crépuscule. Le grand appartement qu'elle occupe avec sa fille adoptive Suzanne Moreau-Laurencin (la fille de sa gouvernante) est réquisitionné par les autorités en 1944 et elle devra alors s'installer dans un petit pavillon mis à sa disposition par le comte et la comtesse de Beaumont.

     

    Marie Laurencin (1883-1956) - Une fragrance raffinée

    Marie Laurencin et Suzanne Moreau-Laurencin 

     

         Après un interminable procés finalement gagné l'artiste retrouve enfin en 1955 sa demeure parisienne, mais ne pourra malheureusement en profiter longtemps car elle décède d'une crise cardiaque l'année suivante, le 8 Juin 1956, laissant derrière elle plus de 1800 peintures.

        Selon ses dernières volontés, après une cérémonie religieuse à l'église Saint-Pierre du Gros Caillou (7ème arrondissement), Marie Laurencin a été inhumée au cimetière du Père Lachaise, vêtue de blanc (sa couleur préférée), une rose à la main et les lettres d'Apollinaire sur son coeur...
       Marcel Jouhandeau révèlera plus tard ceci:
        "Jean Denoël me conta qu'un jour Marie Laurencin lui avait montré une grande boite en carton sur laquelle étaient écrits ces mots: "Musique pour Marie". Elle l'ouvrit et à son étonnement Jean ne vit que des billets de banque... C'est, lui confia Marie, l'argent que je met de côté pour mon enterrement. Je veux que l'on me chante ce jour là un Dies Irae de première classe".



    Mozart -  Requiem (Dies Irae)
    Interprété par les Choeurs et l'Orchestre de Paris et l'Orchestre Prométhée


        A travers une oeuvre riche qui s'établit sur près de 50 ans de peinture, Marie Laurencin a redéfini la femme romantique loin de tout attachement au monde réel, à la politique ou aux engagements auxquels les nombreux autres artistes de sa génération adhérèrent, et sans doute parcequ'elle fut une femme libre et amoureuse elle imprima à ses compositions épurées une suavité qui s'exprime comme une fragrance raffinée inoubliable.
       Et comme malheureusement nul n'est prophète en son pays, c'est au Japon, à 200kms au nord-ouest de Tokyo qu'a été inauguré à Tateshina en 1983 le Musée Marie Laurencin, à l'occasion du centenaire de la naissance de l'artiste. Les lieux, qui présentent une superbe collection couvrant l'ensemble de la carrière de cette femme de talent, exposent aujourd'hui plus de 600 oeuvres dont on ne peut que regretter qu'elles ne soient pas restées en France.

     

    Estampes de Marie Laurencin
    Marie, poème de Guillaume Apollinaire, est interprété par Léo Férré

     

     


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    Natalia Goncharova (1881-1962) - Amazone de l'avant garde

    La Cueillette des Pommes    Natalia Goncharova

     

         Largement oubliée à l'Ouest, c'est la vente à Londres de l'un de ses tableaux, La Cueillette des Pommes (1909) dont le prix établit en 2007 chez Christie's un record jamais atteint par une femme peintre, qui fit redécouvrir l'oeuvre de cette petite nièce de Pouchkine (1799-1837) que son talent, ainsi que ses idées avant-gardistes et sa vie peu conventionelle pour l'époque, placèrent de son vivant sur le devant de la scène et élevèrent au rang de véritable célébrité.

     

    Natalia Goncharova (1881-1962) - Amazone de l'avant garde

      Natalia Goncharova (1900)

         Natalia Sergeeva Goncharova naquit dans le village de Ladyjino (province de Toula), le 4 Juin 1881. Entourée d'un père architecte et des oeuvres de l'un des plus grands poètes, la fillette grandit dans un milieu baigné par la culture où l'on encourageait la création, et à 17 ans rejoignit sans surprises l'école des Beaux Arts de Moscou afin d'y étudier la sculpture.

       Elle n'y effectuera cependant que les trois premières années du cursus de 10 ans car, bien qu'elle ait obtenu une médaille d'argent, son condisciple, Mikhaïl Larionov (1881-1964), lui conseille d'abandonner cette forme d'art pour la peinture:
       "Tu as l'oeil pour la couleur, et tu ne t'intéresses qu'aux formes" lui fera-t-il remarquer très certainement avec raison, car Natalia sera séduite par ce nouveau moyen d'expression qui lui convient bien davantage, et elle écrira plus tard:
        "Je réalisais tout à coup que la peinture pouvait faire ce que la sculpture ne pouvait pas... ... La sculpture ne peut pas transmettre les émotions produites par un paysage. J'y ai renoncé parce que j'étais fascinée par les jeux de la lumière et les harmonies de couleur".

        Auprès de Liaronov qui sera le compagnon de sa vie, la jeune femme découvre les techiques du pastel, puis de l'aquarelle et de la peinture à l'huile et va se chercher un style: Attirée brièvement par l'Impressionnisme et le Symbolisme, sa participation à une exposition organisée par l'éditeur du journal La Toison d'Or l'introduisit par la suite à la manière de Gauguin (1848-1903), Cézanne (1839-1906) ou Matisse (1869-1954) qui influencèrent alors particulièrement son art:
        "Au début de mon développement, j'ai surtout appris de mes contemporains français" écrivit-elle.
        Quand elle peint en 1911 La Danse des Paysans, il est évident qu'elle a déjà vu La Danse de Matisse arrivée à Moscou en 1910 et installée dans la maison de Sergeï Shchukin:
        Même division du ciel bleu et de la terre verte, mêmes a-plats de couleurs vives, mais tandis que Matisse choisit des corps nus, Goncharova arrange ses personnages en frise de broderie populaire bordés de couleurs sombres, imitant les sculptures sur bois, les "lubki".


    Natalia Goncharova (1881-1962) - Amazone de l'avant garde

    La Danse    Henri Matisse


    Natalia Goncharova (1881-1962) - Amazone de l'avant garde

    La Danse des Paysans   Natalia Goncharova



        Car aux influences occidentales l'artiste mélangera celles de sa Russie natale, produisant un style unique, où l'on retrouve l'art paysan, les broderies, les sculptures sur bois, les céramiques et bien entendu les icônes.
        Entre tradition russe et modernisme européen Natalia Goncharova réalisera en effet au cours de sa carrière un nombre impressionnant de toiles, exécutées dans des genres très différents où, à côté d'oeuvres résolument modernes elle va créer des travaux néo-primitifs qui se rapprochent plus de l'art religieux ou de l'art populaire.

     

    Natalia Goncharova (1881-1962) - Amazone de l'avant garde

    Le Sauveur Tout Puissant    Natalia Goncharova

     

        A mesure que s'accroit sa notoriété, son mépris des conventions et sa personnalité flamboyante qui ne déteste pas un brin de provocation, vont faire de cette militante de l'avant-garde un personnage très controversé qui défraie la chronique:
        Escortée de son compagnon, ces Bonnie & Clyde de l'Art aiment à s'exhiber aux terrasses de cafés ou dans les beaux quartiers, le corps recouvert de dessins et de gros mots tracés à la peinture, mais plus que leurs tenues excentriques ce qui choquera encore davantage l'opinion (nous sommes en 1900...) ce sera leur cohabitation notoire: ils ne se marieront finalement qu'au bout de 55 ans et pour des questions de succession.
        "Si mes idées ne s'accordent pas avec celles de la société c'est simplement que les gens ne comprennent pas les bases de l'art, et non à cause de ma personnalité que nul n'est obligé de comprendre" dira-t-elle.

        Posant un défi direct au public, le duo fonde en 1910 la société Le Valet de Carreau (le "carreau" du jeu de cartes était une référence aux uniformes des prisonniers, et le valet était reconnu depuis l'époque de la Renaissance italienne comme le symbole de l'Art), et ils organisent avec leurs disciples leurs propres manifestations: ce sera au cours de l'une de ces expositions que la Police saisit une série de nus exécutés par Goncharova qui lui valurent un procès pour pornographie (qu'elle gagna), une publicité qui n'était pas pour lui déplaire...
        Avec une énergie extraordinaire l'artiste entame alors dans des styles très différents une période extrêmement féconde: elle explore le Futurisme: 

     

    Natalia Goncharova (1881-1962) - Amazone de l'avant garde

    Le Cycliste   Natalia Goncharova

     

        ou s'essaye au nouveau style de Larionov, le Rayonnisme, premier pas vers le développement de l'art abstrait en Russie:

     

    Natalia Goncharova (1881-1962) - Amazone de l'avant garde

    La Forêt Jaune et Verte   Natalia Goncharova

     

        En Août 1913 elle attire l'attention internationale en présentant plus de 700 toiles au cours d'une seule exposition, et la même année Moscou lui consacre une retrospective, suivi par Saint-Petersbourg en 1914.
        Associée à cette époque à l'avant garde littéraire et au mouvement Mir Isskoustva, dont fait partie Serge Diaghilev (1872-1929), elle a déjà été invitée par celui-ci à participer en 1906 à une exposition d'art russe organisée au Salon d'Automne à Paris, et en 1914, elle est cette fois engagée pour réaliser décors, costumes, affiches et programmes des Ballets Russes.


    Natalia Goncharova (1881-1962) - Amazone de l'avant garde

    Rideau de scène du Coq d'Or

     


        Ses créations pour Le Coq d'Or présenté à Paris éblouirent littéralement le public de la capitale, suscitant un tel engouement que plusieurs expositions des dessins et aquarelles des divers projets furent organisées, et ses costumes colorés de style traditionnel basés pour les femmes sur le "sarafan", une robe tablier portée par les paysannes russes sur une blouse, subjuguèrent les élégantes et inspirèrent la haute couture.

     

    Natalia Goncharova (1881-1962) - Amazone de l'avant garde

    Costume de paysanne pour Le coq d'Or

        (Renversant les barrières entre l'art et le "design", Goncharova se fera également connaitre au cours de sa carrière dans le domaine de la mode, et dessinera des vêtements, des tissus, et même des papiers peints).

       

        Elle travaille ensuite en 1915 sur un second ballet Liturgie (qui ne sera jamais représenté) pour lequel elle est allée rejoindre les danseurs à Lausanne en compagnie de Larionov, puis ils accompagneront la troupe qui, pendant la Première Guerre Mondiale, se réfugie en Espagne où Natalia, extrêmement impressionnée par le pays, fera des espagnoles et leurs mantilles son sujet favori.

     

    Natalia Goncharova (1881-1962) - Amazone de l'avant garde

     Femme Espagnole    Natalia Goncharova

     

        A la fin du conflit le couple choisit alors de se fixer définitivement à Paris où la célébrité que Goncharova s'était acquise dans le domaine du décors de théâtre lui valut d'être sollicitée de toutes parts tout en jouant également un rôle significatif au sein de l'Ecole de Paris: elle expose dans plusieurs galeries, participe aux divers Salons et donnera des leçons de peinture.
        Sa collaboration avec les Ballets Russes n'a cependant pas cessé, et elle participera à la création des Noces (1923), Une Nuit sur le Mont Chauve (1924) où elle privilégie cette fois l'abstraction d'avant garde (donné seulement trois fois le ballet tomba dans l'oubli), ou encore la reprise de L'Oiseau de Feu (1926).

     

    Natalia Goncharova (1881-1962) - Amazone de l'avant garde

    Costume pour Une Nuit sur le Mont Chauve


    Natalia Goncharova (1881-1962) - Amazone de l'avant garde

    Rideau de scène de L'Oiseau de Feu (Musée Victoria & Albert - Londres)

     

        Cependant lorsque Serge Diaghilev disparut, entrainant en 1929 la dissolution de sa compagnie, Natalia Goncharova et son compagnon virent alors diminuer considérablement leur source de revenus et les quelques commandes qu'ils reçurent alors (la reprise du Cor d'Or ou Cendrillon du Colonel de Basil), suffisant alors difficilement à les faire vivre Natalia se tourna vers l'illustration et les arts décoratifs ce qui leur permit tout au plus de ne pas se retrouver dans la misère.
        Une situation précaire qui se trouva une nouvelle fois menacée lorsqu'ils réalisèrent en 1938 l'imminence de la guerre qui allait les obliger à quitter la France et, ne souhaitant pas retourner en Russie où ils ne jouiraient pas des libertés auxquelles ils étaient habitués, ils demandèrent alors la nationalité française qui leur fut accordée le 8 Septembre 1939 (la France était officiellement entrée en guerre le 3).
       Natalia Goncharova et Mikhaïl Larionov restèrent donc à Paris et pendant la durée du conflit la décoratrice travailla pour dix ballets que Boris Kniaseff (1900-1975) monta en Amérique du Sud, et dessina également pour l'opéra et le ballet à Paris et à Londres.

        Si la vie pendant la guerre n'avait pas été trop difficile, elle le devint par la suite car les commandes se firent plus rares, mais le couple d'artiste arriva malgré tout à survivre en vendant les oeuvres de leur collection personnelle. Cependant le sort s'acharna sur eux lorsqu'en 1950 Larionov fut victime d'un accident vasculaire cérébral qui mit irrémédiablement fin à sa carrière, et diminua drastiquement leurs ressources:
         Avec pour seul repas un bol de soupe que lui offrait tous les soirs un restaurateur qui l'avait prise en pitié, Goncharova faisait chaque jour à pieds le trajet vers la maison de repos où se remettait son compagnon, et c'est à cette époque que, afin de s'assurer que le dernier vivant hériterait des peintures de l'autre, les deux artistes décidèrent en 1955 de se marier.

     

    Natalia Goncharova (1881-1962) - Amazone de l'avant garde

     

        "Il n'y a  aucune limite à l'esprit et à la volonté humaine" disait Natalia Goncharova et lorsque, en 1957, l'Union Soviétique mit sur orbite le premier satellite artificiel, Spoutnik, l'artiste fut remplie d'un immense orgueil par la réussite de ses compatriotes et, en dépit de ses rhumatismes qui lui interdisaient maintenant de lever le bras vers le chevalet, elle réalisa, assise sur son lit avec la toile posée à plat sur un tabouret devant elle, une série de 20 tableaux sur le thème de l'Espace.

     

    Natalia Goncharova (1881-1962) - Amazone de l'avant garde

    Espace   Natalia Goncharova

     

        Un regain d'activité qui ensoleilla les dernières années de cette femme de talent au caractère bien trempé qui s'éteignit des suites d'un cancer le 17 Octobre 1962 à Ivry, et fut suivie dans la tombe deux ans plus tard par celui qui avait partagé son destin exceptionnel.  
        Ce couple célébrissime qui fut au coeur de la révolution artistique qui précéda le bouleversement politique de la Russie, repose aujourd'hui au cimetière d'Ivry avec la même épitaphe laconique sous chacun de leur nom:  "artiste-peintre". 

     

     Musique Francis Poulenc (1899-1963), Sonate pour flûte et piano.

      


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    Alfons Mucha (1860-1939) - Le Maitre de l'Art Nouveau

    La Danse   Alfons Mucha

     

     

        Alfons Maria Mucha naquit à Ivancice, Moravie (République tchèque alors annexée à l'empire austro-hongrois), le 14 juillet 1860. Issu d'une famille de la petite bourgeoisie (son père est huissier au tribunal), le petit garçon est attiré par le dessin dès sa plus jeune enfance et peut-être est-ce parce qu'il avait décoré de ses oeuvres les murs de la salle à manger avec un morceau de charbon de bois tombé du poèle que sa mère afin de prévenir une nouvelle tentative lui attachait, dit la légende, un crayon autour du cou... Toujours est-il que revenu à des supports plus traditionnels Alfons a déjà exécuté à 8 ans un superbe album qu'il montre chaque dimanche à sa grand-mère en lui expliquant longuement les croquis de la semaine.
        Cependant, comblé sans doute par quelque bonne fée marraine, ce jeune garçon posséde également un don tout aussi exceptionnel pour la musique, le chant en particulier, qui lui vaut de faire partie dès 1870 du choeur de la cathédrale St.Pierre à Bron, capitale de la Moravie où il poursuit ses études secondaires et entretient au collège un fructueux commerce, retouchant et terminant en cachette les dessins de ses condisciples en échange de "butchy" (gâteaux) ou d'un peu d'argent...

    Alfons Mucha (1860-1939) - Le Maitre de l'Art Nouveau

    La Musique   Alfons Mucha
       

        Contraint lorsque sa voix mue à retourner dans sa ville natale, son père lui trouve alors un emploi de greffier au tribunal, cependant Alfons n'a pas abandonné le dessin pour autant et après avoir fait la connaissance du peintre Zeleny qui l'encourage vivement, il pose sa candidature en 1878 pour entrer à l'Académie des Beaux Arts de Prague, joignant un ensemble de ses travaux: Mais sa demande sera irrémédiablement rejetée et le dossier reviendra avec cette recommandation:
        "Vous n'avez pas de talent et vous perdez votre temps à vouloir dessiner. Choisissez une autre profession où vous serez plus utile..."

    Alfons Mucha (1860-1939) - Le Maitre de l'Art Nouveau

    La Peinture   Alfons Mucha


        Cette réponse décevante n'arrêtera pourtant pas le jeune homme qui, contre l'avis de sa famille, s'en va malgré tout à Prague où dans un premier temps ses compétences de peintre ne lui permettront malheureusement pas de manger à sa faim tous les jours, et lorsqu'il réussit finalement à trouver à Vienne une position stable, employé par la maison Kantsky-Brioschi-Burekhardt qui réalise entre autres les décors de l'Opéra Impérial, il sera congédié quelques mois plus tard lorsque le directeur est dans l'obligation de se séparer d'une partie de son personnel après l'incendie du Ring Theatre, l'un de leurs principaux clients...
        Quelque peu découragé Alfons Mucha quitte par la force des choses la capitale autrichienne et le hasard de son périple en Moravie où il est retourné en désespoir de cause, le conduit à Mikulov. Un libraire compatissant à qui il a conté ses malheurs affichera alors ses dessins dans la vitrine de sa boutique en mentionnant que "l'artiste réalise des portraits à la demande", et le résultat dépassant toutes les espérances, le peintre, désormais à l'abri du besoin, verra défiler pendant deux ans derrière son chevalet la haute société de la ville et des environs...

        C'est ainsi qu'il rencontre un riche aristocrate de la région, le comte Karl Eduard Khuen Belasi qui l'engage pour effectuer la décoration de son château d'Emmahof qu'il vient de faire bâtir. Absolument enthousiasmé par le résulat, le propriétaire l'envoie alors au Tyrol effectuer des travaux similiaires au château de Gandegg chez son frère, artiste amateur, et c'est dans ce Tyrol où il passera deux ans à travailler d'après nature que Mucha va puiser cette connaissance approfondie de la flore qui fera de lui un maitre hors-ligne de l'ornementation végétale.

     

    Alfons Mucha (1860-1939) - Le Maitre de l'Art Nouveau

    Planche extraite de l'ouvrage d'Alfons Mucha  Documents Décoratifs 


       

        Impressionnés par ce jeune talent, les frères Khuen décident alors de devenir son mécène et financent ses études à l'Académie des Beaux Arts de Munich d'où l'élève sortira après deux ans d'études avec le 1er Prix de Composition. Le lauréat qui se sent pousser des ailes part alors pour Paris, la patrie révée de tous les artistes, et y suit les cours de l'Académie Julian puis de l'Académie Colarossi, mais lorsque ses bienfaiteurs n'ont plus les moyens de subvenir à ses besoins il ne pourra une nouvelle fois que compter sur lui-même et c'est la lutte avec la misère qui recommence.
        Le peintre va gagner son maigre pain quotidien en faisant de l'illustration pour des journaux et des revues et malgré les travaux que lui a confiés en 1892 la maison Colin et qui l'ont fait plus largement connaitre Alfons Mucha est encore loin de vivre royalement de son crayon.


        C'est un remplacement chez l'imprimeur Lemercier qui, à la veille de Noël 1894, va bouleverser son destin du jour au lendemain et faire de cet illustrateur gagne-petit une véritable célébrité:
        Une commande urgente de Sarah Bernhardt vient d'arriver, les 4000 affiches de la nouvelle pièce qu'elle doit jouer au théâtre de la Renaissance doivent être posées début Janvier et tous les artistes de Lemercier sont en congés... Celui que le destin a placé au bon endroit au bon moment va relever le défi en deux semaines et lorsque l'affiche de Gismonda, la dernière oeuvre de Victorien Sardou, fleurit sur les murs de la capitale le 1er Janvier 1895, le nom d'Alfons Mucha est sur les lèvres du Tout Paris... (La grande tragédienne est tellement enthousiasmée que ce sera le début de six années de collaboration pendant lesquelles l'artiste réalisera pour elle non seulement toutes ses affiches mais aussi costumes et bijoux).

     

    Alfons Mucha (1860-1939) - Le Maitre de l'Art Nouveau

     

        Trop habitués que nous sommes aujourd'hui à ses représentations de jeunes femmes idéalisées nous ne pouvons pas concevoir la véritable révolution que provoqua le raffinement du travail de Mucha dans le monde de l'affiche qui s'était borné jusque là à des représentations de scènes colorées quelquefois à la limite de la vulgarité, et dès 1895 les plus grandes marques se disputeront ses services  pour mettre en valeur leur produit phare: Les biscuits LU, le papier à cigarettes JOB, le champagne Moët et Chandon etc...

     

    Alfons Mucha (1860-1939) - Le Maitre de l'Art Nouveau


       

        Avec ses créatures enveloppées délicatement par leurs longs cheveux vaporeux et vêtues de robes légères ornées d'éléments inspirés de la nature, Alfons Mucha vient d'élever l'affiche au rang d'oeuvre d'art. Détournées de leur fonction première celles-ci sont alors souvent vendues par des galeristes ou des collectionneurs qui n'hésitent pas à soudoyer les colleurs d'affiches pour obtenir les dernières nouveautés...
        Grâce aux récents procédés d'impression, l'affiche publicitaire tirée à un grand nombre d'exemplaires va alors toucher par son prix modique toutes les couches de la société de la Belle Epoque et sera accessible à tous:
        "J'étais heureux de m'être engagé dans un art destiné au peuple et non aux salons fermés. C'était bon marché, à la portée de tous, et trouvait sa place aussi bien chez les familles pauvres que dans les milieux aisés" expliquera lui-même Mucha.

       (Les édititons les plus chères seront effectivement tirées sur satin, vélin ou japon, mais il existait également des affiches en huit couleurs moins coûteuses ou réalisées sur carton).

     

    Alfons Mucha (1860-1939) - Le Maitre de l'Art Nouveau

     

        Devenu salarié de l'imprimeur Champenois, l'une des plus importantes maisons de l'époque, Mucha va décliner son art sur une multitude de supports: panneaux décoratifs, calendriers illustrés, cartes postales, vignettes, programmes de théâtres, menus etc... et créera des séries devenues célèbres: les Quatre Arts (la danse, la musique, la peinture et la poésie) et leur pendant les Quatre saisons, les Fleurs, les Fruits, les Pierres Précieuses etc...

     

    Alfons Mucha (1860-1939) - Le Maitre de l'Art Nouveau

    L'Hiver   Alfons Mucha

     

        Mais le rythme effréné que lui impose son employeur s'avère néfaste pour sa créativité car il se contente bientôt de varier attitudes, gestes ou silhouettes, mais ne parvient plus à se renouveler véritablement et cette surabondance, cette édition de masse finissent par lasser le public qui aux environs des années 1900 se désintéresse de cet art publicitaire.

        Par contre, au fur et à mesure que sa renommée va grandisant, Alfons Mucha est de plus en plus sollicité pour produire des créations de bijouterie,

     

    Alfons Mucha (1860-1939) - Le Maitre de l'Art Nouveau

     

        coutellerie et vaisselle...

     

    Alfons Mucha (1860-1939) - Le Maitre de l'Art Nouveau

     

        sculpture...

     

    Alfons Mucha (1860-1939) - Le Maitre de l'Art Nouveau

    La Nature

     

                ....tout cela aussi bien à petite qu'à grande échelle, et ce précurseur de l'Art Nouveau qui pendant un temps portera le nom de "Style Mucha" exécute en 1900 la décoration de la bijouterie Fouquet rue Royale, et obtient à l'Exposition Universelle la médaille d'argent pour sa réalisation du Pavilon de la Boznie Herzégovine (Le gouvernement français le fera la même année Chevalier de la Légion d'Honneur).

     

    Alfons Mucha (1860-1939) - Le Maitre de l'Art Nouveau

    Bijouterie Fouquet (façade)  Musée Carnavalet- Paris
       

     

        Devant ce succès, l'artiste aura alors l'idée de créer un "manuel de l'artisan" résumant son credo artistique et ses théories, regroupant tous les modèles nécessaires à la création d'un cadre de vie "Art Nouveau":  Et l'ouvrage, Documents Décoratifs, véritable encyclopédie de ses oeuvres fut publié en 1902 par la Librairie Centrale des Beaux Arts de Paris et se vendit alors à travers toute l'Europe.
        Cependant cette éclatante réussite dans la capitale française ne fera toutefois pas oublier à Mucha la terre de ses ancêtres où il retourne en 1902 avec son ami le sculpteur Auguste Rodin, et épousera en 1906 Marie Chytolova rencontrée à Paris quelques années plus tôt.

     

    Alfons Mucha (1860-1939) - Le Maitre de l'Art Nouveau

    Portrait de Marushka   Alfons Mucha

     

       Le couple partira alors pour l'Amérique où l'artiste, arrivé à l'apogée de sa gloire, est déjà largement reconnu et apprécié et enseigne à l'Art Institute de Chicago, New-York et Philadelphie jusqu'en 1910 où il regagne la France. A partir de cette époque Alfons Mucha retournera alors de plus en plus souvent dans son pays natal et lorsque la Tchécoslovaquie obtint son indépendance après la Première Guerre Mondiale créera pour son pays les armes de la nouvelle nation ainsi que timbres et billets de banque pour lesquels il n'acceptera aucune rémunération.

     

    Alfons Mucha (1860-1939) - Le Maitre de l'Art Nouveau

     

        Il se consacre également à l'époque à ce qu'il considère comme l'oeuvre de sa vie: L'Epopée des Slaves, une fresque épique qu'il souhaitait accomplir depuis toujours et qu'il put exécuter grâce à Charles Crane un riche industriel rencontré à Chicago qui s'intéressait au nationalisme slave et lui procura les fonds nécessaires.

     

    Alfons Mucha (1860-1939) - Le Maitre de l'Art Nouveau

    Alfons Mucha travaillant à la réalisation de L'Epopée des Slaves
       

        Car, bien que désormais célèbre grâce à l'Art Nouveau, Mucha reste attaché à la peinture de l'Histoire, et alors qu'il se partage entre Prague, Paris et New-York il ambitionne de devenir le héraut de sa patrie et souhaite mettre son talent au service de la cause de sa vie: un programme monumental dédié à la gloire des peuples slaves. 
        Il fera cadeau des 20 immenses tableaux (8m x  6m) qu'il mettra 18 ans à terminer à la ville de Prague où il s'installe définitivement en 1928 et réalisera la décoration du Théâtre National et de la Maison Municipale, un complexe réunissant salles de concert, salles de réceptions et d'expositions, restaurant etc... ainsi que des vitraux pour la cathédrale.

     

    Alfons Mucha (1860-1939) - Le Maitre de l'Art Nouveau

    Vitrail d'Alfons Mucha  Cathédrale Saint Vitus (Saint Guy) de Prague   

       

        La montée du fascisme à la fin des années 1930 firent classer les travaux de l'artiste et le nationalisme slave comme "réactionnaires" et lorsque les troupes allemandes entrèrent en Tchécoslovaquie au printemps 1939 Alfons Mucha fut l'une des premières personnes à être arrétées par la Gestapo. Alors agé de 78 ans passés, il contracta une pneumonie pendant sa détention, et libéré pour raison de santé, affaibli et choqué décèdera à Prague d'une infection pulmonaire le 14 Juillet 1939, jour de son 79ème anniversaire.
    (Alfons Mucha repose au cimetière Vysehrad de Prague dans la crypte réservée aux grands hommes)

     

    Alfons Mucha (1860-1939) - Le Maitre de l'Art Nouveau

    Alfons Mucha (1860-1939)

     

        Lorsque Alfons Mucha disparait l'Art Nouveau est passé de mode et il faudra attendre les années 1960 qui remettent au goût du jour le style de cette époque pour que son oeuvre soit redécouverte. Malheureusement, les boites de biscuit "Rétro", les calendriers ou les posters ont souvent donné de son travail une image répétitive et réductrice. Dieu sait pourtant si le symbolisme, l'ecclectisme fin de siècle, en un mot l'art de la Belle Epoque sont tout sauf médiocres et superficiels.


        Celui qui reste le maitre incontesté de la discipline, artiste au talent multiforme maitrisant toutes les techniques, laisse à la postérité des créations audacieuses et novatrices pétries d'élégance. Mais si son inventivité après avoir influencé ses contemporains continue aujourd'hui à marquer des générations de créateurs dans les domaines de l'affiche comme de la bande dessinée, Alfons Mucha demeure le seul à avoir su auréoler son oeuvre de ce raffinement subtil en faisant chanter avec poésie ses gammes de courbes et de volutes à la délicatesse infinie.

     


       

    Musique de Camille Saint-Saëns   Le Carnaval des Animaux (aquarium et volière)

     


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