• Jules Perrot (1810-1892) Un talent qui dérangeait

    L'Art et la danse

    Jules Perrot  par Edgar Degas (1834-1917)

     

        Jules-Joseph Perrot naquit à Lyon le 18 Août 1810 où il semble que c'est son père, machiniste au Grand Théâtre, qui envisagea pour lui un avenir dans le monde du spectacle. Une heureuse décision, car le jeune garçon révéla effectivement des aptitudes certaines pour la danse et, en 1818, il parait sur la scène du Grand Théâtre de Lyon dans l'opéra de Boïeldieu (1775-1834), Le Petit Chaperon Rouge, s'astreignant à un entrainement quotidien dès l'âge de neuf ans.

        Mais ce sont ses talents de mime et d'acrobate qui vont pourtant attirer sur lui les regards, plus particulièrement une parodie du célèbre danseur "disloqué" de l'époque, Charles Mazurier (1798-1828), avec laquelle il se produit dans divers théâtres de province.

     

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    Charles Mazurier  dans le rôle de Polichinelle Vampire fit les délices de tout Paris sous la Restauration, surnommé "Le César de la pirouette, l'Alexandre de la cabriole, le privilégié du grand écart".

     

         Jules Perrot n'est encore qu'un enfant lorsque le public parisien le découvre pour la première fois au théâtre de la Gaité où il fait ses débuts le 29 Décembre 1823 dans le costume de Polichinelle, et Le Journal de Paris relate ainsi l'évènement:
        "Avec sa présence, sa souplesse et sa légèreté, cet enfant de seulement 12 ans est déjà bien supérieur aux Mazuriers et autres exécutants de ces tours de force".
        Mais, page le jour et figurant le soir, le jeune Perrot encouragé par autant de louanges va placer ailleurs ses ambitions: Il ne sera pas danseur-acrobate, il sera danseur classique...

        Le plus éminent des professeurs qui a déjà évalué son talent va alors devenir son maitre, et à cause de son physique qui n'était pas idéal, Auguste Vestris (1760-1842) lui donnera ce conseil:
        "Saute d'un endroit à l'autre, tourne, balance, mais ne laisse jamais au public le temps d'étudier ta personne".
        Le "style Perrot" était né... et fera écrire plus tard:
        "Ce danseur arpentait le théâtre avec tant de rapidité que dans les cercles qu'il décrivait il semblait se poursuivre lui-même".

     

    L'Art et la danse

     Jules Perrot


        Avant même d'avoir 17 ans le jeune homme est engagé au théâtre de la Porte Saint-Martin où un critique nous apprend effectivement "qu'il ne manque ni d'aisance ni de souplesse" mais que "sa figure est loin d'être gracieuse", une constatation partagée par un autre de ses contemporains:
        "Perrot n'est pas beau, il est même extrêmement laid. Au dessus de la taille il a les proportions d'un ténor et il est inutile d'en ajouter davantage... Mais ses jambes sont extrêmement agréables à regarder et bien que ce ne soit pas l'usage de discuter des proportions physique d'un homme, on ne peut pas rester silencieux devant elles: Le pied et le genou inhabituellement minces équilibrent harmonieusement leur rondeur quasi féminine, puissantes, élégantes et souples, ce sont les jambes du jeune homme en culotte rouge qui brise la baguette symbolique sur son genou dans la toile de Raphaël, Le Mariage de la Vierge".

     

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    Le Mariage de la Vierge      Raphaël (1483-1520)


        Combinant le meilleur de la technique classique que lui enseigne Vestris avec sa propre expérience passée, Jules Perrot, après un bref séjour à Londres, fera ses débuts à l'Opéra de Paris en 1830 dans La Muette de Portici d'Auber (1782-1871). Cette première apparition fera sensation et les critiques voient déjà en lui "le plus grand danseur de son temps".
        Promu en un an "premier sujet" il est alors choisi pour être le partenaire de Marie Taglioni (1804-1884) dans Zéphire et Flore de Charles-Louis  Didelot (1767-1837), et Théophile Gautier (1811-1872) le décrit à cette occasion en ces termes:
        "Perrot l'aérien, Perrot le Sylphe, la Taglioni mâle"...
        Malheureusement, ne supportant pas qu'il lui soit fait de l'ombre, Marie Taglioni ne tolérera pas son succès grandissant et après quelques saisons refusa de danser avec lui... 
        Les étoiles de l'époque dont le salaire était équivalent à celui de nos footballers actuels étaient vénérées, voir idolâtrées, se montrant impitoyables face à la concurrence...  Et "La Taglioni", qui faisait la pluie et le beau temps à l'Opéra, obtint finalement que Perrot soit renvoyé...

        Celui-ci se produisit alors comme artiste invité sur différentes scènes européennes et, à Naples, rencontra Carlotta Grisi (1819-1899) dont il devint le professeur, le mentor et l'époux non officiel (Bien que celle-ci dansa sous le nom de Madame Perrot à l'époque de la naissance de leur fille). Ensemble ils se produisent à Londres (1836), Vienne où Perrot crée sa première grande chorégraphie Der Kobold (1838), et iront à Munich et Milan, puis Paris où il présente sa protégée dans Zingaro (1840) au théâtre de la Renaissance.

        Le talent de Carlotta la mettait sur le même pied que Marie Taglioni et Fanny Elssler (1810-1884) et elle fut finalement invitée à danser à l'Opéra où Perrot n'était évidement pas le bienvenu... C'est pourquoi elle n'accepta le contrat que dans la mesure où son compagnon serait réintégré... La direction laissa alors entrevoir au chorégraphe la création possible de deux ballets, et dans l'attente de la décision officielle celui-ci commença à collaborer à titre privé avec le compositeur Adolphe Adam (1803-1856) à un nouveau projet qui allait être monté à l'Opéra: Giselle, que le maitre de ballet en titre, Jean Coralli (1779-1854), considérait avec dédain comme un bouche-trou... C'est pourquoi celui-ci ne fut que trop heureux, après s'être toutefois assuré que Perrot n'avait pas été officiellement engagé par l'Opéra, de lui laisser faire discrètement une partie de son travail, c'est à dire toutes les scènes et les variations exécutées par Carlotta... "J'ai personnellement vu Perrot faire travailler à Carlotta Grisi des passages de ballet qui devaient être utilisés dans Giselle" écrira Auguste Bournonville (1805-1879)...

     

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    Carlotta Grisi dans Giselle

     

     

        Le ballet présenté le 28 Juin 1941 fut un triomphe et Jean Coralli s'en déclara sans vergogne le seul chorégraphe... (C'est Serge Lifar (1904-1986) qui rétablira la vérité bien des années plus tard et rendra enfin justice à Jules Perrot). Mais Giselle qui venait de propulser Carlotta au sommet de la gloire vit en même temps la séparation du couple Perrot/Grisi, car la "muse" de Théophile Gautier ayant répondu aux avances de ce dernier, Perrot préféra s'éloigner de Paris et poursuivre sa carrière à l'étranger (Jean Coralli qui ne souhaitait pas que s'ébruite davantage la vérité concernant la chorégraphie de Giselle participa activement aussi, parait-il, à ce départ...)

        En 1842 Jules Perrot est engagé à Londres comme assistant du maitre de ballet André-Jean-Jacques Deshayes (1777-1846) qu'il remplace l'année suivante entamant au Her Majesty's Theatre la période la plus productive de sa carrière:  Pendant les six années qui vont suivre il travaille avec toutes les plus célèbres ballerines de l'époque et produit 23 ballets de diverses importances, dont 7 chefs d'oeuvre, chacun d'eux composé pour mettre en valeur l'étoile à qui il était spécialement destiné.


        Pour Fanny Cerrito (1817-1909) il chorégraphie Alma (1842), Ondine (1843 et Lalla Rook (1846)

     

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    Fanny Cerrito dans "Le Pas de l'Ombre" d'Ondine.    De son passage dans les théâtres de Boulevards Jules Perrot avait gardé le goût pour les effets originaux et "Le Pas de l'Ombre" est la première réalisation d'effets d'ombre réalisés sur scène à l'aide de projecteurs spéciaux

     

        Pour Fanny Elssler (1810-1884) il composa Le Délire d'un Peintre (1843)

     

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    Fanny Elssler et Jules Perrot dans Le Délire d'un Peintre  

     

     Pour Carlotta Grisi (1819-1899)  La Esmeralda (1844) et Polka (1844)

     

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    Carlotta Grisi et Jules Perrot dans La Esmeralda


        Et pour Lucile Grahan (1819-1907)  Eoline (1845) et Catarina (1846)

        Il faut ajouter à cela de nombreux divertissements parmi lesquels figurent Le Jugement de Paris (1846), Les Eléments (1847), Les 4 Saisons (1848) mais dont le plus célèbre est resté le fameux Pas de Quatre (1845) pour lequel, suivant l'idée du directeur du théâtre, Benjamin Lumley, furent réunies les quatre grandes danseuses romantiques: Taglioni, Grisi, Cerrito et Grahan (et si Fanny Elssler n'avait pas été en tournée à l'époque c'eut été un Pas de Cinq).

     

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    Le Pas de Quatre

     

       Autant d'oeuvres profondément marquées par le romantisme et dont, sauf quelques rares exceptions, Perrot était lui-même l'auteur du livret: Créatures diaboliques (Alma), esprits de toutes sortes (Ondine, Eoline) hantent ces réalisations par lesquelles, longtemps associé au compositeur Cesare Pugni (1802-1870), il imposa son talent à marier danse et pantomime, et s'est acquis au terme de ce séjour londonien la réputation de plus grand chorégraphe de son temps.

        Lorsqu'il est sollicité par le prestigieux Théâtre Impérial de Saint-Petersbourg Jules Perrot, qui recherche une position stable, s'y rend en 1849 comme danseur, chorégraphe et maitre de ballet. De ces années passées en Russie vont naitre une nouvelle version d'Esmeralda, Catarina et Ondine, ainsi que plusieurs grandes oeuvres: La Guerres des Femmes (1852), Gazelda (1853) etc... et, concernant un domaine plus privé, l'artiste applaudi des tsars épousera une élève de l'Ecole Impériale Capitoline Samovskaya avec qui il aura deux enfants.
        Cependant en 1859 ses idées démocratiques commencent à déplaire aux autorités et le mettent dans une position délicate quand à son avenir, et ne sachant s'il devait partir ou rester c'est un incident qui emporta sa décision lorsque, dans son appartement sans aucune cause apparente, un miroir tomba du mur et se brisa en mille morceaux.
        La famille Perrot prit donc le chemin de la France et le départ du chorégraphe fut mis en haut lieu sur le compte du mal du pays...

     

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    Jules Perrot (1850)

     

        Lorsqu'il retrouva Paris après onze années d'exil Jules Perrot s'adapta difficilement aux changements qui avaient pris place à l'Opéra où il fut engagé comme professeur, représenté par son ami Degas (1834-1917) dans de nombreuses peintures. Son salaire subvenant à peine à ses besoins il connut, comme sa rivale Marie Taglioni, une fin de vie difficile et mourut dans la misère à Paramé (Ille-et-Villaine) le 24 Août 1892.

        Brillant interprète, chorégraphe inventif, pour la variété de ses expériences et de ses collaborations Jules Perrot s'impose aujourd'hui comme l'une des plus grandes figures du ballet européen du XIXème siècle. Victime de deux expériences malheureuses à l'Opéra de Paris, il fit partie de ces artistes de talent que des personnalités aux ego monstrueux ont évincé par crainte de la concurrence... Le malheur est qu'il en a été et qu'il en sera toujours ainsi...

     


     

     La Esmeralda   Interprété par Eva Evdokimova et Peter Schaufuss. Musique de Cesare Pugni. (Le compositeur dédia sa partition à la duchesse de Cambridge, protectrice des arts à Londres).

     

         


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