•  Un grand passé chorégraphique: Le ballet à Monte-Carlo.

        S.A.S le Prince Albert II et S.A.R la Princesse de Hanovre, entourés de Jean-Christophe Maillot et Karl Lagerfeld à la soirée de gala organisée à l'occasion du 100ème anniversaire des Ballets Russes à Monte-Carlo.

     

     

         Lorsque les Ballets Russes présentent en 1929 à Paris et à Londres les deux nouvelles chorégraphies de George Balanchine, Le Fils Prodigue et Le Bal, ils accomplissent sans le savoir leur ultime tournée, et le spectacle qu'ils donnent à Covent Garden le 26 Juillet sera le dernier.

         A peine un mois plus tard disparaitra en effet celui qui contre vents et marée a fait vivre cette compagnie, et lorsque Serge Diaghilev décède brutalement des conséquences de son diabète le 19 Août, Aleaxandra Danilova exprimera ainsi le désarroi qui les envahit tous:
        "La terre s'est écroulée sous mes pieds... Il me semblait que je n'appartenais plus à rien..." 
        Privée de son soleil la troupe fondée par cet homme de culture doublé d'un génial impresario ne lui survécut pas et ce sont "vingt ans de spectacle de danse fondés sur une règle inviolable d'excellence uniformément appliquée à la chorégraphie, à la musique, aux décors et à l'interprétation qui disparurent avec lui" confiera George Balanchine.


        A Monaco dont Diaghilev avait fait depuis 1911 son port d'attache où il révait de créer "un lieu d'ébullition artistique qui jamais ne fermerait l'oeil", le vide se fait sentir plus que nulle part ailleurs, et le souverain de l'époque, le prince Louis II, charge alors René Blüm (frère du Premier Ministre français) alors directeur du théâtre, de créer une compagnie de ballet: Le Ballet de l'Opéra de Monte-Carlo.
        Sa mission accomplie, cet esthète érudit qui s'est pris de passion pour la danse et ne vivra plus désormais que pour elle, va caresser le projet fou de ressusciter le prestige de ces Ballets Russes disparus, et lorsqu'il fait part de l'idée à un certain Wassili Grigorievitch Voskressenski (1888-1951) celui-ci le soutient avec enthousiasme.
        Ancien cosaque de l'armée impériale russe et mieux connu sous le nom de Colonel de Basil (titre qu'il s'attribuait dit-on), cet arriviste hâbleur était devenu en 1925 l'assistant du prince Zeretelli qui organisait les activités de la compagnie lyrique rassemblant à Paris les chanteurs de la diaspora russe. Une troupe de ballet y était attachée: le Ballet de L'Opéra Russe de Paris, et de Basil va convaincre René Blüm de la faire fusionner avec le Ballet de l'Opéra de Monte-Carlo pour monter les Ballets Russes de Monte-Carlo.


     Un grand passé chorégraphique: Le ballet à Monte-Carlo.

     

        L'association verra le jour en 1932, George Balanchine acceptera d'être le premier chorégraphe, et la compagnie fidèle à son projet représente en majorité, à Monaco, Paris et Londres, les ballets déjà mis en scène par Diaghilev.


     Un grand passé chorégraphique: Le ballet à Monte-Carlo.

        L'équipe de la créations de Cotillon (1932):
    Assis au 1er rang, de gauche à droite: Boris Kochno (librettiste), René Blüm, Colonel de Basil, George Balanchine.
    Debout au 2ème rang, de gauche à droite: Christian Bérard (décorateur), Sergeï Grigoriev (répétiteur).


        Mallheureusement le Colonel de Basil n'est pas un collaborateur extrêmement scrupuleux...  Et ce "colonel gangster", irascible, intrigant et malhonnête dont Balanchine dira lui-même: "De Basil était une pieuvre... une pieuvre malhonnête... et qui en plus avait mauvais goût...", est davantage guidé par l'intérêt et la gloire que par l'amour de l'art...
        René Blüm qui n'accompagnait pas les tournées va en effet bientôt découvrir que sur les affiches et les programmes n'apparaissent ni son nom, ni même la mention de Monte-Carlo et que la compagnie est tout simplement présentée comme les Ballets Russes du Colonel Basil.... (Ce dernier renverra également Balanchine de son propre chef à la fin de la première saison, le remplaçant par Massine...)
        Réalisant sa grossière erreur, Blüm ne peut malheureusement pas rompre immédiatement le contrat qui les unit sous peine de lourdes pertes financières, car de Basil lui devant déjà une grosse somme d'argent il lui faudra poursuivre encore un temps cette collaboration difficile afin de pouvoir rentrer dans ses fonds...
        Les Ballets Russes de Monte-Carlo qui ne sont pas épargnés par la Grande Crise traversent alors une période délicate, mais l'impresario américain Sol Hurok (1888-1974) les sauve de la faillite en amenant la troupe aux Etats-Unis où celle-ci se produit en 1934 au St. James Theatre de New-York. L'expérience sera renouvellée l'année suivante et après cinq mois de tournée dans 92 villes différentes les danseurs feront un triomphe le 9 Octobre 1935 au Metropolitan Opera de New-York. (A l'occasion de cette collaboration, Sol Hurok évoquera René Blüm dans ses Mémoires comme "une personne raffinée et pleine de goût" tandis que son opinion sur de Basil avec qui il ne put jamais s'entendre est carrément beaucoup moins élogieuse...).

     

        C'est à cette époque que va s'opérer la rupture annoncée et que René Blüm qui a déjà perdu dans cette affaire pas mal de sa fortune personnelle se sépare du "cosaque" et reforme en 1936 avec un noyau de danseurs issus de l'Opéra de Lituanie les Ballets Russes de Monte-Carlo qui, sous la houlette du maitre de ballet Nicolas Zverev, restent basés à Monaco.

     

     Un grand passé chorégraphique: Le ballet à Monte-Carlo.

       Casino et Opéra de Monte-Carlo (L'Opéra de Monte-Carlo, ou Salle Garnier, est une salle de spectacle attenante au Casino de Monte-Carlo)


       De son côté, de Basil resté seul à la tête du ballet d'origine qui sera cette fois basé à Londres et dont il ne change pas le nom, verra plusieurs de ses danseurs le quitter pour rejoindre la nouvelle troupe, et lorsque le contrat de Léonide Massine se termine ce dernier les imitera et deviendra alors l'associé de Blüm avec qui il partagera la direction (Mikahïl Fokine fera lui la navette entre les deux compagnies...)

     

        Les lois concernant la propriété artistiques étaient encore inexistantes à l'époque et Massine réalise à cette occasion que les ballets qu'il avait chorégraphiés lorsqu'il était sous contrat avec de Basil ne lui appartenaient pas... Il décide donc de porter l'affaire en justice, et le procés qui se tint à Londres fut suivi avec une grande attention par le public, donnant lieu à des comptes rendus quotidiens dans la presse:
        La décision du jury sera sans appel, les ballets restaient la propriété de de Basil, mais Massine qui avait également plaidé pour réclamer l'exclusivité de l'appelation Ballet Russe de Monte-Carlo, obtint cette satisfaction: de Basil rebaptisera alors cette fois sa troupe Ballets Russes du Colonel Basil, puis successivement Covent Garden Russian Ballet (lorsque la compagnie sera soutenue financièrement par Covent Garden) et finalement Original Ballet Russe.


        Au cours de leurs nombreuses tournées, les troupes de Blüm et de de Basil furent très souvent amenées à se produire à proximité l'une de l'autre et il arriva même qu'elles se cotoient quasiment à Londres en 1938 l'une à Covent Garden, l'autre au théâtre de Drury Lane situé à deux pas...
        Face à ce genre de situations, Sol Hurok qui servait d'impresario aux deux compagnies tentera une médiation afin d'effectuer dans une lueur d'espoir un éventuel rapprochement, mais de Basil ayant refusé au dernier moment celui-ci ne put se réaliser. (Quelque peu excédé sans doute par toutes ses tractations avec les personalités du ballet au caractère souvent difficile, lorsque Sol Hurok rédigera son autobiographie en 1953 le premier titre qu'il choisira sera Au Diable le Ballet!..).

     

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    Les étoiles de la troupe de René Blüm embarquant pour une tournée aux Etats-Unis en 1938. De gauche à droite: Natalia Krassovska, Mia Slavenska, Nini Theilade, Tamara Toumanova, Alicia Markova et Alexandra Danilova.

     

        Bien que courageuse, la décision qu'avait prise René Blüm en 1936 de créer une seconde compagnie n'en était pas moins financièrement hasardeuse, et en 1939 la propriété de la troupe sera cédée par la force des choses au consortium américain World Art Incorporated en la personne de Sergeï Denham.
        Lorsqu'éclate la Seconde Guerre Mondiale, la compagnie se replie alors aux Etats-Unis et ne reviendra jamais plus à Monaco, mais son fondateur fera, lui, partie des premiers juifs déportés: arrêté le 12 Décembre 1941 à Paris, puis transféré au camp d'Auschwitz, "cet être unique qui fut aimé de tous ceux qui l'ont approché, et adoré de tous les siens", y sera exécuté après voir été torturé.

     

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    René Blüm (1878-1943)


       Jusqu'en 1945 le Ballet Russe de Monte-Carlo restera dirigé par Léonide Massine, et en 1942 la Première de Rodéo d'Agnes de Mille remporte un succès extraordinaire, tout comme le firent Danses Concertantes et Le Bourgeois Gentilhomme de Balanchine en 1944. Mais la compagnie sera dissoute au début des années 1950, et bien que refondée en 1954 ne réussira jamais cependant à retrouver sa notoriété d'antan et disparaitra après la saison 1962-1963.
       (La compagnie du colonel de Basil dut, elle, à l'époque de la Seconde Guerre Mondiale, faire face à de sérieux ennuis financiers obligeant même les danseurs à trouver des emplois dans des night-clubs afin d'arrondir leur maigre salaire lors d'une tournée à Cuba en 1941, et la situation n'allant pas en s'améliorant lorsque la paix fut retrouvée, l'Original Ballet Russe donna sa dernière saison à Londres en 1947 avant de se séparer définitivement).

     

        En principauté, il faut attendre 1942 pour voir renaitre une activité chorégraphique grâce aux efforts de Marcel Sablon, alors directeur du théâtre, qui forma une troupe, Les Nouveaux Ballets de Monte-Carlo, que viendront rejoindre les danseurs parisiens qui fuient la zone occupée.
        L'activité s'interrompit en 1944 jusqu'à ce que le prince Louis II invite son successeur, Eugène Grünberg, à reconstituer en 1946 Le Nouveau Ballet de Monte-Carlo avec comme directeur artistique Serge Lifar, qui accusé de collaboration avec l'ennemi était alors en disgrâce sur le territoire français (Ce dernier va chorégraphier entre autres La Péri et Salomé et aura comme interprètes une pléiade d'étoiles dont Yvette Chauviré, Jeannine Charrat, ou encore Ludmilla Tcherina).
        Lorsque l'Opéra de Paris le réintègre en 1947, et qu'il quitte ses fonctions à Monaco, la compagnie sera alors rachetée par le marquis de Cuevas qui crée le Grand Ballet de Monte-Carlo, lequel deviendra en 1951 le Grand Ballet du Marquis de Cuevas et quittera cette fois la principauté.

     

        Le voeu le plus cher de la princesse Grace (1929-1982) avait été de voir une troupe permanente de ballet à Monte-Carlo, et comme prémice à ce projet sera créée en 1975 l'Académie de Danse Classique, aujourd'hui Académie de Danse Classique Princesse Grace,


     Un grand passé chorégraphique: Le ballet à Monte-Carlo.

    Académie de Danse Classique Princesse Grace - Monaco

     

        ...mais le destin n'ayant malheureusement pas permis que l'épouse de Rainier III voit son souhait se réaliser, c'est grâce à l'intervention de S.A.R la princesse de Hanovre que la Compagnie des Ballets de Monte-Carlo renait en principauté en 1985: le premier spectacle voit le jour le 21 Décembre et la troupe sera dirigée au départ par Pierre Lacotte et Ghislaine Thessmar.
        Hébergés dans le mythique "Studio Diaghilev" les Ballets de Monte-Carlo quittent quatre ans plus tarde leur berceau historique devenu trop petit et emménagent à L'Atelier, centre consacré à la danse, et se produisant sur la scène de la Salle Garnier de l'Opéra de Monte-Carlo, ils présentent un répertoire où se cotoient oeuvres des Ballets Russes et créations contemporaines.

     

        Bien qu'ils ne soient pas les descendants directs de la troupe de Diaghilev ou de celle de Blüm, les Ballets de Monte-Carlo ont cependant des ressemblances avec ces compagnies légendaires. Jean-Christophe Maillot leur actuel directeur depuis 1993, reste fidèle au principe des Ballets Russes de marier technique classique et chorégraphies innovantes et comme beaucoup des chorégraphes de Diaghilev aime présenter des "divertissements":
        "J'aime l'idée d'offrir au public un moment où ce qui se passe sur scène n'a rien à voir avec la réalité de la vie" dit-il lui même et décors, costumes, éclairages et musique se combinent à ses chorégraphies pour créer ce monde alternatif, spectacle d'art total qu'ont appelé de leurs voeux avant lui les pionniers des Ballets Russes.
        En Décembre 2000, les danseurs inaugurèrent la première saison de ballet sur l'immense scène de la Salle des Princes du nouveau centre de congrès, le Forum Grimaldi...

     

     Un grand passé chorégraphique: Le ballet à Monte-Carlo.

    Le Forum Grimaldi - Monaco

     

        Une ére nouvelle a commnencé pour la danse à Monaco...

        .... Les Ballets de Monte-Carlo traversent les époques... Au public de juger si les innovations d'aujourd'hui sont à la hauteur de celles d'hier... 

     

         Le Songe - Chorégraphie de Jean-Christophe Maillot d'après la pièce de William Shakespeare, Le Songe d'une nuit d'été.
        Musique de F.Mendelssohn, Daniel Teruggi et Bertrand Maillot   Interprété par la compagnie des Ballets de Monte-Carlo.(Enregistré au Forum Grimaldi en 2009)

     


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    Maïa Plissetskaïa (1925- ) - Une vie de résistante

     

     

         "Je suis née à Moscou. Au royaume de Staline. Puis j'ai vécu sous Krouchtchev, Brejnev, Andropov, Tchernenko, Gorbatchev, Eltsine... Et j'aurai beau faire, jamais je ne renaîtrai une seconde fois... Vivons notre vie... Et je l'ai vécue... Je n'oublie pas ceux qui ont été bons pour moi. Ni ceux qui sont morts broyés pas l'absurde. J'ai vécu pour la danse. Je n'ai jamais rien su faire d'autre. Merci à cette nature grâce à laquelle j'ai tenu bon, je ne me suis pas laissée briser, je n'ai pas capitulé".

                                            Maïa Plissetskaïa (Mémoires)

     

        De toutes les ballerines qui ont illustré le XXème siècle, Maïa Plissetskaïa a certainement été la plus filmée, photographiée et interviewée. Mais si beaucoup de choses ont été écrites ou dites à son sujet, nombreux encore sont ceux qui ignorent que celle qu'Aragon porta aux nues et que Mao couvrit de roses blanches mena sa vie durant un combat incessant avec les interdits du régime soviétique, jamais ne s'inclinant, sauf pour saluer son public qui la comprend et la chérit...

        Maïa Mikhaïlovna Plissetskaïa naquit à Moscou le 20 novembre 1925 et passa sa petite enfance à Barentsburg sur l'ile norvégienne de Spitzberg où son père ingénieur dirigeait les mines de charbon alors exploitées par des intérêts russes, et remplissait également la charge de Consul Général.
        Peut-être parce qu'il avait employé un ami qui avait été le secrétaire de Trotsky, Mikhaïl Plissetski fut emprisonné comme "ennemi du peuple" lors des Grandes Purges staliniennes et exécuté quelques mois après son arrestation (sa famille qui espérait qu'il aurait survécu quelque part dans un camp n'apprendra la triste vérité qu'en 1956 lors de la déstalinisation).
        Maïa n'a que 12 ans lorsqu'en 1937 son père est arrêté et que sa mère Rachel Messerer (1902-1993), actrice de films muets, ainsi que son jeune frère Azari agé de sept mois  (aujourd'hui maitre de ballet au Béjart Ballet de Lausanne), sont déportés au Kazakhstan dans un goulag pour "épouses d'ennemis du peuple".

     

    Maïa Plissetskaïa (1925- ) - Une vie de résistante

    Monument élevé aux victimes de la Répression 
        (Ye. Chubarov - Parc des Arts  Moscou ) 


        Pour que la petite fille ne soit pas placée dans un orphelinat, sa tante, Soulamith Messerer (1908-2004), la soeur de Rachel, alors première danseuse au ballet du Bolchoï intercède auprès des autorités et obtient grâce à son statut et à ses relations, que sa nièce soit confiée à ses soins (Elle réussira également à faire libérer sa soeur et son neveu en 1941). Il eut été étonnant que dans un pareil environnement la jeune Maïa envisage un autre avenir que celui de la danse, avec en outre à ses côtés son oncle, Assaf Messerer (1903-1992), l'un des meillleurs pédagogues de l'école de danse du Bolchoï où elle a été admise elle-même en 1934 et suit les cours d'Elizaveta Gerdt (1891-1975), la fille de Pavel Gerdt (1844-1917).
        Son talent lui vaut de faire à 11 ans sa première apparition sur scène dans La Belle au Bois Dormant et elle écrira dans ses Mémoires:
        "L'art m'a sauvée. Je me suis concentrée sur la danse, je voulais que mes parents soient fiers de moi".

        Reçue dans le corps de ballet en 1943, Maïa n'y fera qu'un bref passage et lorsqu'elle est nommée soliste c'est alors un véritable cauchemard qui   commence pour cette fille d'un "ennemi du peuple" qui refuse de prendre sa carte au parti communiste qu'elle considère comme un non-sens et une catastrophe...
        Courageuse, elle ose s'exprimer dans un système totalitaire, et dans un monde où tout était gouverné par la politique elle se retrouvera en butte incessante à la défiance des autorités, constament harcelée par ses collègues et les officiels du parti qui lui infligeront de continuelles vexations.
        Elle sera dit-elle "morte de trac" lorsqu'elle danse pour la première fois devant Staline (1878-1953):
        "J'avais peur, j'étais morte de trac et le parquet était une vraie patinoire. Je scrutais sans cesse le public, cherchant qui était responsable du malheur de ma famille."  

        Les tournées à l'étranger lui seront refusées de même que beaucoup de rôles... et elle évoquera plus tard avec humour les moyens les plus efficaces pour figurer dans une production:
        "...en amenant au garage pour la révision la voiture du chorégraphe, en préparant un diner pour ses invités et en faisant la vaisselle ensuite, en critiquant ses ennemis et en le complimentant... nos Stalines en miniature étaient les plus sensibles à la flatterie..."


        Mais le public, lui, ne s'y trompe pas... Et par sa présence dramatique et sa technique brillante, par son élévation et la fluidité de ses bras qui fera d'elle l'interprète à ce jour inégalée de La Mort du Cygne, Maïa Plissestkaïa s'impose en dépit de tout comme une artiste d'exception."Elle a des bras que personne ne possédera jamais" dira d'elle Maurice Béjart.

     

    La Mort du Cygne  Musique de Camille Saint-Saëns  Chorégraphie de Mikhaïl Fokine  Interprété par Maïa Plissetskaïa

     

        Après avoir reçu le titre d'Artiste Nationale de l'URSS en 1958, lorsque deux ans plus tard Galina Ulanova (1910-1998) quitte la scène Maïa Plissetskaïa sera à son tour nommée "étoile", puis "prima ballerina assoluta" en 1962 (Fait extrêmement rare, Ulanova et Plissetskaïa sont à ce jour les deux seules ballerines russes à avoir reçu ce titre).
         On la présente alors à tous les étrangers en visite à Moscou, agitée tel un emblème de luxe devant ces personnalités en l'honneur desquelles était rituellement programmé Le Lac des Cygnes, l'une des rares oeuvres alors tolérées par le régime... ("Krouchtchev n'en pouvait plus de ce Lac!..." dira-t-elle avec amusement).

     

    Maïa Plissetskaïa (1925- ) - Une vie de résistante

    Photo officielle de Maïa Plissetskaïa au Bolchoï

     

         Le gouvernement utilse alors sa "diva de la danse" comme ambassadrice des arts à l'étranger et les tournées internationales lui sont enfin autorisées... Des tournées dont la majeure partie des bénéfices allait engraisser les responsables du Parti, tandis que les danseurs avec leurs maigres salaires en étaient réduits pour ne pas tomber d'inanition à manger de la nourriture pour animaux qu'ils faisaient frire dans leurs chambres d'hôtel entre deux fers à repasser... "La nourriture pour chats et pour chiens était remplie de vitamines. On se sentait plein d'énergie..." se souvient Maïa Plissetskaïa avec philosophie...

        Mais des tournées également et surtout sous haute surveillance, au cours desquelles l'étoile sera filée nuit et jour par les services secrets, et contrôlée plus que jamais après la défection de Rudolf Noureev (1938-1993).
        Elle sera terrorisée lors de sa seconde tournée en Amérique en 1962 lorsque ce dernier lui ayant fait parvenir incognito un bouquet de roses, elle trouve le lendemain dans sa loge deux agents du KGB qui s'inquiètent de ce qu'elle ferait si le danseur était à New-York et lui envoyait des fleurs... Et lorsqu'on lui demande pourquoi elle n'est pas restée à l'Ouest Maïa Plissetskaïa répond:" J'avais peur qu'ILS me tuent... Combien de fois est-ce arrivé à des dissidents?.. Ils ont été innombrables... Mon époux et ma famille restaient en gage en Russie. Je savais ce qui les attendait si je ne revenais pas..." (Une angoisse non dénuée de fondement lorsque l'on sait que le KGB avait reçu l'ordre de préparer un "accident" pour briser les jambes de Noureev, et que celui-ci vécut dans la crainte perpetuelle que l'on attente à sa vie).

     

    Maïa Plissetskaïa (1925- ) - Une vie de résistante

    Maïa Plissetskaïa et son époux, le compositeur Rodion Chtchedrine (2009)

     

        Le gouvernement soviétique lui fera payer très cher également ses relations amicales avec la famille Kennedy et après lui avoir réclamé des comptes lui interdira pendant les 6 années qui suivront de quitter le territoire russe où elle endurera les pires affronts:
        "Je me souviens" dit-elle, "d'une représentation du Lac des Cygnes au Bolchoï où le KGB tentait d'interdire les applaudissements. A ma première entrée l'ovation fut si longue que le chef d'orchestre n'a pu attaquer et que mes jambes tremblaient. Ces applaudissements étaient une protestation contre mon interdiction de tournée lancée par les autorités".
                  et elle écrira encore à propos de cette privation de liberté:
        "Répétitions, cours, représentations, ateliers, cantine... J'étais au service du Théâtre. Je me devais de sourire devant les gens, de jouer l'insouciance, le détachement. Tout est normal, mes chers collègues. Rien de terrible. Parfait. Mais mon âme, des tigres la déchiraient en lambeaux. On peut se dominer une semaine, un mois. Mais six ans! Vivre ainsi six ans! J'avais très mal, j'avais très honte".
        (Lorsqu'elle reçut la Légion d'Honneur des mains de François Mitterand (1916-1996) un fonctionnaire de l'union soviétique lui demanda: "Pourquoi vous a-t-on donné cette décoration? N'est-elle pas réservée aux Résistants?" Maïa Plissetskaïa répondit: "Mais j'ai résisté toute ma vie..." )

      


    Le Lac des Cygnes  Musique de Piotr I. Tchaïkovski  Chorégraphie de Youri Grigorovitch d'après Marius Petipa  Interprété par Maïa Plissetskaïa et Valery Kovtun

     

        Alors qu'elle a abordé magistralement avec succès tous les rôles du grand répertoire, Maïa Plissetskaïa en pleine gloire reste malgré tout insatisfaite car elle a soif d'autre chose: 
        " En serait-il toujours ainsi jusqu'à la fin de mes jours de danseuse? Le Lac, rien que Le Lac? (elle l'a dansé 800 fois...) Je dansais du classique, mais je rêvais de faire du moderne, ce qui était irréaliste, car cela nous était innaccessible" écrit-elle dans ses Mémoires.
        Ce rêve se réalise finalement lorsqu'elle assiste à Moscou à un spectacle  d'Alberto Alonso (1917-2008): "C'était comme si un serpent m'avait mordue" dira-t-elle, et parcequ'il vient de Cuba un pays communiste elle obtient du gouvernement la permission de travailler avec lui (Bien que Yuri Grigorovitch le directeur du ballet du Bolchoï qui la détestait se soit lui farouchement opposé au projet). Alonso composera pour Maïa Plissetskaïa Carmen Suites, assez mal accueilli par le public soviétique qui n'est pas prêt pour ce genre de spectacle: Le costume sommaire, un collant noir, et des poses suggestives firent annuler la seconde représentation du ballet qui ne reparut à l'affiche que grâce à l'intervention de Chostakovitch (1906-1975) et après que l'étoile ait accepté de porter une robe en mousseline et de donner une interprétation plus sobre...
        A l'âge où les ballerines ont ordinairement quitté la scène elle entamera alors avec hardiesse, lorsque l'occasion lui en sera donnée, une seconde carrière avec des chorégraphes contemporains, Roland Petit (1924-2011) (La Rose Malade) ou Maurice Béjart (1927-2007) (Isadora, le Boléro) qu'elle fera découvrir à la Russie, les soutenant contre vents et marée face à une société qui voit avec réticence briser les carcans de l'académisme.

        Cette quête de nouveauté aménera par la suite tout naturellement cette interprète pleine de fougue à chorégraphier elle même des pièces inspirées des grandes oeuvres de la littérature russe, sur des partitions écrites par son mari le compositeur Rodion Chtchedrine (1932- ) qu'elle épousa en 1958 et elle composera successivement: Anna Karénine (1971), La Mouette (1980), La Dame au Petit Chien (1985), des oeuvres pleines d'audace dont elle dansa elle même les premiers rôles.

     


    Carmen Suites  
    Musique de George Bizet (arrangement Rodion Chtchedrine) Chorégraphie d'Alberto Alonso  Interprété par Maïa Plissetskaïa

     

        La beauté et l'élégance de Maïa Plissetskaïa n'inspirèrent pas seulement les chorégraphes mais également peintres et photographes, notamment Richard Avedon, Cecil Beaton, Vladimir Blioch et Marc Chagall qui dessina à son image les danseuses qui ornent les panneaux de mosaïque du Metropolitan Opera de New-York. Et le cinéma soviétique lui donna également l'occasion d'interpréter plusieurs rôles, mettant en valeur ses talents de comédienne dans des films aussi divers qu'Anna Karénine, Tchaïkovski (une biographie du compositeur) ou encore Eaux Printanières d'après le roman de Tourgueniev, ajoutant encore si besoin était à l'aura de cette artiste remarquable.

        Si l'Amérique lui fit un triomphe, c'est cependant en Europe que Maïa Plissetskaïa connut ses plus grands succès. Elle y sera directrice artistique du ballet de l'Opéra de Rome (1984-85) puis du ballet national espagnol à Madrid (1987-89), ainsi qu'artiste invitée de l'Opéra de Paris, du Ballet du XXème siècle de Béjart, du Ballet National de Lausanne, du Ballet de Nancy, et de la plupart des festivals importants s'étonnant toujours de l'accueil qui lui est réservé:
        "Je suis surprise à chaque fois de la manière dont les gens me reçoivent. Où que je sois, partout, des regards exaltés, des applaudissements, ça ne se simule pas. Je vois bien que les gens sont sincères".

     

    Maïa Plissetskaïa (1925- ) - Une vie de résistante

    Maïa Plissetskaïa et Maurice Béjart


        L'étoile du Bolchoï quitta officiellement son poste de soliste en 1990 à l'âge de 65 ans, et le jour de son 70ème anniversaire, cette danseuse d'exception débute dans un morceau intitulé Ave Maïa, chorégraphié à son intention par Maurice Béjart pour qui elle est, dira-t-il, "la dernière légende vivante de la danse".
         Depuis 1994, Maïa Plissetskaïa préside à Saint-Petersbourg le concours annuel Maïa qu'elle a elle même fondé et fut nommée en 1996 présidente du Ballet Impérial Russe... "Ils vous décorent maintenant pour ce qui vous aurait valu l'exécution autrefois" fera-t-elle remarquer pleine d'amertume...

     

    Maïa Plissetskaïa (1925- ) - Une vie de résistante

    Maïa Plissetskaïa et Vladimir Putin

     


         Le Financial Times écrira en 2005: "Elle a été, et elle est encore, un monstre sacré du ballet..." et l'année suivante, l'empereur Akihito remet le prestigieux Praemium Imperiale, considéré comme le Nobel dans le domaine des arts, à celle qui changea à tout jamais la ballet, plaçant très haut la barre pour les ballerines du monde entier.

        Période stalinienne, guerre froide, dégel, stagnation, pérestroïka, les présidents de l'union soviétique se sont succédés à la tête du pays sans que jamais Maïa Plissetskaïa ne puisse baisser sa garde...
        Mais fidèle à son serment, et bien plus qu'elle ne l'avait espéré, c'est d'une nation entière que cette fille d'un "ennemi du peuple" est devenue la fierté... et fidèle à son rêve elle n'a jamais cessé de danser, défiant sans relâche la chape de plomb de l'Histoire.

     

    Maïa Plissetskaïa (1925- ) - Une vie de résistante

     

          Maïa Plissetskaïa possède aujourd'hui cette liberté dont elle a été si douloureusement privée durant des années. Liberté de vivre à l'étranger, de parler sans contrainte, liberté enfin d'être elle-même et de recevoir tous les hommages:   
                                            " Ave Maïa "...

     

    Maïa Plissetskaïa vient de nous quitter aujourd'hui Samedi 2 Mai 2015, à l'âge de 89 ans.

     


    Le Boléro   Musique de Maurice Ravel  Chorégraphie de Maurice Béjart
    Interprété par Maïa Plissetekaïa et le Ballet du XXème siècle. 

     

     

     


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    Le Pavillon d'Armide (1907) - Paris découvre les Ballets Russes

    Numéro spécial de la revue Le Théâtre à l'occasion de la première saison des Ballets Russes à Paris en 1909. Sur la photo qui date de 1907 apparaissent Anna Pavlova et Vaslav Nijinsky dans les costumes du Pavillon d'Armide.

     

     

       A la suite d'un différend avec Mathilde Kschessinskaïa, la protégée des tsars, Diaghilev (1872-1929), "mécène sans argent", qui avait envisagé une nouvelle saison lyrique à l'Opéra de Paris, se retrouva malencontreusement privé, par voie de représailles, de la subvention promise par la cour de Russie... Il se vit donc dans l'obligation de revoir son projet à la baisse, et ne pouvant programmer uniquement des opéras qui étaient trop onéreux décida de se tourner vers le ballet dont la mise en scène revenait moins cher.
        Cependant, si ce dernier choisit de présenter des saisons de danse à partir de 1909 c'est aussi parce que son ami Alexandre Benois (1870-1960) était parvenu à l'intéresser à ce genre de spectacle et à le convaincre que "le ballet est la plus intéressante forme d'art qui par miracle a survécu en Russie alors qu'elle a disparu partout ailleurs".
        A l'Opéra de Paris qui ne fait pas exception la danse est effectivement à cette époque en plein déclin, réduite à un exercice de virtuosité sans âme boudé par le public, et lorsque Diaghilev fait part de son nouveau projet à la direction du Palais Garnier celle-ci refusera d'ailleurs d'accueillir une saison majoritairement consacrée au ballet.
        Ce sera donc au théâtre du Châtelet que le 19 Mai 1909 le Tout Paris découvrira avec stupeur et engouement un seul et même chorégraphe: Mikhaïl Fokine (1890-1942) qui veut faire de la danse un art neuf et rompre avec la routine de l'académisme en réagissant contre la virtuosité sans émotion tout en mélant harmonieusement musique, peinture et ballet. Trois de ses créations composent la soirée: Les danse polovtsiennes du Prince Igor, Le Festin et c'est sur Le Pavillon d'Armide une oeuvre d'inspiration française que le rideau se lève (A l'affiche du programme de la saison figurent également deux autres chorégraphies de Fokine: Les Sylphides et Cléopatre).

     

    Le Pavillon d'Armide (1907) - Paris découvre les Ballets Russes

    Mikhaïl Fokine (1890-1942)

     

        Si Le Pavillon d'Armide fut présenté pour la première fois à Saint Petersbourg au théâtre Mariinski le 25 Novembre 1907, son histoire est cependant plus ancienne car le livret en avait été écrit par Alexandre Benois en étroite collaboration avec le compositeur Nicolas Tcherepnine (1873-1945) dès 1903. 

        Le peintre y développe un sujet inspiré d'une nouvelle fantastique de Théophile Gautier (1811-1872), Omphale (1834), sous titrée "histoire rococo", élaborée autour du thème de la tapisserie enchantée dont les personnages prennent vie: Un jeune homme est séduit par une marquise représentée sous les traits d'Omphale assise aux pieds d'Hercule (Omphale, reine de Lydie avait, suivant la prédiction de la pythie, acheté Hercule comme esclave et tandis qu'elle s'était approprié sa peau de lion et sa massue, le héros filait la laine (entre autres...) cf. Le Rouet d'Omphale, poème symphonique de Camille Saint-Saëns

     

    Le Pavillon d'Armide (1907) - Paris découvre les Ballets Russes

    Hercule et Omphale     François Lemoyne (1688-1737)

     

        S'il conserva le thème, Alexandre Benois choisit par contre un autre personnage comme sujet du tableau fantastique et substitua à Omphale Armide, empruntée, elle, au poème épique du Tasse (1544-1595), La Jérusalem Délivrée (1581): Armide est une magicienne musulmane, nièce d'Hidraot, roi de Damas (et sorcier), qui tombe amoureuse du croisé Renaud et tente de le retenir par des enchantements. Sujet omniprésent tant dans l'histoire de l'art de la scène que celle de la peinture, ce personnage a en effet inspiré J.B.Lully, Glück, Vivaldi, Haëndel, Haynd, Rossini, et Dvorak, ainsi que les peintres Boucher, Poussin, Van Dyck, Tiepolo ou Fragonard...


    Le Pavillon d'Armide (1907) - Paris découvre les Ballets Russes

    Renaud et Armide     François Boucher (1703-1770)


       L'argument ne séduisit cependant pas le Mariinski de toute évidence et fut laissé de côté jusqu'à ce que Mikhaïl Fokine alors maitre de ballet et chorégraphe aux Théâtres Impériaux le sorte de l'oubli qui le guettait...
       La direction, qui se méfiait des créations de ce réformateur aux idées nouvelles, ne le laissait s'exprimer librement qu'à l'occasion de spectacles d'élèves ou de galas de charité, et c'est pour le spectacle des élèves de l'Ecole du Ballet Impérial que celui-ci va créer entre le 15 et le 18 avril 1907 La Tapisserie Enchantée qui ne comprend qu'un seul tableau (l'actuelle scène 2) où a été inclu un passage de virtuosité pour un élève particulièrement talentueux: Vaslav Nijinsky (1889-1950).
        Le succès du spectacle est tel que le Mariinski décide finalement de s'y intéresser et de le monter avec le Ballet Impérial ce qui sera l'occasion pour Fokine de faire ses débuts de chorégraphe sur une scène où Petipa (1818-1910) était encore le seul à s'imposer. Avec le style imaginatif et personnel qui est le sien il complètera alors son oeuvre de deux tableaux, limitant toutefois son travail à un seul Acte ainsi que le commande son esthétique en réaction à la dramaturgie du ballet à grand spectacle qui occupait une soirée entière, et les décors et les costumes seront cette fois signés par Alexandre Benois (Afin de réduire au maximum le coût des ballets qu'il montait pour les galas de charité ou les spectacles d'élèves Mikhaïl Fokine et sa femme Véra bricolaient souvent eux même les costumes dans leur appartement recyclant le vestiaire d'anciennes production).
        

     

    Le Pavillon d'Armide (1907) - Paris découvre les Ballets Russes

    Projet de costume d'Alexandre Benois pour Le Pavillon d'Armide

     

        Afin sans doute de mettre le public dans l'ambiance, la revue Mir Isskoustva (Le Monde de l'Art), fondée par Diaghilev et Benois avait organisé quelques temps avant la Première une exposition présentant la série d'aquarelles que l'auteur du livret avait exécutées lors de son séjour à Paris, intitulées Dernières Promenades de Louis XIV dans le parc de Versailles, un lieu pour lequel le peintre éprouvait une véritable fascination dont le ballet, mettant en scène un XVIIIème siècle rococo et fantasmé, est effectivement un évident témoignage. 

     

    Le Pavillon d'Armide (1907) - Paris découvre les Ballets Russes

    Dernières Promenades de Louis XIV dans le Parc de Versailles - Alexandre Benois


        Tout était donc fin prêt lorsque le 25 Novembre 1907 Anna Pavlova (Armide) Pavel Gerdt (le vicomte) et Vaslav Nijinsky (l'esclave) paraissent sous les ors du Pavillon d'Armide.

     

    Le Pavillon d'Armide (1907) - Paris découvre les Ballets Russes

    Anna Pavlova et Vaslav Nijinsky  dans Le Pavillon d'Armide (1907)

     

        Le rideau s'ouvre sur le vicomte René de Beaugency qui, surpris par un orage alors qu'il se rend chez sa fiancée, trouve refuge dans le pavillon de chasse d'un mystérieux château appartenant au Marquis de Fierbois quelque peu magicien... Sur le mur une magnifique tapisserie des Gobelins représentant Armide attire son regard et le fascine étrangement, et l'atmosphère se fait encore plus troublante lorsqu'à minuit l'allégorie du Temps placée au desus de l'Horloge prend vie et que les heures se mettent à danser.

        Tandis que le vicomte s'est assoupi (scène 2), les jardins du pavillon de chasse se transforment en un lieu enchanté où apparait Armide accompagnée de sa suite et de son esclave favori. Le Marquis de Fierbois (sous les traits du roi Hydraot) pousse alors la belle magicienne à séduire le dormeur qui, sous le sortilège, devient Renaud. Une fête est célébrée en l'honneur des amants, animée par des monstres masqués, des jongleurs et des esclaves tout droit sorties du harem. Et lorsque les réjouissances se terminent, Armide abandonne dans les mains du vicomte une écharpe brodée d'or avant de s'évanouir dans le néant.

        Lorsque René de Beaugency s'éveille au matin (scène 3), il pense avoir rêvé, cependant le marquis lui montre l'écharpe abandonnée par Armide au pied de l'horloge et lui fait remarquer qu'elle ne la porte plus sur la tapisserie... Réalité ou illusion? Le spectacle se termine finalement sur une pantomime insolite.

        A l'occasion de la présentation du ballet à Paris les rôles principaux furent confiés cette fois à Vera Karalli (Armide), Tamara Karsavina (la confidente d'Armide. Elle interprétera Armide plus tard) Mikhaïl Mordkin (le vicomte), et Vaslav Nijinsky (l'esclave) qui va faire une apparition très remarquée et déclencher immédiatement l'admiration du public dès la fin de sa première variation où au lieu en effet de faire la sortie prévue en coulisse il exécute l'un de ses incroyables sauts dont il a le secret... La consécration de Nijinsky annonce la réhabilitation des danseurs et Le Pavillon d'Armide sera le premier succès d'une longue série qui fera de lui un véritable mythe.

     

    Le Pavillon d'Armide (1907) - Paris découvre les Ballets Russes

    Vaslav Nijinsky dans  Le Pavillon d'Armide (1909)

     

        Si les décors et les costumes d'Alexandre Benois en surprirent quelques uns ils furent cependant au final largement appréciés: 
        "Ceux qui étaient habitués à la fadeur maladive adoptée invariablement par les théâtres parisiens pour caractériser l'époque "rococo" trouvèrent nos couleurs trop vives, mais pour ceux qui comprenaient réellement Versailles, les porcelaines chinoises de Sèvres, les tapisseries, les appartments dorés des châteaux et l'architecture des parcs, notre Pavillon d'Armide fut une révélation".


    Le Pavillon d'Armide (1907) - Paris découvre les Ballets Russes

     Décor d'Alexandre Benois pour Le Pavillon d'Armide


        La partition de Nicolas Tcherepnine, qui dirigeait lui même l'orchestre lors de cette première légendaire, et continua à le faire pendant toute la saison, surprit également mais ravit tout autant les connaisseurs car les sceptiques qui s'attendaient à un méli-mélo réchauffé de Rimsky-Korsakov (1844-1908) et de Tchaïkovski (1840-1893) découvrirent en effet l'oeuvre merveilleusement travaillée d'un contemporain de Debussy (1862-1918) et Ravel (1875-1937), où transparait avec éclat toute sa personnalité et son âme russe.
        (Pour l'anecdote, une variation du Pavillon d'Armide sert aujourd'hui de générique à l'émission Un diner en musique diffusée sur Radio Classique le Samedi et le Dimanche soir de 19h à minuit)

     

    Le Pavillon d'Armide (1907) - Paris découvre les Ballets Russes

    Tamara Karsavina  dans Le Pavillon d'Armide

     

        Premier succès qui contribua à établir la réputation des Ballets Russes comme une compagnie d'avant-garde, Le Pavillon d'Armide sera représenté en l'honneur du couronnement du roi George V le 22 Juin 1911 à l'initiative du second marquis de Ripon qui amena la troupe de Diaghilev à Londres.
        A peu près inconnu aux yeux des spectateurs d'aujourd'hui il fut remonté en 1975 par Alexandra Danilova à la demande de John Neumeier pour les journées du ballet de Hambourg avec Zhandra Rodriguez et Mikhaïl Barychnikov. Le maitre de ballet et chorégraphe russe Nikita Dolgushin en a fait une reconstruction stylisée pour le ballet du Conservatoire de Saint-Petersbourg qu'il dirige, et John Neumeier a signé lui-même sa propre version en 2009 à l'occasion du centenaire des Ballets Russes.

        En dépit de son triomphe à Paris en 1909, Diaghilev dut faire face à quelques sérieux ennuis financiers, et un rapport fut même envoyé à la Cour de Russie pour que cet "impresario amateur" ne remette plus les pieds en France... Ce dernier qui avait l'habitude de marcher sur la corde raide s'accorda finalement heureusement avec ses créanciers pour que sa compagnie puisse donner une nouvelle série de représentations l'année suivante ce qui permit cette fois aux français de découvir avec émerveillement L'Oiseau de Feu et Schéhérazade... Mais ceci est une autre histoire...

     

     

    Le Pavillon d'Armide   Musique de Nicolas Tcherepnine    Chorégraphie de Nikita Dolgushin d'après Mikhal Fokine    Le Pas de Trois qui réunit Armide, le vicomte et l'esclave, est interprété par les membres du Ballet du Conservatoire de Saint Petersbourg et a été enregistré en 1993 à l'auditorium du Conservatoire et au palais de Peterhof (Ancienne résidence d'été des tsars).

     

     


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  • Fernando Botero (1932- ) - L'Anti Giacometti...

    Ballerine à la barre (2001) 

     

     

        "Je veux être capable de tout peindre, mais avec l'espoir que tout ce que je fais soit imprégné de l'âme latino-américaine".
                                                                       Fernando Botero 

     

        Ses sculptures monumentales ont envahi les plus prestigieuses avenues du monde, ses tableaux battent des records de vente et "unique" est l'adjectif que choisit lui même Fernando Botero pour définir à la fois son oeuvre et son parcours, une succession de hasards ou plutôt, comme le peintre aime le souligner, le signe d'un "destin tracé".

        Luis Fernando Botero Angulo naquit le 19 Avril 1932 à Medellin, une petite ville de Colombie située dans la Cordillère des Andes à l'époque isolée, parsemée d'églises et de couvents aux allures baroques. Des formes, des couleurs, et une perception du monde qui vont plus tard habiter Botero et nourrir son style.
        Rien pourtant ne le préparait à devenir peintre... Lorsque son père, commerçant ambulant qui parcourait à cheval les montagnes, décède prématurément d'une crise cardiaque Fernando n'a que quatre ans et sera élevé ainsi que ses deux frères par sa mère, couturière, avec l'aide d'un oncle qui l'inscrit à douze ans dans une école de tauromachie afin qu'il devienne toréador. Mais le jeune garçon ne parvint jamais à maitriser sa peur de l'animal et dut renoncer à cet apprentissage restant toutefois fasciné par la tauromachie qu'il représentera largement plus tard sur ses toiles (Passionné par le dessin dès son jeune âge il a déjà réalisé avec talent ses premiers croquis de corrida qu'il va vendre pour cinq pesos à l'entrée des arènes alors qu'il n'a que treize ans...).

     

    Fernando Botero (1932- ) - L'Anti Giacometti...

    Medellin

     

        Titulaire d'une bourse, Fernando poursuit ses études secondaires au collège jésuite Bolivar où les cours d'histoire de l'Art lui font découvrir la peinture européenne, tandis qu'il contribue déjà à l'époque avec ses oeuvres au supplément dominical du plus important journal de la ville El Colombiano. Plusieurs nus qu'il y fait paraitre en 1949 lui valent d'ailleurs un blâme du directeur de son collège et il sera finalement renvoyé de l'établissemnt pour avoir écrit dans ce même journal un article sur le non conformisme dans l'Art. 

        Ses travaux commençant à lui valoir peu à peu une notoriété certaine, après avoir exposé à Medellin il se rend en 1951 à Bogota où il fréquente Pablo Neruda (1904-1973) et Federico Garcia Lorca (1898-1936). Une première exposition dans la capitale lui fournit bientôt l'occasion de vendre plusieurs toiles, et ce succès l'ayant encouragé à renouveller l'expérience, il remporte cette fois l'année suivante grâce à son tableau Frente al Mar (Sur la Côte) le 2ème prix du Salon des Artistes Colombiens.

        Fernando Botero qui est un autodidacte va alors utiliser l'argent qu'il vient de gagner pour entreprendre un long voyage en Europe: Il désire voir les oeuvres des grands maitres et apprendre une technique, la technique qu'il sait indispensable à qui souhaite faire de la peinture.
        Il se rend tout d'abord à Barcelone, et de là gagne Madrid où, inscrit à l'Académie Royale des Beaux Arts de San Fernando, il s'y démarque déjà des autres étudiants qui cherchent à l'époque leur voie dans l'abstraction: Ce nouveau vocabulaire pictural ne lui convient pas car il a pour lui quelque chose d'incomplet et il préfèrera étudier au Prado les oeuvres des maitres espagnols Velasquez (1599-1660) et Goya (1746-1828). L'art d'avant garde ne le satisfait pas davantage à Paris, sa destination suivante, et déçu une fois de plus par les oeuvres contemporaines il y délaissera le Musée d'Art Moderne au profit du Louvre auquel il consacre la majeure partie de son temps donnant entre autre sa version de la Mona Lisa de Léonard de Vinci (1452-1519)

     

    Fernando Botero (1932- ) - L'anti Giacometti...

    Mona Lisa  

       

        La denière étape de son séjour en Europe l'amène finalement en Italie, Florence tout d'abord où en 1954 il est admis à l'Académie San Marco: A l'époque où le tachisme connait ses premiers succès il commence à travailler comme les artistes de la Renaisance, apprend les techniques de la fresque et suit le soir des cours de peinture à l'huile... Paolo Uccello (1397-1475), Piero della Francesca (1415-1492) Giotto (1267-1337) et cette école florentine, la première à avoir su réinventer les volumes, auront sur son oeuvre une influence déterminante, et il dira lui-même plus tard:
        "Mes personnages sont un cocktail de l'art populaire latino-américain et des peintres italiens de la Renaissance".

        Fernando Botero regagne Bogota en Mars 1955, et y expose alors une vingtaine de peintures ramenées d'Italie, mais la seule référence maintenant admise dans le monde de l'art est l'Ecole de Paris et ses oeuvres figuratives sont vivement condamnées par la critique. La manifestation est un échec cuisant et afin de gagner sa vie le peintre se fait alors un temps vendeur de pneus dans un garage et occupe ensuite un emploi de graphiste dans un journal, puis après avoir épousé Gloria Zea en Décembre de cette même année il part avec sa compagne s'installer à Mexico.
        C'est là que se produira le déclic lorsqu'il peint Nature morte avec la mandoline :
        "J'avais toujours essayé de rendre le monumental dans mon oeuvre. Un jour après avoir énormément travaillé j'ai pris un crayon au hasard et j'ai dessiné une mandoline aux formes très amples comme je le faisais toujours. Mais au moment de dessiner le trou au milieu de l'instrument je l'ai fait beaucoup plus petit et soudain la mandoline a pris des proportions d'une monumentalité extraordinaire".


    Fernando Botero (1932- ) - L'anti Giacometti...

    Nature morte avec la Mandoline


        Le peintre a comparé lui même ce moment avec le fait de "franchir une porte et entrer dans une autre pièce"... A travers un genre encore jamais exploité jusqu'alors le "style Botero" était né...
        Habité constamment par l'idée du volume, l'artiste répond, lorsqu'on s'aventure à lui demander pourquoi ses personnages sont "gros":
        "GROS mes personnages?... Non, ils ont du volume, c'est magique, c'est sensuel. Et c'est ça qui me passionne: retrouver le volume que la peinture contemporaine a complètement oublié". (Ce goût immodéré pour tout ce qui est volumineux Botero ne l'afficha pas pour autant dans son existence car les femmes de sa vie ont toutes été extrêmement minces:
        "Le monde de l'art est parallèle au mond réel, on ne peut pas les comparer" expliquera-t-il, et dans cette optique l'artiste ne repecte pas les proportions de ses sujets qu'il adapte à sa toile et non à la réalité.)

         De retour à Bogota en 1957, le peintre y remporte cette fois le 2ème prix du Salon des Artistes Colombiens pour sa peinture intitulée Contrepoint et sera nommé l'année suivante professeur de peinture à l'Académie des Arts.  Sa renommée ne cesse maintenant de s'accroitre et lorsque sa toile La chambre Nuptiale est rejettée par le jury du Salon l'année suivante la vague de protestation que le verdict a soulevé dans les milieux artistiques est telle que  la décision sera reconsidérée et l'oeuvre obtiendra finalement le premier prix...

        Fernando Botero quitte alors la Colombie pour la troisième fois en 1960 et part vivre à New-York où la peinture abstraite est à cette époque en plein essor. Peu nombreux sont les critiques ou les collectionneurs attirés par le figuratif et pendant un certain temps son oeuvre n'y sera reconnue tout au plus que comme anecdotique. Mais l'artiste qui croit en son art ne se laissera pas abattre... Et la reconnaissance viendra en la personne de Dorothy Miller (1904-2003), directrice du MOMA (Museum of Modern Art) qui intéressée par son style à contre-courant, lui achète sa Mona Lisa: trois ans plus tard le tableau figurera aux côtés de l'original lors d'une exposition au Metropolitan Musem de New-York et deviendra mondialement célèbre...
        Botero expose pour la première fois en Europe en 1966, en Allemagne , suivront ensuite Paris, Londres, Baden-Baden et plusieurs autres capitales où à compter de ce moment le peintre devient une figure marquante de l'art contemporain: les galeries l'accueillent enfin et les musées lui ouvriront leurs portes avec un intérêt sans cesse accru pour cette Colombie baroque dont l'artiste a fait son sujet préféré.

     

    Fernando Botero (1932- ) - L'Anti Giacometti...

    Le Patio

         

        Le peintre se surnommera lui même en effet par manière de boutade "le plus colombien des artistes colombiens" et la passion qu'il ne cesse d'éprouver pour son pays natal, ses petites villes, sa classe moyenne, est omniprésente dans son oeuvre qu'il s'agisse de natures morte, de nus féminins, de scènes de tauromachie ou encore de la vie quotidienne: Une atmosphère qu'il évoque à travers des couleurs vives et franches et des formes aux contours nets encore une fois essentiellement inspirées de la tradition populaire et de l'art précolombien, même si chaque parcelle de ses tableaux est colorée comme le faisaient le Quatrocento et Le Titien.

     

    Fernando Botero (1932- ) - L'Anti Giacometti...

    Le Square

       

        Avec une sorte d'impartialité détachée que certains ont qualifiée d'imperturbabilité romantique, Botero peuple ce monde exotique de personnages dépourvus de sentiments ou d'états d'âme mais auxquels les formes éléphantines confèrent une douceur et une présence qui accentue leurs traits de caractère. Sur ces créatures aux visages impassibles dotées d'une grâce et d'une légèreté qui défie les lois de la pesanteur et dont les déformations des corps ou des visages créent au final une véritable harmonie,  l'artiste pose avec humour un regard teinté de tendresse, donnant au grossissement des sujets sa dimension satirique, comme si les personnages étaient gonflés de leur propre importance.

     

    Fernando Botero (1932- ) - L'Anti Giacometti...

    Les Jardinières


        Cependant même dans sa critique du régime colombien (militarisme et religion) il ne va jamais au de là d'une douce ironie et on ne retrouve aucun sentiment de violence ou de haine dans ses tableaux (Exception à cette règle, la série des tableaux illustrant la violence en Colombie, mais aussi et surtout le cycle des oeuvres réalisées en 2004 sur les tortures commises dans la prison américaine d'Abou Grahib en Irak).

     

    Fernando Botero (1932- ) - L'Anti Giacometti...

    La Mère Supérieure

     

         Prolongement obligé de son univers pictural le peintre se tourne naturellement vers la sculpture et c'est à Paris où il s'installe en 1973 qu'il va donner à ses créations leurs pleines dimensions, rendre palpables ces formes voluptueuses qui offrent ce que l'artiste appelle "une alternative poétique à la réalité"


    Fernando Botero (1932- ) - L'anti Giacometti...


        "La sculpture doit donner l'envie de toucher, car à ce moment là on reproduit le geste du sculpteur... tout ça s'est fait en caressant cette forme... tout ça c'est sensuel".

         L'artiste va alors consacrer de nombreuses années à la maitrise de la troisième dimension et si les expositions qui lui sont consacrées attirent les foules et que ses toiles sont parmi les mieux cotées au monde, c'est très certainement l'installation de ses sculptures monumentales dans les grandes villes du monde qui ont marqué durablement les esprits et fait entrer l'oeuvre de Botero dans la culture populaire en l'imposant auprès du grand public.

     

    Fernando Botero (1932- ) - L'anti Giacometti...

    Le Cheval   exposé Porte de Brandebourg à Berlin

     

          Alors que le monde entier reconnait en lui l'un des grands maitres de l'Art de la seconde moitié du XXème siècle, un drame vient marquer à tout jamais la vie et l'oeuvre de Fernando Botero: son fils Pedro agé de quatre ans est tué en Espagne en 1974 dans un accident de la route et le souvenir de cet enfant qu'il a déjà représenté à toutes les étapes de sa courte vie réapparaitra désormais de manière récurente au hasard de sa peinture. (L'artiste fera don au Museo de Antioquia de seize de ces toiles pour lesquelles sera ouverte la salle Pedrito Botero).

     

    Fernando Botero (1932- ) - L'anti Giacometti...

    Pedro et le cheval

     

        Eternel globe trottter, Fernando Botero s'établit en 1980 à Pietrasanta près de Lucques en Toscane, une région connue pour l'abondance de marbre blanc où s'approvisionnait Michel Ange (1475-1564), ainsi que pour la qualité de ses fonderies, et il s'y installe afin de pouvoir travailler sur ses sculptures.
        Marié avec Sophia Vari (peintre et sculpteur grecque), ce boulimique de travail vit aujourd'hui en continuel  déplacement entre ses ateliers aux quatre coins du monde (Pietrasanta, New-York, Paris, Bogota) afin de donner forme aux créations de sa pensés, car même s'il lui est arrivé de s'inspirer de certaines toiles de quelques peintres célèbres, il confirme lui-même:
        "Je n'ai jamais travaillé avec des modèles. Un modèle constituerait pour moi une limitation à ma liberté de peindre ou de dessiner. Je n'ai jamais posé trois objets sur une table pour faire une nature morte. Je ne me suis jamais placé non plus dans un endroit particulier pour peindre un paysage. En réalité je n'ai besion de rien devant moi. Mes choix de personnages sont arbitraires et tous sont le fruit de mon imagination".

     

    Fernando Botero (1932- ) - L'Anti Giacometti...

     

         Balloté entre deux continents, ce géant qui alterne peinture et sculpture a créé en soixante années de travail, une oeuvre originale tout simplement unique à travers laquelle, à l'image de ses personnages plus grands que nature, il domine son époque... Ses oeuvres sont vues dans le monde entier... On reconnait un Botero comme on reconnait un tableau de Van Gogh (1853-1890): une signature que seuls les plus grands laissent à l'histoire de l'Art...

     

    Fernando Botero (1932- ) - L'anti Giacometti...

     Fernando Botero (2006)

     "Lorsque l'art rentre dans une maison la violence en sort"

     

     

     

     

     


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    La Danse libérée...

    L'Oiseau de Feu    Béjart Ballet- Lausanne 



       

        Si François Delsarte (1811-1871), ténor à l'Opéra Comique, s'acquit une renommée internationale, ce n'est pas comme on pourrait l'imaginer de prime abord dans le domaine de la musique, mais grâce à ses enseignements qui jouèrent un rôle déterminant dans l'émergence de la danse moderne et sont l'une des sources de l'évolution des arts du spectacle vivant.
        Mal à l'aise dans les posture affectées et arbitraires qui lui avaient été enseignées au Conservatoire, celui-ci se mit en effet à étudier les mouvements du corps humain et la façon dont il répondait aux diverses émotions et aux différentes situations à travers tous les éléments de l'expression gestuelle.  Ces observations débouchèrent sur une pédagogie et un travail précis et bien qu'il n'ait lui-même écrit aucun livre décrivant sa méthode, les principes que répandit cet oncle de George Bizet nourrirent, en se propageant particulièrement aux Etats-Unis, les débuts d'une nouvelle approche de la danse dont la révolution n'a pas été d'instaurer un art chorégraphique novateur, mais un corps comme lieu d'expérience et de savoir.
     

    La Danse libérée...

    Delsarte System of Expression   publié en 1885 par Genevieve Stebbins
     


         On passe ainsi de la danse académique au service de la narration, de la virtuosité, de la grâce ou de la force, à une recherche de la danse en soi. On ne s'efforce plus d'appliquer des codes, mais on "est" le mouvement lui-même et la frontière entre le geste quotidien et l'art a été traversée.

     

         La pionnière de cette "danse libre" fut Loïe Fuller, de son vrai nom Mary Louise Fuller (1862-1928), dont la vocation se révéla alors que comédienne devant interpréter un certain soir une femme en état d'hypnose, elle improvise de larges mouvements, vêtue d'une grande chemise blanche... Le public réagit aussitôt spontanément en s'exclamant: "Un papillon!.. Une orchidée!.." et développant ce concept elle crée au Park Theatre de Brooklyn à New-York, le 15 Février 1892, sa première chorégraphie, la Danse Serpentine qui connut un immense succés et fut reprise par de nombreuses imitatrices.

     

    La Danse libérée...

    Mary Louise Fuller (1862-1928)
       

        Le public américain ne verra cependant jamais en elle autre chose de plus qu'une simple actrice et lassée de ne pas être prise au sérieux Mary Louise Fuller partit alors en Europe: L'accueil qu'elle reçut en France fut si chaleureux qu'elle décida aussitôt de s'y installer et, engagée aux Folies Bergères, devint l'une des artistes les plus célèbres et les mieux payées dans le monde du spectacle.

     

    La Danse Serpentine   Loïe Fuller   (Filmé en 1896 par les frères Lumière) 


        Tournoyant dans des flots de tissus légers au milieu d'extraordinaires jeux de lumière, par ses mouvements amples, sinueux et continus, et jouant presque exclusivement avec ses bras (à l'opposé de la danse académique où tout part des pieds) elle inaugurait sans le savoir une ére nouvelle. Comptant parmi ses admirateurs Rodin, Stéphane Mallarmé, Camille Flammarion ou les Curie, "la Loïe Fuller" fit une longue et impressionnante carrière car son succés ne fut pas éphémère, mais elle fut finalement ecclipsée par sa compatriote Isadora Duncan (1877-1927) qu'elle avait contribué à faire connaitre en Europe.

          Cette dernière qui pensait que le ballet classique avec ses règles strictes et ses codes était "laid et contre nature" recherchait un nouveau langage, dansant nu-pieds, vêtue d'une simple tunique et, influencée par son frère sur un retour à l'héllenisme, souhaita redonner toute sa place à la spontanéité à travers la simplicité de la danse grecque ancienne.

     

    La Danse libérée...

    Isadora Duncan (1877-1927) 

     

        Parmi ces pionnières qui se focalisaient davantage sur la libre expression que sur la virtuosité technique figura également l'américaine Ruth St.Denis (1879-1968) qui s'en ira, elle aussi, chercher un public en Europe où son genre de travail était véritablement reconnu et apprécié.

     

    East Indian Naucht Dance    Ruth St.Denis


        Et lorsque celle-ci regagne les Etats-Unis en 1915 elle fonde à Los Angeles avec son mari Ted Shawn (1891-1972) la Denishawn School of Dancing and Related Arts, où les deux artistes créent leur propre compagnie et enseignent les styles et les techniques de danse inspirées de l'Orient qu'ils ont développées. Ensemble ils formulent un guide, concernant leur système de pédagogie et leurs chorégraphies précisant ainsi leurs idées:
        "L'art de la danse est trop immense pour ne comprendre qu'un seul système. Au contraire, la danse inclut toutes les écoles, tous les systèmes. Toutes les manières que les êtres humains ont eues de s'exprimer en bougeant en rythme, indifférement de leur race ou de leur nationalité à n'importe quel moment de l'histoire, appartiennent à la danse" et Ruth St.Denis mettant l'accent sur la "danse libre" ajoutera elle-même:
        "La danse est l'évolution rythmique spontanée d'un corps qui a longtemps été nié et distordu, et le désir de danser serait aussi naturel que celui de manger, de courir, de nager, si notre civilisation n'avait pas employé d'innombrables moyens pour mettre au ban cette action instinctive et joyeuse de l'être harmonieux".

        Plutôt que de nouveaux codes, c'est un langage propre à chaque chorégraphe qui va naitre:
        En Allemagne, second berceau de la danse moderne où apparaitra le courant "expressioniste", Mary Wigman (1886-1973), l'élève de Rudolf Laban (1879-1958) s'intéressera elle aux masques et à l'Afrique, et c'est également sur le vieux continent qu'un système pédagogique d'enseignement des rythmes musicaux à travers les mouvements du corps créé par le suisse Emile Jaques-Dalcroze (1865-1950), l'eurythmique, verra le jour et participera lui aussi à cette libération de la danse.

     

    La danse de la Sorcière     Mary Wigman (1886-1973)

       

       

        Au cours des 16 années de son existence, la Denisham School avait formé aux Etats-Unis toute une génération qui, nourrie de cette "danse libre",  écrira alors le chapitre suivant de l'histoire à travers ses propres idéologies et ses diverses techniques: Qualifiée d'abord de "ballet aux pieds nus", la "danse moderne" s'affirmera en effet au cours des années 1930 jusqu'à devenir un genre de plus en plus considéré et respecté.

       Martha Graham (1894-1991), Doris Humphrey (1895-1958) et Charles Weidman (1901-1975), tous anciens danseurs de la compagnie Denishawn, ainsi que la danseuse d'origine allemande issue de la compagnie de Mary Wigman, Hanya Holm (1893-1992), seront parmi les fondateurs de cette "danse moderne" qui, restée fidèle à l'héritage de la "danse libre", n'évoluera pas vers un code unique et conventionnel mais un style où chacun développera une approche différente:
        Martha Graham construit sa technique personnelle de contraction et de relachement à partir de la respiration naturelle, tandis que Doris Humphrey travaillera à partir de la dynamique de la marche qui consiste à céder à la gravité pour ensuite lui résister et José Limon (1908-1972), un danseur de sa compagnie basera, lui, son travail sur le poids du corps.

     

    Lamentation  chorégraphié et interprété par Martha Graham 

     

        Ces danseurs laisseront de côté les mythes et légendes des civilisations anciennes ou orientales dont se sont nourris leurs prédécesseurs, rejettant les sources d'inspiration extérieures au mouvement au profit de sources intérieures qu'ils transforment en une gestuelle, et tandis que le ballet académique réaffirme les dogmes fondamentaux de sa propre tradition, les techniques de la danse moderne trouvent en elle-même leur propre cohérence.
        Au cours de ces années les chorégraphes des diverses écoles resteront fidèles à la pureté de leurs traditions respectives et ne sauraient imaginer un emprunt quelconque à une technique qui ne serait pas la leur... et ce n'est qu'après la fin de la Deuxième Guerre mondiale que ces divisions vont s'atténuer grâce à un processus de métissage qui ouvrit alors la voie à la "danse contemporaine" résultat du croisement des multiples styles inspirés par la danse populaire, le ballet classique et la danse moderne.

     

    La Danse libérée...

    Merce Cunningham (1919-2009)   


        Merce Cunningham (1919-2009) révolutionne la danse conventionnelle en synthétisant la technique de Martha Graham et la danse classique traditionnelle, et les danseurs modernes commencent alors à reconnaitre que la danse académique offre une formation de base solide tandis que les chorégraphes du classsique s'initient au pouvoir viscéral de la danse moderne: On parle alors de "ballet moderne" où s'illustreront aussi entre autres William Forsythe (1949- ) et en Europe Maurice Béjart (1927-2007) qui crée à Bruxelles l'école Mudra.

     

     

    Artifact (Extrait)   Chorégraphie William Forsythe -  Musique Eva Crossman-Hecht Interprété par le Ballet Royal de Flandres.

     

         Alwin Nikolaïs (1910-1993), James Waring (1922-1975), tout comme Paul Taylor (1930- ), Alwin Ailey (1931-1989) ou Twyla Tharp (1941- ) donneront également à la danse contemporaine ses lettres de noblesse et de l'autre côté de l'Atlantique, Kurt Joss (1901-1979) issu du mouvement expressioniste allemand va fonder pour sa part le tanztheatre, mêlant théâtre et danse, et sera suivi dans cette direction par son élève Pina Bausch (1940-2009).

     

     Tensile Involvement  (Extrait)    Chorégraphie, mise en scène, décors et costumes d'Alwin Nikolaïs. Musique Van Dyke Parks. Interprété par le Joffrey Ballet.

     

         Face à la vague américaine nait en France dans les années 1970 un courant, la "nouvelle danse française" également appelée "jeune danse française"  qui, se démarquant de l'Opéra de Paris, souhaite à son tour se faire une place. Soutenue par le Centre National de Danse Contemporaine fondé en 1978 à Angers sous la direction d'Alwin Nikolaïs (et grâce au concours de danse de Bagnolet créé en 1969 qui servit de catalyseur et consacra la plupart des chorégraphes notoires des deux décennies suivantes), la "nouvelle danse française" vit émerger des langages chorégraphiques originaux à travers les oeuvres de Dominique Bagouet (1951-1992), Philippe Découflé (1961- ) ou encore Angelin Preljocaj (1957- ). Et pour que rayonne cet enseignement, une dizaine de centres chorégraphique nationaux seront créés sur le territoire afin de promouvoir le moyen d'expression qui comptera parmi ses plus célèbres figures Carolyn Carlson (1943-), Karine Saporta (1950- ) Maguy Marin (1951- ) ou encore François Verret (1955- ).

     

     Signes  (dernier tableau)  Chorégraphie de Carolyn Carlson   Musique de René Aubry  Décors et costumes d'Olivier Debré. Interprété par Marie Agnés Gillot et Kader Belarbi et le corps de ballet de l'Opéra de Paris (Ce ballet reçut en 1998 un Benois de la Danse et une Victoire de la Musique).

     

        Issus très souvent de cette "nouvelle danse française", sont apparus depuis le milieu des années 1990 les adeptes de la "non-danse"... Rejetant les codes habituels, ces chorégraphes axent cette fois leur recherche autour de créations scéniques où sont intégrés, voire substitués à la danse qui se retrouve plus ou moins mise en retrait, les autres arts de la scène, théâtre, vidéo, lecture, arts plastiques, musique. Leurs spectacles qui s'apparentent plus à des "événements" où la présence de vrais danseurs ne serait finalement pas indispensables à l'exécution de l'oeuvre (une sorte de danse sans la danse...),  se déroulent parfois dans des lieux non destinés aux représentations chorégraphique comme des musées et autres grands espaces et où comme les précieuses ridicules ces non-chorégraphes accompagnent leurs créations de propos ésotériques pédants et taxent d'emblée de réactionnaire toute critique qui leur est adressée...

        Devant cette "danse d'auteur" (spécialité française regardée à l'étranger avec consternation...) qui se proclame d'avant-garde par une surenchère de provocations vulgaires et face à laquelle nombre de spectateurs ne s'autorisent même plus à juger de peur de n'être pas "branchés", un vrai questionnement est permis... car force est de constater cette fois que la danse n'est peut-être plus tout à fait la danse.... et que la poudre aux yeux ne remplacera jamais le talent, l'exigence et l'intelligence.

        

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    "Le tact dans l'audace c'est de savoir jusqu'où on peut aller trop loin"
                          Jean Cocteau (1889-1963)

     


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