• La Belle au Bois Dormant (1890) - Un ballet de légende.

    L'Art et la danse


        Très vexée de n'avoir pas été invitée au baptême d'une jeune princesse, une méchante sorcière lui jette un sort et la condamne à se piquer mortellement le doigt avant son seizième anniversaire. Toutefois grâce à l'intervention d'une bonne fée cette mort annoncée se transformera en un sommeil de cent ans au terme duquel un prince la réveille et l'épouse.
         Qui n'a jamais lu ou entendu ainsi résumé La Belle au Bois Dormant de Charles Perrault, publié en 1697 dans Les Contes de ma Mère l'Oye?.. dont on ignore complètement en réalité le côté sombre du récit...

        Car certes, le prince Désiré y épouse "la Princesse" ( à laquelle Perrault ne donne pas de nom) mais, n'en déplaise à la tradition, celle ci n'eut que deux enfants... et ne vécut pas dans une félicité immédiate, menacée par une belle mère ogresse qui tente de dévorer sa bru et ses petits enfants en l'absence du prince parti en guerre... Evidemment tout s'arrange in-extremis à la fin, mais le lecteur est ici à cent lieues de l'apothéose féerique du ballet de Petipa...
        Qui reste plus proche de la version des frères Grimm, Dornröschen Eglantine, le prénom que les deux frères donnent à la princesse), paru en 1812 dans leur collection Les contes de l'Enfance et du Foyer laquelle, à quelques détails près reste très fidèle au récit de Perrault mais s'achève au réveil de la princesse et à son mariage.

        Un premier ballet avait été créé sur ce thème en 1829 à l'Opéra de Paris, signé par Jean Aumer sur une musique de Ferdinand Herold. Mais cette Belle au Bois Dormant ne passa malheureusement pas à la postérité, car lorsque le chorégraphe quitta l'Opéra tous ses ballets sans exception furent éliminés du Répertoire.

        Et c'est Ivan Vsevolojski qui sortit la jolie princesse de sa léthargie. Le public russe de l'époque semblait avoir perdu son engouement pour le ballet, et le besoin d'une nouvelle production devenant évident il avait proposé en 1886 à Tchaïkovski de composer un ballet sur le thème d'Ondine. Mais le musicien qui avait déjà écrit un opéra sur le sujet dont il était si mécontent qu'il en avait brulé la partition, refusa net ce projet...  Le directeur des théatres impériaux eut alors l'idée de La Belle au Bois Dormant pour laquelle il était décidé à ne reculer devant aucune dépense afin de recréer la gloire des grands spectacles passés ( On dit que La Belle au Bois Dormant représente la production la plus chère qu'on ait jamais vue à l'époque, et peut être même jusqu'à aujourd'hui...) 

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        Cumulant les fonctions, Vsevolojski fut à la fois le librettiste et le costumier, et surtout fit collaborer pour la première fois tous les acteurs du projet, une avancée considérable, car avant lui chacun travaillait indépendamment sans se préoccuper de ce que faisaient les autres.

        Tchaïkovski, à qui il avait fait parvenir un exemplaire du livret, adhéra immédiatement au sujet et lui répondit aussitôt:
                "Je veux vous dire combien je suis charmé et enthousiaste. L'idée me plait et je ne souhaite rien de mieux que d'en écrire la musique".
        Et à son mécène, madame Von Meck, il fit cette remarque:
                "Le sujet est si poétique et m'inspire tant que je suis captivé" 

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        Captivé, il le fut certainement, car il termina l'ébauche du ballet en quarante jours... et laissa ce commentaire sur la denière page:
                "Terminé les ébauches. 26 Mai 1889 à 8h du soir. Dieu soit loué! J'ai travaillé 10 jours en Octobre, trois semaines en Janvier et une semaine maintenant... 40 jours en tout!"
        Et il commença l'orchestration le 30 Mai...

        Après son expérience catastrophique avec Reissinger pour le Lac des Cygnes, il avait souhaité toutefois, avant tout, s'assurer de la participation du chorégraphe... Précaution inutile car Marius Petipa avait déjà l'habitude de travailler en étroite collaboration avec les compositeurs "de la maison" à qui il pouvait demander de modifier la musique à sa convenance pendant les répétitions.

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        Tchaïkovski préférait toutefois composer seul, mais les contacts avec Petipa furent aussi fréquents que nombreux, et ce dernier lui fournit des instructions écrites extrèmement précises et détaillées auxquelles il adhéra, conservant malgré tout la latitude d'apporter ses propres inventions.
        
    Très rigoureux, le chorégraphe commendait au musicien le nombre exact de mesures désirées pour une danse ou une variation, en indiquant clairement de quelle sorte de musique il avait besoin et ce qu'elle devait exprimer, et il n'est pas exagéré d'écrire que les deux hommes travaillèrent main dans la main.
        Par mesure de précaution Tchaïkovski avait cependant l'habitude de composer toujours un peu plus que la quantité demandée... Et à Petipa qui avait commandé pour la Valse des Guirlandes 16 mesures d'introduction et 150 de valse, il fournit 36 mesures d'introduction et 261 de valse... (ce dont personne ne lui fit reproche et surtout pas Petipa qui put donner libre cours à son inspiration et à son art, créant pour l'occasion son ballet le plus achevé).

        Le thème du ballet est évidemment le conflit entre les forces du bien: la Fée Lilas et celles du mal: Carabosse, et chacune a un leitmotiv qui la représente, lequel transparait pendant tout le ballet et sert de fil conducteur à l'intrigue.
        Le divertissement de l'Acte III fait par contre une coupure complète avec les deux actes précédents et met l'accent cette fois sur les danses de caractère des nombreux invités au mariage.
        Cette profusion d'intervenants fait de la partition de la Belle au Bois Dormant la plus importante de toutes les partitions de ballet... Trois heures dans sa version la plus longue, qui représentent quatre heures de spectacle en comptant les entr'actes... Le ballet n'est de ce fait que très rarement donné dans son intégralité et chaque production procède à ses propres amputations, très souvent parmi les personnages de contes, certains cependant tel l'Oiseau Bleu (issu d'un conte de Madame d'Aulnoy) demeurant inamovibles...
       
        Les répétitions du ballet débutèrent en Août 1889 et la première avait été prévue pour le 3 Décembre. Mais à la suite de divers retards dans l' élaboration des décors elle se trouva reportée plusieurs fois. La première mondiale de la Belle au Bois Dormant n'eut lieu finalement que le 15 Janvier 1890 au théatre Marinsky de St.Petersbourg avec dans les deux rôles principaux Carlotta Brianza et Pavel Gertd, ainsi que Marie Petipa, la fille du chorégraphe, dans celui de la Fée Lilas. Traditionellement dansé "en travesti" (ce qui permet de souligner l'ambiguité du personnage) le rôle de Carabosse était tenu par Enrico Cecchetti qui dansait également celui de l'Oiseau Bleu au dernier Acte.

        La structure du ballet est construite autour d'un Prologue et de trois Actes et lorsque le rideau s'ouvre la Cour du roi Florestan est en effervescence à l'occasion du baptême de la princesse Aurore (prénom que Perrault donnera à la fille de la princesse). Toutes les fées ont été invitées, et chacune des sept apporte un cadeau à l'enfant: beauté, gràce etc... Lorsque survient soudain la méchante Carabosse, furieuse d'avoir été oubliée... Dans sa rage elle jette une malédiction sur le bébé: celle ci se piquera et en mourra. Heureusement, la Fée Lilas qui n'avait pas encore offert son don parle à son tour: Elle ne peut malheureusement pas annuler complètement ce sortilège, mais elle annonce que la princesse se piquera au doigt mais n'en mourra pas, elle sera seulement plongée dans un profond sommeil dont elle sera réveillée par le baiser d'un prince.



        L' Acte I célèbre le seizième anniversaire d'Aurore... Une ambiance de fête a envahi le palais avec la Valse des Guirlandes des villageois. La jeune princesse reçoit des présents et se succèdent tour à tour quatre prétendants royaux qui lui offrent chacun une rose (L'Adage de la Rose au cours duquel Aurore accomplit des équilibres impressionants est l'un des plus célèbres du ballet). Dissimulée sous un déguisement Carabosse qui a réussi à s'introduire lui fait alors cadeau d'un fuseau, un objet nouveau qui excite sa curiosité, car tout objet pointu a été banni du royaume depuis la malédiction. Elle s'en empare aussitôt, danse avec et finalement se pique et tombe inanimée... au même moment la Fée Lilas réapparait comme promis: la princesse et la Cour dormiront pendant cent ans jusqu'à l'arrivée d'un prince, le château se couvre de ronces et la forêt qui l'entoure devient impénétrable.



        L'Acte II nous transporte cent ans plus tard lorsque le prince Désiré qui s'est égaré au cours d'une partie de chasse a soudain une vision d'Aurore entourée de ses suivantes et accompagnée de la Fée Lilas ( On remarquera au passage cette curieuse propention qu'ont les princes de ballets à se perdre dans des clairières où il se passe des choses extraordinaires...) Dans le cas de Désiré celui ci, charmé par cette apparition, sera conduit au château où il découvre Aurore qui repose endormie, et conquis par sa beauté il la réveille d'un baiser, lui déclare son amour et la demande en mariage.


        L'Acte III a pour cadre le palais qui a retrouvé ses fastes d'antan à l' occasion du mariage d'Aurore et du prince. Plusieurs fées ont été invitées, la fée Or, la fée Argent, et les fées des Pierres Précieuses. La fée Lilas participe aussi bien entendu à la fête ainsi que de nombreux personnages de contes, certains tout droit sortis des Contes de ma Mère l'Oye: le Petit Chaperon Rouge, Cendrillon, le Chat Botté, le Petit Poucet ou encore, outre l'Oiseau Bleu, la Chatte Blanche de Madame d'Aulnoy.
        Tous les invités se réjouissent du bonheur des jeunes gens et le ballet se termine par une somptueuse Apothéose.


        Le tsar Alexandre III qui jouissait du privilège d'assister aux répétitions générales, avait à l'issue de celle ci convié Tchaïkovski dans sa loge et avait considérablement chagriné ce dernier qui, pensant avoir composé là une de ses meilleures musiques, ne reçut que ce commentaire anodin: "Très joli!"...
        Dans la salle se trouvait également ce soir là un petit garçon de 7 ans, Igor Stravinsky, que la variation de l'Oiseau Bleu inspira peut-être des années plus tard pour créer son Oiseau de Feu... Tandis qu'un autre petit garçon qui allait également devenir célèbre était, lui, sur la scène: George Balanchine en Cupidon dans une cage dorée.. et ces deux enfants qui ne se connaissaient pas allaient un jour produire ensemble plus de trente ballets!

        Quelques "jamais contents" qui avaient critiqué la pauvreté des productions précédentes condamnèrent maintenant la richesse de la Belle au Bois Dormant. On reprocha eventuellement au ballet de "n'être qu'un conte" et la musique de Tchaïkovski fut jugée "trop sérieuse".

        Ce qui n'empécha pas malgré tout le ballet de devenir extrèmement populaire, ni sa Première de marquer l'apogée de la tradition du ballet classique russe.
        En Novembre 1890 on célébrait déjà la 50éme représentation, et à cette occasion les danseurs remirent une couronne à Tchaïkovski sur la scène du théatre Marinsky.
        Donné 200 fois en dix ans, la Belle au Bois Dormant ne cessa jamais d'être représenté en Russie et arrivait en seconde position au palmarés des ballets les plus populaires derrière La fille du Pharaon (Petipa-Pugni).

        En 1899 le ballet de Petipa parut à Moscou au théatre Bolchoï, puis les Ballets russes de Diaghilev s'en emparèrent et l'exportèrent à l'Ouest.
        Ils n'en donnèrent tout d'abord que des extraits (Vaslav Nijinski et Tamara Karsavina dansèrent à Paris le pas de deux de l'Oiseau Bleu) et la version intégrale ne fut présentée pour la première fois hors de Russie que le 2 Novembre 1921 à l'Alhambra Theatre de Londres, et curieusement ne parvint pas à convaincre le public (En dépit des décors et des costumes magnifiques crées par Léon Bakst). Après des pertes financières considérables le ballet cessa alors d'être programmé et la tournée parisienne fut annulée.

        Diaghilev présenta cependant à Paris l'année suivante Le Mariage d'Aurore un ballet en un Acte composé d'extraits de l'Acte III dont Serge Lifar présenta une nouvelle version à l'Opéra en 1932.

        Mais la princesse Aurore ne se réveillera vraiment complètement dans l'intégralité de la chorégraphie originale de Petipa qu'au lendemain de la seconde guerre mondiale. Car ce fut en effet la première production présentée au Royal Opera House Covent Garden lorsque rouvrit le théatre en 1946... Le public d'alors qui sortait d'un cauchemard sut peut-être davantage apprécier cette part de rêve, et le succés fut immédiat et ne s'est jamais démenti depuis dans le monde entier.

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        Plusieurs chorégraphes ont retravaillé le sujet, parmi les plus celèbres Ninette de Valois en 1971, Rudolf Noureev en 1975 ou George Balanchine en 1981. Tous adhèrent à l'idée du conte de fée que Mats EK ou Jean Cristophe Maillot pour les Ballets de Monte Carlo transforment par contre à leur idée en une saga moderne où les princes sont tout sauf charmants.



        Interprété par toutes les grandes compagnies La Belle au Bois Dormant reste cependant un grand classique qui ne cesse d'enchanter petits et grands, telles ces deux petites filles, Galina Ulanova ou Anna Pavlova, dont ce fut la découverte émerveillée du monde du ballet... et qui grâce à la princesse Aurore eurent envie de devenir danseuses...



    Les extraits de La Belle au Bois Dormant sont interprétés par le Corps de ballet de l'Opéra de Paris.
    Avec  Aurélie Dupont et Manuel Legris dans les rôles principaux,  Delphine Moussin et Benjamin Pech dans le Pas de deux de l'Oiseau Bleu et Laetitia Pujol et Stéphane Elizabé dans le Pas de deux de la Chatte Blanche.  
    Chorégraphie de Rudolf Noureev. 

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