• Le Pavillon d'Armide (1907) - Paris découvre les Ballets Russes

     

    Le Pavillon d'Armide (1907) - Paris découvre les Ballets Russes

    Numéro spécial de la revue Le Théâtre à l'occasion de la première saison des Ballets Russes à Paris en 1909. Sur la photo qui date de 1907 apparaissent Anna Pavlova et Vaslav Nijinsky dans les costumes du Pavillon d'Armide.

     

     

       A la suite d'un différend avec Mathilde Kschessinskaïa, la protégée des tsars, Diaghilev (1872-1929), "mécène sans argent", qui avait envisagé une nouvelle saison lyrique à l'Opéra de Paris, se retrouva malencontreusement privé, par voie de représailles, de la subvention promise par la cour de Russie... Il se vit donc dans l'obligation de revoir son projet à la baisse, et ne pouvant programmer uniquement des opéras qui étaient trop onéreux décida de se tourner vers le ballet dont la mise en scène revenait moins cher.
        Cependant, si ce dernier choisit de présenter des saisons de danse à partir de 1909 c'est aussi parce que son ami Alexandre Benois (1870-1960) était parvenu à l'intéresser à ce genre de spectacle et à le convaincre que "le ballet est la plus intéressante forme d'art qui par miracle a survécu en Russie alors qu'elle a disparu partout ailleurs".
        A l'Opéra de Paris qui ne fait pas exception la danse est effectivement à cette époque en plein déclin, réduite à un exercice de virtuosité sans âme boudé par le public, et lorsque Diaghilev fait part de son nouveau projet à la direction du Palais Garnier celle-ci refusera d'ailleurs d'accueillir une saison majoritairement consacrée au ballet.
        Ce sera donc au théâtre du Châtelet que le 19 Mai 1909 le Tout Paris découvrira avec stupeur et engouement un seul et même chorégraphe: Mikhaïl Fokine (1890-1942) qui veut faire de la danse un art neuf et rompre avec la routine de l'académisme en réagissant contre la virtuosité sans émotion tout en mélant harmonieusement musique, peinture et ballet. Trois de ses créations composent la soirée: Les danse polovtsiennes du Prince Igor, Le Festin et c'est sur Le Pavillon d'Armide une oeuvre d'inspiration française que le rideau se lève (A l'affiche du programme de la saison figurent également deux autres chorégraphies de Fokine: Les Sylphides et Cléopatre).

     

    Le Pavillon d'Armide (1907) - Paris découvre les Ballets Russes

    Mikhaïl Fokine (1890-1942)

     

        Si Le Pavillon d'Armide fut présenté pour la première fois à Saint Petersbourg au théâtre Mariinski le 25 Novembre 1907, son histoire est cependant plus ancienne car le livret en avait été écrit par Alexandre Benois en étroite collaboration avec le compositeur Nicolas Tcherepnine (1873-1945) dès 1903. 

        Le peintre y développe un sujet inspiré d'une nouvelle fantastique de Théophile Gautier (1811-1872), Omphale (1834), sous titrée "histoire rococo", élaborée autour du thème de la tapisserie enchantée dont les personnages prennent vie: Un jeune homme est séduit par une marquise représentée sous les traits d'Omphale assise aux pieds d'Hercule (Omphale, reine de Lydie avait, suivant la prédiction de la pythie, acheté Hercule comme esclave et tandis qu'elle s'était approprié sa peau de lion et sa massue, le héros filait la laine (entre autres...) cf. Le Rouet d'Omphale, poème symphonique de Camille Saint-Saëns

     

    Le Pavillon d'Armide (1907) - Paris découvre les Ballets Russes

    Hercule et Omphale     François Lemoyne (1688-1737)

     

        S'il conserva le thème, Alexandre Benois choisit par contre un autre personnage comme sujet du tableau fantastique et substitua à Omphale Armide, empruntée, elle, au poème épique du Tasse (1544-1595), La Jérusalem Délivrée (1581): Armide est une magicienne musulmane, nièce d'Hidraot, roi de Damas (et sorcier), qui tombe amoureuse du croisé Renaud et tente de le retenir par des enchantements. Sujet omniprésent tant dans l'histoire de l'art de la scène que celle de la peinture, ce personnage a en effet inspiré J.B.Lully, Glück, Vivaldi, Haëndel, Haynd, Rossini, et Dvorak, ainsi que les peintres Boucher, Poussin, Van Dyck, Tiepolo ou Fragonard...


    Le Pavillon d'Armide (1907) - Paris découvre les Ballets Russes

    Renaud et Armide     François Boucher (1703-1770)


       L'argument ne séduisit cependant pas le Mariinski de toute évidence et fut laissé de côté jusqu'à ce que Mikhaïl Fokine alors maitre de ballet et chorégraphe aux Théâtres Impériaux le sorte de l'oubli qui le guettait...
       La direction, qui se méfiait des créations de ce réformateur aux idées nouvelles, ne le laissait s'exprimer librement qu'à l'occasion de spectacles d'élèves ou de galas de charité, et c'est pour le spectacle des élèves de l'Ecole du Ballet Impérial que celui-ci va créer entre le 15 et le 18 avril 1907 La Tapisserie Enchantée qui ne comprend qu'un seul tableau (l'actuelle scène 2) où a été inclu un passage de virtuosité pour un élève particulièrement talentueux: Vaslav Nijinsky (1889-1950).
        Le succès du spectacle est tel que le Mariinski décide finalement de s'y intéresser et de le monter avec le Ballet Impérial ce qui sera l'occasion pour Fokine de faire ses débuts de chorégraphe sur une scène où Petipa (1818-1910) était encore le seul à s'imposer. Avec le style imaginatif et personnel qui est le sien il complètera alors son oeuvre de deux tableaux, limitant toutefois son travail à un seul Acte ainsi que le commande son esthétique en réaction à la dramaturgie du ballet à grand spectacle qui occupait une soirée entière, et les décors et les costumes seront cette fois signés par Alexandre Benois (Afin de réduire au maximum le coût des ballets qu'il montait pour les galas de charité ou les spectacles d'élèves Mikhaïl Fokine et sa femme Véra bricolaient souvent eux même les costumes dans leur appartement recyclant le vestiaire d'anciennes production).
        

     

    Le Pavillon d'Armide (1907) - Paris découvre les Ballets Russes

    Projet de costume d'Alexandre Benois pour Le Pavillon d'Armide

     

        Afin sans doute de mettre le public dans l'ambiance, la revue Mir Isskoustva (Le Monde de l'Art), fondée par Diaghilev et Benois avait organisé quelques temps avant la Première une exposition présentant la série d'aquarelles que l'auteur du livret avait exécutées lors de son séjour à Paris, intitulées Dernières Promenades de Louis XIV dans le parc de Versailles, un lieu pour lequel le peintre éprouvait une véritable fascination dont le ballet, mettant en scène un XVIIIème siècle rococo et fantasmé, est effectivement un évident témoignage. 

     

    Le Pavillon d'Armide (1907) - Paris découvre les Ballets Russes

    Dernières Promenades de Louis XIV dans le Parc de Versailles - Alexandre Benois


        Tout était donc fin prêt lorsque le 25 Novembre 1907 Anna Pavlova (Armide) Pavel Gerdt (le vicomte) et Vaslav Nijinsky (l'esclave) paraissent sous les ors du Pavillon d'Armide.

     

    Le Pavillon d'Armide (1907) - Paris découvre les Ballets Russes

    Anna Pavlova et Vaslav Nijinsky  dans Le Pavillon d'Armide (1907)

     

        Le rideau s'ouvre sur le vicomte René de Beaugency qui, surpris par un orage alors qu'il se rend chez sa fiancée, trouve refuge dans le pavillon de chasse d'un mystérieux château appartenant au Marquis de Fierbois quelque peu magicien... Sur le mur une magnifique tapisserie des Gobelins représentant Armide attire son regard et le fascine étrangement, et l'atmosphère se fait encore plus troublante lorsqu'à minuit l'allégorie du Temps placée au desus de l'Horloge prend vie et que les heures se mettent à danser.

        Tandis que le vicomte s'est assoupi (scène 2), les jardins du pavillon de chasse se transforment en un lieu enchanté où apparait Armide accompagnée de sa suite et de son esclave favori. Le Marquis de Fierbois (sous les traits du roi Hydraot) pousse alors la belle magicienne à séduire le dormeur qui, sous le sortilège, devient Renaud. Une fête est célébrée en l'honneur des amants, animée par des monstres masqués, des jongleurs et des esclaves tout droit sorties du harem. Et lorsque les réjouissances se terminent, Armide abandonne dans les mains du vicomte une écharpe brodée d'or avant de s'évanouir dans le néant.

        Lorsque René de Beaugency s'éveille au matin (scène 3), il pense avoir rêvé, cependant le marquis lui montre l'écharpe abandonnée par Armide au pied de l'horloge et lui fait remarquer qu'elle ne la porte plus sur la tapisserie... Réalité ou illusion? Le spectacle se termine finalement sur une pantomime insolite.

        A l'occasion de la présentation du ballet à Paris les rôles principaux furent confiés cette fois à Vera Karalli (Armide), Tamara Karsavina (la confidente d'Armide. Elle interprétera Armide plus tard) Mikhaïl Mordkin (le vicomte), et Vaslav Nijinsky (l'esclave) qui va faire une apparition très remarquée et déclencher immédiatement l'admiration du public dès la fin de sa première variation où au lieu en effet de faire la sortie prévue en coulisse il exécute l'un de ses incroyables sauts dont il a le secret... La consécration de Nijinsky annonce la réhabilitation des danseurs et Le Pavillon d'Armide sera le premier succès d'une longue série qui fera de lui un véritable mythe.

     

    Le Pavillon d'Armide (1907) - Paris découvre les Ballets Russes

    Vaslav Nijinsky dans  Le Pavillon d'Armide (1909)

     

        Si les décors et les costumes d'Alexandre Benois en surprirent quelques uns ils furent cependant au final largement appréciés: 
        "Ceux qui étaient habitués à la fadeur maladive adoptée invariablement par les théâtres parisiens pour caractériser l'époque "rococo" trouvèrent nos couleurs trop vives, mais pour ceux qui comprenaient réellement Versailles, les porcelaines chinoises de Sèvres, les tapisseries, les appartments dorés des châteaux et l'architecture des parcs, notre Pavillon d'Armide fut une révélation".


    Le Pavillon d'Armide (1907) - Paris découvre les Ballets Russes

     Décor d'Alexandre Benois pour Le Pavillon d'Armide


        La partition de Nicolas Tcherepnine, qui dirigeait lui même l'orchestre lors de cette première légendaire, et continua à le faire pendant toute la saison, surprit également mais ravit tout autant les connaisseurs car les sceptiques qui s'attendaient à un méli-mélo réchauffé de Rimsky-Korsakov (1844-1908) et de Tchaïkovski (1840-1893) découvrirent en effet l'oeuvre merveilleusement travaillée d'un contemporain de Debussy (1862-1918) et Ravel (1875-1937), où transparait avec éclat toute sa personnalité et son âme russe.
        (Pour l'anecdote, une variation du Pavillon d'Armide sert aujourd'hui de générique à l'émission Un diner en musique diffusée sur Radio Classique le Samedi et le Dimanche soir de 19h à minuit)

     

    Le Pavillon d'Armide (1907) - Paris découvre les Ballets Russes

    Tamara Karsavina  dans Le Pavillon d'Armide

     

        Premier succès qui contribua à établir la réputation des Ballets Russes comme une compagnie d'avant-garde, Le Pavillon d'Armide sera représenté en l'honneur du couronnement du roi George V le 22 Juin 1911 à l'initiative du second marquis de Ripon qui amena la troupe de Diaghilev à Londres.
        A peu près inconnu aux yeux des spectateurs d'aujourd'hui il fut remonté en 1975 par Alexandra Danilova à la demande de John Neumeier pour les journées du ballet de Hambourg avec Zhandra Rodriguez et Mikhaïl Barychnikov. Le maitre de ballet et chorégraphe russe Nikita Dolgushin en a fait une reconstruction stylisée pour le ballet du Conservatoire de Saint-Petersbourg qu'il dirige, et John Neumeier a signé lui-même sa propre version en 2009 à l'occasion du centenaire des Ballets Russes.

        En dépit de son triomphe à Paris en 1909, Diaghilev dut faire face à quelques sérieux ennuis financiers, et un rapport fut même envoyé à la Cour de Russie pour que cet "impresario amateur" ne remette plus les pieds en France... Ce dernier qui avait l'habitude de marcher sur la corde raide s'accorda finalement heureusement avec ses créanciers pour que sa compagnie puisse donner une nouvelle série de représentations l'année suivante ce qui permit cette fois aux français de découvir avec émerveillement L'Oiseau de Feu et Schéhérazade... Mais ceci est une autre histoire...

     

     

    Le Pavillon d'Armide   Musique de Nicolas Tcherepnine    Chorégraphie de Nikita Dolgushin d'après Mikhal Fokine    Le Pas de Trois qui réunit Armide, le vicomte et l'esclave, est interprété par les membres du Ballet du Conservatoire de Saint Petersbourg et a été enregistré en 1993 à l'auditorium du Conservatoire et au palais de Peterhof (Ancienne résidence d'été des tsars).

     

     


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