• Edgar Degas (1834-1917) — Peintre de la Danse ?

    Degas Danseuses en bleu

          Fils d'un riche banquier originaire de Naples, Edgar Degas qui a grandi dans un milieu aisé et cultivé et une famille de mélomanes devint très tôt un habitué des soirées à l'Opéra où, grâce à un ami musicien de l'orchestre, Désiré Deham, il réussit à fréquenter les coulisses, puis les salles de répétition.
          Quel meilleur champ d'exploration cet électron libre de l'impressionnisme aurait-il pu trouver pour observer et étudier à loisirs dans un univers clos les évolutions du corps humain? Lui, le «peintre classique de la vie moderne» qui opposait à la peinture de plein air de son ami Manet ses portraits et ses intérieurs, et dont l'oeuvre se caractérise non seulement par le souci du réalisme et du dessin exact mais surtout par cette étude inlassable du mouvement.

          " Rien en art ne doit ressembler à un accident, disait-il, même le mouvement ". Des propos en adéquation parfaite avec la danse classique que Geneviève Guillot et Germaine Prudhommeau définissent ainsi dans leur Grammaire de la Danse:
         " une succession de poses qui sont des moments du mouvement " les uns essentiels, voire caractéristiques, déterminant le mouvement, les autres intermédiaires, simples liaisons entre les premiers.
          Or, parmi le millier de tableaux, pastels, dessins ou peintures de Degas ayant pour sujet la danse, on ne retrouve que très peu de ces moments caractéristiques, primordiaux pour qui souhaite  détailler une technique. Alors qu'abonde au contraire une infinité de mouvements intermédiaires  sans véritable intérêt dans ce contexte là. Car, il le dit lui même, l'artiste ne s'est pas particulièrement attaché à dépeindre la danse.
    Il rendit compte, d'ailleurs, de son véritable objectif en ces termes, à Manet qui l'avait défini comme « le peintre des danseuses » :
          «Je n'ai fait que capturer le mouvement»
    ou encore :
          «On m'appelle le peintre des danseuses, mais on ne comprend pas que la danseuse a été pour moi un prétexte à peindre de jolies étoffes et à rendre des mouvements».

          S'il n'a pas spécialement recherché à en mette en relief le côté technique, il a su par contre, observer et montrer avec justesse l'exigence d'une discipline rigoureuse, le travail pénible et laborieux, ainsi que tous ces moments qui échappent au regard du public, les gestes spontanés, l'attente dans les coulisses, ou les instants de pause où la concentration se relâche et le corps se détend. Nous sommes très loin des gravures du célèbre Pas de Quatre représentant Carlotta Grisi, Marie Taglioni, Fanny Cerito et Lucile Grahan en créatures éthérées figées dans une pause immortelle.
          Les danseuses de Degas sont de chair et de sang... elles sont fatiguées... elles ont froid... elles transpirent... et la représentation qu'il en donne est des plus réaliste.
          Mes femmes sont des gens simples... je les montre sans coquetterie disait-il. Sensible à la dureté du travail en ce XIXème siècle si impitoyable pour les petites gens, Degas n'a pas manqué d'être ému par le décalage entre le monde du luxe ou la féerie du spectacle et la situation sociale misérable des danseuses d'alors.
          Si certains de ses personnages peuvent paraitre à la limite de la vulgarité, c'est que Degas sait très bien qu'à l'Opéra les ballerines se divisaient alors en deux catégories: les artistes à la réputation irréprochable comme Marie Taglioni, Emma Livry ou Cléo de Mérode, et les «filles» comme Marie van Goetheme (qu'il immortalisa par la célèbre sculpture de la Petite Danseuse dont l'allure impudente fit scandale). Ces dernières entrant à l'Opéra très souvent poussées par leur mère pour y trouver des hommes disposés à les entretenir ou éventuellement les épouser.

          Témoin de l'histoire de la danse le peintre l'est encore par l'absence dans son oeuvre de personnages masculins. Les seuls hommes qu'il représente sont les maîtres de ballet, Jules Perrot (1810-1892, créateur du Pas de Quatre) et Louis Mérante (1828-1887, créateur de Sylvia) amis de l'artiste, qui occupent d'ailleurs un rôle central dans deux de ses toiles. Car la danse masculine touche alors à son plus bas niveau de popularité et les danseurs, cantonnés dans des rôles de faire valoir ne sont plus que les porteurs des danseuses.  
            Des danseuses qui portent aux pieds les premiers chaussons de pointes dont la tradition attribue la découverte à Marie Taglioni lorsqu'elle inteprétait le rôle de la Sylphide, et dont le rembourrage sommaire ne permettait alors que des pointes obliques. La danseuse piquait et redescendait tout de suite, comme le montrent très justement certains dessins de Degas où la ballerine immobilisée sur le papier n'aurait su l'être dans la réalité tant l'équilibre semble problématique...
          Caché au hasard des toiles apparait aussi de temps à autre l'arrosoir avec lequel on aspergeait le parquet pour éviter de glisser... ou le poêle qui arrivait à réchauffer péniblement les salles de répétition en hiver... Et l'on retrouvera dans les premières oeuvres, notament dans la Classe de Danse, le décors du vieil Opéra de la rue Le Peletier, bientôt remplacé en 1875 par le palais Garnier.

          Si son intention première n'était certes pas de peindre la danse Edgar Degas ne nous nous en a pas moins légué un document très attachant sur ce monde plongé alors en pleine Belle Époque. Un monde malheureusement bientôt bouleversé par une tragédie qui va reléguer l'Art au second plan... Et lorsque l'artiste disparaît, le 27 Septembre 1917, son inhumation au cimetière de Montmartre passera quasi inaperçue. Exauçant peut-être ainsi le voeu qu'il avait formulé un jour:
          «Je voudrais être illustre et inconnu...»



    « Peinture audacieuse et singulière, s'attaquant à l'impondérable, au souffle qui soulève la gaze sur les maillots, au vent qui monte des entrechats et feuillette les tulles superposés des jupes, peinture savante et simple pourtant, s'attachant aux poses les plus compliquées et les plus hardies du corps »
          ainsi s'exprimait J. K. Huismans découvrant les toiles de Degas en 1880.

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