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    Le Petit Cheval Bossu (1864) - Un conte populaire

      Le Petit Cheval Bossu  (Ballet du Mariinski- Chorégraphie Alexeï Ratmansky)

     

     

    " Au de là des monts, des ondes
      Au de là des mers profondes
      Sur la terre en face des cieux,
      Habitait jadis un vieux.
      Il avait, le pauvre diable,
      Trois fistons: Un gars capable,
      Le deuxième, comme-ci, comme-ça,
      Le troisième un vrai bêta..."

     

        Piotr Erchov (1815-1869) a 19 ans lorsqu'en 1834 il publie par épisodes dans la revue mensuelle petersbourgeoise, La Bibliothèque pour la lecture, son premier conte, une oeuvre en vers qu'il a recueillie, dit-il, presque môt à môt de la bouche des conteurs populaires, et pour laquelle il n'a fait lui-même que mettre un peu d'ordre dans la versification et compléter par endroits la narration.
        Le Petit Cheval Bossu, qui allait rester son chef-d'oeuvre fut largement apprécié dès sa parution et le célèbre poète Alexandre Pouchkine (1799-1837) aurait dit un jour après en avoir pris connaissance: "Je pense qu'il me faudra maintenant abandonner ce genre de littérature". Une prosodie simple alliée à une franche cocasserie assurèrent en effet aussitôt à l'ouvrage une très large diffusion et cette fresque naïve entamera une très longue histoire dans l'imaginaire et la culture russe, mettant en scène deux personnages types du conte populaire:
       Ivan-le-fou, généralement décrit comme un fils de paysan un peu simplet, moqué et jalousé par ses ainés, et que la morale de l'histoire fait sortir vainqueur de diverses aventures, 
      et l'Oiseau de feu qui appparait également de façon récurente dans ces recits féeriques, créature parée de plumes rougeoyantes qui possèdent la particularité d'émettre encore de la lumière lorsqu'elles sont détachées de son corps (Venu d'une terre lointaine l'Oiseau de feu représente dans tous les cas une sorte de quête mythique).

     

        Très curieusement le premier ballet inspiré par la magie de cet univers slave sera l'oeuvre de deux occidentaux: Arthur Saint-Léon (1821-1870), alors maitre de ballet aux Théâtres Impériaux et Cesare Pugni (1802-1870), son compositeur attitré qui l'a accompagné pendant son séjour en Russie.
       Représenté pour la première fois le 3 Décembre 1864 au théâtre Bolchoï Kamenny de Saint-Petersbourg, Le Petit Cheval Bossu, destiné à rivaliser avec La Fille du Pharaon que Petipa (1818-1910) avait présenté en 1862, connut un énorme succès, notamment grâce aux tableaux féeriques du monde sous-marin ainsi qu'aux nombreuses danses de caractère qu'il comportait. Car en effet, afin de satisfaire aux goûts du public de la Russie impériale, Saint-Léon termina ce ballet de 4 actes et 8 tableaux par une apothéose, somptueux divertissement célébrant toutes les nations de Russie à travers ses danses nationales, dont Pugni avait intitulé la majestueuse marche d'ouverture Le Peuple de Russie.

        Les deux rôles principaux avaient été confiés à Maria Muravieva et Timofeï Stukolkin avec lesquels Saint-Léon remontera le ballet au Bolchoï de Moscou le 26 Novembre 1866 et celui-ci sera ensuite repris à Moscou en 1893 par José Mendez, puis à Saint-Petersbourg en 1895 par Marius Petipa sous le titre La Tsar-Demoiselle.

     

    Le Petit Cheval Bossu (1864) - Un conte populaire

    Le Petit Cheval Bossu  (1895)


        Pour Pierina Legnani, son étoile favorite, qui avait pour partenaire Alexander Shirayev, Petipa avait ajouté à cette occasion, outre un nouveau prologue et une nouvelle apothéose, des variations supplémentaires dont il avait confié la composition musicale à Ricardo Drigo. Mais le ballet connaitra encore de nouvelles transformations lorsque Alexander Gorsky (1871-1924) le remet en scène en 1901 pour le Bolchoï avec des additions à la partition signées Tchaïkovski, Dvorak, Glazounov, Brahms et Litz, et le remonte une nouvelle fois en 1912 pour le Mariinski avec Tamara Karsavina et Nicolas Legat comme interprètes:
       Gorsky ajouta en effet dans cette dernière version le fameux pas de trois "L'Océan et les Perles" qu'il chorégraphia sur des extraits de la musique que Riccardo Drigo avait composée pour La Perle, le ballet que Petipa avait spécialement mis en scène à l'occasion du célèbre gala donné en 1896 pour le couronnement du tsar Nicolas II et de l'impératrice Maria Feodorovna.

     

    Le Petit Cheval Bossu  Acte IV scène 1- Pas de trois l'Océan et les perles. Chorégraphie d'Alexandre Gorsky d'après  Arthur Saint-Léon et Marius Petipa. Musique de Cesare Pugni.  Interprété par le Chelyabinsk State Ballet le 24 Décembre 2008 à l'occasion du gala "L'Age d'or du Ballet Impérial de Russie".

     

        Reprise en 1945 par Feodor Lopukov pour le Kirov, cette version de Gorsky (d'après Saint-Léon et Petipa), servit de base à toutes celles qui suivirent, mais avec le temps le ballet perdit de son éclat et ne devint plus que l'ombre du grand spectacle qu'il avait été autrefois. Comme pour beaucoup d'oeuvres du XIXème siècle seuls survécurent ses plus célèbres passages donnés encore pendant de nombreuses années par l'Académie Vaganova lors des spectacles d'élèves, mais Le Petit Cheval Bossu n'a plus figuré à leur programme depuis 1989.

     

     Le Petit Cheval Bossu - Le grand Pas des Néréides  Chorégraphie de Marius Petipa d'après Arthur Saint-Léon, musique de Cesare Pugni. Interprété par les élèves de l'Académie Vaganova

     

        C'est sur une toute autre partition qu'évolue ce petit cheval aujourd'hui, celle que le compositeur Rodion Chtchedrine (1932- ) créa en 1955 à l'intention de sa muse Maïa Plissetskaïa (qu'il épousa en 1958). Interprété par "la diva de la danse" avec pour partenaire Vladimir Vassiliev le ballet, chorégraphié par Alexander Radunsky, fut donné pour la première fois au Bolchoï en 1960.

     

    Le Petit Cheval Bossu   Chorégraphie d'Alexander Radunsky  Musique de Rodion Chtchedrine  Interprété par Maïa Plissetskaïa et Vladimir Vassiliev et le corps de ballet du théâtre Bolchoï.

     

       La version la plus récente est celle d'Alexeï Ratmansky (1968- ) qui présente en 2009 avec le Mariinski sur la partition de Chtchedrine un ballet d'inspiration néoclassique.

     

     Le Petit Cheval Bossu (extraits)   Chorégraphie d'Alexeï Ratmansky  Musique de Rodion Chtchenine  Interprété par Viktoria Tereshkina et Vladimir Shkyarov et le corps de ballet du théâtre Mariinski.

     

         Avec une économie de décors et des costumes épurés, l'oeuvre de Ratmansky enlève certainement le pittoresque et la part de mystère qui auréolait les créations antérieures, mais elle demeure une adaptation relativement fidèle de ce clasique du conte populaire russe dont l'argument, qui fourmille de péripéties et de personnages ainsi que de détails hauts en couleur, reste par ses nombreuses versions particulièrement difficile à relater avec exactitude...  

        ... Il était une fois un paysan qui avait trois fils: Danila intelligent, Gavrila dans la moyenne, et Ivan plutôt simplet. Ceux-ci ayant constaté que le champ où pousse le blé qu'ils vendent à la ville a été piétiné une nuit par un intrus, ils décident de monter la garde à tour de rôle. Mais les ainés craignant le froid et l'obscurité abandonnent très vite les lieux, tandis que le cadet fidèle au poste voit arriver à minuit une magnifique jument blanche avec une crinière en or qu'il réussit à capturer. Celle-ci lui propose alors, en échange de sa liberté, de lui faire cadeau de trois poulains : les deux premiers seront très beaux et il pourra les vendre un bon prix, et le troisième tout petit et bossu deviendra son meilleur ami et saura lui venir en aide car il possède des pouvoirs magiques.

     

    Le Petit Cheval Bossu (1864) - Un conte populaire

    Baguier "Le petit cheval bossu"  N.Borounov (1971)

     

         Ivan accepte le marché, mais lorsque quelques jours plus tard Danila et Gavrila qui passaient par là découvrent les animaux que leur frère a dissimulés dans une vieille remise, ils capturent les deux plus beaux et s'en vont les vendre à la foire de la ville voisine. S'apercevant de leur disparition Ivan est tout d'abord très surpris mais lorsque le petit cheval bossu lui fait découvrir la vérité il part cette fois très contrarié à la recherche des voleurs...

        Tandis que les deux compagnons se dirigent de nuit vers la capitale Ivan entrevoit soudain dans le lointain une étrange lueur et découvre avec stupeur en s'approchant qu'il s'agit en fait de la plume d'un Oiseau de feu... Bien que son petit cheval lui conseille de ne pas y toucher (car cela porte malheur), le jeune homme émerveillé s'en saisit malgré tout et après l'avoir cachée sous son manteau se remet en route.
        Parvenu le lendemain à la ville Ivan se rend au marché où Danila et Gavrila l'ont effectivement précédé accompagnés des deux juments. Le tsar qui a été prévenu de la présence de chevaux magnifique en fait aussitôt l'acquisition, et, à la grande honte de ses frères, Ivan se fait alors reconnaitre comme le véritable propriétaire. Cependant, tandis que les montures sont ramenés au palais ces derniers à peine arrivés s'échappent sur le champ pour venir retrouver leur ancien maitre. En homme plein de bon sens l'empereur décide alors d'engager ce dernier comme régisseur de ses écuries, un choix qui ne va pas bien sûr sans provoquer la jalousie de l'ancien titulaire du poste, un boyard qui décide de surveiller cet usurpateur qu'il ne voit jamais nettoyer les lieux ni nourrir les chevaux dans la journée alors que ceux-ci sont bien nourris et impeccablement tenus... Et s'étant dissimulé dans l'ombre une certaine nuit il voit alors avec stupéfaction Ivan tirer de son chapeau où il l'a dissimulée la plume qui l'éclaire tandis qu'il accomplit sa besogne.


        Mis au courant dès le lendemain, le tsar convoque son nouveau domestique et lui ordonne sur les conseils perfides du boyard de partir aussitôt en quête de cet Oiseau de feu qu'il souhaite posséder.
        Désemparé le pauvre garçon (menacé d''être pendu s'il revient bredouille...) ne sait où orienter ses recherches, mais le petit cheval le guide près d'une colline d'argent où viennent s'abreuver, dit-il, ces créatures mythiques. Ivan répand alors des graines ainsi que du vin que le souverain lui a donné pour le voyage et après avoir réussi à capturer l'un des oiseaux le remet au tsar si heureux qu'il le nomme sur le champ Grand Ecuyer.


        Débordant d'imagination perverse, le boyard rapporte alors à son maitre  avoir ouï dire qu'il existe une belle princesse que l'on dit fille de la lune et du soleil, et qui demeure sur une ile enchantée au bord de l'océan... L'idée faisant son chemin dans le sens prévu par le conseiller malveillant, Ivan se voit alors prié cette fois par le monarque (toujours sous peine de terribles sanctions dans le cas d'un échec...) d'aller chercher cette merveilleuse créature...
        Le petit cheval qui prend une nouvelle fois les choses en main conseille  à son compagnon de demander au tsar, avant de se mettre en route, deux nappes, une tente brodée d'or, ainsi que toutes sortes de délicieuses friandises, et lorsqu'ils arrivent à destination après un très long voyage, Ivan, comme prévu, dresse alors le camp sur le rivage... Poussée par la curiosité, la jolie princesse s'y présente un beau matin et, s'aventurant dans la tente qu'elle ne soupçonne pas être un piège, est aussitôt faite prisonnière. Emu par tant de beauté c'est très à contrecoeur que le jeune homme ramène la captive au palais où le tsar, tombé aussitôt sous le charme de l'arrivante, se met en tête de l'épouser...


        Afin de gagner du temps (car il faut mentionner à ce moment du récit que le tsar n'est pas un jeune premier...) celle-ci demande alors que l'on aille chercher sa bague qui est tombée au fond de l'océan, nouvelle mission utopique confiée à Ivan qui se remet en route sur le dos de son petit cheval non sans avoir été prié par la princesse d'aller rassurer sur sa disparition ses nobles parents en leur palais.

     

    Le Petit Cheval Bossu (1864) - Un conte populaire

    "Ivan et le petit cheval bossu"  V.Kouznetsov (1927)

     

         Parvenus près du rivage, les voyageurs y découvrent avec surprise une baleine échouée portant un village sur son dos et celle-ci, apprenant qu'ils se rendent au palais du soleil, leur fait promettre de lui demander la raison de cette dure pénitence qui lui a été infligée.

     

    Le Petit Cheval Bossu (1864) - Un conte populaire

    La Baleine  Jouet en bois  A.Zinin (1947)
       

        Lorsque les deux compagnons arrivent à destination et qu'ils font savoir à la lune que le tsar veut épouser sa fille celle-ci, bien que tanquilisée sur son sort, rentre dans une grande colère et déclare qu'elle ne donnera la princesse qu'à un beau jeune homme et non à un vieux barbon. Quand à la baleine, le soleil leur révèle qu'elle a été pareillement condamnée il y a dix ans pour avoir avalé trois dizaines de navires et ne sera pardonnée que lorsqu'elle les aura rendus.
        Sur le chemin du retour Ivan rapporte aussitôt ces paroles au cétacé qui libère les navires sur le champ, les habitants qui vivaient sur son dos la quittent alors et, avant de retrouver enfin la mer, cette dernière qui n'est pas une ingrate cherche un moyen de remercier son bienfaiteur. Ivan, pour qui les choses ne pouvaient pas mieux tomber, lui confie alors l'objet de sa mission et la baleine envoie alors huitres et coquillages à la recherche de l'anneau de la princesse que ceux-ci découvrent finalement au bout de longues heures et remettent à Ivan soulagé.

        Le tsar offre alors la bague à la princesse qui persiste cependant dans son refus de l'épouser lui dressant par contre le portrait du soupirant idéal à qui elle donnera son coeur... C'est alors que le perfide boyard insinue à l'oreille du prétendant rejeté que celui-ci existe et qu'il n'est autre qu'Ivan, lequel est conduit en prison sur le champ et condamné à périr le lendemain, plongé successivement dans trois chaudrons, le premier d'eau bouillante, le second d'eau tiède et le troisième d'eau glacée. Mais alors que le châtiment va être exécuté le jeune homme siffle son petit cheval qui accourt et souffle sur les récipients, et lorsque son maitre y est précipité il en ressort transformé en prince magnifique... Devant un pareil résultat le tsar s'y jette à son tour mais ne peut, à ce stade de l'histoire, que mourir bien évidemment ébouillanté... Et comme dans ce genre de fictions les affaires ne moisissent pas le peuple reconnait la belle princesse pour sa tsarine et celle-ci prenant Ivan comme époux les noces sont célébrées sur le champ et tout le peuple danse et se réjouit avec les nouveaux souverains...

        Ce récit riche en évènements inspira également le cinéma d'animation et tout particulièrement le premier long métrage de celui que l'on surnomme parfois le patriarche de l'animation soviétique, Ivan Ivanov-Vano, qui en réalisa une première version en 1947 et reprit entièrement le film en 1975. La version de 1947, restaurée en 2004 grâce aux nouveaux moyens de la technique, a été redistribuée et doublée dans de nombreuses langues et continue à enchanter petits et grands, poursuivant la longue aventure de ce conte dont le succés ne s'est pas démenti avec le temps...

                                         "Car l'homme est fait de l'essence du rêve..."
                                                   William Shakespeare   (The Tempest IV- 1) 

     

     Le Petit Cheval Bossu   Ivan Ivanov-Vano   -  Version restaurée  (La bande son est en russe, mais les images parlent d'elles-même...)


      
        


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    Joan Miro (1895-1983) - La couleur des rêves

    Amour d'Hirondelle (1934)


    "La peinture c'est étudier la trace d'un petit caillou qui tombe sur la surface de l'eau, l'oiseau en vol, le soleil qui s'échappe vers la mer ou parmi les pins et les lauriers de la montagne".
                                        (Joan Miro) 

     

     

        Figure majeure de l'art du XXème siècle, Joan Miro revendiqua tout au long de sa vie une liberté absolue et fait partie de ces artistes qui, échappant à toute convention, n'attendent qu'un simple exercice de sensibilité de la part de celui qui regarde leurs toiles:
        Nul besoin de s'appesantir ou de disserter sur son oeuvre, il suffit de s'abandonner à la lecture instinctive des rêves d'autrui.

     

        Fils d'un bijoutier-orfèvre, ce créateur extraordinaire naquit à Barcelone le 20 Avril 1895. Enfant calme et discret, c'est dans les campagnes, celle de la Catalogne ou de Majorque (d'où sa mère est originaire) qu'il fait de longues promenades et découvre ses premières couleurs. A l'école c'est un élève médiocre, car la seule chose qui l'intéresse c'est le dessin qu'il aborde en suivant des cours privés dès l'âge de 7 ans. Cependant, malgré un talent inné et un goût très prononcé pour l'art et la créativité, c'est à un autre avenir que ses parents le destinent, et après avoir été inscrit dans une école de commerce il occcupera divers emplois dans une droguerie, une entreprise de bâtiment et une société de produits chimiques.
       La terrible frustration que Miro ressent à l'époque ira jusqu'à affecter sa santé et c'est à Mont-roig del Camp près de Tarragone, dans la maison de campagne familiale où il se repose (et retournera peindre régulièrement au cours de son existence), qu'il prend la décision de laisser enfin parler librement sa passion.

        Malgré les réticences de ses parents il est inscrit en 1912 à l'Académie du peintre Gali, une école ouverte à tous les arts (peinture, musique, poésie) et où le Maitre devine en lui un grand talent artistique. Encouragé à perfectionner sa mémoire et son imagination l'élève s'applique alors à peindre des paysages de la région de Mont-roig, s'efforçant de faire apparaitre sur sa toile tous les détails, donner une place à chaque feuille et à chaque fleur, et décrira lui-même sa joie "d'arriver à comprendre dans un paysage un brin d'herbe. Pourquoi le mépriser? Un brin d'herbe est aussi gracieux qu'un arbre ou une montagne. A part les primitifs et les japonais tout le monde néglige ces choses divines".


    Joan Miro (1895-1983) - La couleur des rêves

    Le village de Mont-roig (1919)


        Alors qu'il expose pour la première fois à Barcelone (1918), ses amis artistes, dont Francis Picabia, n'ont de cesse de lui parler de Paris, et en 1920 Miro réalise son rêve et part à la conquète de la capitale française avec trois sous en poche: Il visite des musées et des expositions et rencontrera à cette occasion dans son atelier son compatriote Pablo Picasso.
         Retournant les mois d'été à Mont-roig retrouver sa source d'inspiration catalane, il passe alors tous ses hivers à Paris où il fréquente de nombreux artistes, écrivains, poètes ou peintres, entre en contact avec les surréalistes et écrira à ce sujet:
        "C'est par hasard que j'ai rencontré les surréalistes, et je n'ai jamais signé aucun de leurs manifestes. Au contact des poètes surréalistes une chose m'est apparue clairement, et c'est cela qui comptait pour moi dans le surréalisme: la nécessité de vaincre la peinture. La peinture surréaliste en elle-même ne m'intéressait pas spécialement. Je devinais qu'il y avait encore quelque chose de plus grand, et que la peinture pouvait être encore quelque chose de plus que cela. En quoi a consisté pour moi l'influence des surréalistes? Dans la victoire sur la réalité visuelle".


        

    Joan Miro (1895-1983) - La couleur des rêves

    La Ferme (1920)  

    (Donnant déjà une impression d'irréel et de surnaturel La Ferme fut acheté pour quelques milliers de francs par Ernest Hemingway)

       

        Petit à petit Miro simplifie les formes pour peindre des images sorties de son subconscient. Ce que l'on ignore généralement c'est qu'il exprime des hallucinations provoquées par la faim, la vraie faim, celle que, très désargenté à l'époque, il ne pouvait pas toujours rassasier et il explique lui-même comment il trouvait ses idées de tableaux:
        "Je rentrais le soir tard à mon atelier de la rue Blomet et j'allais me coucher très souvent sans avoir diné... J'avais des sensations que je notais dans mon carnet et je voyais apparaitre des formes au plafond..."
       
    C'est le début de son exploration d'un univers abstrait et enjoué dans lequel il conjugue le rêve, la fantaisie et le merveilleux dans des tableaux pleins de vie, au moyen de couleurs éclatantes et de formes simplifiées, une géographie de signes colorés et de figures poétiques en apesanteur placée sous le double signe d'une fraicheur d'invention faussement naïve et de cet esprit catalan exubérant et baroque.


    Joan Miro (1895-1983) - La couleur des rêves

    Carnaval d'Arlequin (1924) 

     

        "Ce qui compte ce n'est pas une oeuvre, c'est la trajectoire de l'esprit durant la totalité de la vie" écrira le peintre. Et lorsqu'il réalise en 1925 la série des Danseuses I et II il s'achemine déjà vers des créations de plus en plus dépouillées:
        "Il est important pour moi d'arriver à un maximum d'intensité avec un minimum de moyens. D'où l'importance grandissante du vide dans mes tableaux" fera-t-il remarquer.

     

    Joan Miro (1895-1983) - La couleur des rêves

    La Danseuse II (1925)

    (Le thème de la danseuse reviendra très souvent dans l'oeuvre de Miro, plus ou moins figurative ou plus ou moins reconnue, car le personnage le fascine avec ses possibilités infinies de combinaisons de formes et de rythme)

     

        Miro verra sa première exposition personnelle organisée à Paris en 1926 par Pierre Matisse qui devint par la suite son galeriste, et cette même année Serge Diaghilev enthousiasmé par son travail lui confie, sur les conseils de Picasso, Roméo et Juliette, le dernier ballet composé par Bronislava Nijinska pour les Ballets Russes et pour lequel l'artiste créa un univers onirique d'une extraordinaire puissance.
        Malgré le scandale qui eut lieu lors de la Première à cause du boycott des surréalistes dirigés par Aragon et Breton qui accusaient à grands reforts de cris et de tracts Miro et Ernst (auteur des décors du 2ème Acte) de collaborer avec la "bourgeoisie" réactionnaire, Lifar écrira plus tard dans son Histoire des Ballets Russes: "Roméo et Juliette avait été du point de vue plastique l'un des meilleurs ballets". 

     

    Joan Miro (1895-1983) - La couleur des rêves

    Projet de costume de Joan Miro pour Roméo et Juliette (1926)

     

     

        Les années qui suivirent voient le peintre en pleine révolte poétique rechercher face à un monde désespérément trop rationnel de nouveaux moyens d'expression, exprimant un mépris provocateur pour la peinture conventionnelle et son désir de "l'assassiner"...
        Il expliquera cependant lui même: "Non, assassiner la peinture ce n'était pas brûler les musées, la peinture était figée, butée, arrêtée, sans plus aucune issue, c'est à l'intérieur de la peinture qu'il y avait quelque chose à détruire".
        Miro se tournera plus particulièrement vers le collage, mélant dans ses oeuvres morceaux de bois, fil de fer, plumes, chaines, ficelle, papier de verre, cartes postales ou même sable, et de ces assemblages hétéroclites naitra en 1928 le Portrait d'une Danseuse , simple agencement d'une plume, d'un bouchon et d'une monumentale épingle à chapeau sur un panneau de bois peint en blanc, un tableau "que l'on ne peut rêver plus nu" dira Eluard.


    Joan Miro (1895-1983) - La couleur des rêves

    Portrait d'une Danseuse  (1928)


        C'est après avoir vu une série de travaux similaires (Constructions - 1930) que Léonide Massine demande à Joan Miro de réaliser les décors et les costumes de son ballet Jeux d'Enfants pour les Ballets Russes de Monte-Carlo. Le peintre, très attaché aux arts du spectacle qui constituèrent chez lui une passion essentielle et où il y avait disait-il une part de miracle, accepte sans hésiter la proposition du chorégraphe et part à Monte-Carlo au début de l'année 1932 peu après la naissance de sa fille unique Dolorès (Il a épousé Le 12 Octobre 1928 Pilar Juncosa à Palma de Majorque).

        Pour cette histoire d'une fillette réveillée par les esprits qui gouvernent les jouets il élabora cette fois un monde enfantin prétendument naïf et d'une extrème vivacité, constitué de volumes et de divers objets dotés de mouvement, et le ballet dont la Première eut lieu le 14 Avril 1932, obtint le succès mérité.

     

    Joan Miro (1895-1983) - La couleur des rêves

    Projet de décor de Joan Miro pour Jeux d'Enfants (1932)

       

        Miro s'intéressait énormément à la scène car dans son esprit la musique, le mouvement, la forme et la couleur ne faisaient qu'un.
        "Devant la coordination existant entre les couleurs et les formes de ses peintures on éprouve involontairement de la joie et un grand besoin de danser" dira Léonide Massine.
        Lorsque le danseur Joan Magrinya se produsit à Barcelone Miro réalisa pour lui un extraordinaire costume d'Arlequin aux tons essentiellement bleus, et le peintre travailla sérieusement à un projet de spectacle entièrement créé par lui-même qu'il développa pendant plusieurs années dans divers cahiers pleins de notes et de dessins (Bon nombre de ces idées furent utilisées pour L'Oeil Oiseau, le ballet-paragramme qu'il fit représenter en 1973 à la Fondation Maeght à Saint-Paul de Vence, puis retoucha et redonna à Venise en 1981 sous le titre de L'Uccello Luce).

     

    Joan Miro (1895-1983) - La couleur des rêves

    La Fondation Maeght possède 275 oeuvres de Joan Miro, un patrimoine unique en France. L'Oiseau Lunaire (1968) que l'on voit ici sur le cliché fait partie avec L'Oiseau Solaire d'un ensemble de quatre statues, deux de bronze et deux de marbre.

     

        Amené à s'établir en France pendant la durée de la Guerre Civile qui éclata en 1936 en Espagne Joan Miro soutint activement depuis Paris ses compatriotes républicains et s'engageant à leurs côtés réalisa sa célèbre affiche "Aidez l'Espagne!"


    Joan Miro (1895-1983) - La couleur des rêves


           ... et la victoire de Franco en 1939 lui interdisant tout retour au pays il demeurera dans la capitale française jusqu'au début de la Seconde Guerre Mondiale qui le voit alors séjourner à Varengeville près de Dieppe où il peint la célèbre série de 23 tableaux intitulés Constellations.


    Joan Miro (1895-1983) - La couleur des rêves

    Constellations (1941)

     

        Chassé par l'invasion allemande il se réfugie alors avec sa famille à Palma de Majorque (Baléares) où dès 1942 il renoue avec la culture espagnole développant de nouvelles approches de son art avec la céramique et le modelage, et c'est également à cette époque qu'il peindra deux nouvelles toiles consacrées à la danse: La Danseuse espagnole et La danseuse écoutant jouer de l'orgue dans une cathédrale gothique (1945). 

     

    Joan Miro (1895-1983) - La couleur des rêves

    La Danseuse Espagnole (1945)

     

        Un séjour aux Etats-Unis en 1947 (où il exécute plusieurs fresques dont celle de l'hôtel Plaza à Cincinnati) va augmenter encore sa cote de popularité (ainsi que celle de ses oeuvres...) et l'artiste qui ne jouissait à l'époque malgré sa célébrité que d'une situation financière aussi modeste que sa personne, osera cette fois à son retour réclamer aux galeristes un pourcentage plus important sur les ventes de ses toiles:
        "Je n'accepterai plus dorénavant la vie médiocre d'un petit gentleman modeste" écrivit-il à l'un d'eux.
        Et en 1956 il peut enfin aménager dans la villa de ses rêves à Palma de Majorque, construite pour lui par l'architecte Joseph Lluis Sert, dans le style ultra-moderne typique de l'architecture avant-gardiste des années 1950...(Transformés en Musée Miro les lieux sont depuis 1992 ouverts au public)

     

        Touche à tout et grand travailleur comme le fut son ami Picasso, Miro, qui s'était initié à la lithographie devenue l'un de ses moyens d'expression préféré acccorda également une partie importante de son temps à la sculpture,

     

    Joan Miro (1895-1983) - La couleur des rêves

    L'Oiseau Solaire (1968)  (Fondation Miro  Barcelone)

     

       et se consacra entièrement de 1955 à 1959 à la céramique.

     

    Joan Miro (1895-1983) - La couleur des rêves

    Mur de céramique réalisé par Joan Miro à Palma de Majorque

       

        L'artiste ne se résigna pas cependant à abandonner la peinture et retrouva ses pinceaux en 1960 créant des oeuvres de plus en plus sobres et de plus en plus simplifiées.

     

    Joan Miro (1895-1983) - La couleur des rêves

    Danseuse (1969)

     

        Il utilisera également des sufaces de plus en plus importantes et la série des trois Bleus (1961) traduit ce qu'il a recherché toute sa vie: la méditation et le dépouillement:
        "Les trois grandes toiles bleues, j'ai mis beaucoup de temps à les faire. Pas à les peindre, mais à les méditer pour arriver au dépouillement voulu. Savez vous comment les archers japonais se préparent aux compétitions?... expiration... inspiration... expiration... C'était la même chose pour moi... Ce combat m'a épuisé... Ces toiles sont l'aboutisement de tout ce que j'aurai essayé de faire".

      

    Joan Miro (1895-1983) - La couleur des rêves

    Bleu I, II, III  (1961)    (Centre Pompidou-Metz)

    "J'ai toujours été fasciné par le vide... Une toile avec rien, hop, juste un point, presque rien..."
                      

     

         Peintre, poète, céramiste, sculpteur et graveur, l'oeuvre que laisse Joan Miro est immense, tout simplement à la mesure du talent, de l'imagination et de la créativité de cet artiste d'exception. Tout au long de sa vie il a revendiqué une totale liberté, échappant ainsi à toute convention, cubiste, surréaliste ou abstraite qui aurait pu l'enfermer et si André Breton déclare malgré tout que "le surréalisme lui doit la plus belle plume de son chapeau", l'art de notre temps lui doit, lui, à n'en pas douter sa plus fraiche lumière.

     

    Joan Miro (1895-1983) - La couleur des rêves

    Joan Miro (1895-1983)

         Joan Miro s'éteignit le jour de Noël 1983 à Palma de Majorque et repose au cimetière de Montjuïc à Barcelone.


        

     

          "Ce qui est important ce n'est pas de finir une oeuvre, mais d'entrevoir qu'elle permette un jour de commencer quelquechose"
                                                                                 Joan Miro (1895-1983)   


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  • L'Art et la danse

     

        Aucun peintre n'est aussi unanimement associé à l'univers de la danse que l'est Edgar Degas (1834-1917), car jamais aucun artiste n'a sans doute observé les danseuses d'aussi près, mais si celui-ci a partagé l'engouement des balletomanes sous le Second Empire et la IIIème République il a volontairement ignoré ce qui charmait ces derniers, l'extériorité et la vanité, pour leur préférer l'obscure réalité du quotidien: seules d'ailleurs quelques unes de ses toiles parmi l'imposant corpus d'oeuvres qu'il consacra au sujet (plus d'un millier de dessins, pastels ou peintures à l'huile) représenteront le triomphe de l'étoile auréolée de gloire et de splendeur factice. 

     

    L'Art et la danse

    (Star des calendriers et des couvercles de boites de chocolats L'Etoile donne une idée mièvre et très erronée de l'oeuvre véritable d'Edgar Degas)

     

        L'objectif principal du peintre, il le dira lui-même, est l'étude du mouvement et, dans cette recherche inlassable, à la scène cadre de gestes beaucoup trop convenus il préfèrera naturellement la plupart du temps le huis clos des coulisses et des salles de classe et de répétitions, et dévoilera par cette même occasion ce qui fait la vérité et l'authenticité du ballet, découvrant l'âpreté de la vie de celles qui resteront toujours dans l'ombre.

     

    L'Art et la danse

     

        Degas fréquentait avec assiduité l'Opéra en tant que spectateur, mais grâce à un ami musicien de l'orchestre, Désiré Dehau, il fut introduit de l'autre côté du décor où à partir du début des années 1870 et jusqu'à sa mort, les danseuses à l'exercice, aux répétitions ou au repos deviendront son sujet de prédilection. Luttant contre les stéréotypes et les clichés (il ne dotera d'ailleurs que très rarement ses ballerines d'un joli minois), dans une période où la peinture était censée donner du monde une représentation embellie il n'idéalise rien, et ses toiles sans complaisance aucune nous révèlent sans fard l'intimité de ce monde tel qu'il était en cette seconde moitié du XIXème siècle.

     

    L'Art et la danse

     

         C'est en 1874 qu'il présente pour la première fois au Salon des Impressionnistes une oeuvre consacrée au ballet: Il s'agit du Foyer de la Danse de la rue Le Peletier, un lieu qui le fera fantasmer longtemps après que l'Opéra fut détruit par un incendie et remplacé par le nouvel Opéra Garnier inauguré en 1875. 
        On reconnait sur la toile le maitre de ballet Louis Mérante (1828-1887) tout de blanc vétu, l'un des seuls personnages masculins présents dans son oeuvre car la danse française est alors à son plus bas niveau et les danseurs ont pratiquement disparu de la scène où évoluent en reines les vaporeuses sylphides romantiques adulées du public...

     

    L'Art et la danse

    (La danseuse à l'extrème gauche qui s'apprête à attaquer une variation est Mademoiselle Hugues. On remarquera sur la chaise l'éventail avec lequel les danseuses tentaient de se rafraîchir et qui apparaitra dans de très nombreux tableaux)

     

        Des ballerines qui portent encore pour l'exercice les traditionnels jupons blancs et dont la tenue est encore relativement compliquée:
        "D'abord une chemise dont le pan arrière est ramené par devant entre les jambes et serré à la taille par un ruban. On revêt ensuite un corset lacé, un pantalon qui couvre les cuisses et des bas de coton tenus par des jarretières sous lesquelles on glisse le bas du pantalon. C'est ensuite le tour du corsage et enfin le juponnage".
       Les danseuses doivent elles-même fournir (et entretenir, en épinglant les plis tous les soirs...) ces volants de tarlatane que leur mères étaient alors chargées de confectionner selon des critères bien précis.
        Un regard attentif sur l'oeuvre de Degas nous apprend par contre qu'il était permis de porter des bijoux (bracelets et boucles d'oreilles y apparaissent très souvent), et qu'aucune coiffure n'était imposée tandis que le chausson de pointe au bout encore relativement souple n'avait rien à voir avec son homologue moderne.

     

    L'Art et la danse

     (A l'heure où Angelin Preljocaj fait danser nue comme un ver l'Elue de son Sacre du Printemps, ce pastel de Degas n'évoque rien de plus pour nous aujourd'hui qu'un exercice de grands battements à la barre... Mais lorsque le dessin a été exécuté le contexte était très différent, et certains des tableaux de l'artiste montrant trop de jambes et de dessous furent considérés par les contemporains comme scandaleux, voire même subversifs...) 


        C'est Jules Perrot (1810-1892) que l'on retrouve sur une autre toile dirigeant une classe, armé lui aussi du bâton avec lequel le professeur scande la mesure sur le sol:

     

    L'Art et la danse

        

      Et le violoniste, qui accompagnait leçons et répétitions, est présent dans nombre de compositions:

     

    L'Art et la danse

     

     

    L'Art et la danse

      

        Autour de ces divers personnages le peintre se fait le témoin du quotidien, attentif a ses moindre détail: Il n'oubliera pas, outre l'éventail, un ustensile que l'on pourrait croire égaré et dont la présence n'a pourtant rien d'incongru: l'arrosoir avec lequel on humidifiait le parquet afin d'éviter d'y glisser (On le retrouve dans l'oeuvre ci-dessus au premier plan à gauche devant le piano ainsi que, placé pratiquement au même endroit, dans le tableau représentant la classe de Jules Perrot).
        Beaucoup plus imposant cette fois on découvre également l'énorme poële qui réchauffait à grand peine les salles glacées en hiver:

     

    L'Art et la danse

        

        Et dans ce décor spartiate, Degas observe avec attention l'effort de l'apprentissage d'une implacable rigueur,

     

    L'Art et la danse

    (On retrouve encore une fois ici l'arrosoir) 

     

          Lorsqu'il fait apparaitre un quelconque mouvement d'ensemble il n'en fait qu'un détail de la scène car son but n'est pas de faire l'apologie de la beauté de la danse mais de représenter les attitudes ordinaires de ces danseuses qui transpirent ou qui ont froid et qui rajustent une ceinture ou lacent un chausson:

     

    L'Art et la danse

      

          Lorsque la leçon s'achève enfin il saisit les gestes les plus spontanés, naturels et anodins, ces moments de pause où la concentration se relâche et le corps se détend tandis que les unes, épuisées, se grattent le dos et d'autres massent leurs pieds meurtris par les pointes:

     

    L'Art et la danse

     

     

    L'Art et la danse

     

     

    L'Art et la danse

    (La danseuse de gauche rajuste sa jarretière) 

     

          Cette même lassitude, on la retrouve également dans les coulisses, les soirs de spectacle,

     

    L'Art et la danse

     

        et à l'heure des répétitions ce sont encore une fois des danseuses qui baillent ou s'étirent qui sont au premier plan:

     

    L'Art et la danse

     

         Mais si le ballet sur scène n'apparait ici que comme un détail, le peintre qui, par contre, n'occulte rien et dénonce ces pratiques, n'a pas manqué de représenter les "messieurs" élégants assis tout au fond: deux riches "abonnés" de l'Opéra à qui il était permis d'assister aux répétitions...
        A ce privilège ceux-ci ajoutaient également celui d'être admis dans les coulisses lors des spectacles ainsi que dans le Foyer qui avait alors la réputation d'un véritable lieu de rendez-vous galants... 

     

    L'Art et la danse

    (A plusieurs reprises Degas aura un regard de compassion et d'attendrissement face à ces jeunes femmes "dévoyées" presque malgré elles)

     

        ... car les danseuses de l'époque, pour la plupart issues de milieux pauvres, étaient mal payées et devaient souvent compléter leurs fins de mois par quelques "attentions" à un riche protecteur... et pire encore il arrivait que ce soit les mères qui, présentes elles aussi dans les salles de répétition, négocient les entrevues:

     

    L'Art et la danse

     

    L'Art et la danse

      

     

        Lorsque Degas exécute ses toiles, les personnages des ballets romantiques correspondent à une double image de la femme, créature tantôt angélique, tantôt diabolique. Mais le peintre n'adhère pas à cette mythologie et préfère rendre le monde réel.
       Il exalte la danse féminine dans sa fatigue, sa mélancolie et son quotidien, et en peignant la faiblesse de ces êtres qu'il magnifie a réussi le défi qu'aucun autre artiste ne relèvera après lui: atteindre le coeur du monde de la danse.

     

      

     Musique: Piotr Ilich Tchaïkovski    La Belle au Bois Dormant   Final


         


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  • L'Art et la danse

    Jules Perrot  par Edgar Degas (1834-1917)

     

        Jules-Joseph Perrot naquit à Lyon le 18 Août 1810 où il semble que c'est son père, machiniste au Grand Théâtre, qui envisagea pour lui un avenir dans le monde du spectacle. Une heureuse décision, car le jeune garçon révéla effectivement des aptitudes certaines pour la danse et, en 1818, il parait sur la scène du Grand Théâtre de Lyon dans l'opéra de Boïeldieu (1775-1834), Le Petit Chaperon Rouge, s'astreignant à un entrainement quotidien dès l'âge de neuf ans.

        Mais ce sont ses talents de mime et d'acrobate qui vont pourtant attirer sur lui les regards, plus particulièrement une parodie du célèbre danseur "disloqué" de l'époque, Charles Mazurier (1798-1828), avec laquelle il se produit dans divers théâtres de province.

     

    L'Art et la danse

    Charles Mazurier  dans le rôle de Polichinelle Vampire fit les délices de tout Paris sous la Restauration, surnommé "Le César de la pirouette, l'Alexandre de la cabriole, le privilégié du grand écart".

     

         Jules Perrot n'est encore qu'un enfant lorsque le public parisien le découvre pour la première fois au théâtre de la Gaité où il fait ses débuts le 29 Décembre 1823 dans le costume de Polichinelle, et Le Journal de Paris relate ainsi l'évènement:
        "Avec sa présence, sa souplesse et sa légèreté, cet enfant de seulement 12 ans est déjà bien supérieur aux Mazuriers et autres exécutants de ces tours de force".
        Mais, page le jour et figurant le soir, le jeune Perrot encouragé par autant de louanges va placer ailleurs ses ambitions: Il ne sera pas danseur-acrobate, il sera danseur classique...

        Le plus éminent des professeurs qui a déjà évalué son talent va alors devenir son maitre, et à cause de son physique qui n'était pas idéal, Auguste Vestris (1760-1842) lui donnera ce conseil:
        "Saute d'un endroit à l'autre, tourne, balance, mais ne laisse jamais au public le temps d'étudier ta personne".
        Le "style Perrot" était né... et fera écrire plus tard:
        "Ce danseur arpentait le théâtre avec tant de rapidité que dans les cercles qu'il décrivait il semblait se poursuivre lui-même".

     

    L'Art et la danse

     Jules Perrot


        Avant même d'avoir 17 ans le jeune homme est engagé au théâtre de la Porte Saint-Martin où un critique nous apprend effectivement "qu'il ne manque ni d'aisance ni de souplesse" mais que "sa figure est loin d'être gracieuse", une constatation partagée par un autre de ses contemporains:
        "Perrot n'est pas beau, il est même extrêmement laid. Au dessus de la taille il a les proportions d'un ténor et il est inutile d'en ajouter davantage... Mais ses jambes sont extrêmement agréables à regarder et bien que ce ne soit pas l'usage de discuter des proportions physique d'un homme, on ne peut pas rester silencieux devant elles: Le pied et le genou inhabituellement minces équilibrent harmonieusement leur rondeur quasi féminine, puissantes, élégantes et souples, ce sont les jambes du jeune homme en culotte rouge qui brise la baguette symbolique sur son genou dans la toile de Raphaël, Le Mariage de la Vierge".

     

    L'Art et la danse

    Le Mariage de la Vierge      Raphaël (1483-1520)


        Combinant le meilleur de la technique classique que lui enseigne Vestris avec sa propre expérience passée, Jules Perrot, après un bref séjour à Londres, fera ses débuts à l'Opéra de Paris en 1830 dans La Muette de Portici d'Auber (1782-1871). Cette première apparition fera sensation et les critiques voient déjà en lui "le plus grand danseur de son temps".
        Promu en un an "premier sujet" il est alors choisi pour être le partenaire de Marie Taglioni (1804-1884) dans Zéphire et Flore de Charles-Louis  Didelot (1767-1837), et Théophile Gautier (1811-1872) le décrit à cette occasion en ces termes:
        "Perrot l'aérien, Perrot le Sylphe, la Taglioni mâle"...
        Malheureusement, ne supportant pas qu'il lui soit fait de l'ombre, Marie Taglioni ne tolérera pas son succès grandissant et après quelques saisons refusa de danser avec lui... 
        Les étoiles de l'époque dont le salaire était équivalent à celui de nos footballers actuels étaient vénérées, voir idolâtrées, se montrant impitoyables face à la concurrence...  Et "La Taglioni", qui faisait la pluie et le beau temps à l'Opéra, obtint finalement que Perrot soit renvoyé...

        Celui-ci se produisit alors comme artiste invité sur différentes scènes européennes et, à Naples, rencontra Carlotta Grisi (1819-1899) dont il devint le professeur, le mentor et l'époux non officiel (Bien que celle-ci dansa sous le nom de Madame Perrot à l'époque de la naissance de leur fille). Ensemble ils se produisent à Londres (1836), Vienne où Perrot crée sa première grande chorégraphie Der Kobold (1838), et iront à Munich et Milan, puis Paris où il présente sa protégée dans Zingaro (1840) au théâtre de la Renaissance.

        Le talent de Carlotta la mettait sur le même pied que Marie Taglioni et Fanny Elssler (1810-1884) et elle fut finalement invitée à danser à l'Opéra où Perrot n'était évidement pas le bienvenu... C'est pourquoi elle n'accepta le contrat que dans la mesure où son compagnon serait réintégré... La direction laissa alors entrevoir au chorégraphe la création possible de deux ballets, et dans l'attente de la décision officielle celui-ci commença à collaborer à titre privé avec le compositeur Adolphe Adam (1803-1856) à un nouveau projet qui allait être monté à l'Opéra: Giselle, que le maitre de ballet en titre, Jean Coralli (1779-1854), considérait avec dédain comme un bouche-trou... C'est pourquoi celui-ci ne fut que trop heureux, après s'être toutefois assuré que Perrot n'avait pas été officiellement engagé par l'Opéra, de lui laisser faire discrètement une partie de son travail, c'est à dire toutes les scènes et les variations exécutées par Carlotta... "J'ai personnellement vu Perrot faire travailler à Carlotta Grisi des passages de ballet qui devaient être utilisés dans Giselle" écrira Auguste Bournonville (1805-1879)...

     

    L'Art et la danse

    Carlotta Grisi dans Giselle

     

     

        Le ballet présenté le 28 Juin 1941 fut un triomphe et Jean Coralli s'en déclara sans vergogne le seul chorégraphe... (C'est Serge Lifar (1904-1986) qui rétablira la vérité bien des années plus tard et rendra enfin justice à Jules Perrot). Mais Giselle qui venait de propulser Carlotta au sommet de la gloire vit en même temps la séparation du couple Perrot/Grisi, car la "muse" de Théophile Gautier ayant répondu aux avances de ce dernier, Perrot préféra s'éloigner de Paris et poursuivre sa carrière à l'étranger (Jean Coralli qui ne souhaitait pas que s'ébruite davantage la vérité concernant la chorégraphie de Giselle participa activement aussi, parait-il, à ce départ...)

        En 1842 Jules Perrot est engagé à Londres comme assistant du maitre de ballet André-Jean-Jacques Deshayes (1777-1846) qu'il remplace l'année suivante entamant au Her Majesty's Theatre la période la plus productive de sa carrière:  Pendant les six années qui vont suivre il travaille avec toutes les plus célèbres ballerines de l'époque et produit 23 ballets de diverses importances, dont 7 chefs d'oeuvre, chacun d'eux composé pour mettre en valeur l'étoile à qui il était spécialement destiné.


        Pour Fanny Cerrito (1817-1909) il chorégraphie Alma (1842), Ondine (1843 et Lalla Rook (1846)

     

    L'Art et la danse

    Fanny Cerrito dans "Le Pas de l'Ombre" d'Ondine.    De son passage dans les théâtres de Boulevards Jules Perrot avait gardé le goût pour les effets originaux et "Le Pas de l'Ombre" est la première réalisation d'effets d'ombre réalisés sur scène à l'aide de projecteurs spéciaux

     

        Pour Fanny Elssler (1810-1884) il composa Le Délire d'un Peintre (1843)

     

    L'Art et la danse

    Fanny Elssler et Jules Perrot dans Le Délire d'un Peintre  

     

     Pour Carlotta Grisi (1819-1899)  La Esmeralda (1844) et Polka (1844)

     

    L'Art et la danse

    Carlotta Grisi et Jules Perrot dans La Esmeralda


        Et pour Lucile Grahan (1819-1907)  Eoline (1845) et Catarina (1846)

        Il faut ajouter à cela de nombreux divertissements parmi lesquels figurent Le Jugement de Paris (1846), Les Eléments (1847), Les 4 Saisons (1848) mais dont le plus célèbre est resté le fameux Pas de Quatre (1845) pour lequel, suivant l'idée du directeur du théâtre, Benjamin Lumley, furent réunies les quatre grandes danseuses romantiques: Taglioni, Grisi, Cerrito et Grahan (et si Fanny Elssler n'avait pas été en tournée à l'époque c'eut été un Pas de Cinq).

     

    L'Art et la danse

    Le Pas de Quatre

     

       Autant d'oeuvres profondément marquées par le romantisme et dont, sauf quelques rares exceptions, Perrot était lui-même l'auteur du livret: Créatures diaboliques (Alma), esprits de toutes sortes (Ondine, Eoline) hantent ces réalisations par lesquelles, longtemps associé au compositeur Cesare Pugni (1802-1870), il imposa son talent à marier danse et pantomime, et s'est acquis au terme de ce séjour londonien la réputation de plus grand chorégraphe de son temps.

        Lorsqu'il est sollicité par le prestigieux Théâtre Impérial de Saint-Petersbourg Jules Perrot, qui recherche une position stable, s'y rend en 1849 comme danseur, chorégraphe et maitre de ballet. De ces années passées en Russie vont naitre une nouvelle version d'Esmeralda, Catarina et Ondine, ainsi que plusieurs grandes oeuvres: La Guerres des Femmes (1852), Gazelda (1853) etc... et, concernant un domaine plus privé, l'artiste applaudi des tsars épousera une élève de l'Ecole Impériale Capitoline Samovskaya avec qui il aura deux enfants.
        Cependant en 1859 ses idées démocratiques commencent à déplaire aux autorités et le mettent dans une position délicate quand à son avenir, et ne sachant s'il devait partir ou rester c'est un incident qui emporta sa décision lorsque, dans son appartement sans aucune cause apparente, un miroir tomba du mur et se brisa en mille morceaux.
        La famille Perrot prit donc le chemin de la France et le départ du chorégraphe fut mis en haut lieu sur le compte du mal du pays...

     

    L'Art et la danse

    Jules Perrot (1850)

     

        Lorsqu'il retrouva Paris après onze années d'exil Jules Perrot s'adapta difficilement aux changements qui avaient pris place à l'Opéra où il fut engagé comme professeur, représenté par son ami Degas (1834-1917) dans de nombreuses peintures. Son salaire subvenant à peine à ses besoins il connut, comme sa rivale Marie Taglioni, une fin de vie difficile et mourut dans la misère à Paramé (Ille-et-Villaine) le 24 Août 1892.

        Brillant interprète, chorégraphe inventif, pour la variété de ses expériences et de ses collaborations Jules Perrot s'impose aujourd'hui comme l'une des plus grandes figures du ballet européen du XIXème siècle. Victime de deux expériences malheureuses à l'Opéra de Paris, il fit partie de ces artistes de talent que des personnalités aux ego monstrueux ont évincé par crainte de la concurrence... Le malheur est qu'il en a été et qu'il en sera toujours ainsi...

     


     

     La Esmeralda   Interprété par Eva Evdokimova et Peter Schaufuss. Musique de Cesare Pugni. (Le compositeur dédia sa partition à la duchesse de Cambridge, protectrice des arts à Londres).

     

         


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    Ondine ou la Naïade (1843) - Une tragédie romantique

    Ondine (1909)   Arthur Rackam

     


         Depuis les temps les plus reculés l'homme a peuplé les eaux de créatures imaginaires: Les Grecs anciens avaient leurs naïades et leurs néréides, les hindous leurs apsaras et les peuples germaniques leurs nixes, autant de croyances qui disparurent avec le temps mais furent remises au goût du jour au XIXème siècle par les Romantiques grands amateurs de surnaturel. 
        Ainsi naquit une héroïne, Undine, dont le sort tragique fut conté par un officier de l'armée prussienne, le baron Friedrich Heinrich Karl de la Motte Fouqué (1777-1843), filleul du roi Fréderic II, issu d'une vieille famille française protestante exilée en Allemagne. Publié en 1811, ce chef d'oeuvre d'un homme qui fut l'ami de Goethe (1749-1832), Schiller (1759-1805) et Fichte (1762-1814), raconte l'histoire d'une naïade, Undine, qui tombe amoureuse d'un chevalier fiancé à une autre, et celle-ci devint si populaire qu'elle fera dire au Times:
        "Si vous demandez ce livre dans une bibliothèque vous pouvez être certain qu'il a déjà été emprunté".


    Ondine ou la Naïade (1843) - Une tragédie romantique

     

        Puissamment évocateur, le récit féerique inspirera aussi bien le poète Aloysius Bertrand (1807-1841) que le compositeur Maurice Ravel (1875-1937), le dramaturge Jean Giraudoux (1882-1944), le peintre Klimt (1862-1918) ou encore Arthur Rackam (1867-1939) qui illustra superbement l'édition anglaise de 1909, et lorsque Jules Perrot (1810-1892) présente Ondine ou la Naïade au Her Majesty's Theatre de Londres le 22 Juin 1843, le titre lui-même semble indiquer que le roman est le point de départ du ballet, cependant la critique écrira le lendemain:

        "Si ce n'est qu'une nymphe des eaux en est l'héroïne l'argument ne ressemble pas plus à l'histoire du baron qu'à celle de Robinson Crusoe... C'est pourquoi les lecteurs d'Undine feront bien d'oublier tout ce qu'ils savent déjà s'ils veulent éviter que leur esprit ne s'embrouille tandis qu'ils découvrent les merveilles de ce nouveau ballet".

        Le seul point commun entre l'oeuvre du chorégraphe et celle de l'auteur allemand ne semble bien être en effet que l'amour malheureux d'une nymphe pour un mortel déjà promis à une autre, car les sombres rivages du Danube font place sur scène aux côtes ensoleillées de la Sicile, tandis que l'aristocratique Sir Huldebrand est remplacé par un humble pécheur Mattéo et que la rivale d'Undine, Bertalda, devient l'orpheline Gianina.
         Le ballet se rapproche bien davantage par certains détails d'une pièce de René-Charles Guilbert de Pixerécourt (1773-1844), Ondine ou la Nymphe des Eaux, qui fut présentée en 1830 à Paris alors que Jules Perrot était à cette époque là encore à l'Opéra, quand à l'atmosphère italienne on la trouve dans un divertissement que celui-ci monta à Vienne en 1838 pour Carlotta Grisi (1819-1899): Le Pêcheur Napolitain, où celle-ci interprétait le rôle de la fiancée Gianetta tandis qu'il tenait celui du pêcheur Pietro réuni dans un pas de trois avec deux créatures aquatiques dans une scène de séduction.
        Ce n'est pas cependant son ancienne compagne, Carlotta Grisi, dont il s'est séparé, que Jules Perrot aura pour partenaire lorsqu'il crée Ondine ou la Naïade, mais Fanny Cerrito (1817-1909) qui par sa danse qualifiée de "poésie silencieuse" souleva l'admiration et l'enthousiasme du public et contribua à faire du ballet un véritable succès dès la première représentation.

     

    Ondine ou la Naïade (1843) - Une tragédie romantique

    Fanny Cerrito  dans Ondine  par G.A.Turner

     

        Lorsque le rideau s'ouvre sur l'Acte I, le jeune marin sicilien Mattéo est sur le point d'épouser la plus jolie fille du village, Gianina, une orpheline dont il est très épris. Mais lorsqu'il découvre un jour la naïade Ondine il est subjugué par la beauté de la nymphe qui lui avoue son amour et, visible de lui seul, essaye par tous les moyens de l'éloigner de sa fiancée, semant le trouble et la discorde.
        De retour dans le monde sous-marin où elle a transporté Mattéo en rêve, Ondine supplie sa mère, la Reine Hydrola, de la laisser devenir humaine afin de pouvoir épouser l'homme qu'elle aime, requête à laquelle elle se voit tout d'abord opposer dans un premier temps un refus catégorique. Cependant, attendrie par le chagrin de la jeune nymphe et les prières de ses soeurs, la souveraine consent finalement à cette demande, avec cependant une condition: Ondine devra avoir épousé Mattéo avant que ne tombent les derniers pétales d'une rose qu'elle va lui remettre. 

     

    Ondine  (Acte I- Extraits)  Interprété  par Evgenia Obraztsova (Ondine) et Vladimir Shklyarov (Mattéo) et le corps de ballet du Mariinski.  Musique de Cesare Pugni  Chorégraphie de Pierre Lacotte, d'après Jules Perrot.

     

        La première scène de l'Acte II a pour cadre la Fête de la Vierge, au cours de laquelle Ondine ne cesse de se manifester à Mattéo continuant de jeter le trouble dans son esprit face à l'incompréhension croissante de Gianina désespérée et de ses amis qui essaient en vain de le ramener à la raison. Persistant dans son entreprise de séduction, la nymphe surgit d'un puits, puis réapparait vêtue en paysanne, et tandis que les villageois dansent une joyeuse tarentelle ils sont soudain interrompus par un étrange musicien qui essaiera encore une fois de mettre le désaccord entre les deux fiancés.

     

     Ondine (Acte II  Extraits) Interprété par Evgenia Obraztsova (Ondine), Vladimir Shklyarov (Matteo), Yekaterina Osmolkina (Gianina) et le corps de ballet du Mariinski.  Musique de Cesare Pugni  Chorégraphie de Pierre Lacotte d'après Jules Perrot.


        L'assemblée se disperse tandis que l'orage menace: Le tonnerre gronde et tous vont se mettre à l'abri, excepté Mattéo fasciné par le reflet des éclairs sur la mer. Soudain les flots s'illuminent, c'est Ondine qui, suivie de ses soeurs, vient maintenant le supplier de quitter sa fiancée pour la suivre, et bouleversé par cette vision il perd connaissance.

     

    Ondine  (Acte II)  Interprété par Evgenia Obraztsova (Ondine), Vladimir Shklyarov (Mattéo) et le corps de ballet du Mariinski. Musique de Cesare Pugni  Chorégraphie de Pierre Lacotte d'après Jules Perrot.


        Lorsqu'il reprend conscience il est rejoint par sa mère et ses amis qui le cherchent car tous se préparent pour la cérémonie du mariage. Aidé de son garçon d'honneur Mattéo enfile sa veste et sous son voile Gianina parait dans sa robe blanche immédiatement suivie d'Ondine qui, invisible de l'assistance, se substitue instantanément à elle et la fait disparaitre.
        Le couple monte dans une barque afin de gagner l'église de l'autre côté de la baie et lorsque le bateau atteint la rive déserte Mattéo follement heureux découvre au clair de lune le visage d'Ondine qui, nouvellement mortelle, voit pour la première fois son ombre... Revenue de sa surprise elle ne se lasse pas de jouer avec ce double d'elle-même... Perdant conscience du temps qui passe... Cependant Mattéo l'interrompt, mais alors qu'ils vont se remettre en route Ondine sent soudain faiblir les battements de son coeur... et c'est elle, cette fois, qui va prier Mattéo de se hâter, car la rose cachée dans son corsage vient de perdre un pétale...

     

    Ondine (Acte II - Le Pas de l'Ombre) Interprété par Evgenia Obraztsova (Ondine), Vladimir Shklyarov (Mattéo) et le corps de ballet du Mariinski. Musique de Cesare Pugni  Chorégraphie de Pierre Lacotte d'après Jules Perrot.
     

         Le couple se retrouve enfin dans l'église face au prêtre qui va les unir, mais à ce moment même les derniers pétales de la rose tombent sur le sol et après avoir embrassé Mattéo, Ondine meurt dans ses bras... Les naïades éplorées resurgissent alors de la mer et le corps de la malheureuse et de l'infortuné pêcheur sont emportés par les flots. 

    (Le lien vers la scène finale d'Ondine ayant été désactivé, la vidéo est visible sur You Tube:  http://youtu.be/c9kSqNXwfuk )

     

        C'est une nouvelle fois Cesare Pugni (1802_1870) que Perrot avait choisi comme compositeur et ce dernier sera salué par les mélomanes comme un maitre de la musique de ballet. Le Times décrira sa partition comme:
        "Singulièrement appropriée, très descriptive et qui ajoute du charme et de la perfection au ballet. Les accompagnements musicaux qui décrivent l'ondulation des flots sont incroyablement évocateurs: On entend le clapotis des vagues et le bruit des lames qui se brisent sur le rivage caillouteux et l'oreille est idéalement satisfaite".

        Le décor était l'oeuvre de William Grieve qui selon une revue contemporaine avait conçu " L'une des plus belles réalisations dont aucune scène ne se soit jamais enorgueilli". Sa maitrise se révéla particulièrement dans le Pas de l'Ombre où grâce à des jeux de lumière l'effet d'illusion de la réalité stupéfia le public:
        "C'est un splendide exemple d'habileté dans l'art, et l'on ne peut que regretter que de telles choses soient si fugaces car on pourrait les revoir mille fois sans jamais en avoir le regard fatigué. Aucun autre décorateur n'est aussi familier que lui de l'usage des éclairages".

     

    Ondine ou la Naïade (1843) - Une tragédie romantique

    Fanny Cerrito dans le Pas de l'Ombre


        La production abondait effectivement en effets spéciaux largement dépendants de l'habileté des machinistes. Une gravure rappelle la première entrée de Cerrito/Ondine dans un coquillage s'élevant d'une trappe à travers la scène. Plus tard celle-ci devait également s'envoler d'un rocher pour disparaitre dans la mer, mais l'effet le plus saisissant était, parait-il, produit par l'apparition sous l'eau des naïades qui suivaient la barque de Mattéo à travers la baie.

     

    Ondine ou la Naïade (1843) - Une tragédie romantique

    Fanny Cerrito dans le rôle d'Ondine

     

        Lorsqu'il occupa les fonctions de Premier Maitre de Ballet à Saint Petersbourg, Jules Perrot présenta au Bolchoï Kamenny le 11 Février 1851 une version plus élaborée et encore élargie d'Ondine ou la Naïade sous le titre La Naïade et le Pêcheur, et Cesare Pugni qui avait accompagné Perrot en Russie révisa la partition à laquelle il fit plusieurs ajouts. 
        Une fois encore le succès fut immédiat et, le 23 Juillet de la même année, le ballet fut représenté au Palais de Peterhof, résidence d'été des tsars, en l'honneur de la fête de la Grande Duchesse Olga Nikolaevna, fille de l'empereur Nicolas Ier (1796-1855). La chorégraphie subit de nouvelles transformations et une scène fut spécialement construite au dessus du lac du pavillon Ozerky pour la représentation.

     

    Ondine ou la Naïade (1843) - Une tragédie romantique

    Représentation de La Naïade et le Pêcheur au palais de Peterhof (1851)

     

        Après le départ de Jules Perrot, Marius Petipa (1818-1910) qui lui succéda aux Théâtres Impériaux remonta La Naïade et modifia le ballet à trois reprises (1867, 1874, 1892) avec des ajouts à la partition signés Ludwig Minkus (1826-1917) et Riccardo Drigo (1846-1930), et en 1903, le petit-fils de Cesare Pugni, second Maitre de Ballet au Mariinski, et l'ancien danseur Alexander Shiryaev en donnèrent une version pour Anna Pavlova (1881-1931), Tamara Karsavina (1885-1978) et Mikhaïl Fokine (1880-1942), laquelle fut la dernière apparition de la nymphe dans la Russie Impériale.

        Le ballet continua à être représenté à Léningrad jusqu'en 1931, et c'est Pierre Lacotte (1932- ) qui, sous le titre d'Ondine, lui a redonné une nouvelle vie pour le Kirov/Mariinski. Le chorégraphe, ne disposant au départ pour toute documentation que d'une partition pour violon et de quelques critiques dans les journaux de l'époque, travailla pendant plus de 4 ans à cette reconstruction qui fut représentée pour la première fois le 16 Mars 2006 à l'occasion du VIIème Festival International de ballet au Mariinski, et dont les premiers rôles furent interprétés par Evgenia Obraztsova (Ondine), Leonid Sarafanov (Mattéo) et Yana Serebriakova (Gianina).

    (Cette Première est visible dans son intégralité sur You Tube en 13 vidéos, tous les liens ayant été malheureusement également désactivés:  http://youtu.be/oqrTR6SvPuQ)

     

        Sir Frederick Ashton (1904-1988), quand à lui, a rendu hommage à Perrot en incorporant le célèbre Pas de l'Ombre dans la chorégraphie de son Ondine créé sur la musique de Hans Werner Henze (1926- ).


    Ondine (Le Pas de l'Ombre)  Chorégraphie de Frederick Ashton  Musique de Hans Werner Henze  Interprété par Miyako Yoshida (Ondine) et Edward Watson (Palemon).


        Il s'agit ici de l'histoire du prince Palemon qui décide de quitter Berta sa fiancée pour la nymphe Ondine à qui il a juré un amour éternel. Cependant, croyant celle-ci disparue au cours d'une violente tempête, il épouse Berta, mais il mourra pour avoir brisé son serment lorsque reparait la nymphe qui, après lui avoir donné le baiser fatal, retourne, elle, à la mer oubliant tous ses souvenirs du monde des mortels.
        Créé le 27 Octobre 1958, ce ballet quasi inconnu en France fut décrit comme "un concerto pour Fonteyn" dont le triomphe fut unanimement salué . Pour le reste, les commentaires furent mitigés... Edwin Derby (1903-1983), le célèbre critique américain, après avoir loué Fonteyn (1919-1991) écrira:
        "Mais le ballet est idiot et tout le monde s'en est aperçu"...

        Au risque de rompre un peu plus le charme il faut pourtant faire remarquer pour conclure que cette héroïne éminament romantique se rend coupable depuis plus d'un siècle et demi du délit d'usurpation d'identité!
        La séductrice de Mattéo n'est pas en effet une naïade, nymphe des rivière et des fontaines, mais une habitante des eaux de la Méditerranée et donc une néréide!... Peut-être est-ce la raison pour laquelle Pierre Lacotte ne souhaitant pas redresser cette erreur de vocabulaire ne donna pour titre à son ballet que le seul prénom, étouffant discrètement toute critique sur les notions de mythologie de Jules Perrot et ses contemporains...

     

    Ondine ou la Naïade (1843) - Une tragédie romantique

    Ondines de Gustave Klimt

     

        "Sa chanson murmurée, elle me supplia de recevoir son
         anneau à mon doigt pour être l'époux d'une Ondine, et
         de visiter avec elle son palais pour être le roi des lacs.

         Et comme je lui répondais que j'aimais une mortelle,
         boudeuse et dépitée, elle pleura quelques larmes, poussa
         un éclat de rire, et s'évanouit en giboulées qui ruisse-
         lèrent blanches le long de mes vitraux bleus"

                                      Aloysius Bertrand (1807-1841)
                                                  Ondine   (Gaspard de la Nuit - 1842)

                               


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