• Christian Bérard (1902-1948) - Bébé Cadum

    Christian Bérard (1902-1948) - Bébé Cadum

    Illustration de Christian Bérard pour le parfum Coeur Joie de Nina Ricci

     


         Christian Bérard que ses amis surnommèrent affectueusement "Bébé" parce qu'il était aussi joufflu que le célèbre bambin dont le visage vantait à l'époque sur tous les murs les mérites d'une savonnette, naquit à Paris le 20 Août 1902, fils d'André Bérard architecte officiel de la capitale.

        Le jeune garçon, enthousiaste et inventif, démontra des dons artistiques précoces, et sur ses cahiers voisinaient, reproduites avec le même talent, les scènes de ballets ou de cirque inspirées des spectacles auxquels il assistait avec ses parents, ainsi que les élégantes toilettes qu'il recopiait sur les magazines de mode de sa mère. Malheureusement, la disparition de cette dernière, victime de la tuberculose, mit fin prématurément à cette enfance entourée de tendresse, et lorsque André Bérard se fut remarié avec sa secrétaire celui-ci, de concert avec sa nouvelle épouse dont il subit l'influence hostile, ne cessa alors de dénigrer ce fils et de le critiquer avec mépris.
        Sans doute est-ce la raison pour laquelle Christian Bérard cherchera toute sa vie désespérément à plaire, à faire plaisir, et sera extrêmement sensible aux compliments...

        Sarcasmes et critiques acerbes endurés dans le cercle familial n'ayant heureusement pas eu raison de ses ambitions artistiques, après des études au lycée Jeanson de Sailly, le jeune homme entre en 1920 à l'Académie Ranson où il a pour maitres les peintres nabis Edouard Vuillard (1868-1840) et Maurice Denis (1870-1943) qu'il admire. Mais c'est un voyage effectué deux ans plus tard en Italie où il découvre la sobre clarté des fresques de Giotto (1267-1337), de Piero della Francesca (1415-1492), et la sérénité énigmatique des personnages qu'elles représentent, qui se révélera alors pour lui déterminant et, se situant résolument à l'opposé des "modernes", il se lie avec un groupe de peintres de même sensibilité en réaction contre Picasso et le cubisme: Léonide et Eugène Berman (1898-1976) (1899-1972), Pavel Tchelitchev (1898-1957), Francis Rose (1909-1979) et Christian Bérard privilégient la forme humaine et se baptisant les "néo-humanistes" couvrent leurs toiles de portraits pensifs, de scènes singulières, et de visions oniriques avec un certain accent surréaliste.

     

    Christian Bérard (1902-1948) - Bébé Cadum

    Portrait de Madame L.     Christian Bérard

     

        Le public découvre les premières oeuvres du jeune peintre lors d'une exposition organisée en 1925 à la galerie Pierre, en majorité des portraits peints avec subtilité et avec une grande habileté dans un style néo-romantique et poétique laissant transparaitre une humanité profondément ressentie, et son compagnon de toujours, Boris Kochno (1904-1990) remarquera à ce sujet que "lorsqu'il peignait son exubérance enfantine naturelle disparaissait pour faire place à une telle intensité de concentration qu'on eut dit qu'il recevait des directives d'un ailleurs".


        Cependant cet artiste au talent prodigieux se tournera avec un tel succès vers tant d'autres directions qu'elles ecclipseront sa réputation de peintre, lui-même estimant d'aileurs que ce domaine était celui dont il était le moins satisfait:
        "Au lieu de montrer ses tableaux" dira encore Boris Kochno, "il les cachait comme on cache sa nudité".

        Car, dès les débuts de sa carrière Christian Bérard est attiré par les décors de théâtre et le dessin de costumes. Rendu très populaire dans les cercles à la mode par sa spontanéité, sa gentillesse et son charisme, il y fera des rencontres déterminantes dont la première fut celle de Jean Cocteau (1889-1963) qui lui commandera en 1930 sa première création pour La Voix Humaine à la Comédie Française. Ce sera le début d'une étroite collaboration ainsi que d'une profonde amitié, et pour le décorateur l'entrée dans un monde où en compagnie de Jean Giraudoux (1882-1944), Jean Genet (1910-1986), Louis Jouvet (1887-1951) ou encore la compagnie de Madeleine Renaud (1900-1994) et Jean-Louis Barrault (1910-1994) il imposera un nom qui deviendra très vite célèbre. 
        Avec sa conception personnelle du décor qu'il envisage avant tout comme une machine utile destinée au bon déroulement de l'action, Bérard a joué un rôle important dans ces spectacles qui ont marqué l'histoire du théâtre et représenta à l'époque tout un courant de pensée en scénographie. Chacune de ses oeuvres exprimera sa volonté de réduire ce décor au minimum, jamais rien de gratuit ou d'inutile, rien de strictement esthétique n'apparaitra dans les réalisations de ce créateur qui se laissait inspirer jusqu'aux couleurs de son travail par le texte des pièces qu'il abordait ou la partition musicale s'il s'agissait d'un opéra ou d'un ballet.
        "Ce qui caractérise son talent c'est sa puissance, ce sens du spectacle et du geste de théâtre. Il était à la taille de n'importe quel auteur dramatique" dira de lui Louis Jouvet.


    Christian Bérard (1902-1948) - Bébé Cadum

    Décor de Christian Bérard pour l'Ecole des Femmes (1936)

    (Le muret en coin au centre s'ouvre pour révèler un jardin, ce qui règle le problème des deux lieux de la pièce. Quand aux lustres ils enlèvent tout réalisme et rappellent au spectateur qu'il est au théâtre)

     

         L'estimant déjà trop connu, René Blüm (1878-1943) qui, dans la tradition de Diaghilev (1872-1929) continuait à écumer les mansardes de Montmartre à la recherche de nouveaux talents, montra tout d'abord quelque réticence à travailler avec Christian Bérard, mais après avoir vu ses oeuvres l'invitera à participer en 1931 à la création de Cotillon de George Balanchine (1904-1983) pour les Ballets Russes de Monte-Carlo.

     

    Christian Bérard (1902-1948) - Bébé Cadum

     Tamara Toumanova dans Cotillon  Musique d'Emmanuel Chabrier, Chorégraphie de George Balanchine.
    Décor et costumes de Christian Bérard. 

     

        Le décorateur travaillera ensuite pour les Ballets du Colonel Basil, à Londres,  et réalise en 1936 pour La Symphonie Fantastique de Massine (1896-1979) un chef d'oeuvre de frises légères, dessinant également à la demande programmes et affiches.

     

        Puis viendra Roland Petit (1924-2011) avec qui il va créer en 1944 Les Forains, le ballet qui lança la carrière du chorégraphe et dont se souvient le compositeur Henri Sauguet (1901-1989):
        "Bérard choisit une gamme de couleurs qui faisait songer aux tableaux de jeunesse de Picasso peintre des acrobates et des clowns tristes. Bérard s'en inspira-t-il? Toujours est-il qu'il arrangea pour ce ballet des costumes aux couleurs tendres qui allaient bien avec la musique que j'étais en train de composer".

     

    Christian Bérard (1902-1948) - Bébé Cadum

    Projet de décor de Christian Bérard pour Les Forains (1944) 


        Et il va concevoir encore pour les Ballets des Champs Elysées, auxquels il prendra une part active aux côtés de Roland Petit, les décors et les costumes de plusieurs productions dont La Jeune Fille Endormie, ou encore une reprise de La Sylphide (1946).

     

    Christian Bérard (1902-1948) - Bébé Cadum

    La Sylphide - Projet de Christain Bérard pour le costume de James 

     

        Ces travaux à la scène n'empêchèrent pas Christian Bérard d'accomplir parallèlement une carrière tout aussi brillante dans le milieu de l'illustration où il transposa cette même ligne sensible, fluide et élégante dans des domaines aussi divers que la mode, l'affiche ou la littérature (entre autres de superbes gouaches pour Gigi de Colette).

       Cette activité l'amènera à cotoyer les plus grands noms de la haute couture, Coco Chanel (1883-1971), Elsa Schiaparelli (1890-1973), Nina Ricci (1883-1970) ou encore Christian Dior (1905-1957) dont il devient les collaborateurs et signe les croquis des collections, ajoutant encore si besoin était à sa notoriété.

      

    Christian Bérard (1902-1948) - Bébé Cadum

    Illustration de Christian Bérard pour le style "New Look" (Christian Dior)

     

        Sa créativité s'étendit jusqu'à la décoration intérieure, ses panneaux décoratifs, fausses fresques, faux marbres, paravents peints ornèrent à l'époque les plus chics intérieurs parisiens, et l'on peut encore admirer aujourd'hui un exemple de ce travail sur les murs du restaurant parisien "La Méditerranée":

     

    Christian Bérard (1902-1948) - Bébé Cadum

    "La Méditerranée"  Place de l'Odéon - Paris 6ème


        Mais ne limitant pas là son talent il dessina également des tissus, des tapis, une collection de foulards, et magazines de mode et de décoration solliciteront également sa contribution: Vogue, Harper's Bazaar, Art & Style, Formes et Couleurs ou encore Style de France.


    Christian Bérard (1902-1948) - Bébé Cadum

    Création de Christian Bérard pour Ascher Silk - Londres


        Rien n'arrêtait l'imagination de ce créateur infatigable qui destinait constamment sur les nappes, les serviettes ou les menus des restaurants, des caricatures, des décors et des costumes que les garçons surveillaient attentivement du coin de l'oeil et subtilisaient rapidement afin de les vendre à des collectionneurs... 

        Car cet être inclassable qui était de toutes les fêtes eut une vie mondaine très animée, sortant dans le beau monde en bleu de travail rapiécé couvert de taches de peinture, la barbe maculée de cendre de cigarette ou piquée de fleurs selon son humeur et, avec la nonchalence d'un dandy, aimait surprendre et faire le clown. Une phrase de l'historien d'art Jean Clair (1940-) résumera d'ailleurs assez justement la destinée de ce personnage fantasque hors du commun:
        "La gloire parisienne aura trop durablement ecclipsé le génie secret et grave de Bérard".


    Christian Bérard (1902-1948) - Bébé Cadum

    Christian Bérard (1902-1948)


        L'artiste disparait prématurément à l'âge de 47 ans le 11 Février 1949 alors qu'il travaillait tard dans la nuit au théâtre Marigny en compagnie de Louis Jouvet, Jean-Louis Barrault et Madeleine Renaud à la réalisation des costumes et des décors pour Les Fourberies de Scapin. Après avoir donné quelques dernières instruction il se leva de sa chaise prêt à partir en disant: "Très bien... C'est ça..." et il s'écroula victime d'une embolie cérébrale.

        "Christian Bérard était mon bras droit. Vous pouvez imaginer le vide laissé par un artiste qui devinait tout... Bérard est mort, mais il n'y a pas de raison d'arrêter de suivre ses instructions. Je sais ce qu'il dirait sur tout en toutes circonstances. Je l'écoute et je suis ses ordres" dira Jean Cocteau qui lui dédiera son film Orphée l'année suivante.
        Quand à Francis Poulenc il composera, lui, un Stabat Mater en mémoire de cet homme de mode et de scène qui créa les décors et les costumes de plus de 50 pièces, opéras ou ballets, et qui, n'obéissant qu'à son naturel extravagant était tellement irrésisitible que tous ceux qui l'approchaient tombaient sous son charme.

     

     Témoin de son époque, Christian Bérard laisse une oeuvre multiple et singulière parmi laquelle les décors et les costumes du magnifique film de Jean Cocteau, La Belle et la Bête (1946), représentent son chef d'oeuvre le plus connu.

     


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