• Giselle (1841) - L'apothéose du ballet romantique

    Carlotta Grisi - Giselle

       Quand, en 1835, le contrat de Jules Perrot avec l'Opéra de Paris se termina, il ne fut pas renouvelé. Mais lorsque, quelques années plus tard, le danseur s'y présenta accompagné de Carlotta Grisi, un jeune talent exceptionel découvert en Italie, il espérait, cette fois, qu'ils seraient engagés ensemble. Pourtant il se trompait, et elle fut la seule à faire ses débuts à l'Opéra en 1841.

        Tombé immédiatement sous le charme de celle qui partageait la vie de Jules Perrot (et dont il eut la soeur ainée, Ernesta Grisi, cantatrice, comme compagne) le critique Théophile Gautier, déjà passioné par le ballet, fit  de Carlotta sa muse et devint son chevalier servant pour le restant de ses jours... Nul ne s'étonnera dans ces conditons que l'écrivain se soit alors transformé en scénariste...

         La lecture d'un livre d'Henriche Heine, De l'Allemagne, où il découvrit la légende des Willis, ces fiancées disparues avant leurs noces qui entrainent les imprudents dans des rondes fatales à la nuit tombée, et un poème de Victor Hugo célébrant une jeune fille morte d'avoir trop dansé, attisèrent son imagination; et il se mit au travail avec la collaboration du dramaturge Jules Henry Vernoy de St. Georges.
         Ensemble ils s'attachèrent, comme l'écrivit lui même Théophile Gautier, à  "porter le ballet dans une sphère supèrieure".  Objectif  que les deux auteurs ont totalement réussi à atteindre car, par l'union de la danse et de l'art du théatre, Giselle, où le mouvement se transforme en langage de l'âme, exprime plus profondémént la psychologie des personnages que tous les autres ballets de l'époque.

        Le projet de Théophile Gautier tombait fort à propos et fut aussitôt accepté par l'Opéra qui avait besoin de quelquechose de nouveau pour sa nouvelle danseuse; on le mit donc immédiatement en chantier.
        La musique en fut confiée à Adolphe Adam, un jeune compositeur exceptionellement doué qui s'était fait connaitre avec un autre ballet, La Fille du Danube, en 1836. Celui ci travailla en étroite collaboration avec Carlotta et Perrot. Mais à titre privé seulement, car l'honneur de monter le ballet revenait au Premier Maitre de Ballet, Jean Coralli. Cependant, persuadé que Giselle ne serait jamais qu'un bouche trou dans la programation celui ci laissa, de bonne grâce, Jules Perrot régler toutes les danses exécutées par Carlotta... Rien ne fut officiel, Perrot ne reçut aucun salaire, et son nom ne parut jamais à l'affiche... (il fallut attendre pour cela que Serge Lifar le fasse reconnaitre comme l'un des créateurs du ballet et demande à ce qu'enfin son nom soit ajouté à celui de Coralli).

        "Rien ne me plait davantage que cette besogne qui consiste, pour trouver l'inspiration, à regarder les pieds des danseuses" disait Adolphe Adam dont la musique qu'il composa pour Giselle reste le chef d'oeuvre vanté par Tchaïkovski lui même.

        "La musique de monsieur Adam est supérieure à la musique ordinaire des ballets, elle abonde en motifs, en effets d'orchestre" en disait Théophile Gautier. Si le ballet fit fureur dans le Paris des années 1840 c'est effectivement surtout, outre son argument émouvant, pour sa partition sensationelle: aux personnages et à leurs actes s'attachent des leitmotive intégrés avec habileté au déroulement du drame, y compris par leur instrumentation. Les instruments sont, en effet, toujours en parfait accord avec les situations, telle la flûte avec la folie ou le violon avec l'amour (la danse la plus voluptueuse de Giselle dans l'Acte II est faite sur un alto).

        Il faut cependant souligner que le Pas de deux des Paysans de l'Acte I n'est pas l'oeuvre d'Adolphe Adam, mais celle de Frédéric Burgmüller... A l'origine ce Pas de deux n'était pas destiné à rester. Il avait été simplement ajouté lors de la Première pour plaire à un riche protecteur qui avait demandé qu'un rôle soit accordé à sa ballerine favorite Nathalie Fitzjames... Et comme ceci contrariait les créateurs Adolphe Adam n'en composa pas la musique... Il se trouva, cependant que les danses de ce divertissement plurent tellement au public qu'elle figurent encore aujourd'hui dans le ballet...



       La Première mondiale de Giselle eut lieu à l'ancien Opéra de la rue Le Peletier le 28 Juin 1841, qui était le vingt-deuxième anniversaire de Carlotta Grisi. Elle avait pour partenaire Lucien Petipa, le frère du chorégraphe; et les décors, relativement simples puisqu'au nombre de deux seulement, étaient l'oeuvre de Pierre-Luc-Charles Cicéri qui régna près de trente deux ans sur les décors de l'Opéra et révolutionna le genre par son imagination et son ingéniosité.

        Succés immédiat, Giselle aborde et exploite tous les thèmes du romantisme en général:
        Couleur locale et pastorale amoureuse qui s'achève en tragédie, inversion des identités sociales, irruption d'un mode fantastique issu des légendes germaniques, et rédemption par la force de l'amour.
        A cela il faut ajouter le ballet blanc du deuxième Acte, les envolées des ballerines, la virtuosité de la technique des pointes, et bien entendu la Femme, maitresse absolue du ballet de l'époque. Des ingrédients qui ont produit le chef d'oeuvre considéré à très juste titre comme l'apogée du ballet romantique.



        Giselle, une jolie villageoise, est aimée du garde chasse Hilarion. Mais elle s'éprend de Loys, un jeune paysan,  qui n'est autre qu'Albrecht, duc de Silésie, dissimulant sa véritable identité malgré la réprobation de son écuyer Wilfred.
        Berthe, sa mère,se méfie de ce nouveau prétendant et réprouve  l'amour excessif que sa fille porte à la danse, la menaçant même de finir un jour en Willi...
        Quant à Hilarion, éconduit, sa jalousie et sa curiosité sont aiguisées par ce rival mystérieux... et, après avoir réussi à découvrir la vérité, il la révèle à tous à l'occasion d'une chasse à laquelle participent le duc de Courlande et sa fille Bathilde, qui n'est autre que la fiancée officielle d'Albrecht... A cette nouvelle, Giselle trahie et détruite par le chagrin et la honte en perd sur le champ à la fois la raison et la vie.



        Le deuxième Acte s'ouvre sur une clairière où a été creusée la tombe de Giselle.
        Poussés par le remord et le chagrin, Hilarion et Albecht, venus tour à tour s'y recueillir, deviennent la proie des Willis et de leur reine l'implacable Myrtha. Après s'être saisies d'Hilarion qu'elles font danser  jusqu'à épuisement et précipitent dans une mare, elles s'attaquent à Albrecht...Mais Giselle, nouvelle Willi, tente de s'interposer et l'entraine près de la croix, symbole sacré, qui anéantit les pouvoirs de Myrtha... Si celle ci ne peut plus rien contre Albrecht elle a toujours, cependant, Giselle en son pouvoir, et lui ordonne d'attirer ailleurs son amant. Giselle s'exécute et Albrecht ne peut résister à son appel...Mais elle va cependant le sauver car elle le tiendra éloigné de ses consoeurs en dansant avec lui jusqu'aux premières lueurs de l'aube qui feront rentrer les Willis dans leurs tombes... mais les sépareront, elle et lui, pour l'éternité...



        Dans ses versions modernes le ballet se termine toujours de la même façon: Albrecht meurt lorsque Giselle disparait, ou bien s'écroule secoué de sanglots pendant que le rideau se ferme, ou encore s'éloigne à pas lents (version de Patrice Bart)
        Cependant, le livret de messieurs Jules Henry Vernoy, Théophile Gautier et Jean Coralli, la version originale, donne une fin différente:
        Au moment même où elle va disparaitre Giselle apreçoit Bathilde... et dans un élan de générosité demande à Albrecht de se réconcilier avec sa fiancée; ce qu'il fait en titubant vers Bathilde, les mains tendues réclamant son pardon, puis tombe d'épuisement dans les bras des assistants alors que le rideau tombe.

        C'est ainsi que fut présenté Giselle le 28 Juin 1841. Après le succés parisien, le ballet ne tarda pas à être produit à Londres, puis à St. Petersbourg l'année suivante, avant d'être monté à Boston et à New York en 1846. A Londres, Fanny Elssler, l'autre grande Giselle de l'époque, en donna une version hautement dramatique, et sa scène de la folie devint un modèle pour les générations suivantes.
        Car le rôle titre de Giselle est l'un des plus difficiles du répertoire (on dit qu'il est à une danseuse ce qu'Hamlet est à un acteur) exigeant de l' interprète, outre une maitrise technique irréprochable, des qualités d'expression dramatique passant de la joie de vivre au désespoir, puis à la folie et à la passion.
     
        Le ballet disparut du répertoire occidental pendant de nombreuses années, alors qu'il continua sa carrière en RussieMarius Petipa effectua diverses transformations entre 1860 et 1899, lui donnant la forme quasi définitive sous laquelle nous le voyons aujourd'hui, et que Michel Fokine ramena en France pour les  Ballets Russes de Diaghilev.
        Giselle est en effet le premier grand ballet à avoir franchi les décennies en conservant l'essentiel de sa chorégraphie originale. Chorégraphie tout à fait surprenante pour l'époque, qui frappa le public par la solidité de sa structure aussi bien dans les grands tableaux du corps de ballet que dans les soli. Avec leurs lignes strictes et symétriquement réfléchies, les ensembles donnaient au spectacle une puissance et une force inégalées et, investis d'une fonction dramatique comme les soli, allaient bien au-de-là du cliché purement décoratif des divertissements auxquels on avait été habitué jusque là.


        D'autres chorégraphes en firent à leur tour une relecture, parmi lesquels Serge Lifar en 1932, Alicia Alonso en 1972, et Patrice Bart et Eugène Poliakov en 1991.
        Il ne faut pas oublier non plus la version contemporaine qu'en fit Mats Ek en 1982, où Giselle un peu simplette finit ses jours dans un hôpital psychiatrique...

        Toujours d'actualité, comme tous les grands classiques, Giselle demeure encore...
        Car tant que le monde et les êtres humains existeront, les coeurs continueront à se briser... et les consciences à ne se réveiller souvent que trop tard.



                     A thing of beauty is a Joy for ever
                     Its loveliness increases; it will never pass
                     Into nothingness.
                                                  John Keats
       

      
    Les extraits de Giselle sont interprétés par le Corps de ballet du Bolchoï avec Natalia Bessmertnova et Yuri Vasyuchenko dans les premiers rôles.

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