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    L'Art et la danse

    Diana Vishneva (Zobeïde)

     

     

    "Le vigilant derviche à la prière appelle
    Du haut des minarets teints des feux du couchant
    Voici l'heure au lion qui poursuit la gazelle
    Une rose au jardin moi je m'en vais cherchant..."
                                            Chateaubriand (1768-1848) - L'Esclave. 

                                                 

         Après "l'itinéraire" pionnier de Chateaubriand et l'Orient hérité des Romantiques, le médecin poète Joseph-Charles Mardrus (1868-1949) donne au tournant du siècle une traduction nouvelle des Contes des Mille et Une Nuits qu'il dédie à Stéphane Mallarmé faisant reparaitre, quelques deux cents ans après la première version française d'Antoine Galland (1646-1715), l'histoire immortelle du sultan Shahryar qui, après avoir été trompé par sa première femme, épouse chaque soir une jeune vierge qu'il fait tuer au matin de la nuit de noces pour se venger...

        Un début de récit barbare qui doit en fait son succès au personnage de Shéhérazade, la fille du Grand Vizir, qui, afin de faire cesser ce massacre, imagine un stratagème: Elle raconte chaque nuit à son époux une aventure captivante dont la suite est reportée au lendemain, et celui-ci ne pouvant se résoudre alors à la faire mourir repousse sans cesse l'exécution jusqu'au jour où après mille et un récits, celle-ci lui déclare qu'elle n'en connait pas d'autres. Mais l'admirable conteuse a peu à peu gagné la confiance de son mari et ce dernier, qui a reconnu au fil du temps ses qualités de coeur et d'esprit, renonce à la faire exécuter et la garde auprès de lui.

       Beaucoup plus fidèle au texte original que son prédécesseur, l'ouvrage de Mardrus parait à Paris en 16 volumes de 1899 à 1904 et fait grand bruit par son érotisme débordant (la Mère de Marcel Proust lui conseillera de s'en tenir à la traduction de Galland), réveillant aussitôt une nouvelle vague d'orientalisme; et le 5 Mars 1899 Camille Chevillard dirige aux Concerts Lamoureux la première audition parisienne de Shéhérazade, poème symphonique de Rimsky-Korsakov (1844-1908), écrit en 1888.
        Le compositeur n'a retenu en fait que quelques épisodes isolés de l'oeuvre littéraire, et dans son "Journal de ma Vie Musicale" il analyse ainsi la genèse de sa partition:
        "Le programme qui me guida pour la composition de Shéhérazade consistait en épisodes séparés des Mille et Une Nuits sans aucun liens entre eux: La mer et le vaisseau de Sinbad, le récit fantastique du prince Kalender, le fils et la fille du roi, la fête à Bagdad et les vaisseaux se brisant sur un rocher. En composant je ne voulais par ces indications qu'orienter quelque peu la fantaisie de l'auditeur du côté où s'était dirigée ma propre fantaisie. Et si ma Suite porte le nom de Shéhérazade c'est seulement parce que ce nom et les Mille et Une Nuits évoquent pour chacun l'Orient et ses contes merveilleux".


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    Portrait de Rimsky-Korsakov par Valentin Serov (1865-1911) 


        Dix ans plus tard vient se superposer le spectacle féérique des Ballets Russes, et le 4 Juin 1910, pour le public parisien habitué aux tons pastels des costumes et des décors ainsi qu'à la chorégraphique romantique, les couleurs éclatantes et la sensualité exotique de Shéhérazade seront un véritable choc.
        Bien qu'annoncé dans les programmes comme "drame chorégraphique en un Acte de Léon Bakst et Michel Fokine", le livret fut conçu en fait par le peintre Alexandre Benois et les programmes des représentations de l'époque résument ainsi l'argument:


        " Quand se lève le rideau, le shah est dans son harem, persuadé par son frère que ses femmes le trompent en son absence. Ils feignent de partir tous les deux pour la chasse, et sitôt qu'ils ont disparu le grand eunnuque est gentiment sollicité par la sultane Zobeïde et les odalisques qui souhaitent voir s'ouvrir les portes qui les séparent du monde.


    Shéhérazade - Chorégraphie de Mikhaïl Fokine, interprétée par Uliana Lopatkiva et Faruk Ruzimatov et le corps de ballet du Mariinski. Décors et costumes réalisés d'après les dessin originaux de Léon Bakst.

     

     Une porte de bronze livre passage à des esclaves aux vêtements cuivrés, puis une porte d'argent laisse entrer d'autres esclaves vêtus d'argent, et enfin s'ouvre une porte d'or d'où sort un esclave vêtu d'or et dont la sultane est éprise.


     

    Au milieu de l'orgie réapparait le shah, et à son signal toutes les coupables sont massacrées. Un instant attendri par les prières de son épouse infidèle Shariar est prêt à lui pardonner, mais il se laisse convaincre par son frère de sa perfidie et redevient intraitable, cependant plutôt que de subir le châtiment humiliant de ses consoeurs Zobéïde se poignarde et meurt dans les bras du souverain".

     


        On reconnait là bien évidemment, résumé à grands traits, le tout début des Milles et Une Nuits, et plus particulièrement l'épisode qui, décidant le sultan Shahriar à mettre désormais à mort chacune de ses maitresses, prépare l'apparition du cycle de contes. Selon Alexandre Benois, ce cruel et voluptueux épisode des Mille et Une Nuits s'était imposé à lui dès la première audition du poème symphonique de Rimsky-Korsakov, et il précise que le ballet utilise une compilation des trois dernières parties musicales, la première étant jouée en Ouverture.

        Laissant dans l'ombre de larges passages de l'oeuvre originale du compositeur, le ballet n'alla pas sans soulever le mécontentement de sa veuve à qui le directeur des Ballets Russes répondit par une lettre ouverte dans un quotidien de Saint Petersbourg en expliquant que sa compagnie n'avait pas pour vocation d'illustrer respectueusement les oeuvres des musiciens disparus:
        " Défendre les droits des auteurs ne devrait pas signifier s'élever contre tout phénomène artistique les concernant, quand la nouveauté de l'idée et la hardiesse de l'exécution sont les seuls reproches qu'on puisse faire à ces phénomènes". (Il faut cependant ajouter de plus que Rimsky-Korsakov ne voulait pas que l'on crée une chorégraphie sur sa musique, et que Diaghilev attendit sa mort pour passer outre...)

        Le public, lui, n'eut que faire de ce genre de querelles, totalement séduit par le spectacle...
         "Lorsque le rideau de l'Opéra de Paris se leva pour la première fois sur les décors et les costumes de Bakst, ce fut un saisissement dans la salle devant cette vision de harem étouffé de vastes tentures, de coussins, de tapis, éclairé de lourdes lampes de métal. Avec Shéhérazade nous ne voyions pas seulement l'Orient, nous le respirions" déclara Jean Louis Vaudoyer, collaborateur des Ballets Russes. Quand à Alexandre Benois, il admira sans réserve le travail de Bakst:
        "La tonalité vert émeraude des tapis, des tentures et du trône, le bleu de la nuit qui coule à flots par les fenêtres grillagées ouvrant sur le jardin du harem, les monceaux de coussins brodés, les danseuses demi-nues divertissant le sultan de leurs gestes souples et rythmés, jamais je n'avais vu sur scène une symphonie de couleurs aussi magnifiquement orchestrée".


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    Décors de Léon Bakst pour Shéhérazade 


        Le décorateur de Shéhérazade utilise d'ailleurs lui-même cette notion d' "orchestration des couleurs" lorsqu'il commente son travail:
        "Aussi paradoxal que cela puisse paraitre, j'ai juxtaposé un bleu désepéré et un vert plein de tristesse. Il y a des rouges triomphants et des rouges accablants. Il y a des bleus qui évoquent sainte Madeleine et d'autres Messaline. Le peintre qui sait utiliser ces connaissances est pareil à un chef d'orchestre qui, d'un mouvement de sa baguette peut faire surgir tout un univers et obtenir des milliers de sons sans commettre d'erreurs".

        La somptuosité  des costumes et leur raffinement fut également l'un des éléments essentiels du succès du ballet, utilisant avec élégance et fantaisie soies, mousseline, velours, plumes, cuir, fourrures et brocards rebrodés d'or et d'argent et semés de perles et de pierres jetées à profusion.
        Certaines des nombreuses esquisses montrent clairement que le peintre s'inspira de miniatures persanes, réinterprétées avec une audace sensuelle qui subjugua le public parisien habitué à s'émouvoir des sages effets de tutu.

     

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    Costume de Léon Bakst pour une Odalisque 

     

         Dans une lettre à sa femme, Bakst lui rapporte comment l'essayage des costumes lors d'une répétition souleva l'admiration de Vuillard, Bonnard, Blanche et quelques autres peintres présents, et lui écrira également plus tard que "depuis Shéhérazade tout Paris s'habille à l'Orientale".

        Le grand couturier Paul Poiret (1819-1944) fait triompher la jupe sultane et les parfums "Aladin" et "Le Minaret", quand aux aigrettes qui avaient orné nombre de costumes, elles firent aussitôt fureur dans ses collections, immédiatement adoptées par ses clientes, si l'on en croit la chronique narquoise de Marcel Proust:
        " et quand avec l'efflorescence prodigieuse des Ballets Russes, révélatrice coup sur coup de Bakst, de Nijinski, de Benois, et du génie de Stravinski, la princesse Yourbeletieff, jeune marraine de tous ces grands hommes nouveaux apparut portant sur la tête une immense aigrette tremblante, toutes les parisiennes cherchèrent à imiter cette merveilleuse créature que l'on aurait pu croire apportée dans leurs innombrables bagages, et comme leur plus précieux trésor, par les danseurs russes".


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     Modèle de la collection Poiret (1914)


        Le couturier qui organise des fêtes somptueuses donnera d'ailleurs le 24 Juin 1911 une soirée restée célèbre dans les annales de la vie parisienne, la fameuse "Mille et deuxième nuit", où il demanda à ses 300 invités, pour la plupart des artistes et des membres de la haute société, de porter des costumes orientaux. Salons et jardins de son hôtel particulier entièrement recouverts de tapis et de coussins, n'étaient que fontaines lumineuses et feux d'artifice vibrant aux rythmes des musiciens cachés dans les bosquets, et sous une vaste tente décorée par Raoul Dufy, Poiret vêtu en sultan, et que cette réception célèbre fera surnommer à l'instar de Soliman "Poiret le Magnifique", présidait près d'une grande cage dorée renfermant "les concubines" toutes vêtues de ses dernières créations vestimentaires. A ses côtés, coiffée du légendaire turban qui établira l'image de la maison Poiret, la sultane, sa femme Denise, portait la robe "Minaret", avec la fameuse jupe culotte qui fit scandale, brouillant la frontière entre les sexes. 


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     Turban porté par Denise Poiret lors de la légendaire soirée "Mille et deuxième Nuit" (LACMA- Los Angeles County Museum of Art)

     

        Si les costumes de Bakst engendrèrent pareille révolution dans le monde de la mode, il ne faut cependant pas négliger pour autant ceux qui les portèrent et eurent leur part non négligeable dans l'immense succès que fut Shéhérazade.
        Trois rôles principaux dominent ce ballet très court (40 minutes):
    Zobeïde, la sultane infidèle, interprétée lors de la Première par Ida Rubinstein (qui après ce ballet quitta la compagnie et se lança dans ses propres productions pour le meilleur et pour le pire...), avec à ses côtés Alexis Boulgakov (le sultan Shahriar) dont Raynaldo Hahn fit ce portrait dans une lettre à Proust:

        "Le sultan va partir pour la chasse... Quel superbe costume! et comme monsieur Boulgakov le porte bien! Il s'est fait un visage horrible et magnifique de roi méchant, comme on en voit dans les miniatures persanes et aussi dans ces livres chinois où sont figurées grossièrement mais de façon éclatante à la gouache et sur du papier de riz, des scènes violentes qui racontent une histoire interminable et compliquée".

        Le danseur le plus remarqué cependant fut sans conteste Vaslav Nijinski (l'esclave doré), que Fokine mit comme à son habitude admirablement en valeur en révélant par sa chorégraphie flamboyante toutes les facettes de son talent, ainsi que le décrit encore Raynaldo Hahn:
        " Il a le visage aigu d'une antilope, le torse fin et sinueux, il porte un turban de neige et un pantalon d'or, il sourit, tend les lèvres, se cabre, se jette en avant, enroule autour de Zobeïde ses bras maigres et ronds cerclés de bracelets, la soulève, l'emporte... c'est Nijinski". 
    (Le successeur le plus illustre de Nijinski sera très certainement Rudolf Noureev qui donnera une magistrale interprétation de "l'esclave doré", le dernier personnage de Fokine qu'il inscrivit à son répertoire en 1978, et qui fut également l'une de ses dernières apparitions sur la scène).

     

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    Nijinski dans le rôle de "l'esclave doré"

     

         A côté de ces rôles principaux apparaissaient également Flore Revalles, ainsi que Adolf Bolm et Enrico Cecchetti (le Grand Eunnuque) dans une chorégraphie brisant les carcans de l'académisme et où les corps servent des expressions radicalement contemporaines.

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    Enrico Cecchetti et Flore Revalles dans Shéhérazade 


       "Nos Danses, nos décors, nos costumes, tout empoigne le spectateur parce que cela reflète le rythme secret de la vie " écrira Léon Bakst, et il ajoute "Notre troupe apparait comme la synthèse de tous les arts existants".
         Shéhérazade sera en effet le premier exemple révolutionnaire de l'intégration réunissant autour d'un même spectacle un chorégraphe, un musicien et un artiste plasticien, faisant du ballet un spectacle d'Art total.


        Le ballet sera repris, entre autres, par Nina Anisinova pour le Mariinski (1950), Leon Wojcikowski pour le London Festival Ballet (1960), ou encore Maurice Béjart qui en 1990 donne A propos de Shéhérazade avec le Béjart Ballet.
        Plus proche de nous, c'est Jean Christophe Maillot qui propose en 2000 sa propre interprétation: "Shéhérazade est une oeuvre qui a réjoui le monde entier" dira-t-il, "mais dont la sensualité fut à l'époque limitée à cause de l'importance des costumes"  et le chorégraphe, tout en intégrant l'esthétique de Bakst à la sienne, choisit de mettre en scène un décor qui peu à peu se minimalise, et devant lequel il fait évoluer dans son style néo-classique habituel certains danseurs aux costumes très épurés.

     

     Shéhérazade- Chorégraphie de Jean Chrisophe Maillot pour le Ballet de l'Opéra de Monte-Carlo.


        L'une des dernières versions en date est celle de Blanca Li, créée le 19 Décembre 2001 à l'Opéra de Paris avec dans les rôles principaux Agnès Letestu et José Martinez (décors de Thierry Leproust et costumes de Christian Lacroix).
         "Ce Shéhérazade est un ballet en 5 tableaux qui s'achève en Bacchanale" dira cette chorégraphe impétueuse au style contemporain inclassable, "mon univers des Mille et Une Nuits est inspiré de la peinture orientaliste du XIXème siècle et mon style marqué par mon passé de gymnaste, d'élève de Martha Graham, et influencé par le flamenco".
         Une chorégraphie culminant avec une bataille rangée de coussins entre danseurs et qui, bien que faisant partie aujourd'hui du Répertoire n'en reste pas moins cependant diversement appréciée... (Le ballet de Fokine ne figure pas au répertoire de l'Opéra de Paris, l'autre Shéhérazade à y être inscrite est celle de Roland Petit sur la musique de Maurice Ravel)


        Au de là des scènes d'Opéras Shéhérazade version comédie musicale va reparaitre en Décembre 2011 aux Folies Bergères... Nécessaire dose d'imaginaire dans un monde où la grisaille domine...
      

        Et, vieille comme le monde et sans avoir pris une ride, l'histoire sans fin de l'amour éternel dans un univers d'exotisme continuera comme aux siècles passés à faire rêver une nouvelle fois...

     

                "La lune était sereine et jouait sur les flots
                 La fenêtre enfin libre est ouverte à la brise,
                 La sultane regarde et la mer qui se brise
                 Là bas d'un flot d'argent brode les noirs ilots..."

                                          Victor Hugo (1802-1885) - Les Orientales.

     

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    Safia (1886)  -  William Clark Wontner (1857-1930) 

      


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     Message de Anne Teresa De Keersmaeker.

    29 Avril 2011

     

        " Je pense que la danse est la célébration de ce qui nous rend humain. Lorsque nous dansons nous utilisons de façon très naturelle les mécanismes de notre corps et tous nos sens pour exprimer la joie, la tristesse, tout ce qui nous tient à coeur. 
        Les gens ont toujours dansé pour fêter les moments cruciaux de leurs vies et nos corps portent le poids des souvenirs de toutes les expériences humaines possibles.
        Nous pouvons danser seul et nous pouvons danser ensemble. Nous pouvons partager ce qui nous rend semblable, ce qui nous rend différent de l'autre.
        Pour moi danser est une façon de penser. A travers la danse nous pouvons incarner les idées les plus abstraites et ainsi révéler ce que nous ne pouvons voir, ce que nous ne pouvons nommer. La danse est un lien entre les gens, un pont entre ciel et terre. Nous portons le monde dans notre corps. En fin de compte, je pense que chaque instant de danse fait partie d'un ensemble plus vaste, d'une danse qui n'aurait ni début ni fin". 

     

        Chorégraphe et danseuse belge, Anne Teresa De Keersmaeker est une figure de la danse contemporaine qui, avec plus d'une trentaine de chorégraphies, s'est imposée dans les années 80.
        Elle a créé la compagnie Rosas en 1983 et fondé l'école de danse contemporaine P.A.R.T.S. (Performing Arts Research & Training Studio) en 1995 à Bruxelles. 

     

     


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    Costume pour Narcisse (1911)     Léon Bakst

     

     "Ceux qui n'ont pas connu l'époque merveilleuse qui a précédé la Première Guerre Mondiale ne peuvent pas imaginer l'influence immense de Léon Bakst dont le nom était sur toutes les lèvres".
                                                          Cyril de Beaumont

     

        Lev Samoïlovitch Rosenberg naquit à Grodno (Biélorussie) le 28 Avril 1866 dans une famille d'origine modeste dont le grand père, qui s'était fait remarquer du tsar pour ses talents de tailleur, habitait une demeure somptueuse à Saint Petersbourg. Le jeune Lev, installé par la suite avec ses parents dans la capitale, rendra visite tous les Samedi à cet aïeul en compagnie de ses frères et soeurs et avouera plus tard avoir été très impressionné par cette demeure hors du commun.

        Alors qu'il n'est âgé que de 12 ans, le jeune garçon remporte à l'école un concours de dessin et affiche résolument son intention de devenir peintre, un projet que ses parents considèrent avec réserve et, désireux de s'entourer d'un avis autorisé, soumettent au sculpteur renommé Mark Antokolski (1843-1902). Ce dernier leur répond que leur fils a des dons évidents, mais qu'il doit certainement avant tout terminer ses études. Un conseil auquel Lev restera sourd, car il quitte le collège et... échoue à l'examen d'entrée à l'Académie des Beaux Arts dont il suit malgré tout les cours en auditeur libre tout en travaillant parallèlement pour un illustrateur de livres.
        Il sera cependant finalement admis dans la vénérable institution en 1883 et c'est à l'époque de sa première exposition (1889) qu'il prend le nom de Bakst, inspiré du nom de jeune fille de sa mère (Bakster), et jugé plus commercial.

        La famille Rosenberg traverse à ce moment là une période difficile, et à la suite de la mort de son grand-père et au divorce de ses parents, Léon Bakst devra subvenir aux besoins collectifs, chacun assurant le quotidien selon ses moyens, une situation qui les rendra très proches les uns des autres.
        Grâce à un ami écrivain, Kanaev, qui lui vient en aide, il obtient des commandes de portraits dans la société mondaine, et c'est également par son intermédiaire qu'il fera la connaissance d'Albert Benois, un remarquable aquarelliste, qui lui présente son frère Alexandre (1870-1960).

        Celui-ci l'introduit alors à une société d'artistes dont fait partie Serge Diaghilev (1872-1929), Les Pickwickiens, qui s'intéressent non seulement à la culture russe, fascinés comme les pré-Raphaélites par l'aspect féerique des contes populaires, mais aussi également à la culture européenne. Léon Bakst va se passionner pour l'art antique (il se rendra plus tard en Grèce à deux reprises en 1906 et 1910), et à l'instigation de ses nouveaux amis entame alors une série de voyages qui le mèneront d'Italie en Allemagne et finalement en France où il vécut à Paris de 1893 à 1897, fréquentant les cours de l'Académie Julian et l'atelier du peintre orientaliste Jean-Léon Gérôme (1824-1904). Il se rend malgré tout régulièrement à Saint Petersbourg où le Grand Duc Vladimir (1843-1909), président de l'Académie Impériale des Beaux Arts (et aux enfants duquel il donnera des cours de dessin) lui commande un tableau pour le musée de la Marine: L'accueil de l'Amiral Avellan et des marins russes à Paris, des fêtes qui se déroulèrent du 17 au 25 Octobre 1893, et au cours desquelles Léon Bakst travaillera "in situ" sur cette peinture qu'il mettra cependant huit ans à terminer.

     

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    L'Accueil de l'Amiral Avellan à Paris       Léon Bakst 

     

        Le retour du peintre dans son pays natal en 1897 voit sa première exposition importante dans la cité des tsars où il participe avec son cercle d'amis l'année suivante à la fondation du mouvement Mir Iskousstva (Le Monde de l'Art) marqué par l'Art Nouveau et le culte de la beauté, et collabore aux côtés de Diaghilev et d'Alexandre Benois à la création du périodique du même nom dans lequel ses dessins le rendent très vite célèbre.

     

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     Couverture du journal Mir Iskousstva par Léon Bakst

        

        Ses peintures sont présentes dans toutes les manifestations organisées par le célèbre impresario et l'artiste ne songe pas encore spontanément à une carrière dans le monde du spectacle, laquelle lui sera en fait largement inspirée par son entourage:
        " A l'origine Bakst ne montrait que peu d'intérêt pour le théâtre. Quand au ballet, il n'en avait jamais vu, et considérait cela en fait comme plutôt absurde..." écrivit Alexandre Benois, qui communiqua, lui, avec le magistral résultat que l'on connait, sa passion pour la scène:
        " Si je n'avais pas montré autant d'enthousiasme pour le ballet, et si je n'avais pas transmis cette passion à mes amis, les Ballets Russes n'auraient jamais existé" affirmait-il.

     

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    Les membres du cercle Mir Iskousstva  par  Boris Kustodiev (1878-1927)

     

        Léon Bakst exécute en 1901 ses premiers décors et costumes pour le Mariinski qui monte Sylvia, et l'année suivante réalise une seconde commande pour Le Coeur de la Marquise de Petipa (1818-1910), tout en menant parallèlement une activité d'enseignant à l'école privée Zwanceva où il a comme élève Marc Chagall (1887-1985):
        " Chagall est mon élève préféré" dira-t-il, "et ce que j'aime chez lui c'est qu'après avoir écouté attentivement mes leçons, il prend ses pinceaux et ses couleurs et fait quelque chose de complètement différent de ce que je lui ai demandé..."

        C'est alors que Diaghilev entame  en 1907 ses concerts historiques à Paris et lorsqu'en 1909 les Ballets Russes débutent leur glorieuse carrière, Léon Bakst qui vient de concevoir les décors de plusieurs tragédies grecques, sera à l'origine du feu d'artifice qui éblouit le public parisien.
        Marcel Proust (1871-1922) dans une lettre au chef d'orchestre Reynaldo Hahn(1874-1947) écrit en 1911:
    " Dites mille choses à Bakst que j'admire profondément, ne connaissant rien de plus beau que Shéhérazade".




        Le peintre qui aime passionnément la couleur joue avec elle en virtuose, et l'impression la plus considérable de son art fut certainement provoquée, en effet, par Shéhérazade (1910) où, dans un décor simplifié ramené à quelques lignes, contrastent violemment deux couleurs dominantes et complémentaires, le rouge et le vert. Ses dons exceptionnels de coloriste et de graphiste alliés à l'audace de ses plans qui élargissent l'espace scénique et prolongent les perspectives vont définitivement révolutionner la décoration théâtrale et ont assurément très largement contribué  au triomphe de la Compagnie de Serge Diaghilev.


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     Décor pour Thamar (1912)     Léon Bakst


        Grâce à une grande diversité d'inspiration puisée tour à tour en Orient, dans la vieille Russie ou la Grèce antique, comme dans le romantisme français ou l'Italie de Carlo Goldoni (1707-1793), ainsi qu'a son désir de participer de façon originale au renouveau de l'Art contemporain, il conçoit de la même façon des costumes essentiels à la danse:
        "Il voit ses costumes en mouvement et dans le mouvement même du poème... Avec la plus grande frugalité d'éléments il obtient la plus grande puissance et la plus grande opportunité d'effets. Il réalise ainsi, lui aussi, une orchestration colorée qui s'adapte à la coloration orchestrale" écrivit un critique.

     

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     Costumes pour Narcisse  (1911)    Léon Bakst

     

        Ses costumes iront jusqu'à influencer la mode à travers les grands couturiers, Worth, Paul Poiret ou Jeanne Paquin qui s'en inspirent dans leurs collections: il présente chez cette dernière  en 1912 Fantaisie sur le costume moderne, provoquant un très grand remous dans le milieu de la haute couture parisienne et, imposant un style nouveau, le styliste-décorateur dessinera également des motifs pour des papiers peints ainsi que des cartes postales devenues célèbres. 

     

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         Cette même année 1912, il est nommé directeur artistique des Ballets Russes, ce qui va lui permettre entre autres de soutenir les audaces chorégraphiques et musicales de Vaslav Nijinski (1889-1950) et Igor Stravinsky (1882-1971), et à ses précédents succès, Le Spectre de la Rose, L'Oiseau de Feu ou Narcisse , vont venir s'ajouter entre autres Daphnis et Chloé, L'Après Midi d'un Faune, Le Dieu Bleu et Thamar.


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    Décor pour Le Dieu Bleu (1912)   Léon Bakst 

     

         Il ne cessera pas cependant de dessiner ou peindre au chevalet et réalise de nombreux paysages et portraits d'artistes du monde des lettres et des arts, dont ceux de Vaslav Nijinsky, Anna Pavlova, Blaise Cendrars, Claude Debussy, Alexandre Benois, Léonide Massine, Ida Rubinstein ou Michel Fokine, et en 1914 il est élu membre de l'Académie Impériale des Arts et se voit également chargé des décors de Midas, cependant, victime d'une dépression nerveuse il sera remplacé par Mstislav Doboujinski (1875-1957).

     

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     Anna Pavlova (1881-1931)  par Léon Bakst

     

        "Bakst était une personne charmante, plein d'imagination, et souvent très drôle, quelquefois même sans le vouloir. Il était touchant, et d'un équilibre fragile, c'est pourquoi il n'était pas toujours possible de lui faire entièrement confiance", écrira à son sujet Walter Nouvel, collaborateur et ami de Serge Diaghilev.
        Et lorsqu'en 1919 Diaghilev lui demande d'exécuter en hâte les décors et les costumes pour La Boutique Fantasque, il n'achèvera pas le projet et le ballet sera finalement scénographié par Derain(1880-1954).
        Diaghilev fera cependant encore appel à lui pour concevoir les décors fastueux et les 300 costumes de La Belle au Bois Dormant (1921) qu'il souhaite monter à Londres lorsque Alexandre Benois, faute de garanties financières, refuse de quitter la Russie.

        Bakst va croquer somptueusement les splendeurs de la Cour de Louis XIV et de Louis XV, mais très attaché à l'art contemporain exige de se voir confier en contrepartie les décors de l'opéra de Stravinsky, Mavra (1922), dont il sera cependant écarté... Un incident qui signera sa brouille définitive avec Diaghilev, et les des deux hommes ne se réconcilieront jamais.

     

    L'Art et la danse

    Décor pour La Belle au Bois Dormant (1921)      Léon Bakst 

        

        C'est aux Etats Unis que le décorateur célèbre ira ensuite exprimer son talent à la demande d'un couple d'amis, John et Alice Garrett, dont il a fait la connaissance à Paris en 1916. Ces derniers appartiennent à une  famille très connue de millionnaires de Baltimore (Robert, le frère de John a remporté la médaille d'or aux Jeux Olympiques d'Athènes en 1896) et souhaitant convertir en théâtre l'ancien gymnase, situé dans les sous sols d'Evergreen la somptueuse demeure familiale, John et Alice qui ne reculent devant aucune dépense vont tout naturellement faire appel à Léon Bakst.
        Celui-ci se rendra alors sur place et dessinera non seulement la salle de spectacle mais encore plusieurs décors, ainsi qu'à l'étage une éblouissante salle à manger dans des tons de rouge éclatant, décorée de gravures japonaise.
        Le domaine d'Evergreen est aujourd'hui converti en Bibliohéque et en Musée où l'on peut voir à côté du célèbre théâtre art-déco, plusieurs toiles de Bakst dont les portrait qu'il fit de John et Alice (et au milieu de la splendeur des appartements des toilettes en plaqué-or...).

     

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    Le théatre art-déco d'Evergreen (Baltimore)     Léon Bakst

     

        De retour en France, alors qu'il se rendait l'année suivante à une répétition d'Istar dont, à la demande de la danseuse icône de la Belle Epoque Ida Rubinstein (1885-1960), il avait réalisé les costumes, Léon Bakst est saisi d'un malaise et, transporté d'urgence dans une clinique de Rueil Malmaison, il décède peu de temps après d'un oedème du poumon le 27 Décembre 1924.
         Une foule de peintres, poètes, musiciens, critiques d'art, comédiens et danseurs, l'accompagneront dans une cérémonie émouvante au cimetière des Batignoles, et Serge Diaghilev fera parvenir un télégramme de condoléances à la famille de celui qui resta en dépit de tout son décorateur préféré.

     

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    Léon Bakst (1866-1924)

     

         Virtuose de la ligne, musicien de la couleur, Léon Bakst a su insuffler au spectacle cette intensité, ce sens inné du mouvement que demande toute création chorégraphique. Investi dans la danse dont il fit sa spécialité, le plus doué de tous les décorateurs de Diaghilev, a magistralement marqué d'une empreinte indélébile la peinture ainsi que les arts décoratifs et scénographiques de la première moitié du XXème siècle, et dominant de tout son éclat les décorateurs qui ont tenté de le suivre, se place en chef de file incontesté de la décoration chorégraphique.

     


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         C'est bien en effet sur les terres d'un ancien potager que s'élève l'Opéra de Londres, une propriété ayant appartenu jadis aux moines de l'abbaye de St. Peter (l'Abbaye de Westminster) et dont s'était emparé Henry VIII après qu'il se fut proclamé chef de l'Eglise lorsque le pape Clément VII refusa d'annuler son mariage avec Catherine d'Aragon.
        Le souverain ayant alors généreusement distribué toutes les terres confisquées au Clergé à ses amis proches, ces Jardins du Couvent échouèrent aux comtes de Bedford qui en 1631 confièrent à l'architecte Inigo Jones la réalisation du premier ensemble urbain réalisé dans la capitale, connu depuis lors sous le nom de Covent Garden (et auquel fut adjoint un marché de fruits et légumes qui survécut jusqu'en 1974). 

     

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    Le marché de Covent Garden (1737) par Balthazar Nebot


        Un premier théâtre, le Drury Lane Theatre, y fut construit en 1663, lorsque la Restauration de Charles II ramena les divertissements publics interdits sous le gouvernement puritain de Cromwell. Cet établissement hébergeait alors la compagnie du Roi (The King's Company) habilitée par lettre patente à présenter des spectacles "parlés", tandis que les autres théâtres devaient se cantonner dans les autres genres pantomimes ou opéras.  
        Ce privilège avait toutefois été accordé également à une seconde compagnie, celle du Duc d'York frère du roi, (The Duke's Company) établie elle au Lincoln's Inn Field Theatre situé à l'est de Covent Garden. Et lorsqu'en 1728, son directeur, John Rich, put réunir grâce au succès du Beggar's Opera de John Gay un capital suffisant à la construction d'une nouvelle salle de spectacle il choisit de l'établir dans le voisinage proche du Drury Lane Theatre, sur une parcelle de l'ancien potager encore libre. Solennellement inauguré le 7 Décembre 1732, le Covent Garden Theatre vit son directeur faire une entrée dans les lieux absolument solennelle, porté en triomphe par ses acteurs... Un cérémonial à la hauteur de l'évènement... Car sans que personne ne s'en doute venait de naitre le futur Opéra de la capitale. 

     

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    Entrée triomphale de Rich dans son théâtre de Covent Garden  (Dans le fond l'église St. Paul toujours présente aujourd'hui)   

     

        Dans l'attente de ces hautes destinées, les combles du théâtre servirent très prosaïquement de cadre à des activités plus terre à terre, abritant un club de bons vivants fondé par Rich en 1735, le Beefsteak Club, où se réunissaient dans une sorte de salle à manger gothique conçue par les décorateurs du théâtre, vingt-quatre membres triés sur le volet qui, après maints toasts de Porto, couronnaient la soirée par l'absorption d'une énorme pièce de boeuf que le cuisinier servait après avoir embrassé le Livre d'Or en disant "Que le boeuf et la liberté soient ma récompense"... (Parmi les personnalités fréquentant le Beefsteak Club figurèrent Garrick, Hogarth, ainsi que le prince de Galles, futur George IV et son frère le duc d'York).

     

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    La salle du premier Covent Garden Theatre par A.Pugin et T.Rowlandson

     

        L'établissement dont l'affiche des spectacles était heureusement plus variée que le menu du Beefsteak Club, produisit son premier ballet en 1734, signé par une chorégraphe féminine, Marie Sallé, laquelle anticipant les réformes de Noverre, interpréta elle même son Pygmalion avec pour tout costume une simple robe de mousseline:
        "Elle a osé paraitre sans panier, sans jupe, échevelée et sans aucun ornement sur la tête, elle n'était vêtue avec son corset et son jupon que d'une simple robe de mousseline tournée en draperie et ajustée sur le modèle d'une statue grecque" écrira un témoin.
        Cette dernière eut l'occasion de croiser sur cette même scène le grand acteur Garrick ainsi que Haendel qui y donna Le Messie et la plupart de ses oratorios, et dont l'orgue périt malheureusement comme beaucoup d'autres objets de valeur dans l'incendie qui ravagea le théâtre le 20 Septembre 1808.

        Mais la reconstruction des lieux ne se fera pas attendre, et trois mois à peine après le sinistre, le 31 Décembre 1808, le prince de Galles posait la première pierre du nouvel établissement. Dessiné par Robert Smirke (l'architecte du British Museum), le théâtre rouvrit en Septembre 1809 avec une représentation de Macbeth, des débuts mémorables, marqués par les Old Prices Riots (Emeutes des Anciens Tarifs), manifestations célèbres qui opposèrent pendant plus de deux mois la direction et le public mécontent.

        Les dommages résultant de l'incendie (où la plupart des décors et des costumes avaient été détruits), ajoutés au coût élevé de la reconstruction avaient engendré des dépenses considérables qui incitèrent la direction à augmenter le prix des places (le tarif passa de 6 à 7 shillings pour une loge), une initiative qui, comme l'on s'en doute, provoqua l'indignation général...
       Le soir de la Première, le public déclencha dans la salle un chahut indescriptible, refusant de quitter les lieux après la représentation et, malgré l'intervention de la police, les mécontents ne purent être dispersés avant deux heures du matin.

     

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    Caricature de John Kemble (1757-1823) par Isaac et George Crulkshank 



        L'agitation persista obstinément au fil des jours, la salle se couvrit de banderoles, et dans un esprit de contestation les spectateurs se mirent à arriver ostensiblement au théâtre à l'heure du demi-tarif (Passé un certain temps après le début du spectacle, l'entrée se faisait à moitié prix). Un cercueil fut même amené en grandes pompes un fameux soir, portant cette inscription: "Ci-git le nouveau prix".
       Au bout de 64 jours de désordres qui, il faut le dire se déroulèrent dans la bonne humeur et sans aucuns dommages pour les lieux, John Kemble le directeur consentit à revenir aux anciens barèmes et en fut quitte pour des excuses...

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     Le Second Covent Garden Theatre cadre des Old Prices Riots

     

         Les spectacles présentés à l'époque au Covent Garden Theatre restaient encore très divers, et n'étaient pas réservés exclusivement a l'art lyrique et au ballet dont le centre principal était le Her Majesty Theatre situé dans le quartier de Haymarket, et parmi les célébrités qui illustrèrent le futur Opéra il faut noter une légende du monde du cirque, le fils d'un maitre de ballet de Drury Lane, le célèbre clown Joseph Grimaldi

     

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      Joseph Grimaldi  (1778-1837)   


         C'est également sur cette même scène que fut utilisé pour la première fois en 1837 par Macready, dans une pantomime, une nouvelle sorte d' éclairage : la lumière oxhydrique. Le procédé utilisant de la chaux, en anglais "lime", celui-ci fut naturellement appelé "limelight", un mot traduit en français par "les feux de la rampe" lorsqu'il s'est agi de rendre le titre du fameux film de Charlie Chaplin.

     

     Limelight (Les Feux de la Rampe) 1952 - Film de Charlie Chaplin avec Claire Bloom et Charlie Chaplin. Musique de Charlie Chaplin

     

        Le hasard présidant à beaucoup de choses, ce n'est pas une ordonnance officielle ou un édit royal qui firent du Covent Garden Theatre une prestigieuse salle d'Opéra, mais une vulgaire dispute, lorsqu'en 1846 le chef d'orchestre du Her Majesty Theatre, Michael Costa, à la suite d'un différend avec sa direction, vint s'y établir et amena avec lui la plupart des artistes, danseurs et chanteurs.
        Après que la salle ait été entièrement rénovée le théâtre rouvrit alors ses portes sous le nom de Royal Italian Opera House, car tous les opéras, même ceux dont le livret était en français, en allemand ou en anglais, y étaient donnés en italien jusqu'à ce que Gustave Mahler entame le cycle des Nibelungen de Wagner, après quoi le qualificatif d'"italien" disparut discrètement, laissant la place au Royal Opera House-Covent Garden


    L'Art et la danse

    Nisida ou les Amazones des Açores (musique de François Benoist, chorégraphie d'Auguste Mabille)  Royal Opera House- Covent Garden  (14 Octobre 1848) 

     

        Les lieux furent détruits encore une fois par un incendie le 5 Mars 1856, et le nouvel édifice, orienté différemment (Est/Ouest au lieu de Nord/Sud) et dessiné par Edward Middleton Barry, qui incorpora dans son oeuvre statues et bas reliefs sauvés du désastre, fut inauguré le 15 Mai 1858.
        Ces bâtiments forment le noyau du Royal Opera House actuel qui pendant la Première Guerre Mondiale fut réquisitionné par le ministère du Travail et devint un garde meubles, puis se vit transformé en dancing lors du conflit de 39-40. Les choses seraient d'ailleurs restées en l'état sans les nombreuses démarches de deux éditeurs de musique, Boosey & Hawkes, qui reprirent le bail et rendirent au lieu sa vocation première: Le Sadler's Wells Ballet fut alors invité à devenir la compagnie résidente et l'Opéra de Londres rouvrit ses portes le 20 Février 1946 avec une représentation de La Belle au Bois Dormant.

        Fondé par Ninette de Valois, ancien membre des Ballets Russes de Diaghilev, le projet du Sadler's Wells Ballet, vit le jour en 1926 lorsque celle-ci fonda une école de danse, l'Academy of Choregraphic Art, dans le but de former une compagnie et collaborer avec le Sadler's Wells Theatre. Elèves et danseurs s'y installèrent effectivement en 1931, et Ninette de Valois s'entoura alors des anciennes stars des Ballets Russes: Alicia Markova, Anton Dolin, ou encore Tamara Karsavina
        Le Sadler's Wells Ballet fut alors l'un des premiers en dehors de l'Union Soviétique à produire les oeuvres de Marius Petipa et Lev Ivanov, et avec la collaboration de Nicholas Sergeyev contribua à faire connaitre au monde des chorégraphies considérées comme le noyau du répertoire classique traditionnel.
        Après que la troupe se fut fixée au Royal Opera House en 1946, elle reçut en 1956 par charte royale le titre de "compagnie nationale", et se vit renommée Sadler's Wells Royal Ballet, tandis que l'école de danse prit le nom de Royal Ballet School.

     

    L'Art et la danse

    Logo de la Royal Ballet School

     

        Située en partie dans la grande banlieue de Londres à Richmond, celle-ci accueille les jeunes élèves dans un ancien pavillon de chasse de George II, White Lodge, tandis que les classes supérieures occupent un local adjacent au théâtre auquel il est relié depuis 2004 par une originale passerelle hélicoïdale surnommée Bridge of Aspiration... Aspiration à la gloire bien entendu...

     

    L'Art et la danse

    Bridge of Aspiration    

     

        Le théâtre actuel est le fruit d'un vaste plan de reconstruction et de rénovations majeures qui s'étalèrent de 1996 à 2000. Plus de la moitié de l'ensemble aujourd'hui est neuf, et le Floral Hall, ancien marché aux fleurs situé sur l'espace contigu aux bâtiments est devenu maintenant un agréable atrium.

     

    L'Art et la danse

    Le Royal Opera House et Floral Hall dans Bow Street     

     

        Un théâtre en sous sol, le Linbury Studio Theatre, accueille entre autres les spectacles de la Royal Ballet School, ainsi que le concours annuel Young British Dancer of the Year. Quand à la grande salle elle-même, elle est aujourd'hui l'une des plus modernes d'Europe, équipée pour l'opéra d'un système projetant les sous titres au dessus de la scène, ainsi que (sur certains sièges seulement...) du livret électronique, un petit écran vidéo qui donne les traductions du texte en plusieurs langues. 

     

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    London Royal Opera House

     

        Parmi les personnalités ayant contribué à établir le renom de l'Opéra de Covent Garden figurent la reine Victoria (1819-1901) et son conjoint le prince Albert (1819-1861), qui furent des spectateurs très assidus. On peut voire encore aujourd'hui dans la loge royale le grand miroir que la souveraine fit installer pour que ses dames d'honneur assises dos à la scène puissent, elles aussi, profiter du spectacle, et après le décès de son conjoint bien aimé, la reine Victoria demanda à ce que la lanterne signalant le bureau de police de Bow Street soit remplacée par une lampe blanche, cet éclairage bleu lui rappelant chaque fois qu'elle quittait le théâtre, la couleur de la chambre du château de Windsor où s'était éteint le prince Albert...

     

    L'Art et la danse

     

         Le Royal Opera House est un foyer artistique célèbre dans le monde entier où sont passés les plus grands noms de la danse, de Frederick Ashton le premier chorégraphe du Royal Ballet en passant par Margot Fonteyn et Rudolf Noureev, jusqu'à aujourd'hui Leanne Benjamin, Marianela Nunez, Carlos Acosta ou Thiago Soares.


    Le Lac des Cygnes - Acte II  Interprété par Marianela Nunes et Thiago Soares et le Royal Ballet.


        C'est peut-être cependant Broadway et Hollywood qui ont le plus largement répandu l'aura du pittoresque quartier de Covent Garden... Les lieux ayant été mémorablement immortalisés par George Bernard Shaw (1856-1950) dans sa pièce Pygmalion dont furent tirés My Fair Lady la célébrissime comédie musicale et le film du même nom: C'est en effet à la sortie de l'Opéra que le professeur Higgins attendant un taxi rencontre la marchande de fleurs Eliza Doolitle, dans ce cadre surréaliste où se cotoyaient à l'époque hauts de forme et choux-fleurs.

     

    Sur la scène du Royal Opera House-Covent Garden, Angela Gheorghiu interprète l'air le plus célèbre de la comédie musicale My Fair Lady ( Paroles de Alan Jay Lerner, Musique de Frederick Lowe).

     

     


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    Mikhaïl Fokine par Valentin Serov (1865-1911)

     

         "Il suffit d'avoir douté une seule fois pour perdre la foi fétichiste en la valeur des cinq positions, pour comprendre qu'elles n'épuisent pas toute la gamme, toute la beauté des mouvements du corps humain
                                                                           Mikhaïl Fokine

     

        Dix-septième enfant d'une famille qui en compta dix-huit (mais dont cinq seulement atteignirent l'âge adulte), Mikhaïl Fokine naquit à St. Petersbourg le 25 avril 1880. Fils d'un commerçant aisé et d'une mère passionnée de théâtre, le petit Mikhaïl attend chaque fois avec impatience le retour de son frère ainé Nicolaï, officier de cavalerie, qui grand amateur de ballet, lui décrit avec profusions de détails les spectacles auxquels il a assisté. Bientôt Mikhaïl n'a qu'une envie, faire partie lui aussi de ce monde qui le fascine, un enthousiasme que ne partage cependant pas son père, et c'est en se cachant que sa mère doit le conduire à l'examen d'entrée à l'Ecole Impériale... où il est admis sans difficultés... (Finalement, très fier du succès de son fils qui a été choisi parmi plusieurs centaines de candidats, le père de Fokine deviendra l'un de ses plus fervents supporters...)

        Entré à l'âge de 9 ans dans la prestigieuse institution, Mikhaïl Fokine parait pour la première fois sur scène la même année dans Le Talisman, dirigé par Marius Petipa, et en 1898 fait ses débuts avec le Ballet Impérial dans Paquita le jour de ses 18 ans.

     

    L'Art et la danse

    Mikhaïl Fokine (Lucien d'Hervilly) dans Paquita


        Ses années d'études n'ont toutefois pas été uniquement consacrées à la danse, car cet artiste accompli a également travaillé le violon et le piano et maitrisait également la balalaïka et la mandoline...  et lorsque les musiciens du Mariinski créèrent un petit orchestre de cordes il y fut accepté sur le champ.
        Le danseur menait de pair cette activité musicale avec sa carrière de soliste au Ballet Impérial et ses talents réels de musicien lui valurent une place dans le célèbre orchestre de balalaïkas de Vassily Andreyev où il jouait de la domra, un instrument de la famille du luth  (Il ira jusqu'à transcrire, orchestrer et même composer de la musique, et lors de ses derniers engagements de chorégraphe au Mariinski il lui arriva de diriger lui même l'orchestre pendant que ses ballets étaient dansés sur scène).

     

    L'Art et la danse

    Vassili Andreyev (1861-1918)  Le père de la balalaïka moderne, et le créateur du premier orchestre de balalaïkas.

     

    Orchestre de Balalaïkas du Conservatoire de Saint Petersbourg 


        Tout aussi exceptionnellement doué pour la peinture, une autre de ses passions (il avait fréquenté l'école de Dmitriev Kavkosky et aurait pu prétendre être admis à l'Académie des Arts...), Fokine déçu par ses premières années avec le Ballet Impérial songea très sérieusement à se réorienter vers la musique ou les arts plastiques...
        Car le ballet alors essentiellement axé sur la technique et la virtuosité se révéla pour lui un carcan difficilement supportable dont il se serait certainement libéré s'il n'avait été nommé en 1902, professeur à l'Ecole Impériale, un poste qui lui permettra de s'exprimer au de là de ces traditions stéréotypées.

         Dès 1904 il fait part de ses idées réformistes à la direction des Théâtres Impériaux:

        "A la place du dualisme traditionnel, le ballet doit montrer une unité d'expression totale, faite de la combinaison harmonieuse des trois éléments: musique, peinture et arts plastiques... La danse doit être interprétative... Elle ne doit pas dégénérer en simples mouvements de gymnastique... Elle doit raconter l'âme..."

        Base des cinq célèbres propositions qu'il élaborera plus tard, cette lettre qu'il envoie aux officiels ne sera pas unique, mais toutes seront cependant accueillies avec la même réserve.
        (Il faut remarquer à ce sujet que ces idées, souvent attribuées à d'autres, sont exprimées ici 4 ans avant que Fokine ne rencontre Diaghilev et 10 mois avant la première apparition d'Isadora Duncan en Russie).

         La direction des Théâtres Impériaux se méfie comme l'on s'en doute de ces conceptions jugées révolutionnaires, en conséquence les activités du chorégraphe seront restreintes au maximum et la plupart des ballets qu'il crée à l'époque le seront pour des spectacles d'élèves (Acis et Galatée - 1905), des galas de charité (Chopiniana - 1907) ou des spectacles privés (La Mort du Cygne -1907).
         Et c'est avec les moyens limités dont il dispose que Fokine, qui vend souvent lui-même les tickets dans son propre appartement, réalise avec l'aide de sa femme (la danseuse Vera Antonova qu'il épousa en 1905) une grande partie des costumes qu'ils réutilisent chaque fois autant que faire se peut...

     

    L'Art et la danse

    Vera Fokine  par Zinaïda Serebriakova (1884-1967)

     

        S'il ne jouit pas de la considération des autorités en place, son travail attire par contre l'attention de jeunes artistes progressistes dont le peintre Alexandre Benois qui en 1908 lui présente un imprésario épris d'avant garde: Serge de Diaghilev... Une rencontre qui va changer le cours de leurs deux existences et écrire en même temps un chapitre fabuleux de l'Histoire du Ballet.
        Lorsqu'il évoque ces moments, Benoit écrira:

                      "Fokine brûlait littéralement d'enthousiasme ..." 

        Le résultat de cette entrevue sera la mythique première saison des Ballets Russes à Paris en 1909, dont l'impact sur le monde de l'art, la musique, la culture, la mode et la littérature fut absolument sans précédent et fascine encore aujourd'hui.
         Fokine y présenta quatre ballets, Le Pavillon d'Armide, Cléopatre, les danses polovtsiennes du Prince Igor et Les Sylphides, auxquels le public fit un véritable triomphe et, promu chorégraphe en titre de la Compagnie, il va créer successivement avec le même succès Carnaval, Schéhérazade, et L'Oiseau de Feu en 1910, suivis en 1911 de Petrouchka et Le Spectre de la Rose imposant l'image éternelle d'un danseur étoile, le mythique Vaslav Nijinski, dont l'importance grandissante que celui-ci était en train de prendre subrepticement auprès de Diaghilev allait amener son lot de complications.

     

    L'Art et la danse

    Nijinsky dans Le Spectre de la Rose (1911)

                                  Soulève ta paupière close
                                  Qu'effleure un songe virginal
                                  Je suis le spectre d'une rose
                                  Que tu portais hier au bal.
                                                    Théophile Gautier


         La situation se dégrade rapidement en effet l'année suivante alors que  Mikhaïl Fokine crée Daphnis et Chloé, car le directeur de la compagnie vient de confier en même temps à Nijinski la chorégraphie (sa première) de L'Après Midi d'un Faune....  Et les deux oeuvres devant être présentées simultanément, Diaghilev qui tient absolument à ce que Nijinski crée l'évènement de la soirée n'hésite pas, afin de miner le succès de Fokine, à déplacer Daphnis et Chloé en première partie et avancer le lever de rideau d'une demi-heure pour que le public ne voit que la moitié du ballet... On imagine sans difficultés la violente discussion et les tensions qui en résultèrent...
        C'est Nijinski encore qui se voit attribuer la réalisation du projet suivant,  et Fokine fortement contrarié de voir lui échapper Le Sacre du Printemps, donne sa démission et regagne St. Petersbourg et le théâtre Mariinski. Pas pour très longtemps cependant car après avoir travaillé à Berlin pour la Compagnie d'Anna Pavlova, il est bientôt rappelé par Diaghilev qui vient de renvoyer furieux son danseur étoile... (celui-ci lui a joué le vilain tour de se marier...)

        La saison 1914 des Ballets Russes voit la création du Coq d'Or, et c'est à cette époque que, dans une lettre au Times, Fokine énonce les principes de sa nouvelle esthétique, réaffirmant sa liberté de chorégraphe en quête de l'expressivité absolue, ainsi que sa perpétuelle recherche d'unité et de parfaite cohérence entre les musiciens, les décorateurs, les solistes et le corps de ballet. 

     

    L'Art et la danse

    Décor de Natalia Gontcharova inspiré de l'imagerie russe pour Le Coq d'Or

     

         Devant le succès toujours présent, sept nouvelles oeuvres sont prévues pour l'année suivante, mais alors que la troupe va quitter Paris le déclenchement des hostilités avec l'Allemagne les met dans l'impossibilité de traverser l'Europe, et les artistes se voient contraints de transiter par l'Espagne où Fokine étudie les danses locales qu'il utilisera plus tard dans plusieurs de ses ballets: Jota Aragonesa (1916), Ole Toro (1924) Panaderas (1930) ou Bolero (1935).

        De retour à St.Petersbourg, le chorégraphe retrouve les Théâtres Impériaux et vient de créer en 1917 L'Apprenti Sorcier et Ruslan et Ludmilla lorsque la Révolution qui éclate en Octobre va cette fois lui faire abandonner définitivement sa terre natale.
        Ayant reçu de Suède une invitation providentielle pour monter Petrouchka il réussit en effet à persuader les officiels soviétiques de lui accorder les permis nécessaires pour s'y rendre accompagné de sa famille (il a maintenant un fils, Vitale), et les trois fugitifs franchiront les lignes de front de la guerre civile sans être inquiétés...
        Ils transitent un temps par la Scandinavie puis une offre de Broadway met fin à leur errance, et les amène finalement à New York qui sera à partir de 1923 leur base définitive où Diaghilev fait une ultime réapparition... mais sans succès... car il ne sera question de rien tant que celui-ci n'aura pas réglé ses dettes... A savoir des impayés datant de 1914-15... et qui le resteront...

    (Les deux hommes ne se reverront jamais: Une dernière tentative de rapprochement eut lieu en 1928, alors que Fokine répétait les Danses Polovtsiennes à Paris et que Diaghilev qui se trouvait sur place reconnut sa voix. Par l'intermédiaire du danseur Boris Romanov, il fit demander à son ancien chorégraphe s'il accepterait de le rencontrer... Celui-ci très ému répondit par l'affirmative, mais au dernier moment Diaghilev n'osa pas franchir la porte du studio et s'éloigna sans un mot... Il devait mourir l'année suivante)

     

    L'Art et la danse

    Serge Diaghilev (1872 - 1929)

     

        Les premières années de Fokine aux Etats Unis furent particulièrement difficiles, car les danseurs professionnels y étaient inexistants, et l'essentiel de ses activités se borna à quelques commandes de chorégraphies pour les spectacles de Broadway et plusieurs tournées où il se produisit avec sa femme Vera.
        Son fils Vitale appèlera plus tard cette époque "les années perdues", et en 1936, le critique du New York Times, John Martin, écrira:
        "C'est comme si Beethoven avait donné des leçons de piano au lieu de composer".

     

    L'Art et la danse

    Vera et Mikhaïl Fokine dans Schéhérazade

     


        Il prit alors la décision qui s'imposait et ouvrit à New York une école de danse, créant le vivier de la première génération de danseurs professionnels américains, et forma avec eux en 1924 la toute première Compagnie, l'American Ballet, qui assurait régulièrement des spectacles au Metropolitan Opera House ainsi que des tournées dans les principales villes des Etats Unis et en Europe.
        A ses anciens ballets, le chorégraphe qui deviendra en 1932 citoyen américain, ajoute alors de nouvelles créations, Les Aventures d'Arlequin (1922), Les Elfes (1924), auxquelles les spectateurs toujours plus nombreux font chaque fois un triomphe.. 
        Le 8 Août 1934, une soirée au Lewisohn Stadium (pour laquelle avaient été vendues 15.000 places assises et 2000 debout) nécessita le déplacement de la police tandis que plusieurs milliers de personnes qui n'avaient pu entrer assiégeaient les lieux...
       Le New York Times titrait le lendemain en première page:
    "La Police intervient alors que 10.000 personnes essayent en vain de voir les ballets de Fokine". 

     

    L'Art et la danse

    Inauguration du Lewisohn Stadium le 29 Mai 1915. Situé sur le campus du New York City College le stade aujourd'hui détruit a cédé la place au NAC (North Academic Center)


        Intransigeant, et d'une exigence extrême, Fokine était admiré et aimé de tous ses danseurs. L'un d'eux dira plus tard:
        " C'était extèmement encourageant de travailler pour un Maitre tel que lui, qui exigeait constamment la perfection, et à qui l'on pouvait faire confiance sans hésitation. Sa présence dans le public électrisait complètement l'atmosphère, et bien que nous donnions toujours tous le meilleur de nous même, il nous semblait avoir la force de danser encore mieux lorsqu'il était là".

        Courtisé par les autorités russes, le chorégraphe ne se laissera pas convaincre de regagner l'URSS, et en 1935 monte L'Amour des Trois Oranges et Samson et Dalila pour la Scala de Milan, puis travaille avec le Ballet de Monte Carlo de Léon Blüm.
        C'est alors qu'un début de procès intenté au Colonel Basil (dont la compagnie interprétait un peu trop librement ses ballets...) donne un tour inattendu à sa carrière, car le différent finalement réglé à l'amiable sera à l'origine d'une véritable association, et le chorégraphe qui va suivre la troupe jusqu'en Australie crée pour eux Cendrillon (1938).

         Cependant la menace du second conflit mondial devenue imminent l'oblige à regagner sans délais les Etats Unis où il va vivre cette fois la dernière et l'une des plus importantes de ses aventures.


        Mikhaïl Fokine sera en effet l'un des membres fondateurs du nouveau projet américain: le Ballet Theatre, pour lequel il remonte son répertoire (Lors de la première historique le 11 Janvier 1940 le rideau se lève sur Les Sylphides) et produit ses derniers ballets. 
        Barbe Bleue et Le Soldat Russe voient respectivement le jour en 1941 et 1942 et le chorégraphe est en train d'achever Hélène de Troie lorsqu'il est atteint d'une phlébite pendant une répétition lors d'une tournée à Mexico. A son retour à New York la complication d'une embolie pulmonaire évolue alors en double pneumonie et provoque son décès prématuré le 22 Août 1942 à l'âge de 62 ans.

        Afin de lui rendre hommage 14 Compagnies dans le monde donnèrent simultanément Les Sylphides le jour de ses obsèques et lorsqu'on demanda un commentaire à son cher ami Rachmaninov, un intime depuis 1919, celui-ci répondit:

        "Maintenant tous les génies sont morts..."

     

    L'Art et la danse

    Mikhaïl Fokine (1880-1942)


        Mikhaïl Fokine créa, tout au long de cette carrière ponctuée par deux guerres et une révolution, plus de 80 ballets dont beaucoup sont des chefs d'oeuvres toujours présents dans les répertoires des plus grandes compagnies.
        Mais sa contribution la plus importante à l'histoire du ballet reste d'avoir libéré la danse des conventions pour en faire un art révélateur d'une sensibilité nouvelle, et cet artiste, peintre, musicien, philosophe et intellectuel accompli que l'on pourrait décrire comme un homme de la Renaissance, apporta au ballet des changements comparables à ceux de Noverre, et ouvert la voie à tous les chorégraphes du XXème siècle.

     

    Les Sylphides     Mikhaïl Baryshnikov et Marianna Tcherkassy

     


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