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    L'Art et la danse

    Florence  par Jean-Baptiste Corot (1796-1875)

     

        La saga des "dieux de la danse" débute à Florence où Thomas- MarieHippolythe Vestris et Violante- Béatrix de Dominique Bruscagli élèvent une famille de huit enfants dont ils consacrent majoritairement l'éducation à la musique et à la danse, et lorsqu'ils jugent celle-ci suffisante entament avec eux un véritable vagabondage à travers l'Italie tout d'abord, puis vers l'Europe ensuite, se séparant ou se regroupant au gré de leurs engagements respectifs ou des riches soutiens qu'exploitent en séductrices expertes les membres féminins de la famille.

     

    L'Art et la danse

    Térésa Vestris par Elisabeth Vigée-Lebrun (1755-1842)

     

         C'est Térésa (1726-1808) qui la première arrive en France en 1746, après avoir démontré ses divers talents (dont accessoirement celui de danseuse...) à Palerme, puis Vienne où elle devint la maîtresses du prince Eszterahazy, et provoquant la jalousie de l'impératrice Marie-Thérèse fut ensuite envoyée à Dresde. Engagée à Paris à l'Académie Royale de Musique, en courtisane accomplie elle prépare alors le terrain pour ses frères, et grâce à ses "relations" influentes en peu de temps Gaétano (1729-1808) et Angiolo (1730-1809) l'y rejoindront en 1848.

        Les deux garçons deviennent les élèves de Louis Dupré (1690-1774), Gaétano alors âgé de 19 ans est le type parfait du florentin blond et charmant, et bien qu'étant "jarreté", une imperfection qui se caractérise par des hanches étroites et des cuisses trop rapprochées, il réussit à force de travail à surmonter ce handicap et après avoir dansé quelques temps dans les ensembles il est nommé soliste en 1751 (Angiolo le sera en 1753).
        Les élèves de l'Académie Royale de Musique sont à l'époque (et le resteront jusqu'en 1830) classés, d'après leur physique, en trois genres dont ils ne peuvent sortir sauf autorisation du directeur:
        -La danse noble qui exige une haute stature bien proportionnée, et surtout des traits empreints de distinction et de majesté,
        -La danse de demi-caractère qui demande, elle, une taille moyenne, une silhouette svelte et gracieuse et un visage agréable,
       -La danse comique qui requiert un aspect plus trappu et une physionomie enjouée.

        De Gaëtan Vestris, Noverre (1727-1810) disait qu'il représentait "le modèle le plus parfait du genre noble" dont les pas lents, les amples mouvements de bras et les poses élégantes mettaient parfaitement en valeur son talent et ses qualités physiques qui l'imposèrent bientôt comme le plus grand danseur de son temps, et firent de lui le représentant sans égal de tous les dieux de l'Olympe et tous les héros grecs qui figuraient à l'époque dans le répertoire de la scène lyrique française.

        "Vestris hérita du beau talent de Dupré et de son sobriquet: on le proclama le dieu de la danse. Il égala son maitre en perfection et le dépassa en variété et en goût"  (J.B. Noverre. Lettres sur la danse).

        Recherché comme modèle de prestance et de grâce masculine, il devient bientôt le maitre à danser de Louis XVI, et règne à la Cour où chacun s'évertue à imiter ses toilettes et ses coiffures élégantes; cependant son aplomb frisant l'impudence, ses airs prétentieux et hautains et son épouvantable accent italien font en même temps de lui la cible de toutes les plaisanteries, et l'on se gausse de ses fanfaronnades dont certaines sont demeurées célèbres...
        Devant la beauté du duc de Devonshire il s'était exclamé:
    "Si je n'étais pas Vestris, je voudrait être le duc de Devonshire!",
        et après les victoires de Bonaparte en Italie il s'écria, fou d'enthousiasme:
    "Cet homme mérite une récompense extraordinaire: Il me verra danser!"
       Quoi de plus normal lorsque l'on sait qu'il n'y avait d'après lui que trois grands hommes: Voltaire, lui-même et le roi de Prusse...

     

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     Gaëtan Vestris  par Thomas Gainsborough (1727-1788)

      

         Très imbu de sa personne, totalement inconscient de son ridicule, et tyrannique à l'extrême, Gaëtan Vestris éprouva, de par son caractère exécrable, de nombreuses difficultés avec son entourage, et quelques mémorables altercations avec ses partenaires eurent des fins mouvementées....
        Il gifla Mademoiselle Heinel (1753-1808) sa grande rivale dans le domaine de la virtuosité (qui lui pardonna sûrement l'incident puisqu'elle l'épousa lorsqu'il prit sa retraite de l'Opéra), et traita une certaine fois Mademoiselle Dorival de "rognole"... Cette dernière ayant porté plainte sans succès, Vestris obtint contre elle une lettre d'incarcération, et elle fut emprisonnée quelques heures, le temps que l'on demande à l'irascible danseur d'aller, en s'excusant, la rechercher afin de la ramener à son public... Hué par les spectateurs à la suite de cet incident il n'en fut pas le moins du monde affecté, car quoi qu'il advint il reprenait toujours son ascendant sur le public par son talent prodigieux:
        "l'impudence de ce danseur l'a soutenu et ne l'a pas empêché de danser comme un dieu" écrivit un témoin. 

        A la suite d'un différend avec le maitre de ballet Jean-Barthélémy Lany (1718-1786), qui se solda par un duel, Vestris fut finalement lui-même emprisonné puis renvoyé cette fois de l'Académie de Musique. Il s'exila alors un temps à Berlin et à Turin en 1754-55, puis réintégré  à Paris où son public le réclamait y poursuivit sa carrière triomphale.
        A partir de 1761 il se rend régulièrement à Stuttgart et à Londres où il sera l'un des pionniers de l'ère nouvelle initiée par la grande réforme de Noverre (boudée à Paris) et jouera un rôle important en faisant découvrir le ballet d'action tout en conservant les caractères de la danse noble.
        Gaëtan Vestris fut également le premier à profiter de l'allègement des costumes et peut-être encore le premier à avoir dansé à visage découvert, selon certaines sources (d'autres attribuent en effet cet événement à Gardel qui aurait abandonné le masque un certain soir pour prouver au public qu'il n'était pas Vestris qui était annoncé au programme ce jour là).

     

    L'Art et la danse

    Gaëtan Vestris dans Jason et Médée de Noverre

     

        Exclu une nouvelle fois de l'Opéra à la suite d'un énième incident, le danseur y fut réintégré comme maitre de ballet et occupa le poste jusqu'en 1776, cédant la place à Noverre; et lorsque en 1780, l'Administration redoutant ses mouvements d'humeur hésite à le mettre à la retraite après 30 années de présence à l'Académie de Musique, c'est finalement son mariage avec Anne Heinel qui réglera la question et les deux artistes feront ensemble leurs adieux à la scène le 12 Mai 1782.

     

        Un pareil Apollon ne manqua pas d'être aimé des femmes et triompha sur les coeurs comme sur les planches, multipliant les conquètes dont la plus célèbre, sinon la plus importante dans l'histoire de la famille Vestris, fut la danseuse Mademoiselle Allard (1741-1802).

        Car un jour qu'il inspectait l'école de danse (il avait été nommé directeur des Ecoles de danse) les yeux de Gaëtan Vestris se posèrent sur un garçon de 9 ans exceptionnellement doué, et il s'enquit auprès du professeur de son identité:
        -"C'est le petit Allard" répondit celui-ci
        -"Un fils de... Mademoiselle Allard?"
        -"Précisément... de Mademoiselle Allard..."
        -"Mais mon Dieu! Alors ce doit être mon fils!.... Sais tu mon fils que tu ressembles à ton père?" s'écria-t-il en se tournant vers l'enfant...

        A compter de ce jour, Vestris éleva chez lui le petit Auguste, et le fit lui même travailler de façon telle qu'à l'âge de 13 ans il débuta sur la scène de l'Opéra subjuguant le public:
        "Un prodige de talent tel qu'on ne peut se le persuader qu'en le voyant" écrira un témoin de l'évènement.
        Tel un Mozart de la danse le fils de Gaëtan Vestris était en effet un petit prodige que l'on promenait de Cour en Cour, choyé et gavé de friandises; son nom d'Allard fut bientôt transformé en VestrAllard et lorsqu'il fut légalement adopté par son père ne porta plus que le nom de ce dernier.

     

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    Auguste Vestris  par Adèle Romanée (1769-1846)

     

        On imagine difficilement le degré de célébrité alors atteint par des artistes comme les Vestris: Lorsque le père et le fils paraissent à Londres Horace Walpole décrit ainsi l'entrée en scène du jeune Auguste:
        "Le public l'accueillit par une ovation indescriptible, les hommes applaudissaient à tout rompre et les dames oubliant leur délicatesse claquèrent des mains avec une telle véhémence que 17 se cassèrent le bras, 65 se foulèrent le poignet et 3 crièrent "Bravo! Bravissimo!" si fort qu'elles en devinrent complètement aphones..." 
        Le costume bleu dans lequel parut le danseur lança immédiatement la mode du "bleu Vestris" et le Parlement interrompit sa session pour que les membres puissent assister à toutes les représentations...

        Comme Auguste Vestris n'était pas très grand et n'avait pas la morphologie de son père, son style de danse était le demi-caractère dans lequel il fit preuve d'un "ballon" peu commun et d'une virtuosité sans précédent tournant comme une toupie. Noverre le décrivit ainsi:
        "Je vais vous montrer Monsieur Vestris fils: il est sous tous rapports le premier danseur de l'Opéra et de l'Europe. Tant qu'il aura la faculté de se mouvoir il sera le modèle inimitable de son art". 


        "Si Auguste est plus fort que moi" disait en toute modestie son géniteur, "c'est qu'il a pour père Gaëtan Vestris, avantage que la nature m'a refusé",  et il continuait:
        "S'il ne s'élève pas plus haut c'est pour ne pas trop humilier ses camarades ..."


    L'Art et la danse

     Auguste Vestris (1760-1842)   

            

         Au cours des 36 années qu'il passa à l'Opéra comme premier danseur Auguste Vestris créa une multitude de nouveaux pas de grande élévation qu'il intégra à l'ancienne danse terre à terre du XVIIIème siècle, et son talent de mime fut reconnu par tous les grands acteurs du moment. C'est à lui que revint l'honneur d'inaugurer le théâtre de la porte Saint Martin, construit en deux mois sur une commande de la reine Marie Antoinette afin de remplacer l'ancien Opéra détruit par un incendie, et il laissa également son nom à une danse que le chorégraphe Maximilien Gardel (1741-1787) composa pour lui dans Panurge dans l'ile des lanternes d'André Grétry (1741-1813), et qu'il exécuta si brillamment qu'elle ne fut plus connue ensuite que sous le nom de La Gavotte de Vestris.


    L'Art et la danse

       La Gavotte de Vestris

     
        Exilé à Londres pendant quatre ans par la Révolution, de retour à Paris il continua à se produire sur scène jusqu'en 1816 et se consacra ensuite à l'enseignement. Devenu un professeur recherché il comptera entre autres parmi ses élèves Marie Taglioni, Fanny Elssler, Carlotta Grisi, Marius Petipa et Auguste Bournonville. Ce dernier reproduira d'ailleurs fidèlement au Premier Acte de son ballet, Le Conservatoire, encore dansé de nos jours, une leçon de Vestris à l'Opéra de Paris en 1820. 

     

    Le Conservatoire- Acte I   Interprété par Ian Poulis et le Ballet Arizona

     

        Si Auguste Vestris avait hérité du talent de son père il hérita aussi malheureusement de son caractère... Très infatué de sa personne, capricieux, son arrogance ne connut pas de limites car, stars avant la lettre, les Vestris se permirent d'invraisemblables caprices et perdaient en certaines occasion toute retenue...
        "Excellent danseur dans son genre, mais bête, insolent, impudent, ne se prêtant jamais au bien de la chose lorsque les circonstances l'exigent" se plaindra la direction de l'Opéra... Il est de toutes les coalitions formées par les danseurs insoumis, et refusa un soir de danser devant la reine, soutenu en cela par son père qui l'avertit:
        "Si tu danses, je t'empêcherai de porter le nom du grand Vestris!"

     

    L'Art et la danse

    Auguste Vestris

     

        Les succès ininterrompus auraient du rendre Auguste Vestris immensément riche, mais ses dépenses exorbitantes et son désir de briller parmi les "aimables roués" de l'époque le conduisirent tout droit à la ruine en passant par la case prison.
        Même les remontrances de son père resteront sans effets, et Noverre qui aime admirer la grâce et le talent "lorsqu'ils sont entourés par les charmes de l'esprit, de l'honnêteté, de la politesse et des moeurs" exprimera toute la déception qu'il ressent à son égard:
        "Je regretterai toujours de voir les grands talents sans moeurs et sans reconnaissance. Il a donné et donnera toute sa vie l'exemple de l'immoralité, toutes ses pirouettes passées ne peuvent le sauver de la honte de son inconduite"  (Lettres sur la danse).

     

        Lorsque Gaétan Vestris reparait une dernière fois sur scène il a alors 61 ans et est accompagné d'Auguste et du fils de ce dernier, Auguste Armand (1795-1825) qui, à 5 ans, fait ses débuts...
       La troisième génération de Vestris se fera toutefois plus discrète, mais si l'on a tendance à associer aujourd'hui à ce nom une ridicule vanité, des excès en tous genres ou des ego surdimensionnés, il faut se rappeler cependant que ceux qui le portèrent furent aussi de très grands artistes.

     

    Vestris

        Premier ballet spécialement chorégraphié pour Mikhaïl Baryshnikov par Leonid Jacobson sur une musique de Genaldi Banschikov

     

     


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    L'Art et la danse

    Anna Pavlova dans le rôle d'Aspicia

     

         "J'ai un pressentiment que nous trouverons dans la vallée de Biban-el-Molouk une tombe inviolée, disait à un jeune anglais de haute mine un personnage beaucoup plus humble, en essuyant d'un gros mouchoir à carreaux bleus son front chauve où perlaient des gouttes de sueur..."

                              Théophile Gautier - Le Roman de la Momie (1858)

     

        Ainsi débute le récit d'une histoire d'amour où sont intimement mêlés tous les ingrédients du romantisme, des couleurs de l'exotisme à l'atmosphère gothique des tombeaux, et qui passionna dès sa parution un public encore fasciné, à l'époque, par la découverte du site de Memphis quelques années auparavant.

        Les fouilles du canal de Suez en 1859, et les nombreux récits des élites éduquées revenant de leur "Grand Tour" avaient encore ravivé cet intérêt pour l'Egypte ancienne lorsque, fin 1861, Marius Petipa fut convoqué à la hâte par le directeur du Marinsky lui demandant anxieusement s'il serait capable de monter un ballet en six semaines... Et après qu'il eut répondu : "Oui... je vais essayer et je réussirai probablement...", c'est du roman à la mode de Théophile Gautier que le chorégraphe choisit de s'inspirer afin de satisfaire les goûts du moment.

        Il s'agissait en fait de répondre à une requête de Carolina Rosati exigeant de créer un dernier rôle avant ses adieux à la scène, un événement inattendu qui représente alors pour Petipa une occasion inespérée, car il n'a monté, depuis son arrivée à Saint-Petersbourg en 1847, que des ballets en un Acte ou repris des oeuvres déjà existantes, dans l'ombre du maitre de ballet en titre, Saint-Léon, qu'il assiste. Et ce projet qui prend tout le monde de court, et que le chorégraphe se voit attribuer en catastrophe, lui offrira enfin pour la première fois la possibilité de donner toute la mesure de son talent dans une oeuvre mêlant grands ensembles, nombreuses variations, danses de caractère et scènes de pantomime.

     

    L'Art et la danse

                                    Carolina Rosati dans Le Corsaire

     

        En trois Actes et neuf tableaux, La Fille du Pharaon composé sur une musique de Cesare Pugni et un livret rédigé en collaboration avec Jules Henri Vernoy de Saint George, va effectivement se révéler un ballet grandiose, une production chorégraphique de la veine des grands opéras, instaurant le "style Petipa" avec le ballet à grand spectacle:

        Lorsque le rideau s'ouvre sur l'Acte I, un jeune anglais, Lord Wilson, et son domestique que le "Grand Tour" a précisément conduits en Egypte, rencontrent une caravane de marchands qui les invitent sous leur tente. Cependant, une violente tempête de sable les oblige à se réfugier dans une pyramide voisine dont le gardien demande à ces hôtes imprévus de ne pas troubles la quiétude des lieux, car ici repose Aspicia, la fille de l'un des plus puissants pharaons d'Egypte. Après avoir fumé une pipe d'opium avec les marchands, Lord Wilson enivré par les fumées se trouve projeté en rêve dans le passé, la pyramide s'anime, Aspicia prend vie... et le jeune aristocrate devient lui-même Taor, qui au cours d'une chasse royale sauve courageusement Aspicia des griffes d'un lion...

     

     

         L'Acte II a pour cadre le palais du Pharaon où se préparent les fiançailles d'Aspicia avec le roi de Nubie. Cependant celle-ci n'a pas le coeur à la fête car elle s'est éprise de Taor qui partage également ses sentiments, et lorsque les deux jeunes gens se retrouvent ils forment le projet de s'enfuir du palais... Pas avant cependant que ne se soient déroulés les fastes des cérémonies, prétexte à trois grands défilés permettant de faire paraitre le Ballet Impérial dans des costumes somptueux. Petipa va exploiter à merveille cette veine brillante: Tout est réglé avec une minutie jamais égalée auparavant, des animaux font leur apparition, singe, lion, cheval, dromadaire, serpent... Et les files de danseurs et de figurants richement parés qui investissent la scène sur un rythme de marche militaire devant des décors recréant les fastes de l'architecture egyptienne, impriment au ballet grandeur et magnificence et le transforment en un spectacle d'Art total.

     

     

         Lorsque l'Acte II se termine Aspicia est alors officiellement promise au roi de Nubie mais, comme prévu, déjouant toutes les surveillances, elle s'enfuit du palais en compagnie de Taor. Les amoureux sont évidemment poursuivis et trouvent refuge dans un village de pêcheurs, cadre du premier Tableau de l'Acte III. C'est alors que, Taor s'étant joint à une expédition de pêche, Aspicia restée seule est découverte par le roi furieux et n'a d'autre recours que celui de se précipiter dans le Nil afin de lui échapper. Le second Tableau évoque le fond des eaux où l'esprit du Nil accueille la jeune fille en demandant aux grands fleuves du monde de danser en son honneur. A l'issue de cette fête (où Petipa introduisit des danses de caractère très colorées), Aspicia, condamnée à vivre en ces lieux le restant de ses jours obtient la faveur de faire un voeu... Ayant bien entendu émis le souhait de revoir Taor, elle est aussitôt renvoyée sur terre tandis que ce dernier, capturé à son retour de la partie de pêche par le roi de Nubie et ramené au palais du Pharaon, va au milieu d'autres condamnés recevoir la sentence qu'il mérite...

     

     

        Conduite au palais par les pêcheurs, Aspicia arrive à temps pour voir Taor condamné à mourir d'une morsure de cobra et, déclarant alors à l'assemblée que s'il doit mourir elle mourra aussi, la jeune fille s'élance sans hésiter vers le vase où est caché le serpent. Cependant le Pharaon ému la retient et, atttendri par son geste, lui accorde la permission d'épouser Taor devant le roi de Nubie ulcéré qui jure de se venger. Les réjouissances pour les nouveaux fiancés s'organisent aussitôt et battent leur plein, lorsque soudain... le rêve opiacé s'achève... Le jeune Lord se réveille... et revient à la réalité à jamais embellie par un merveilleux souvenir...

     

     

         Lors de la première qui eut lieu au théâtre Bolchoï Kamenny de Saint Petersbourg le 18 Janvier 1862, Carolina Rosati qui avait pour partenaire Marius Petipa fut copieusement applaudie dans le rôle d'Aspicia qui mettait en valeur à merveille ses qualités dramatiques, et lorsque après son départ Mathilde Kschessinskaïa la remplaça, cette dernière fut remarquée elle aussi pour ses qualités d'interprète mais brilla également à cause des diamants de Fabergé dont la couvraient les Romanov...

     

    L'Art et la danse

    Mathilde Kschessinskaïa dans le grand Pas des Chasseresses

     

        Malgré quelques inexactitudes historiques (d'anachroniques bayadères et plusieurs costumes nationaux) ainsi qu'un mélange des styles qui soulevèrent spécialement à Moscou diverses critiques, le ballet qui durait 4 heures et comptait quelques 400 participants, s'achevait selon les dires de l'époque, en apothéose totale, et obtint un succés retentissant qui l'inscrivit pendant des années en tête du palmarès du Répertoire devant La Belle au Bois Dormant. Quand à Marius Petipa, son ballet annonçant déjà La Bayadère qui en reprendra certains éléments, lui valut la fonction officielle de Second Maitre de Ballet en titre.

     

    L'Art et la danse

    Mikhaïl Mordkin dans le rôle de Taor

     

        La Fille du Pharaon fut remonté par Petipa en 1864 à Moscou où même Anna Pavlova se déplaçait pour le danser, et Alexandre Gorski en donna sa propre version en 1905, avec un nouveau livret qui s'inspirait des "découvertes scientifiques faites dans le domaine des études égyptiennes"; après quoi retirée du Répertoire pendant la révolution bolchévique, l'oeuvre qui inspira en partie Fokine pour ses Nuits Egyptiennes (1907) et Une Nuit d'Egypte (1908) serait tombée dans l'oubli sans la promesse que fit un jour Pierre Lacotte à l'un de ses professeurs...

        Dans les années 1940, ce dernier suit à l'Opéra de Paris les cours de Lioubov Egorova (1880-1972) qui évoque souvent devant lui l'histoire de La Fille du Pharaon qu'elle avait interprété, et quelques 30 années plus tard, elle lui confie avant de mourir cette mission: "On est en train de détruire le classique. Promets moi de t'en occuper!.." Et il promet...

       Pierre Lacotte remonte d'abord La Sylphide en 1971 avec un succès tel qu'il devient le spécialiste de la reconstruction des ballets romantiques et suivront ensuite notamment Coppélia (1973), Giselle (1978), ou encore Paquita (2001). Le projet de La Fille du Pharaon intéressa un moment Rudolf Noureev, alors directeur du Ballet de l'Opéra de Paris, mais il fut apparemment malheureusement obligé d'y renoncer pour des raisons budgétaires... Et c'est Vladimir Vassiliev, directeur du Bolchoï, qui releva le défi et contacta Pierre Lacotte.

     

    L'Art et la danse

    Vladimir Vassiliev (1940- ) et son épouse Ekaterina Maximova (1939-2009)

     

        Une véritable enquête débuta alors afin de retrouver trace de la chorégraphie tombée dans l'oubli. A Boston Lacotte retrouva les notes de Petipa rédigées en véritables hiérogliphes où seule une valse du second Acte était lisible. La collection Sergeyev, elle, ne permit la reconstruction que de cinq des six variations de la rivière, que le chorégraphe délaissa finalement en partie ne conservant que quelques passages du second Acte, et c'est une danseuse retrouvée à Saint Petersbourg qui lui apprit un solo du deuxième Acte dont elle se souvenait. La dernière contribution fut celle de Jean Babilée, artiste à la prodigieuse mémoire, qui se remémora un solo que son maitre du Bolchoï Alexandre Volinine lui faisait travailler.

        Un ultime espoir demeurait en la personne de Marina Semanova, 94 ans, seule interprète du ballet encore en vie, et dernière Aspicia au Marinsky. Mais lorsque Pierre Lacotte lui rendit visite, la vieille dame s'excusa: "Pardonnez-moi... je ne l'ai dansé que deux fois et je n'avais que 17 ans..." Elle ne se souvenait de rien, mais donna cependant un conseil au chorégraphe (qui la surnomma son "porte-bonheur): "Vous maitrisez le style romantique! Alors, lancez vous! faites comme si vous étiez Petipa, retrouvez la mémoire du ballet!" Et c'est ainsi qu'autour des chorégraphies originales de deux valses, d'un solo, et d'un divertissement, Pierre Lacotte reconstruisit entièrement La Fille du Pharaon.


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    La Fille du Pharaon   Acte II   Défilé


        Le ballet donné au Bolchoï en 2000, avec dans les premiers rôles Svetlana Zakharova et Sergueï Filin, reçut un accueil aussi enthousiaste que le soir de sa première plus d'un siècle auparavant, mais s'attira quelques critiques lorsqu'il fut présenté en France choquant une certaine partie de l'opinion par son "incitation à la consommation de stupéfiants"... ce même public qui applaudit pourtant unanimement et ne tarit pas d'éloges sur Le Royaume des Ombres de La Bayadère sans avoir apparemment jamais réalisé qu'il est également le fruit de l'usage de ces substances illicites!

        Quoi qu'il en soit le monde du ballet ne peut qu'être reconnaissant à Pierre Lacotte d'avoir su redonner vie à la belle égyptienne... Et Lioubov Egorova qui l'incarna peut reposer en paix: son élève a tenu sa promesse.

     

     

     


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                                  Terpsichore   (1977)  Salvador Dali

    (Dans sa version de la muse de la danse Dali oppose deux images: la danseuse avec sa forme classique lisse incarne l'harmonie intérieure et l'inconscient, alors que celle aux formes angulaires cubistes représente le rythme chaotique de la vie moderne, deux personnages qui dansent côte à côte en chacun de nous).

     

         "A six ans je voulais être cuisinier, à sept ans Napoléon. Depuis mon ambition n'a cessé de croître comme ma folie des grandeurs" écrivit le Catalan à la célèbre moustache qui naquit à Figueras, petite ville de la province de Gérone. 

        Fils de Salvador Dali, notaire à Figueras, il nait moins d'un an après la mort d'un aîné prénommé lui aussi Salvador, et les parents poussant l'amalgame jusqu'à habiller le cadet des vêtements de son frère, le mettre dans son lit et lui donner ses jouets, feront du disparu un double obsédant qui hantera le peintre tout au long de son existence:

        "Je naquis double. Mon frère, premier essai de moi-même, génie extrême et donc non viable, avait tout de même vécu sept ans avant que les circuits accélérés de son cerveau ne prennent feu".

        Afin de s'affirmer et prouver aux autres qu'il existe vraiment, le jeune Salvador se fera remarquer dès son plus jeune âge par ses idées et ses attitudes excentriques: Malgré son vertige et sa peur du vide, il saute régulièrement du haut d'un escalier de l'école devant ses camarades stupéfaits et admiratifs, à qui il lui arrive parfois d'échanger des pièces de 10 centimes contre des pièces de 5... De caractère fantasque il n'a rien d'un bon élève, et préfère regarder par la fenêtre les cyprès de la campagne environnante qui réapparaitront souvent dans ses peintures tout comme l'Angélus de Millet dont une reproduction était accrochée au mur de la classe (Obsédé par ce tableau il y consacrera même un livre entier, et soutenant que les personnages se recueillaient en fait devant la dépouille de leur enfant il obtint même du Louvre qu'il fasse radiographier la toile... Et, surprise... la radio révéla que sous le panier de pommes de terre, au premier plan, est effectivement masqué le cercueil d'un enfant).

     

    L'Art et la danse

                         Jean-François Millet (1814-1875)   L'Angélus (1858)

     

    L'Art et la danse

                                   Salvador Dali  Réminiscence (1935)

     

        Si ses résultats scolaires ne sont guère brillants, le don de Salvador pour la peinture est par contre évident, et grand admirateur des impressionnistes français, il présente à quatorze ans ses premières oeuvres dans une exposition d'artistes locaux après avoir peint son premier tableau, un paysage, à l'âge de six ans . Lorsqu'il entre aux Beaux Arts de Madrid en 1921, il a découvert le futurisme et par de là le cubisme, et il reproche à ses maitres d'être rétrogrades, ennemis de la jeune peinture et en même temps ignorants des techniques classiques (n'étant pas du genre à s'asseoir et à écouter ce qu'on lui raconte...). Lors d'un certain examen où il tira comme sujet "Raphaël", il se leva et dit à ses examinateurs: "Je vous parlerais bien de Raphaël, mais à quoi bon? Je sais tout et vous ne savez rien... Il est donc préférable que je me retire..." Sur quoi joignant le geste à la parole il s'éclipsa devant ses professeurs indignés qui l'exclurent de l'Ecole pendant un an...

        Il sera même définitivement renvoyé des Beaux Arts en 1926, une semaine avant la remise des diplômes, et c'est en feuilletant des revues l'année suivante qu'il découvre le surréalisme, et trouve enfin son style personnel et sa manière propre qui donnera la priorité à l'obsession subconsciente. 

     

    L'Art et la danse

                                  La Persistance de la Mémoire  (1931)

     

        Une exposition à Barcelone lui a déjà acquis la reconnaissance de ses contemporains, dont Picasso et Miro, sur les conseils de qui il se rend à Paris pour visiter "Versailles et le musée Grévin"... Il y rencontrera également une jeune femme russe, Héléna Diakonova, qui est alors la femme de son ami Paul Eluard, mais qu'il épouse très vite et qui restera pour le reste de sa vie, Gala, son modèle et sa Muse.

     

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                                            Salvator Dali et Gala

     

        Fortement influencé par la psychanalyse de Freud pour laquelle il s'enthousiasme, il élabore sa propre théorie de "l'activité paranoïaque critique", un système délirant pour lequel le ballet, lorsqu'il en aura l'occasion, lui offrira un véritable domaine de prédilection, lui permettant de donner libre cours à toute l'exubérance que ses toiles ne pouvaient contenir. Et, lorsqu'il s'exile volontairement aux Etats Unis afin de fuir la seconde Guerre Mondiale, Dali a déjà acquis renommée, fortune et célébrité.

        C'est à New York (quelques mois après que l'artiste ait jeté un tub plein d'eau sur les badauds par une fenêtre d'un grand magasin dont la direction avait modifié sans l'en avertir sa décoration de la vitrine...) que voit le jour son premier ballet: Bacchanale, dont il écrivit le scénario mettant en scène les visions hallucinatoires du roi fou Louis II de Bavière et le mythe de Léda et du Cygne.

        Composé sur un extrait de l'Acte I de Tannhäuser de Wagner  (La Bacchanale du Venusberg) et chorégraphié par Léonide Massine, celui-ci fut présenté pour la première fois le 9 Novembre 1939 au Metropolitan Opera, interprété par le Ballet Russe de Monte Carlo, et écrire qu'il fit sensation est un pur euphémisme... (Initialement prévue à Londres le 4 Septembre, la Première fut annulée par la déclaration de guerre et les artistes quittèrent en hâte l'Angleterre pour les Etats Unis abandonnant derrière eux les costumes réalisés par Coco Chanel, que la légendaire Barbara Karinska dut refaire en un temps record).

        "Le scandale de la saison ce fut Bacchanale... le décor de Dali était dominé par un cygne gigantesque d'où sortaient par son poitrail les danseurs habillés de costumes extraordinaires... une femme avec une tête de poisson rose, une autre avec une crinoline décorée de fausses dents... Un immense parapluie ambulant représentait le Chevalier de la Mort, et lorsque le roi Louis trépassa toute une armée de parapluie envahit la scène. Les spectateurs puritains rougirent à la vision des grosses langoustes rouges qu'arborait au niveau du sexe un ensemble de danseurs mâles, tandis que Nini Theilade, en Vénus, vêtue d'un simple maillot chair semblait complètement nue". (Jack Anderson - The One and Only: The Ballet Russe de Monte Carlo)

     

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                                         Décor pour Bacchanale

     

        Pour la petite histoire, Dali avait réalisé de sa propre main une partie du décor, lorsque visitant un jour l'atelier où George Dunkel l'exécutait il s'exclama: "Comme ce doit être amusant de peindre avec un pinceau à si long manche!... Je veux essayer..." Il prit le pinceau et travailla plusieurs heures au bout desquelles il apposa sa signature au bas de l'oeuvre.

        Bacchanale resta dans le répertoire du Ballet Russe de 1939 à 1942, après quoi il fut retiré lorsque Massine rejoignit le Ballet Theatre. Mais la collaboration entre les deux artistes n'en resta pas là et deux autres ballets suivirent: Labyrinthe, en 1941, évoquant le thème de Thésée et Ariane sur une musique de Schubert, et Tristan Fou, en 1944, inspiré de l'opéra de Wagner Tristan et Iseult.

     

    L'Art et la danse

                                         Décor pour Labyrinthe

     

        Deux oeuvres pour lesquelles Dali va créer encore une fois des décors gigantesques éblouissants... Dans Labyrinthe les danseurs sortaient du torse d'un homme au crâne fêlé, et dans Tristan Fou le peintre, selon le critique Edwin Denby, "se surpassa": "Pendant une demi-heure défilèrent sur scène une profusion de décors, de costumes et d'effets spéciaux que personne d'autre au monde n'aurait été capable d'imaginer. Le public était médusé par les trois magnifiques têtes de chevaux qui dominaient la scène comme le Mémorial du Mont Rushmore et s'ouvraient à la fin de chaque Acte pour dévoiler un cadavre descendant dans la tombe".

        Ce ballet, dont Dali écrivit également le livret, aurait du être donné à Paris en 1939 (avec des costumes pour lesquels Coco Chanel voulait de l'hermine et des pierres précieuses véritables...) Mais la guerre fit tout annuler encore une fois, et en conséquence Dali utilisa des projets prévus pour Tristan Fou dans son ballet Bacchanale: "Mon Tristan Fou qui devait être mon aventure la plus réussie n'a pas été donné, aussi il est devenu Bacchanale" écrira-t-il plus tard. Et c'est le marquis Georges de Cuevas qui décidera finalement de monter le spectacle à New York en 1944.

     

     L'Art et la danse

                           Projet pour Tristan Fou utilisé pour Bacchanale

     

         Dali collaborera également avec Antony Tudor (Roméo et Juliette 1943),  la Argentinita ( Café de Chinitas 1944) et George Balanchine pour Colloque Sentimental (1944) où des squelettes barbus roulaient à vélo devant une sorte de grille, et un jet d'eau surgissait d'un piano...

        Avant de quitter le pays qui l'accueillit pendant huit années, Dali eut encore l'occasion d'assister à un spectacle que donnait la danseuse-chorégraphe espagnole, Ana Maria, au Carnegie Hall et le peintre fut tellement impressionné qu'il souhaita la rencontrer et lui proposa de monter ensemble Le Tricorne (déjà mis en scène à Londres en 1919 par les Ballets Russes de Diaghilev avec des décors de Picasso).

        Pour les critiques qui assistèrent à la Première, le travail de Dali était "étonnamment conservateur", car pour une fois le rideau de scène était presque conventionnel, représentant un paysage que le New York Herald Tribune qualifia même de "ravissant"... En effet pas d'arbres en sang ni de montres en déliquescence... Mais une maison andalouse blanchie à la chaux, avec sa porte rouge et ses volets biscornus, devant un paysage ocré... Des sacs de grains, légers comme des bulles flottaient au dessus d'un énorme puits, l'effet était drôle et évoquait les ballets andalous et les chaudes plaines poussiéreuses.

        Avec son ciel bleu, ses maisons blanches et ses costumes XVIIIème siècle inspirés par Goya, Dali, sans l'avoir imité rejoint ici Picasso "le seul Parisien qui a de l'importance à mes yeux" disait-il, et le seul qu'il reconnaissait parmi ses pairs; et le retour au pays natal inaugurera pour le Catalan ce qu'il appela par la suite sa "période classique" que les décors du Tricorne avaient de toute évidence annoncée.

        Sa contribution au ballet se poursuivit en Europe en compagnie de Maurice Béjart avec qui il participa en 1961, à la Fenice de Venise, à la création de l'opéra-bouffe La Dame Espagnole et le Cavalier Romain sur une musique de Scarlatti; et ils créeront ensuite ensemble Le Ballet de Gala, dédié à l'épouse du peintre, pour lequel ce dernier écrivit encore une fois le livret et dessina décors et costumes: Un rideau de scène particulièrement impressionnant formé de motos suspendues les unes aux autres crachant du feu, accompagné d'une représentation du "Boeuf écorché" de Rembrandt pour laquelle était utilisée un véritable quartier de boeuf qui, comme chacun s'en doute, devait être remplacé à chaque représentation... L'accueil du public fut cette fois assez mitigé... et Le Ballet de Gala mettra un point final aux visions chorégraphiques de Dali.

     

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                               Le Boeuf écorché   Rembrandt (1606-1669)    

     

        Si certains critiques déplorèrent que l'artiste n'ait jamais trouvé de collaborateurs "à sa hauteur" capables de lui laisser rendre dans son intégralité sa vision poétique, il faut remarquer que ses idées semblaient souvent difficiles à matérialiser, et que si ses ordres n'étaient pas exécutés exactement dans la réalisation du décor et la mise en scène, c'est le plus souvent qu'elles étaient beaucoup trop chères où n'étaient pas conformes aux consignes de sécurité des théâtres.

        Les neuf ballets de Dali qui ont à la fois ébloui, stupéfié, choqué et scandalisé ne représentent qu'une infime partie d'une oeuvre gigantesque, ponctuée d'influences diverses et que l'artiste construisit finalement sans notion aucune de fidélité à qui que ce soit d'autre que lui-même. Dans son Journal d'un Génie, au titre éloquent, il écrit:

        "Les événements les plus importants qui puissent arriver à un peintre contemporain sont au nombre de deux: 1° Etre espagnol 2° S'appeler Salvador Dali. Ces deux choses me sont arrivées à moi. Comme mon propre nom "Salvador" l'indique je suis destiné à rien moins que sauver la peinture moderne de la paresse et du chaos".


        Nullement académique Dali participa à des campagnes publicitaires pour l'eau Perrier ou le chocolat Lanvin restées encore dans les mémoires:

     

     

        Mais le personnage turbulent a parfois fait oublier l'important travail du peintre, méticuleux, acharné, concevant ses toiles avec un soin qu'il voulait proche de ses maitres classiques Raphaël ou Vermeer et son oeuvre en fait l'un des maitres du surréalisme.

     

    L'Art et la danse

    "C'est peut-être avec Dali que pour la première fois les fenêtres de l'esprit se sont grandes ouvertes"     Paul Eluard

     

        Fantasque, excentrique, artiste à l'ego surdimensionné, mais au talent fou, tous les superlatifs ne semblent pas de trop pour le décrire... Peintre, sculpteur, photographe, scénariste, Dali a également travaillé pour le théâtre, la mode, la presse, s'est intéressé à la science et s'est passionné pour l'or et les bijoux. Et le 28 Septembre 1974, le célèbre dandy (il a réussi à se faire élire Homme le plus élégant de France) inaugure à Figuéras son propre musée où, lorsqu'il décède le 23 Janvier 1989, il sera inhumé selon sa volonté dans la crypte sous une simple dalle...

     

    L'Art et la danse

     

                     "Ne crains pas la perfection tu ne l'atteindras jamais".

                                                           Salvador Dali

     

     

     


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                                Ballet National de Pologne "Mazowsze"

     
      

    "Pourquoi m'avez vous dit que vous ne dansiez pas la mazouk? Je vous l'ai vue danser l'autre hiver"

                                    (Musset - Il ne faut jurer de rien)

     

        Contrairement à une idée reçue la mazurka n'est pas originaire de la province de Mazurie, prussienne de 1640 à 1945, mais de Mazovie, une région de plaines autour de Varsovie peuplée par les "mazurs", où elle avait pour noms Kujawiack, Oberek ou Mazur selon qu'elle était lente et mélancolique, vive et sémillante ou plus nuancée. 
       Lorsque dans les années 1830 un grand nombre de polonais furent chassés de leur territoire à la suite du partage de leur pays entre la Prusse, l'Autriche et la Russie, c'est cette danse à trois temps, qui se distingue de la valse par son deuxième temps fort, qu'ils amenèrent avec eux en émigrant vers l'Europe occidentale. Et, portée par Fréderic Chopin dont les préférences allaient à la Mazur, la mazurka (génitif de "mazur") aussi appelée mazouk eut alors tôt fait d'acquérir, grâce aux interprétations et aux nombreuses compositions du célèbre réfugié, la notoriété qui la fit bientôt s'imposer dans les salons.

     

    L'Art et la danse

     

     "Chopin de bonne humeur s'était assis de lui même au piano (car par respect pour son talent on ne le priait jamais de jouer pour la danse) et il lacha la bride à sa gaité. Alors jaillirent sous ses doigts à profusion un grand nombre de mazurkas improvisées, mais trois d'entre elles seulement purent être mises par écrit le lendemain"
                                         (Oskar Kolberg)

        Plus que dans les polonaises, c'est dans les mazurkas que Chopin exprimait la nostalgie de sa Mazovie natale, et c'est avec une fierté teintée de cette même nostalgie que les exilés polonais apprirent aux français cette danse très particulière dont la musique se caractérise par un phrasé découpé en multiples de quatre mesures (chaque groupe de quatre correspondant à une figure de base pour le danseur) et des accents marqués par un claquement de talon, un battu à la cheville et un tour sur place appelé "holubiec" du nom des talons cerclés de cuivre qui produisaient ce bruit caractéristique (la mazurka fut d'ailleurs un temps appelée à ses débuts "holubiec").
        Les figures, elles, sont innombrables (on en a dénombré une cinquantaine) et leur complexité ajoute encore aux difficultés auxquelles se trouve confronté l'interprète qui après avoir appris le pas de base se doit ensuite de le rendre à sa façon... Car pour la verve créatrice des polonais, rien n'est déterminé,  ni l'ordre des figures, ni l'enchainement des pas... il n'y a pas de loi là où règne l'imagination... et Henri Cellarius écrivit dans son ouvrage La danse des salons paru en 1847:

        "La mazurka n'est pas suffisament connue en France pour que nous l'exécutions comme les polonais, c'est à dire sans répétitions... en un mot il n'est pas rare qu'une mazurka annoncée pompeusement se termine en débandade générale à cause d'un maladroit..."
        et il poursuit: "la valse ou toute autre danse se compose en partie d'un certain mécanisme avec lequel les danseurs même les plus rebelles finissent par se familiariser à la longue et qu'un maitre peut à la rigueur transmettre dans un temps donné. Il n'en est pas de même de la mazurka, danse toute d'indépendance et vraiment d'inspiration qui n'a pour règle que le goût et la fantaisie particulière de chacun, l'exécutant étant pour ainsi dire maitre de lui même. Je ne crains pas d'assurer qu'une partie de la mazurka s'enseigne seulement, le reste s'invente, s'improvise dans l'entrainement de l'exécution. Le vrai danseur de mazurka non seulement varie les pas, mais le plus souvent les invente, en créant de nouveaux qui lui sont propres et que les autres auraient tort de copier servilement".

     

                    Bal 2006 de l'Université de Stanford  (Palo Alto  Californie)

     

        Dans le roman de Lampedusa, Le Guépard, la mazurka est présentée comme une danse vive, pour les hommes jeunes et les militaires, par opposition à la valse plus fluide qui peut être dansée à tous les ages.
        Toujours précédée et/ou suvie d'une danse à pas marchés, la chodzony, ancêtre de la polonaise, elle devint même à l'occasion une sorte de "cotillon" (danse terminant un bal avec serpentins, confettis etc...) et s'acquit par là une réputation de danse galante car c'est la femme qui dans le "cotillon" choisissait son patenaire.

        D'abord dansée dans les salons où elle connut finalement une grande vogue la mazurka se répandit ensuite dans les campagnes où précisément à cause de sa complexité elle prit des formes très diverses, chaque région adoptant sa propre chorégraphie. De sorte que contrairement à ce que croient souvent certains groupes folkloriques la mazurka, pas plus que la polka ou l'écossaise (pays crédité bien à tort de l'origine de cette danse) ne sont représentatives d'aucune tradition régionale et ne sont éventuellement populaires que par l'appartenance sociale de ceux qui la pratiquent.

     

                                           Mazurka Provençale


        Après avoir fait escale en France, la mazurka poursuivit son voyage en traversant l'Atlantique pour arriver aux Antilles, en Guadeloupe et en Martinique, où sa diffusion s'étendit alors à toute la colonie. Très vite elle conquit les amateurs de bals, mais la variété des pas ne pouvant pas être comprise sans les explications d'un maitre à danser seuls y avaient recours les "békés" (propriétaires terriens descendants des premiers colons), et c'est vraisemblablement l'absence de leçons auxquelles ne pouvait prétendre la population autochtone qui explique les importants changements introduits dans la mazurka créole qui se différencie également de la mazurka européenne sur le plan rythmique comme une musique originale née des rythmes africains et des musiques européennes (Le mot "zouk", genre musical de musique tropicale jouée en Martinique et en Guadeloupe viendrait de "mazouk").

     

                         "La Mazouk bel mizik" ("La Mazurka belle musique")


         Devenue également très populaire en Russie après le partage de la Pologne, la mazurka y occupa, outre les salons, une place non négligeable dans la littérature.
        Elle est mentionnée dans Anna Karénine de Tolstoï, ainsi que dans un épisode de Guerre et Paix, et prend une grande importance dans le roman de Tourgueniev, Pères et Fils, où Arkady réserve la mazurka pour madame Odinstov dont il est en train de tomber amoureux. On la retrouve encore également, entre autres, dans l'oeuvre d'Anton Tchekov Le Mari:
        "Pendant la mazurka la figure de l'employé de la régie se crispa de colère. Anna Pavlovna dansait avec un officier brun aux yeux à fleur de tête et à pommettes tartares".

        Il semblerait effectivement que la mazurka ait un grand pouvoir sur les âmes slaves... car c'est précisément après qu'elle ait brillament interprété une mazurka que le prince Gedrozian but du champagne dans le chausson de Marie Taglioni, instaurant la coutume répandue dans le monde de la fête de boire ce breuvage pétillant dans une chaussure de femme.

     

    L'Art et la danse

        Mikhaïl Glinka, Alexander Scriabine, Borodine (Petite suite pour piano) et en France les compositeurs impressionistes tels Ravel ou Debussy écriront des mazurkas. Léo Delibes sera lui le premier à l'introduire dans le ballet avec sa partition de Coppélia où elle apparait plusieurs fois.
       A sa suite Tchaïkovski en inclura une dans Le Lac des Cygnes ainsi que dans La Belle au Bois Dormant.

     

              Le Lac des Cygnes  Acte III   Mazurka   Corps de Ballet du théatre Marinski
     

    Minkus écrira à son tour la Mazurka des Enfants pour Paquita et l'on en retrouve encore un autre exemple dans la partition d'Edouard Lalo pour le ballet de Serge Lifar Suite en Blanc.

     

                Suite en Blanc - Mazurka      Interprété par Emmanuel Thibault

     

        A coté des 58 mazurkas composées par Chopin de 1820 à 1849, il en est une certainement encore plus chère dans le coeur de tous les polonais: La Mazurka de Dabrowski, Mazurek Dabrowskiego, élevée en 1926 au rang d'hymne officiel après avoir été initialement composée en 1797 par Josef Rufin Wybicki en l'honneur des légions polonaises qui quittaient l'Italie. 
       "les soldats prennent de plus en plus goût à ton chant et nous le fredonnons souvent avec tout le respect du à son auteur" lui écrivit alors son ami le général Jan Henryk Dabrowski à la tête de la légion.

     

    L'Art et la danse

                        Le Général Dabrowski menant les troupes polonaises


        Tous les polonais s'empressèrentent  bientôt d'apprendre ce chant qui connut un véritable engouement politique et les unit dans un espoir de liberté:
        "La Pologne n'a pas encore péri tant que nous vivrons" peut on lire dans le texte.
     Et il faut noter au passage que c'est le seul chant européen où est cité le nom de Bonaparte:
        "Bonaparte nous a donné l'exemple, nous devons vaincre".

     

            Mazurek Dabrowskiego (La Mazurka de Dabrowski - Hymne Polonais)

     

        La mazurka qui forma un trinôme avec ses deux contemporaines la polka et la valse a parfois croisé leur chemin: c'est ainsi que l'on a parlé d'une polka-mazurka, et après avoir investi les bals populaires citadins et les guinguettes elle alla même jusqu'à s'encanailler et donner naissance à la java, qui dans un premier temps s'est appelée java-mazurka, à cent lieues du monde des salons...
        Mais on la retrouve cependant encore toujours vivante de nos jours dans les bals populaires en Sicile où, transposée souvent à la mandoline, elle conserve cet aspect de classicisme qui la rattache encore à l'univers aristocratique de ses débuts et révèle la survivance d'un passé qui est encore loin de s'éteindre...

     

     

     

        Mazurka Op.33 N°4 de Frédéric Chopin   Interprétée par Vladimir Horowitz

     


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         François Boucher (1703-1770)  

                                              La Gagnante du Concours?!!..
    .

     

         Le 4 Juin 1731 une joyeuse assemblée est réunie rue Ste. Niçaise à Paris: Il y a là, entre autres, le directeur de l'Opéra, le musicien André Campa et parmi la gent féminine deux chanteuses et trois danseuses. Après les libations d'usage toujours génératrices de questions existentielles le débat s'élève jusqu'à savoir laquelle de ces dames possède la plus belle paire de fesses, et ces messieurs estimant primordial de pouvoir juger "de visu", les candidates obtempèrent et s'empressent d'exhiber les pièces à conviction...
        Cette petite réjouissance serait sans aucun doute passée, comme bien d'autres, totalement inaperçue si ce n'est que, le jury n'ayant pas délibéré à huis clos mais fenêtres largement ouvertes sur la rue, l'affaire fit grand bruit... Le directeur de l'Opéra fut renvoyé comme l'on s'en doute, quand à la lauréate du concours la rumeur laissa filtrer le nom de "cette danseuse d'origine belge qui a conquis le Tout-Paris"...

     

        Marie-Anne de Cupis naquit le 15 Avril 1710 à Bruxelles, fille de Ferdinand Joseph de Cupis et Marie-Anne de Smet (Le nom de Camargo qu'elle accolera plus tard au sien est en fait celui de ses ancêtres espagnols). Préparée très tôt à la scène par son père violoniste et maitre de ballet elle y montra dès son plus jeune age une aptitude évidente, et l'on racconte qu'elle agitait déjà frénétiquement bras et jambes dans les bras de sa nourrice à la moindre note de musique (au grand amusement de cette dernière qui assurait qu'elle deviendrait un jour la plus grande danseuse d'Europe...)

        Ce talent précoce attira l'attention de la princesse de Ligne qui offrit à Ferdinand de Cupis d'emmener sa fille avec elle à Paris afin de lui faire recevoir le meilleur enseignement. Le projet ayant été accepté chaleureusement (Ferdinand de Cupis n'avait que de maigres revenus et n'aurait su envisager pareille dépense) la jeune Marie-Anne alors agée de 10 ans devient alors l'élève de la célèbre Françoise Prévost et progresse de telle façon qu'elle est bientôt en mesure de débuter à Buxelles puis, après un bref passage à Rouen écourté par la fermeture du théatre, se trouve cette fois engagée à l'Opéra de Paris.
        Le public la découvre le 5 Mai 1726, dans le ballet de Jean- Ferry Rebel, Les Caractères de la Danse, une suite de danses où elle démontre toutes ses qualités et qui lui vaut aussitôt un immense succés.
        "Mademoiselle Camargo dansa avec toute la vivacité et l'intelligence que l'on pouvait possiblement attendre d'une jeune personne de 15 ans. Les cabrioles et les entrechats ne lui coûtent rien et quoiqu'elle ait encore bien des progrés à faire pour approcher son illustre professeur le public la regarde comme l'une des danseuses les plus brillantes, surtout pour la justesse de l'oreille, la légèreté et la force" écrivit à cette occasion Le Mercure de France. 

     

           La Camargo   Nicolas Lancret (1690-1943)  National Gallery of Art  Washington      Extraits du ballet Zéphyre (1745) de Jean Philippe Rameau (1683-1764)      

                                            


        Une renommée qui devint telle que la "grande" Françoise Prévost commença à en prendre ombrage, et la rupture fut consommée lorsque son élève remplaça au pied levé l'un de ses collègues, David Dumoulin, un certain soir où il se révéla introuvable au moment de son entrée en scène...
        "On figurait une danse de démons, l'acteur principal manque son entrée en scène et cependant l'orchestre faisait ronfler l'air du solo, murmures du parterre, tapage, embarras des acteurs, mais voilà que la jeune débutante saisie d'une heureuse inspiration saute au milieu du théâtre et improvise de verve un pas espagnol qui transporte d'admiration les spectateurs malcontents".
        C'est cette fois la consécration pour la jeune Marie-Anne, mais la jalousie de Françoise Prévost s'en trouva attisée à un point tel qu'elle refusa alors de lui apprendre un ballet dans lequel la duchesse de Berry avait expressément souhaité la voir paraître...

        Qu'à cela ne tienne!... Le célèbre Blondy s'offrit comme professeur et avec ses conseils, ajoutés à ceux de Pécourt et Dupré, la Camargo déjà naturellement à l'aise dans les sauts et les batteries devint bientôt l'égale des grands danseurs masculins.
        A l'inverse de sa rivale Marie Sallé, Marie Anne de Camargo était une danseuse d'élévation et Voltaire dira d'elle qu'elle fut "la première qui dansait comme un homme".
        L'une des deux seules danseuses du moment capable d'exécuter le saut de basque, elle fut également la première à battre un entrechat 4, choquant les âmes prudes en raccourcissant ses jupes et dévoilant ses chevilles,  un véritable scandale qui permit à la danse féminine une évolution considérable qu'elle lui fit poursuivre encore en abandonnant les chaussures à talons.

        Noverre, qui ne l'aimait pas, la décrivit ainsi dans ses Lettres sur la Danse (1807):
    "La nature lui avait refusé tout ce qu'il faut pour avoir de la grâce: elle n'était ni belle, ni grande ou bien faite. Mais sa danse était vive, légère, et pleine de gaité et de brillant. Les jetés battus, la royale, l'entrechat coupé sans frottement, tous les temps aujourd'hui rayés du catalogue de la danse et qui avaient un éclat séduisant, la demoiselle Camargo les exécutait avec une extrème facilité, elle ne dansait que des airs vifs, et ce n'est pas sur des airs vifs que l'on peut déployer de la grâce, mais l'aisance, la prestesse et la gaité la remplaçaient, et la rapidité de ses mouvements cachait beaucoup de ses défauts physiques".


    L'Art et la danse

                 La Camargo  - Nicolas Lancret (1690-1743)  Wallace Collection  Londres


        Quoi qu'il en fut de ces "défauts physique", la Camargo avait une imposante cour "d'admirateurs", et en Mai 1728 un incident défraye la chronique: Marie-Anne et sa jeune soeur Sophie sont enlevées par le comte de Melun qui les retient prisonnières dans son hôtel particulier... Leur père outragé adresse alors une requète au cardinal de Fleury exigeant que le comte épouse l'ainée et assure une dot à la seconde...
        Mais il semble toutefois que cette affaire sensationnelle ait été traitée plutôt légèrement par les autorités... Sophie regagna bientôt la maison de son père, quand à Marie-Anne elle resta avec le comte de Melun qui ne fut que le premier d'une très longue série d'amants.

        L'un d'eux, Louis de Bourbon comte de Clermont, père de ses deux enfants, obtint qu'elle quitte l'Opéra pour venir vivre à ses côtés au château de Berny où elle demeura de 1736 à 1741 et qu'elle quitta lorsque, prise d'ennui, elle décida de reprendre sa carrière. Elle n'avait alors, parait-il, rien perdu de ses capacités et retrouva la scène "sans qu'il parut qu'elle eut discontinué la danse pendant six années entières" écrira un critique.

     

    L'Art et la danse

                Château de Berny, coté jardin.  Aujourd'hui détruit le château se situait dans ce qui est actuellement le Val de Marne.
     

         Après avoir dévoilé ses chevilles la Camargo dont l'audace n'était pas la moindre des qualités poursuivit la révolution en exposant ses mollets. Une intrépidité vestimentaire qui déclencha cette fois l'intervention des pouvoirs publics et résulta en une ordonnance de police exigeant désormais que toute danseuse en scène soit pourvue de "caleçons de précaution", lequel objet quasiment mythique engendra apparement de véritables fantasmes comme en témoigne le récit que fait Casanova dans ses Mémoires de cette soirée à l'Opéra en 1850:
      
        "Immédiatement après Dupré je vois une danseuse qui se précipite sur la scène comme une furie, faisant des entrechats à droite, à gauche, dans tous les sens et applaudie avec une sorte de ferveur.
        - C'est la célèbre Camargo, me dit mon ami, que vous êtes venu à temps pour voir à Paris. Elle a 40 ans. C'est la première femme qui a osé sauter sur notre théâtre, car avant elle les danseuses ne sautaient pas, et ce qui est admirable c'est qu'elle ne porte pas de caleçons.
        - Pardon, mais j'ai vu...
        - Qu'avez vous vu?.. C'est sa peau qui, à la vérité, n'est ni de lys ni de rose.
    Un vieil admirateur qui se trouvait à ma gauche me dit que dans sa jeunesse elle faisait le saut de basque et même la gargouillade, et qu'on n'avait jamais vu ses cuisses bien qu'elle dansa sans caleçons.
        - Mais si vous n'avez jamais vu ses cuisses comment pouvez vous savoir qu'elle ne porte point de caleçons?
        - Ah, ce sont des choses qui se savent... Je vois que monsieur est étranger...
     

     

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                                 Gravure de L. Cars d'après Nicolas Lancret

     

        Avec ou sans le légendaire vêtement la Camargo quitta l'Académie Royale de Musique l'année suivante accompagnée d'une confortable pension de 1500 livres de rente annuelle, et s'installa au château de Berny. 
        En 25 années de carrière elle a incarné les personnages typiques de l'ère Rococo (27 rôles de bergères a noté R.A. Feuillet, ainsi que des personnages mythologiques, Terpsichore, Bacchantes et autre Grâces) dans des ballets aux titres sans équivoque: Les Amours Déguisés, les Fêtes Grecques et Romaines ou encore Le Jugement de Paris.
         Célébrée par Voltaire " Ah Camargo que vous êtes charmante...", elle a été immortalisée par de nombreux peintres et posa entre autres pour Nicolas Lancret, Maurice Quentin de La Tour et Elisabeth Vigée Lebrun qui tous la représentèrent, parait-il, de façon flatteuse car elle tenait tout particulièrement à son image...
       Sa notoriété fit donner son nom à toutes les nouvelles modes, sa coiffure fut copiée par toute la Cour et son cordonnier fit fortune. Le grand chef Escoffier baptisa à son tour sans vergogne un filet de boeuf Camargo, un ris de veau grillé Camargo, un soufflé "à la Camargo" et une bombe glacée Camargo "dont le moule doit être chemisé à la glace au café et l'intérieur garni de glace à la vanille".


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     Préparation au portrait de la Camargo   Maurice Quentin  de La Tour (1704-1788)  Musée Antoine Lécuyer de Saint Quentin


        Cette "fille d'opéra" (Au XVIIIème siècle la pire des insultes dans la bouche des dames "du monde") qui révolutionna la danse féminine et se rendit effrontément célèbre, inspira une opérette à Charles Lecocq (1832-1918) ainsi qu'un opéra composé par Enrico de Leva (1865-1955), et un ballet, basé sur l'épisode de son enlèvement par le comte de Melun, fut créé par Marius Petipa et le compositeur Minkus pour le Ballet Impérial de Russie en 1872, avec Adèle Grantzov dans le rôle titre (Camargo fut remonté ensuite par Lev Ivanov pour Pierina Legnani dont ce fut les adieux au monde du spectacle, et disparut du répertoire après la révolution de 1917)

     

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    Mathilde Kschessinskaïa dans le rôle de la Camargo

     

        Le nom de Camargo retrouva encore la scène en 1930, lorsque Philip Richardson et Arnold Haskell fondèrent, après la mort de Diaghilev, The Camargo Society dans le but de promouvoir le ballet britannique (Bien que la société n'eut que trois ans d'existence certains ballets qu'ils produisirent sont encore actuellement interprétés, Façade de Frederick Ashton ou encore Job de Ninette de Valois).
        Et pour continuer à alimenter le domaine du rêve les joaillers Van Cleef et Arpels présentent aujourd'hui dans leur collection "Ballet", Camargo, des motifs d'oreille en or blanc sertis de diamants et de 20 rubis de Birmanie...

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                                      "Camargo" de Van Cleef et Arpels 

        Un cadeau que n'eut certainement pas dédaigné celle qui eut tout Paris à ses pieds, fréquenta l'aristocratie mais aussi les tavernes, les auberges de Pantin et les lieux chauds de Versailles, et qui finit ses jours "en femme honnête et vertueuse" entourée dit-on "d'une demi-douzaine de chiens et un ami qui lui était resté de ses mille et un amants, et à qui elle a légué ses chiens"
          Melchior Grimm - Correspondance Littéraire

     

     

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                              La Camargo   Elisabeth Vigée-Lebrun (1755-1842)



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