• Jean-Baptiste Carpeaux (1827-1875) - "Cachez ce sein..."

    L'Art et la danse


        Les guerres ont parfois des conséquences inattendues... Ce fut le cas du conflit de 1870 entre la France et la Prusse qui sauva de la disparition l'un des joyaux de la façade du Palais Garnier...

        C'est en 1863 que l'architecte de l'édifice, désireux de faire exécuter pour le futur Opéra qu'il était en train de construire quatre hauts-reliefs représentant la poésie, la musique instrumentale, la danse et le drame lyrique, prit contact avec un ami de jeunesse, Jean-Baptiste Carpeaux, dont le talent confirmé avait déjà été couronné par de nombreuses médailles ainsi que le prestigieux Prix de Rome.
         La vocation de ce fils d'une modeste famille d'ouvriers, né le 11 Mai 1827 à Valencienne, s'était manifestée de bonne heure à l'école où il modelait pendant les récréations des figures non dénuées d'un certain cachet avec l'argile qu'il retirait des fossés alentours... Et la chance ayant voulu qu'en grandissant on lui permit de cultiver ce don, il avait pu entrer à l'Ecole des Beaux Arts de Paris et, avec le temps, se faire un nom.

        Dans le contexte de la sculpture française du XIXème siècle l'académisme était de règle et laissait très peu, sinon pas du tout, de place à l'expression personnelle... et Carpeaux qui, lui, avait puisé auprès des artistes italiens un goût particulier pour le mouvement et la spontanéité s'accommodait plutôt mal de cette rigueur.
        Surnommé "la terreur des architectes" par Garnier lui même, ce dernier malgré tout fit confiance à son talent et lui confia la réalisation de la Danse en dépit de craintes qui n'étaient pas, il faut le dire, sans fondements...
        Car, renouant avec les grands principes de l'Art Baroque, l'exubérance de Jean Baptiste Carpeaux s'avérait parfois difficile à canaliser... L'architecte eut ainsi beaucoup de mal à limiter le sculpteur aux trois personnages qu'il avait imposés au départ aux autres artistes, certaines propositions de Carpeaux n'en comptant pas moins de 17... Autant dire que la collaboration des deux hommes tourna souvent au bras de fer...

        Trois ans durant Carpeaux va multiplier maquettes et esquisses, habité par cette préoccupation essentielle de rendre la sensation de mouvement. Et ce ne sera qu'au terme d'interminables et laborieuses recherches que naitra finalement le chef d'oeuvre représenté par ce génie bondissant tambourin à la main, dont la dynamique verticale s'allie à la perfection à celle de la ronde des nymphes qui dansent autour de lui.
        L'idée en avait été suggérée par Garnier, d'après un dessin de Gustave Boulanger, une composition de quatre danses pour le Foyer de l'Opéra qu'il avait dédicacée à l'architecte, lequel s'était sans doute laissé gagner par la fougue du statuaire et avait accordé quelques concessions... car la Danse comptait maintenant 9 personnages!...

        Tandis qu'il travaillait à ce projet, Carpeaux avait exécuté à la même époque le buste d'Eugénie Fiocre, la danseuse qui triomphait alors à l'Opéra dans le rôle travesti de Frantz dans le ballet de Coppélia, où l'on retrouve parfaitement en concentré ce que le haut relief lui permit de réaliser complètement à plus grande échelle: l'art d'exprimer le mouvement et la grâce de l'instantané. 

    L'Art et la danse

      
        Lorsque la Danse est enfin achevée en 1869, la construction du nouvel Opéra est loin d'être terminée puisqu'il ne sera officiellement inauguré que le 5 Janvier 1875. Mais une première inauguration, celle de la façade principale avait eu lieu en 1867 à l'occasion de l'Exposition Universelle, ce qui permit de mettre en place, en 1869, l'oeuvre de Carpeaux qui provoqua immédiatement un énorme scandale:

        La sensualité de la sculpture et tant de nudité exposée choquèrent au plus haut point:
                    "J'ai une femme et des filles passionées de musique et qui vont souvent à l'Opéra. Cela leur sera impossible désormais, car jamais je ne consentirai à les mener dans un monument dont l'enseigne est celle d'un mauvais lieu" s'indigna un aristocrate... (qui allait peut-être lui même courtiser les danseuses les soirs de ballet, mais ceci est une autre histoire...) 
        
        Les passions se déchainèrent... Et dans la nuit du 26 au 27 Aout 1869 la statue fut maculée d'encre noire... Il fallut demander à des chimistes de mettre au point une solution spéciale pour faire disparaitre le saccage, ce qui fut fait le 1er Septembre, mais n'effaça pas entièrement toutes les traces dont certaines restèrent visibles.
        Pendant un an la presse continua à alimenter la polémique: Emile Zola croyait reconnaitre dans l'oeuvre l'Empire et les moeurs dissolues de la Cour et des milieux dirigeants. Et l'opinion publique considérant toujours avec autant de réprobation cette débauche de chair en réclamait tout simplement le retrait... Garnier proposa de déplacer la sculpture dans le Foyer de la Danse, mais cette fois ce furent les demoiselles du Corps de Ballet qui s'indignèrent et s'opposèrent au projet en signant une pétition. 
        La statue fut même l'objet de menaces d'enlèvement de la part de ses détracteurs et Napoléon III, prêt à céder aux pressions, commanda en désepoir de cause une nouvelle sculpture à Charles Auguste Gumery...

        Mais la guerre qui éclata le 19 Juillet 1870 allait sauver l'oeuvre de Jean Baptiste Carpeaux... Car les regards de la France s'élevèrent alors à un autre niveau et mirent un point final à la polémique. (Quand au travail de Gumery, mené à bien cependant, il se trouve aujourd'hui exposé au musée des Beaux Arts d'Angers).

        Du fait des nombreux tatonnements le budget initial de la Danse s'était trouvé largement dépassé et Carpeaux avait du en financer une partie, sacrifiant sa fortune et celle de sa femme. Préssé par le besoin d'argent, après l'inauguration de la sculpture il imagina alors d'en isoler des sujets individuels et des bustes pour en faire des réductions en bronze qu'il vendit à des collectionneurs. Parmi les plus célèbres, certainement, figure "le Génie de la Danse", réplique du personnage central.

    L'Art et la danse


        D'autre part, Carpeaux créa par la suite plusieurs nouvelles compositions à partir de personnages également tirés de la Danse... mais apparement "les Trois Graces", "la Rieuse aux Roses" et "L'Amour Désarmé" firent une entrée dans le monde moins tapageuse, reflets plus discrets du talent de celui qui sut traduire admirablement l'art du ballet dans sa représentation de l'instant éphémère.

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        Les dernières années de la vie de Jean Baptiste Carpeaux sont malheureusement assombries par les soucis financiers, les déboires familiaux et la maladie, et il décède à Courbevoie le 12 Octobre 1875, peu de temps après avoir été promu officier de la Légion d'Honneur, et répondu en ces termes au prince Stirbey qui lui remettait la rosette: 
                "Ah merci... c'est le bon Dieu qui va en avoir l'étrenne"...

        Il était écrit malgré tout que la Danse ne finirait pas sa carrière là où elle l'avait commencée... Car afin dêtre préservée des dégats de la pollution elle se trouve exposée aujourd'hui au musée d'Orsay, et c'est une copie exécutée par le sculpteur français Paul Belmondo qui orne maintenant la façade du Palais Garnier, où Jean Baptiste Carpeaux est cependant toujours présent, puisque le monument érigé en 1903 à la mémoire de Charles Garnier et situé sur la façade latérale Ouest au pied de la Rotonde de l'Empereur, comporte un buste en bronze doré sculpté par ses soins, et dont une copie trône au centre du Grand Foyer.

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        Deux prix décernés chaque année aux danseurs classiques rendent également hommage à la mémoire de Jean Baptiste Carpeaux:
        Crée en 1980 à Valencienne, le Prix Carpeaux ouvert aux jeunes talents de 10 à 20 ans, qui en s'élevant au niveau international est devenu une référence en matière de danse classique au même titre que le concours de Varna, et le Prix du Cercle Carpeaux, crée à Paris en 1982, qui récompense lui, chaque année, un membre du Corps de Ballet de l'Opéra afin d'attirer l'attention sur les jeunes espoirs.


        "Le danseur, cet être qui emet du plus profond de soi même cette belle suite de transformations de sa forme dans l'espace"
                                                               Paul Valéry.

        
         

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  • Commentaires

    1
    Guorgy
    Dimanche 20 Mars 2011 à 16:20

    Toujours beaucoup de plaisir à regarder votre blog.

    Merci.

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