• L'Art et la danse


        Les guerres ont parfois des conséquences inattendues... Ce fut le cas du conflit de 1870 entre la France et la Prusse qui sauva de la disparition l'un des joyaux de la façade du Palais Garnier...

        C'est en 1863 que l'architecte de l'édifice, désireux de faire exécuter pour le futur Opéra qu'il était en train de construire quatre hauts-reliefs représentant la poésie, la musique instrumentale, la danse et le drame lyrique, prit contact avec un ami de jeunesse, Jean-Baptiste Carpeaux, dont le talent confirmé avait déjà été couronné par de nombreuses médailles ainsi que le prestigieux Prix de Rome.
         La vocation de ce fils d'une modeste famille d'ouvriers, né le 11 Mai 1827 à Valencienne, s'était manifestée de bonne heure à l'école où il modelait pendant les récréations des figures non dénuées d'un certain cachet avec l'argile qu'il retirait des fossés alentours... Et la chance ayant voulu qu'en grandissant on lui permit de cultiver ce don, il avait pu entrer à l'Ecole des Beaux Arts de Paris et, avec le temps, se faire un nom.

        Dans le contexte de la sculpture française du XIXème siècle l'académisme était de règle et laissait très peu, sinon pas du tout, de place à l'expression personnelle... et Carpeaux qui, lui, avait puisé auprès des artistes italiens un goût particulier pour le mouvement et la spontanéité s'accommodait plutôt mal de cette rigueur.
        Surnommé "la terreur des architectes" par Garnier lui même, ce dernier malgré tout fit confiance à son talent et lui confia la réalisation de la Danse en dépit de craintes qui n'étaient pas, il faut le dire, sans fondements...
        Car, renouant avec les grands principes de l'Art Baroque, l'exubérance de Jean Baptiste Carpeaux s'avérait parfois difficile à canaliser... L'architecte eut ainsi beaucoup de mal à limiter le sculpteur aux trois personnages qu'il avait imposés au départ aux autres artistes, certaines propositions de Carpeaux n'en comptant pas moins de 17... Autant dire que la collaboration des deux hommes tourna souvent au bras de fer...

        Trois ans durant Carpeaux va multiplier maquettes et esquisses, habité par cette préoccupation essentielle de rendre la sensation de mouvement. Et ce ne sera qu'au terme d'interminables et laborieuses recherches que naitra finalement le chef d'oeuvre représenté par ce génie bondissant tambourin à la main, dont la dynamique verticale s'allie à la perfection à celle de la ronde des nymphes qui dansent autour de lui.
        L'idée en avait été suggérée par Garnier, d'après un dessin de Gustave Boulanger, une composition de quatre danses pour le Foyer de l'Opéra qu'il avait dédicacée à l'architecte, lequel s'était sans doute laissé gagner par la fougue du statuaire et avait accordé quelques concessions... car la Danse comptait maintenant 9 personnages!...

        Tandis qu'il travaillait à ce projet, Carpeaux avait exécuté à la même époque le buste d'Eugénie Fiocre, la danseuse qui triomphait alors à l'Opéra dans le rôle travesti de Frantz dans le ballet de Coppélia, où l'on retrouve parfaitement en concentré ce que le haut relief lui permit de réaliser complètement à plus grande échelle: l'art d'exprimer le mouvement et la grâce de l'instantané. 

    L'Art et la danse

      
        Lorsque la Danse est enfin achevée en 1869, la construction du nouvel Opéra est loin d'être terminée puisqu'il ne sera officiellement inauguré que le 5 Janvier 1875. Mais une première inauguration, celle de la façade principale avait eu lieu en 1867 à l'occasion de l'Exposition Universelle, ce qui permit de mettre en place, en 1869, l'oeuvre de Carpeaux qui provoqua immédiatement un énorme scandale:

        La sensualité de la sculpture et tant de nudité exposée choquèrent au plus haut point:
                    "J'ai une femme et des filles passionées de musique et qui vont souvent à l'Opéra. Cela leur sera impossible désormais, car jamais je ne consentirai à les mener dans un monument dont l'enseigne est celle d'un mauvais lieu" s'indigna un aristocrate... (qui allait peut-être lui même courtiser les danseuses les soirs de ballet, mais ceci est une autre histoire...) 
        
        Les passions se déchainèrent... Et dans la nuit du 26 au 27 Aout 1869 la statue fut maculée d'encre noire... Il fallut demander à des chimistes de mettre au point une solution spéciale pour faire disparaitre le saccage, ce qui fut fait le 1er Septembre, mais n'effaça pas entièrement toutes les traces dont certaines restèrent visibles.
        Pendant un an la presse continua à alimenter la polémique: Emile Zola croyait reconnaitre dans l'oeuvre l'Empire et les moeurs dissolues de la Cour et des milieux dirigeants. Et l'opinion publique considérant toujours avec autant de réprobation cette débauche de chair en réclamait tout simplement le retrait... Garnier proposa de déplacer la sculpture dans le Foyer de la Danse, mais cette fois ce furent les demoiselles du Corps de Ballet qui s'indignèrent et s'opposèrent au projet en signant une pétition. 
        La statue fut même l'objet de menaces d'enlèvement de la part de ses détracteurs et Napoléon III, prêt à céder aux pressions, commanda en désepoir de cause une nouvelle sculpture à Charles Auguste Gumery...

        Mais la guerre qui éclata le 19 Juillet 1870 allait sauver l'oeuvre de Jean Baptiste Carpeaux... Car les regards de la France s'élevèrent alors à un autre niveau et mirent un point final à la polémique. (Quand au travail de Gumery, mené à bien cependant, il se trouve aujourd'hui exposé au musée des Beaux Arts d'Angers).

        Du fait des nombreux tatonnements le budget initial de la Danse s'était trouvé largement dépassé et Carpeaux avait du en financer une partie, sacrifiant sa fortune et celle de sa femme. Préssé par le besoin d'argent, après l'inauguration de la sculpture il imagina alors d'en isoler des sujets individuels et des bustes pour en faire des réductions en bronze qu'il vendit à des collectionneurs. Parmi les plus célèbres, certainement, figure "le Génie de la Danse", réplique du personnage central.

    L'Art et la danse


        D'autre part, Carpeaux créa par la suite plusieurs nouvelles compositions à partir de personnages également tirés de la Danse... mais apparement "les Trois Graces", "la Rieuse aux Roses" et "L'Amour Désarmé" firent une entrée dans le monde moins tapageuse, reflets plus discrets du talent de celui qui sut traduire admirablement l'art du ballet dans sa représentation de l'instant éphémère.

    L'Art et la danse

        Les dernières années de la vie de Jean Baptiste Carpeaux sont malheureusement assombries par les soucis financiers, les déboires familiaux et la maladie, et il décède à Courbevoie le 12 Octobre 1875, peu de temps après avoir été promu officier de la Légion d'Honneur, et répondu en ces termes au prince Stirbey qui lui remettait la rosette: 
                "Ah merci... c'est le bon Dieu qui va en avoir l'étrenne"...

        Il était écrit malgré tout que la Danse ne finirait pas sa carrière là où elle l'avait commencée... Car afin dêtre préservée des dégats de la pollution elle se trouve exposée aujourd'hui au musée d'Orsay, et c'est une copie exécutée par le sculpteur français Paul Belmondo qui orne maintenant la façade du Palais Garnier, où Jean Baptiste Carpeaux est cependant toujours présent, puisque le monument érigé en 1903 à la mémoire de Charles Garnier et situé sur la façade latérale Ouest au pied de la Rotonde de l'Empereur, comporte un buste en bronze doré sculpté par ses soins, et dont une copie trône au centre du Grand Foyer.

    L'Art et la danse


        Deux prix décernés chaque année aux danseurs classiques rendent également hommage à la mémoire de Jean Baptiste Carpeaux:
        Crée en 1980 à Valencienne, le Prix Carpeaux ouvert aux jeunes talents de 10 à 20 ans, qui en s'élevant au niveau international est devenu une référence en matière de danse classique au même titre que le concours de Varna, et le Prix du Cercle Carpeaux, crée à Paris en 1982, qui récompense lui, chaque année, un membre du Corps de Ballet de l'Opéra afin d'attirer l'attention sur les jeunes espoirs.


        "Le danseur, cet être qui emet du plus profond de soi même cette belle suite de transformations de sa forme dans l'espace"
                                                               Paul Valéry.

        
         

    1 commentaire
  •   

    L'Art et la danse


        Tentative ambitieuse d'intégrer la musique classique à l'animation en lui donnant une nouvelle dimension et une nouvelle richesse, Fantasia, considéré aujourd' hui comme l'un des meilleurs films de l'histoire du cinéma, représenta à sa sortie, le 13 Novembre 1940 au Colony Theater de Broadway, une véritable révolution culturelle dont il faut saluer la hardiesse.
        Car le maitre du genre ne jouait plus ce jour là "dans la sphère sans prétention de l'enfance et des contes de fées", mais bien dans "l'arène du Grand Art".

        Huit extraits du répertoire classique, interprétés par l'Orchestre Philarmonique de Philadelphie sous la direction de Léopold Stokowski, composent en effet ce dessin animé, véritable "pont entre les arts", qui n'a pas oublié d'y inclure la danse et fit dire au critique chorégraphe Walter Terrry: "les amoureux de la danse trouveront que Fantasia leur rend hommage par sa portée chorégraphique et son utilisation brillante d'un grand art, apportant la grande danse et la danse simple à chacun".

        Le plus célèbre des films de Walt Disney (1901-1966) réserve généreusement, en effet, deux de ses sept séquences au ballet:
        La Suite de danses de Casses Noisette (Op.71a) de Tchaïkovski, suivie par la Danse des Heures d'Amilcare Ponchielli, extraite de son Opéra La Gioconda (1876).

        Peu avant la sortie de son ballet en 1892, Tchaïkovski avait arrangé une suite d'extraits de la partition, dont Disney laissa de côté l'Ouverture et la Marche et utilisa pour le film les six numéros suivants, dans une succession légèrement différente de l'ordre initial.
        En manière d'introduction il sélectionna comme séquence d'ouverture la Danse de la Fée Dragée (tirée du Pas de deux final) sur laquelle il fit évoluer une myriade de fées qui, pareilles à des feux d'artifice réveillent la nature en y déposant des gouttes de rosée.
        Cette entrée en matière étincellante est suivie par les quatre danses du Divertissement de l'Acte II:
        La Danse Chinoise, pour commencer, interprétée par des champignons dont le plus petit fut surnommé "le Simplet de Fantasia", et qui font place très vite à un ballet de fleurs aux corolles virvoltantes tourbillonant aux accents de la Danse des mirlitons.



        Dans une ambiance orientale, un harem de poisssons rouges aux nageoires vaporeuses évolue ensuite aux échos de la Danse Arabe, suivie aussitôt par la Danse Russe, peut être l'une des plus belle trouvailles de Walt Disney avec ses cosaques-chardons et ses orchidées-paysannes...

     

     

     

    Puis, la Valse des Fleurs, remplie de poèsie, se prête alors à un final éblouissant avec ses Fées de l'Automne et de l'Hiver qui résument à elles seules le talent artistique et le génie de Disney.



        Dans un tout autre genre, la Danse des Heures de Ponchielli, l'avant dernière séquence du film, a été conçue comme un véritable amusement que les équipes de Disney on traité "avec légèreté comme une blague". Car l'intégralité de cette partie a été voulue comme "une parodie affectueuse des prétentions du ballet classique".
        C'est effectivement le passage le plus drôle de Fantasia, et si Casse Noisette nous enchante par sa poësie, la Danse des Heures, remplie d' humour, est destinée  cette fois à nous faire rire.

        Le côté technique n'en fut pas, cependant, négligé pour autant, et exactement comme cela se fit pour Casse Noisette, un consultant pour les chorégraphies avait été engagé, qui réalisa photos et esquisses des danseurs recrutés comme modèles, en l'occurence des membres des Ballets Russes, à l'époque en Amérique, et dont on avait demandé la contribution.

        Sur la trame de la musique de Ponchielli la seconde séquence du film consacrée à la danse se compose de quatre parties:
        Le Matin, interprété par les autruches, dessinées d'après Irina Baranova, (dont l'étoile fut nommée Mademoiselle Upanova en référence à la grande Toumanova), auxquelles succèdent dans l'Après midi les hippopotames esquissés cette fois d'après Tatiana Riabouchinska. (Baranova et Riabouchinska, premières danseuse à l'époque furent toutes deux sélectionnées par George Balanchine par la suite pour faire partie de sa Compagnie).

     

     


        Quand arrive la fin de la journée le Soir amène alors les éléphants croqués d'après le danseur Roman Jasinski et parmi lesquels il faut remarquer au passage le premier danseur Elephantine, clin d'oeil à Balanchine. Et  lorsqu'enfin la Nuit étend ses voiles et qu'arrivent les crocodiles on assiste à un Pas de deux final absolument désopilant.

     



        Le troisième long métrage de Walt Disney (après Blanche Neige et Pinocchio) reste incontestablement la pièce maitressse de ses créations. Une réussite toutefois très controversée au départ, car totalement incomprise par une partie de la critique qui demeura complètement hermétique à ce mélange des genres et s'appliqua à ereinter ce que l'on considère aujourd' hui comme un chef d'oeuvre du Septième Art.

        Le film obtint, malgré tout, un Oscar d'Honneur en 1942, saluant le tout premier procédé stéréophonique Fantasound, mais il fallut attendre les années 1970 pour qu'il reçoive la reconnaissance qu'il méritaiit. Peut être, selon John Grant "grâce à une libération artistique qui rejette le faux purisme pour une expérience multimédia".

        Walt Disney, très déçu, avait cependant gardé la profonde conviction que son film finirait par être reconnu un jour. Il avait déclaré:

        "Fantasia est intemporel. Il peut continuer dix ans, vingt ans, trente ans..."

        Décédé en 1966, il ne put malheureusement  assister à son succés que le temps ne dément pas...
        Car Fantasia  a aujourd'hui soixante-dix ans et continuera  à faire rêver encore très longtemps...

     

    L'Art et la danse


                  " Les hommes visent la lune,les danseurs les étoiles"
                                                                       Elise Terras
     
        

         

    votre commentaire
  •   

    Petite danseuse

     

        A la fin des années 1890, Degas presque aveugle à la suite de l'évolution de la grave maladie oculaire qui le touche depuis de très nombreuses années se consacre quasi exclusivement à la sculpture.
        Il s'y adonne depuis une dizaine d'années déjà, réalisant des modèles en cire, peints aux couleurs naturelles, auxquels il ajoute des accessoires. Ces sculptures, toutefois, n'étaient pas detinées à être montrées, mais lui permettaient de fixer le mouvement pour servir, par la suite, de modèle à ses peintures.

        Une seule, cependant, fit exception:
                         " La petite danseuse de 14 ans", (connue aussi sous le nom de "La Grande Danseuse") qu'il avait tout d'abord l'intention de dévoiler au salon de Paris en 1880. Cependant, estimant que son travail n'était pas encore prêt, il exposa seulement à cette occasion une cage en verre vide... Façon originale d'éveiller par anticipation la curiosité du public sur l'oeuvre à venir... qui parut donc l'année suivante lors de l'exposition impressioniste de 1881:
                          Une jeune danseuse de 99cms de haut environ, réalisée en cire peinte, et agréméntée de cheveux véritables retenus par un ruban de satin vert, vêtue d'un bustier en soie ivoire et d'un tutu en tulle, et chaussée de chaussons de satin rose. (on a retrouvé sur l'un des nombreux dessins de Degas l'adresse d'un fabriquant de poupées et vétements de poupées chez qui, on le suppose, il s'était très vraisemblablement procuré les accessoires). 

        La statue reçut un accueil très mitigé...On la déclara laide, certains dirent que sa tête et ses traits étaient grotesques et primitifs, allant même jusqu'à dire qu'elle ressemblait à un petit singe...et pour finir on lui trouva un visage "où tous les vices impriment leurs détestables promesses" (il ne faut pas oublier, non plus, que dans l'imaginaire masculin de l'époque l'image de la danseuse renvoie à la fille légère).
        D'autre part, le fait que l'oeuvre soit présentée dans une vitrine, telle un spécimen dans un musée d'histoire naturelle ou un travail de taxidermiste, en accentuant l'aggressivité du réalisme choqua une grande partie des critiques.
        Quelques uns cependant, il faut le dire, surent s'émouvoir devant cette adolescente dont le visage révèle la dureté de la vie... Mais ce ne fut pas la majorité...

         La sculpture passa par la suite 40 années dans l'atelier du peintre où elle fut découverte à sa mort stockée parmi toutes celles qu'il avait accumulées. La fragilité de la cire laisse imaginer l'état de dégradation dans lequel on les retrouva, et les héritiers (sa femme et sa fille) décidèrent de les faire restaurer pour en faire exécuter des moulages en bronze.

        Il y eut 27 copies de "la petite danseuse" produites par la Fonderie Hebrard à Paris entre 1920 et 1950, et celle que possède le musée d'Orsay est datée entre 1920 et 1930.
        Dans la version "bronze" les seuls accessoires qui ont été conservés sont le tutu et le ruban retenant les cheveux, sans doute par souci de simplification par rapport à la statue en cire d'origine trés "habillée".
        Celle ci, et on le déplore, n'est malheureusement pas restée en France. Acquise en 1956 par le philantrope américain Paul Bellon, ce dernier en fit don à la National Gallery of Art de Washington, où se trouve maintenant exposée aujourd' hui la silhouette juvénile et jadis si controversée de Marie Van Goethem...

        Issue d'une famille pauvre d'origine belge, Marie Geneviève Van Goethem naquit dans le 9ème arrondissement de Paris, la cadette d'une famille de trois enfants.
        A la mort de son père, tailleur, sa mère n'eut d'autre recours que celui de devenir blanchisseuse, et l'argent se fit  plus rare que jamais pour Marie, Antoinette, son ainée, et Charlotte la benjamine.
        Très certainement poussées par leur mère qui espère pour ses filles de riches protecteurs, les trois soeurs vont rentrer à l'école de danse de l'Opéra. Antoinette la première en 1872, suivie un peu plus tard par Marie et Charlotte.
        C'est entre les années 1871 et 1885 que Degas se passionne pour l' Opéra et la danse, et les soeurs Van Goethem apparaissent dans ses carnets de dessins en 1873. Elles vivent non loin de l'atelier du peintre situé Rue St. Georges, et gagnent entre 6 et 10 francs par séance comme modèles, ce qui contribue de façon substantielle aux maigres revenus de la famille.
       Mais qui n'était sans doute pas suffisant, car lorsque Marie et ses soeurs furent engagées dans le Corps de Ballet on soupçonne déjà leur mère (un temps habilleuse au théatre) de les prostituer auprès des riches abonnés.

       Tout basculera vraiment, cependant, en 1882... Un journal de l'époque montre les ainées fréquentant assiduement des cafés et des cabarets dont la plupart ne sont pas des endroits recommandables pour des jeunes filles...
        Marie, qui est de plus en plus souvent absente de l'Opéra, est finalement révoquée du Corps de Ballet...Quand à Antoinette elle est emprisonnée pour avoir subtilisé un portefeuille...
        A partir de ce moment là les deux soeurs vont sombrer dans la spirale infernale du vol et de la prostitution... Marie n'a que 17 ans... et personne ne sait où et comment elle a terminé sa vie...

        Un bien triste sort... ayant peut-être servi de leçon à la jeune Charlotte qui fit carrière à l'Opéra et dansa avec la grande Carlotta Zambelli. Lorsqu'elle quitta le Corps de Ballet, l'Opéra l'engagea comme professeur et elle eut, parait-il, comme élève, Yvette Chauviré.

        Ces destins tragique inspirèrent Brigitte Lefèvre, actuelle directrice de la danse à l'Opéra, qui demanda à Patrice Bart de monter un ballet évoquant cette partie de la petite histoire. 
        Célébrée maintenant sur la scène où elle évolua jadis (grâce à la musique de Denis Lavaillant  et la chorégraphie de Patrice Bart et Martine Kahane) "la petite danseuse de Degas" nous y apparait aujourd'hui encore plus vivante et émouvante que jamais, déshéritée de la vie qui disparut dans le malheur mais qui, gâce à une sculpture, est devenue immortelle. 

     

     







                     

    1 commentaire
  • Degas Danseuses en bleu

          Fils d'un riche banquier originaire de Naples, Edgar Degas qui a grandi dans un milieu aisé et cultivé et une famille de mélomanes devint très tôt un habitué des soirées à l'Opéra où, grâce à un ami musicien de l'orchestre, Désiré Deham, il réussit à fréquenter les coulisses, puis les salles de répétition.
          Quel meilleur champ d'exploration cet électron libre de l'impressionnisme aurait-il pu trouver pour observer et étudier à loisirs dans un univers clos les évolutions du corps humain? Lui, le «peintre classique de la vie moderne» qui opposait à la peinture de plein air de son ami Manet ses portraits et ses intérieurs, et dont l'oeuvre se caractérise non seulement par le souci du réalisme et du dessin exact mais surtout par cette étude inlassable du mouvement.

          " Rien en art ne doit ressembler à un accident, disait-il, même le mouvement ". Des propos en adéquation parfaite avec la danse classique que Geneviève Guillot et Germaine Prudhommeau définissent ainsi dans leur Grammaire de la Danse:
         " une succession de poses qui sont des moments du mouvement " les uns essentiels, voire caractéristiques, déterminant le mouvement, les autres intermédiaires, simples liaisons entre les premiers.
          Or, parmi le millier de tableaux, pastels, dessins ou peintures de Degas ayant pour sujet la danse, on ne retrouve que très peu de ces moments caractéristiques, primordiaux pour qui souhaite  détailler une technique. Alors qu'abonde au contraire une infinité de mouvements intermédiaires  sans véritable intérêt dans ce contexte là. Car, il le dit lui même, l'artiste ne s'est pas particulièrement attaché à dépeindre la danse.
    Il rendit compte, d'ailleurs, de son véritable objectif en ces termes, à Manet qui l'avait défini comme « le peintre des danseuses » :
          «Je n'ai fait que capturer le mouvement»
    ou encore :
          «On m'appelle le peintre des danseuses, mais on ne comprend pas que la danseuse a été pour moi un prétexte à peindre de jolies étoffes et à rendre des mouvements».

          S'il n'a pas spécialement recherché à en mette en relief le côté technique, il a su par contre, observer et montrer avec justesse l'exigence d'une discipline rigoureuse, le travail pénible et laborieux, ainsi que tous ces moments qui échappent au regard du public, les gestes spontanés, l'attente dans les coulisses, ou les instants de pause où la concentration se relâche et le corps se détend. Nous sommes très loin des gravures du célèbre Pas de Quatre représentant Carlotta Grisi, Marie Taglioni, Fanny Cerito et Lucile Grahan en créatures éthérées figées dans une pause immortelle.
          Les danseuses de Degas sont de chair et de sang... elles sont fatiguées... elles ont froid... elles transpirent... et la représentation qu'il en donne est des plus réaliste.
          Mes femmes sont des gens simples... je les montre sans coquetterie disait-il. Sensible à la dureté du travail en ce XIXème siècle si impitoyable pour les petites gens, Degas n'a pas manqué d'être ému par le décalage entre le monde du luxe ou la féerie du spectacle et la situation sociale misérable des danseuses d'alors.
          Si certains de ses personnages peuvent paraitre à la limite de la vulgarité, c'est que Degas sait très bien qu'à l'Opéra les ballerines se divisaient alors en deux catégories: les artistes à la réputation irréprochable comme Marie Taglioni, Emma Livry ou Cléo de Mérode, et les «filles» comme Marie van Goetheme (qu'il immortalisa par la célèbre sculpture de la Petite Danseuse dont l'allure impudente fit scandale). Ces dernières entrant à l'Opéra très souvent poussées par leur mère pour y trouver des hommes disposés à les entretenir ou éventuellement les épouser.

          Témoin de l'histoire de la danse le peintre l'est encore par l'absence dans son oeuvre de personnages masculins. Les seuls hommes qu'il représente sont les maîtres de ballet, Jules Perrot (1810-1892, créateur du Pas de Quatre) et Louis Mérante (1828-1887, créateur de Sylvia) amis de l'artiste, qui occupent d'ailleurs un rôle central dans deux de ses toiles. Car la danse masculine touche alors à son plus bas niveau de popularité et les danseurs, cantonnés dans des rôles de faire valoir ne sont plus que les porteurs des danseuses.  
            Des danseuses qui portent aux pieds les premiers chaussons de pointes dont la tradition attribue la découverte à Marie Taglioni lorsqu'elle inteprétait le rôle de la Sylphide, et dont le rembourrage sommaire ne permettait alors que des pointes obliques. La danseuse piquait et redescendait tout de suite, comme le montrent très justement certains dessins de Degas où la ballerine immobilisée sur le papier n'aurait su l'être dans la réalité tant l'équilibre semble problématique...
          Caché au hasard des toiles apparait aussi de temps à autre l'arrosoir avec lequel on aspergeait le parquet pour éviter de glisser... ou le poêle qui arrivait à réchauffer péniblement les salles de répétition en hiver... Et l'on retrouvera dans les premières oeuvres, notament dans la Classe de Danse, le décors du vieil Opéra de la rue Le Peletier, bientôt remplacé en 1875 par le palais Garnier.

          Si son intention première n'était certes pas de peindre la danse Edgar Degas ne nous nous en a pas moins légué un document très attachant sur ce monde plongé alors en pleine Belle Époque. Un monde malheureusement bientôt bouleversé par une tragédie qui va reléguer l'Art au second plan... Et lorsque l'artiste disparaît, le 27 Septembre 1917, son inhumation au cimetière de Montmartre passera quasi inaperçue. Exauçant peut-être ainsi le voeu qu'il avait formulé un jour:
          «Je voudrais être illustre et inconnu...»



    « Peinture audacieuse et singulière, s'attaquant à l'impondérable, au souffle qui soulève la gaze sur les maillots, au vent qui monte des entrechats et feuillette les tulles superposés des jupes, peinture savante et simple pourtant, s'attachant aux poses les plus compliquées et les plus hardies du corps »
          ainsi s'exprimait J. K. Huismans découvrant les toiles de Degas en 1880.

    votre commentaire


    Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique
    Suivre le flux RSS des commentaires de cette rubrique