• Marie Laurencin (1883-1956) - Une fragrance raffinée

     

    Marie Laurencin (1883-1956) - Une fragrance raffinée

    Portrait de Jeune Fille - Marie Laurencin

     

       

        Fille d'un contrôleur des contributions directes d'origine picarde souvent absent de sa vie et d'une mère normande modeste couturière, Marie Mélanie Laurencin naquit le 31 Octobre 1883 dans le Paris de la fin du XIXème siècle.
        Coco, comme on l'appelle chez elle, suivra des études secondaires au lycée Lamartine, mais cultive particulièrement l'art du dessin:
        "Dans ma jeunesse on apprenait à peindre comme on apprenait à chanter. Moi je dessinais tout le temps. Un jour ma mère m'a demandé de décorer une tasse à thé. J'ai peint pour la première fois avec des couleurs vitrifiables. J'ai réussi et j'allais dans une école de dessin, une école de la ville de Paris" écrit-elle dans son Journal.

        Brillante, décidée, dans un monde d'hommes (phénomène peut-être encore plus accentué dans le domaine des Arts et Lettres) cette jeune femme intègre en 1904 l'académie Humbert. Elle va y cotoyer Georges Braque (1882-1963), qui disait d'elle:
        "Je l'ai connue avec la natte dans le dos", et elle aura également comme condisciple le futur affichiste et illustrateur Georges Lepape (1887-1971) qui sera immédiatement frappé par son talent:
        "Un jour je remarque une jeune fille qui vient pour la première fois. Sa mise est stricte, simple, sans souci d'élégance, son teint est sans poudre ni rouge aux joues, ses cheveux bruns un peu crépus, nattés dans un chignon sur la nuque. Pour travailler elle porte un pince nez retenu par un fil qui passe sur l'oreille (Marie Laurencin était très myope et certains y voient la raison du flou de son style). Elle achève chaque dessin sans effort apparent. Un dessin sûr, puissant et sensible en même temps... C'est prodigieux! Je n'ai jamais constaté une telle maîtrise!... Braque est ébloui lui aussi par ce phénomène".


    Marie Laurencin (1883-1956) - Une fragrance raffinée

    Quatre danseuses sur la terrasse  -  Marie Laurencin


        Braque introduira ce "phénomène" auprès des artistes du Bâteau-Lavoir, une vieille bâtisse du quartier de Montmartre qu'il habite avec Picasso (1881-1973) et où se regroupent des peintres: Rousseau (1844-1910), Van Dongen (1877-1968), des poètes: Max Jacob (1876-1944), Guillaume Apollinaire (1880-1918), et des comédiens: Charles Dullin (1885-1949), Harry Baur (1880-1943).


    Marie Laurencin (1883-1956) - Une fragrance raffinée

    Le Bâteau Lavoir   Place Emile Goudeau


        Celle que l'on surnommera plus tard "la Dame du cubisme" apportera alors à ce milieu d'hommes une impressionante touche de féminité et va participer à cette époque survoltée de création, observant son entourage:

        "Le peu que j'ai appris m'a été enseigné par ceux que j'appelle les grands peintres, Matisse (1869-1954), Derain (1880-1954), Picasso, Braque". 

         Jean Cocteau (1889-1963) écrira plus tard:
        "Avec Berthe Morisot (1841-1895), Marie Laurencin est une preuve de cette marge exquise où se meuvent les femmes autour du travail des hommes. Tandis que Matisse, Picasso, Braque, Apollinaire, Max Jacob créaient un monde, Marie les accompagnait et mettait en liberté une foule de jeunes filles qui relèvent des Demoiselles d'Avignon de Picasso et des Petites Filles Modèles de Madame de Ségur-Rostopchine. Ces jeunes filles aux visages triangulaires de plâtre et de clair de lune, tenant des éventails pareils aux jalousies, regardant s'ébattre et se cabrer des chiens qui pouraient être biches ou licornes ou n'importe quel animal de fable".


    Marie Laurencin (1883-1956) - Une fragrance raffinée

    Femmes au chien - Marie Laurencin


        Cotoyant Picasso et ses premières oeuvres Marie Laurencin en subit naturellement l'influence, mais son propre style émergera, fait de douceur et de féminité, évoluant vers un régistre de charme basé sur une palette de couleurs tendres et raffinées où l'accent est mis davantage sur la nuance que sur l'expression:
        "Je n'aimais pas toutes les couleurs. Alors pourquoi me servir de celles que je n'aimais pas? résolument je les mis de côté" expliquera-t-elle.

     

    Marie Laurencin (1883-1956) - Une fragrance raffinée

    Les Danseuses - Marie Laurencin

     

        Marie Laurencin expose pour la première fois en 1907 au Salon des Indépendants et fait la connaissance la même année de Wilhem de Kostrowitsky, alias Guillaume Apollinaire, une rencontre d'où va naitre une liaison aussi passionnée que tumultueuse:
        "Mon destin, ô Marie, est de vivre à vos pieds en redisant sans cesse ô combien je vous aime" lui écrira-t-il dans l'une de ses innombrables lettres.
        Devenue son égérie et sa muse elle posera à ses côtés pour une toile du Douanier Rousseau: La Muse et son Poète qui fut particulièrement critiquée pour n'être pas ressemblante et au sujet de laquelle Apollinaire fit cette remarque pleine de bon sens:
        "Si je ne suis pas ressemblant comment m'avez vous reconnu?" 


    Marie Laurencin (1883-1956) - Une fragrance raffinée

    La Muse et son Poète -  Le Douanier Rousseau


        En 1912 la compagne du "mal aimé" participe au Salon de la Section d'Or avec un ensemble de portraits, mais ce sera en Juin la rupture avec celui qui l'a immortalisée sous le nom de Tristoune Ballerinette dans Le Poète Assassiné et qui, très affecté par cette séparation, épanchera son chagrin dans l'écriture de L'Adieu:

                         "Nous ne nous verrons plus sur terre
                             Odeur du temps de Bruyère 
                          Et souviens toi que je t'attends" 

        Marie, elle, ne passera pas sa vie à attendre et épouse le 22 Juin 1914 le baron Otto von Wätjen rencontré à Montparnasse l'année précédente, mais la fatalité vient perturber la lune de miel du jeune couple:
        "Au tocsin d'Août 1914 les deux jeunes époux se trouvaient sur une plage entre Arcachon et Biarritz. Avec son Allemand, Marie a fui sous les huées et sous les pierres... Mais notre camarade Otto ne tenta rien pour regagner son pays et prendre dans l'armée sa place d'officier, Otto aimait Marie et la France" racontera le romancier et critique d'Art André Salmon (1881-1969).
        Réfugiée avec son époux à Madrid puis à Barcelone l'artiste compose alors des poèmes pour la revue dadaïste de Francis Picabia (1879-1953) et retrouve grâce à ce dernier le couple de peintres Sonia et Robert Delaunay (1885-1979)(1885-1941) avec lesquels elle s'associe. Elle reçoit également dans son exil le soutien épistolaire de sa tendre amie Nicole Groult (1887-1967), épouse du décorateur André Groult (1884-1966) et soeur du couturier Paul Poiret (1879-1944), mais la mort d'Apollinaire, victime en 1918 de l'épidémie de grippe espagnole, la plongera dans un chagrin aussi profond qu'avait été leur amour.

         Ses biens ayant été placés sous séquestre et son appartement parisien  finalement vendu, Marie Laurencin vécut quelques temps après-guerre à Düsseldorf auprès de la famille de son époux, puis le couple va regagner Paris en 1920 et se sépare l'année suivante. 

        "J'ai épousé un allemand, ce qui m'a valu 6 ans d'exil. Je suis divorcée parcequ'il était alcoolique. Maintenant je ne me remarierai plus. J'étais baronne... Tout ça, titre, argent, c'est parti et ça ne me fait rien" confiera-t-elle au marchand d'Art René Gimpel (1881-1945).


    Marie Laurencin (1883-1956) - Une fragrance raffinée


         Au coeur des "Années Folles" Marie Laurencin s'affirme alors rapidement comme l'une des femmes peintres les plus célèbres de son temps et Paul Rosenberg sera désormais son marchand.

         Devenue l'artiste officielle du milieu mondain elle occupe bientôt une place privilégiée dans le Paris des années 1920 où ses portraits s'arrachent désormais à prix d'or.

     

    Marie Laurencin (1883-1956) - Une fragrance raffinée

     Coco Chanel - Marie Laurencin


        Diaghilev (1872-1929) la sollicitera pour son ballet Les Biches (1924) dont le triomphe lui vaudra par la suite de nombreuses commandes: Les Roses, l'Eventail de Jeanne pour Henri Sauguet (1901-1989), Le Déjeuner sur l'Herbe (1945), Dominique Dominique (1951) pour Roland Petit (1924-2011) et les Ballets des Champs-Elysées, ou encore Un jour d'été pour l'Opéra Comique, et La Belle au Bois Dormant (1946) pour les Ballets de Monte-Carlo. 

        Elle créera également des décors pour le théâtre et la Comédie Française en particulier, un monde où elle devait se plaire tout particulièrement car révéla René Gimpel:
        "Marie adore l'artificiel. Elle aime même les fleurs artificielles. Elle ne peut souffrir les plantes parfumées. C'est pourquoi je lui ai envoyé une demi-douzaine de plantes vertes. Elle y verra une forêt, des décors et mille autres choses que nous ne pouvons imaginer. D'ailleurs quand elle peint des fleurs, elle ne peint qu'une fleur et en la répétant vingt fois fait un bouquet".


    Marie Laurencin (1883-1956) - Une fragrance raffinée

    Portrait de Jeune Femme - Marie Laurencin 


        Fêtée de tous côtés Marie Laurencin noua des liens profonds et féconds avec de nombreux écrivains dont elle illustra les oeuvres: André Gide (1869-1951), Max Jacob, Saint-John Perse (1887-1975), Marcel Jouhandeau (1888-1979), Lewis Carroll (1832-1898) et bien d'autres.

        Auteur elle-même, elle écrivit en fait tout au long de sa vie, des courts billets, des lettres, des journaux intimes ainsi que des poèmes, et dans Le Carnet des Nuits qui sera publié en 1942 elle raconte sa jeunesse et les années au Bâteau-Lavoir avec la même délicatesse que celle qui émane de ses peintures:

                                 "Hier c'est ce chapeau fané,
                                  Que j'ai longtemps trainé.
                                  Hier c'est une pauvre robe
                                  Qui n'est plus à la mode.
                                  Hier c'était le beau couvent
                                  Si vide maintenant.
                                  Et la rose mélancolie
                                  Des cours de jeune fille.
                                  Hier c'est mon coeur mal donné
                                  Une autre, une autre année!
                                  Hier n'est plus ce soir qu'une ombre
                                  Près de moi dans ma chambre".



        En 1937 Marie Laurencin, dont la renommée s'étend maintenant hors des frontières après plusieurs expositions à l'étranger, est faite Chevalier de la Légion d'Honneur, et l'Etat Français lui commande Les Fêtes de la Danse pour le Cabinet des Estampes du Louvre, et acquiert également La Répétition pour le Musée d'Art Moderne.

     

    Marie Laurencin (1883-1956) - Une fragrance raffinée

    Les Fêtes de la Danse (lithographie) - Marie Laurencin

     

    Marie Laurencin (1883-1956) - Une fragrance raffinée

    La Répétition - Marie Laurencin


           Cependant la désinvolte élégance de ses femmes légèrement mélancoliques enveloppées de voiles, de plumes et de fleurs, ne résista pas à l'usure du temps et les années de la Seconde Guerre Mondiale annoncent son crépuscule. Le grand appartement qu'elle occupe avec sa fille adoptive Suzanne Moreau-Laurencin (la fille de sa gouvernante) est réquisitionné par les autorités en 1944 et elle devra alors s'installer dans un petit pavillon mis à sa disposition par le comte et la comtesse de Beaumont.

     

    Marie Laurencin (1883-1956) - Une fragrance raffinée

    Marie Laurencin et Suzanne Moreau-Laurencin 

     

         Après un interminable procés finalement gagné l'artiste retrouve enfin en 1955 sa demeure parisienne, mais ne pourra malheureusement en profiter longtemps car elle décède d'une crise cardiaque l'année suivante, le 8 Juin 1956, laissant derrière elle plus de 1800 peintures.

        Selon ses dernières volontés, après une cérémonie religieuse à l'église Saint-Pierre du Gros Caillou (7ème arrondissement), Marie Laurencin a été inhumée au cimetière du Père Lachaise, vêtue de blanc (sa couleur préférée), une rose à la main et les lettres d'Apollinaire sur son coeur...
       Marcel Jouhandeau révèlera plus tard ceci:
        "Jean Denoël me conta qu'un jour Marie Laurencin lui avait montré une grande boite en carton sur laquelle étaient écrits ces mots: "Musique pour Marie". Elle l'ouvrit et à son étonnement Jean ne vit que des billets de banque... C'est, lui confia Marie, l'argent que je met de côté pour mon enterrement. Je veux que l'on me chante ce jour là un Dies Irae de première classe".



    Mozart -  Requiem (Dies Irae)
    Interprété par les Choeurs et l'Orchestre de Paris et l'Orchestre Prométhée


        A travers une oeuvre riche qui s'établit sur près de 50 ans de peinture, Marie Laurencin a redéfini la femme romantique loin de tout attachement au monde réel, à la politique ou aux engagements auxquels les nombreux autres artistes de sa génération adhérèrent, et sans doute parcequ'elle fut une femme libre et amoureuse elle imprima à ses compositions épurées une suavité qui s'exprime comme une fragrance raffinée inoubliable.
       Et comme malheureusement nul n'est prophète en son pays, c'est au Japon, à 200kms au nord-ouest de Tokyo qu'a été inauguré à Tateshina en 1983 le Musée Marie Laurencin, à l'occasion du centenaire de la naissance de l'artiste. Les lieux, qui présentent une superbe collection couvrant l'ensemble de la carrière de cette femme de talent, exposent aujourd'hui plus de 600 oeuvres dont on ne peut que regretter qu'elles ne soient pas restées en France.

     

    Estampes de Marie Laurencin
    Marie, poème de Guillaume Apollinaire, est interprété par Léo Férré

     

     


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