• Degas, un autre regard sur la danse

    L'Art et la danse

     

        Aucun peintre n'est aussi unanimement associé à l'univers de la danse que l'est Edgar Degas (1834-1917), car jamais aucun artiste n'a sans doute observé les danseuses d'aussi près, mais si celui-ci a partagé l'engouement des balletomanes sous le Second Empire et la IIIème République il a volontairement ignoré ce qui charmait ces derniers, l'extériorité et la vanité, pour leur préférer l'obscure réalité du quotidien: seules d'ailleurs quelques unes de ses toiles parmi l'imposant corpus d'oeuvres qu'il consacra au sujet (plus d'un millier de dessins, pastels ou peintures à l'huile) représenteront le triomphe de l'étoile auréolée de gloire et de splendeur factice. 

     

    L'Art et la danse

    (Star des calendriers et des couvercles de boites de chocolats L'Etoile donne une idée mièvre et très erronée de l'oeuvre véritable d'Edgar Degas)

     

        L'objectif principal du peintre, il le dira lui-même, est l'étude du mouvement et, dans cette recherche inlassable, à la scène cadre de gestes beaucoup trop convenus il préfèrera naturellement la plupart du temps le huis clos des coulisses et des salles de classe et de répétitions, et dévoilera par cette même occasion ce qui fait la vérité et l'authenticité du ballet, découvrant l'âpreté de la vie de celles qui resteront toujours dans l'ombre.

     

    L'Art et la danse

     

        Degas fréquentait avec assiduité l'Opéra en tant que spectateur, mais grâce à un ami musicien de l'orchestre, Désiré Dehau, il fut introduit de l'autre côté du décor où à partir du début des années 1870 et jusqu'à sa mort, les danseuses à l'exercice, aux répétitions ou au repos deviendront son sujet de prédilection. Luttant contre les stéréotypes et les clichés (il ne dotera d'ailleurs que très rarement ses ballerines d'un joli minois), dans une période où la peinture était censée donner du monde une représentation embellie il n'idéalise rien, et ses toiles sans complaisance aucune nous révèlent sans fard l'intimité de ce monde tel qu'il était en cette seconde moitié du XIXème siècle.

     

    L'Art et la danse

     

         C'est en 1874 qu'il présente pour la première fois au Salon des Impressionnistes une oeuvre consacrée au ballet: Il s'agit du Foyer de la Danse de la rue Le Peletier, un lieu qui le fera fantasmer longtemps après que l'Opéra fut détruit par un incendie et remplacé par le nouvel Opéra Garnier inauguré en 1875. 
        On reconnait sur la toile le maitre de ballet Louis Mérante (1828-1887) tout de blanc vétu, l'un des seuls personnages masculins présents dans son oeuvre car la danse française est alors à son plus bas niveau et les danseurs ont pratiquement disparu de la scène où évoluent en reines les vaporeuses sylphides romantiques adulées du public...

     

    L'Art et la danse

    (La danseuse à l'extrème gauche qui s'apprête à attaquer une variation est Mademoiselle Hugues. On remarquera sur la chaise l'éventail avec lequel les danseuses tentaient de se rafraîchir et qui apparaitra dans de très nombreux tableaux)

     

        Des ballerines qui portent encore pour l'exercice les traditionnels jupons blancs et dont la tenue est encore relativement compliquée:
        "D'abord une chemise dont le pan arrière est ramené par devant entre les jambes et serré à la taille par un ruban. On revêt ensuite un corset lacé, un pantalon qui couvre les cuisses et des bas de coton tenus par des jarretières sous lesquelles on glisse le bas du pantalon. C'est ensuite le tour du corsage et enfin le juponnage".
       Les danseuses doivent elles-même fournir (et entretenir, en épinglant les plis tous les soirs...) ces volants de tarlatane que leur mères étaient alors chargées de confectionner selon des critères bien précis.
        Un regard attentif sur l'oeuvre de Degas nous apprend par contre qu'il était permis de porter des bijoux (bracelets et boucles d'oreilles y apparaissent très souvent), et qu'aucune coiffure n'était imposée tandis que le chausson de pointe au bout encore relativement souple n'avait rien à voir avec son homologue moderne.

     

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     (A l'heure où Angelin Preljocaj fait danser nue comme un ver l'Elue de son Sacre du Printemps, ce pastel de Degas n'évoque rien de plus pour nous aujourd'hui qu'un exercice de grands battements à la barre... Mais lorsque le dessin a été exécuté le contexte était très différent, et certains des tableaux de l'artiste montrant trop de jambes et de dessous furent considérés par les contemporains comme scandaleux, voire même subversifs...) 


        C'est Jules Perrot (1810-1892) que l'on retrouve sur une autre toile dirigeant une classe, armé lui aussi du bâton avec lequel le professeur scande la mesure sur le sol:

     

    L'Art et la danse

        

      Et le violoniste, qui accompagnait leçons et répétitions, est présent dans nombre de compositions:

     

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        Autour de ces divers personnages le peintre se fait le témoin du quotidien, attentif a ses moindre détail: Il n'oubliera pas, outre l'éventail, un ustensile que l'on pourrait croire égaré et dont la présence n'a pourtant rien d'incongru: l'arrosoir avec lequel on humidifiait le parquet afin d'éviter d'y glisser (On le retrouve dans l'oeuvre ci-dessus au premier plan à gauche devant le piano ainsi que, placé pratiquement au même endroit, dans le tableau représentant la classe de Jules Perrot).
        Beaucoup plus imposant cette fois on découvre également l'énorme poële qui réchauffait à grand peine les salles glacées en hiver:

     

    L'Art et la danse

        

        Et dans ce décor spartiate, Degas observe avec attention l'effort de l'apprentissage d'une implacable rigueur,

     

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    (On retrouve encore une fois ici l'arrosoir) 

     

          Lorsqu'il fait apparaitre un quelconque mouvement d'ensemble il n'en fait qu'un détail de la scène car son but n'est pas de faire l'apologie de la beauté de la danse mais de représenter les attitudes ordinaires de ces danseuses qui transpirent ou qui ont froid et qui rajustent une ceinture ou lacent un chausson:

     

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          Lorsque la leçon s'achève enfin il saisit les gestes les plus spontanés, naturels et anodins, ces moments de pause où la concentration se relâche et le corps se détend tandis que les unes, épuisées, se grattent le dos et d'autres massent leurs pieds meurtris par les pointes:

     

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    (La danseuse de gauche rajuste sa jarretière) 

     

          Cette même lassitude, on la retrouve également dans les coulisses, les soirs de spectacle,

     

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        et à l'heure des répétitions ce sont encore une fois des danseuses qui baillent ou s'étirent qui sont au premier plan:

     

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         Mais si le ballet sur scène n'apparait ici que comme un détail, le peintre qui, par contre, n'occulte rien et dénonce ces pratiques, n'a pas manqué de représenter les "messieurs" élégants assis tout au fond: deux riches "abonnés" de l'Opéra à qui il était permis d'assister aux répétitions...
        A ce privilège ceux-ci ajoutaient également celui d'être admis dans les coulisses lors des spectacles ainsi que dans le Foyer qui avait alors la réputation d'un véritable lieu de rendez-vous galants... 

     

    L'Art et la danse

    (A plusieurs reprises Degas aura un regard de compassion et d'attendrissement face à ces jeunes femmes "dévoyées" presque malgré elles)

     

        ... car les danseuses de l'époque, pour la plupart issues de milieux pauvres, étaient mal payées et devaient souvent compléter leurs fins de mois par quelques "attentions" à un riche protecteur... et pire encore il arrivait que ce soit les mères qui, présentes elles aussi dans les salles de répétition, négocient les entrevues:

     

    L'Art et la danse

     

    L'Art et la danse

      

     

        Lorsque Degas exécute ses toiles, les personnages des ballets romantiques correspondent à une double image de la femme, créature tantôt angélique, tantôt diabolique. Mais le peintre n'adhère pas à cette mythologie et préfère rendre le monde réel.
       Il exalte la danse féminine dans sa fatigue, sa mélancolie et son quotidien, et en peignant la faiblesse de ces êtres qu'il magnifie a réussi le défi qu'aucun autre artiste ne relèvera après lui: atteindre le coeur du monde de la danse.

     

      

     Musique: Piotr Ilich Tchaïkovski    La Belle au Bois Dormant   Final


         


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