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    L'Art et la danse

     (Vaslav Nijinsky (1889-1950) dans le rôle de Petrouchka (1911)

     

     

    "Ce que nous appelons notre volonté ce sont les fils qui font marcher la marionette et que Dieu tire"
                                         André Gide

      

        Après le succès de son premier ballet L'Oiseau de Feu, au début de l'été 1910, Stravinsky (1882-1971) s'établit quelques temps à Lausanne où lorsque Diaghilev (1872-1929) lui rendit visite à l'automne de la même année il lui parla d'une composition pour piano et orchestre dont il venait de terminer le premier mouvement:

        "En composant cette musique, j'avais nettement la vision d'un pantin subitement déchainé, qui par ses cascades d'arpèges diaboliques, exaspère la patience de l'orchestre, lequel à son tour lui réplique par des fanfares menaçantes". 
        Il a déjà donné un nom à sa première grande oeuvre composée hors de Russie, et l'a appelée Petrouchka...

     

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    Igor Stravinsky (1882-1971)

     

         Personnage traditionnel du théâtre de marionnettes russe depuis le XVIIIème siècle, Petrouchka (diminutif de Pyotr, Pierrot) était à l'origine un pantin au grand nez, vêtu d'une blouse rouge et d'un chapeau pointu à plumet, créé à l'image du bouffon italien de l'impératrice Anna Ionnovna, Pietro-Mira Pedrillo.
        Très voisin à ses débuts du Polichinelle de la Commedia dell'Arte, il était mêlé à des aventures humoristiques impliquant une part de violence volontairement exagérée. Cependant à mesure que ce genre de spectacle ne fut plus exclusivement destiné à un public d'adultes et attira un nombre croissant d'enfants, Petrouchka perdit peu à peu de son agressivité et devint un héros timide que sa sensibilité et son amour malheureux rapprochent davantage par certains côtés du Pierrot occidental (Bronislava Nijinska se souvient dans ses Mémoires avoir assisté à la foire de Nijni-Novgorod avec ses frères Stanislas et Vaslav alors qu'ils étaient enfants, à une représentation de marionnettes où apparaissait Petrouchka, et en avoir arrangé ensuite une version dansée devant leurs parents).

     

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    Petrouchka

     

        Immédiatement séduit par l'idée de Stravinsky, Diaghilev l'encourage à poursuivre sa création, et à la fin décembre 1910 le compositeur qui a déja terminé les deux premières scènes se rend à Saint-Petersbourg pour montrer sa musique à Michel Fokine (1880-1942) qui en sera le chorégraphe, ainsi qu'à Alexandre Benois (1870-1960) le décorateur chargé de l'exécution des décors et des costumes qui élaborera avec lui le livret dont les deux hommes se renverront constamment la paternité.
         Avec ses trois protagonistes, Petrouchka, la Poupée et le Maure, l'histoire tourne autour du trio éternel de la comédie: Pierrot, Colombine et Arlequin de la Commedia dell'Arte, le mari, la femme et l'amant dans le drame bourgeois, et l'élément important de l'imaginaire traditionnel russe est introduit avec le personnage du vieux Charlatan et le thème du sorcier qui emprisonne des êtres dans des corps non humains, ici des marionnettes. (L'une des plus célèbres versions étant le méchant Rothbart qui garde prisonnière Odette et ses consoeurs sous la forme de cygnes dans le ballet de Tchaïkovski).

        Un journaliste parisien écrivit après la Première de 1911 "C'est très à la Dostoïevsky". Il semblerait cependant que le ballet de Stravinsky se rapproche davantage de Gogol (1809-1852), s'inspirant de deux histoires:
       Le Portrait dans laquelle un peintre a vendu son âme au diable en échange d'un portrait ensorcelé, une idée qui n'est pas unique et a déjà été exploitée en 1891 par Oscar Wilde (1854-1900) avec Le Portrait de Dorian Gray, mais c'est très certainement Gogol que Benois avait à l'esprit lorsqu'il introduisit l'image du magicien dans le décor:
        "Selon mes plans, ce portrait devait jouer un rôle important dans l'action, le magicien l'avait placé là pour que Petrouchka garde toujours à l'esprit l'idée qu'il était constamment en son pouvoir".


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    Décor d'Alexandre Benois pour la Scène 2 de Petrouchka


        La fin du ballet s'inspire, elle, du Pardessus, l'histoire d'Akaky Akakievich un petit employé à qui l'on a dérobé son manteau: Lorsque celui-ci va déposer plainte, il se fait méchamment renvoyer par un fonctionnaire important (identifié souvent comme le diable), et exposé aux rigueurs de l'hiver finit par mourir de froid. Son fantôme va alors terroriser l'odieux personnage qui n'a eu aucune pitié pour lui, tout comme l'esprit de Petrouchka ira tourmenter son ancien bourreau.

     

        Que l'on y retrouve Gogol ou Dostoïevsky (1821-1881), l'intérêt de Petrouchka réside cependant ailleurs que dans la littérature, car le ballet est d'abord et avant tout de la peinture, de la musique et de la danse, une oeuvre d'art totale qui reflète la révolution qu'a voulu apporter Fokine:
        "Le ballet doit témoigner d'une unité de conception. Au dualisme traditionnel musique-danse doit être substitué l'unité absolue et harmonieuse des trois éléments musique, danse et arts plastiques" affirmait-il, insistant notamment entre autres sur la mise en conformité de tous les éléments d'un ballet:
        "Le ballet doit être mis en scène avec rigueur selon l'époque représentée" écrivit il, dénonçant les trop nombreux anachronismes qui apparemment ne choquaient personne.


         L'action se déroule ici aux environs de 1830, et sous titrée "scènes burlesques en quatre tableaux", l'oeuvre s'ouvre sur la place de l'Amirauté à Saint-Petersbourg où se déroule la grande fête populaire de la Semaine Grasse (Masleniska en russe) qui précède le Carême. Stravinsky introduit l'esthétique de foire en utilisant le principe de collages de thèmes russes mais également français, comme le célèbre "Ell'avait un' jamb' de bois" qui accompagne les deux danseuses des rues qui amusent la foule. Soudain des tambours annoncent l'arrivée d'un montreur de marionnettes, "le vieux charlatan", personnage étrange et presque inquiétant, qui captive le public. Lorsque le rideau de son petit théâtre se lève, dévoilant trois pantins, Petrouchka, une Poupée et un Maure, ceux-ci prennent réellement vie au son de sa flûte magique et quittant leur baraque se mettent à danser devant la foule ébahie.

     

     

        La seconde scène se déroule dans la chambre de Petrouchka où le magicien le propulse à coups de pieds après la représentation. Dans cette cellule austère aux couleurs sombres, le malheureux donne libre cours à son sentiment de colère envers ce sorcier qui le garde en son pouvoir et se joue de son amour pour la jolie poupée que le sinistre manipulateur introduit auprès de lui. Après le départ de cette dernière, une coquette frivole totalement insensible à ses avances pathétiques et à sa misérable condition, l'infortuné Pétrouchka retrouvant la solitude médite amèrement sur le triste rôle qu'il est condamné à jouer.
         Le rideau de la scène 3 découvre la chambre spacieuse et colorée du Maure décorée de palmiers et de fleurs exotiques dans des tons gais de rouge, vert et bleu. Ce dernier qui mène une vie beaucoup plus agréable que celle du pauvre Pétrouchka, se repose sur un confortable sofa et joue avec une noix de coco. Le mage fait alors entrer la poupée qui de toute évidence sous le charme entame une scène de séduction interrompue par l'arrivée de Pétrouchka que le maitre du jeu fait intervenir à point nommé... 
     

     

        Dans un élan de jalousie l'amoureux éconduit attaque le Maure, mais réalisant très vite qu'il est beaucoup trop faible face à lui, il prend la fuite.
       
        La scène 4 nous ramène place de l'Amirauté. C'est le soir, la neige commence à tomber sur la fête qui bat toujours son plein, et où se mêlent tour à tour des nourrices, un paysan et son ours savant, des cochers, des gitanes et des masques de toutes sortes. 

     

     

        Au milieu de ce joyeux brouhaha  Pétrouchka surgit soudain en courant du théâtre de marionnettes, poursuivi par le Maure qui brandit un sabre, et lorsque celui-ci le rattrape il le frappe mortellement.
        La foule horrifiée appelle un garde, mais le mage restaure le calme en agitant au dessus de sa tête le cadavre, qui à la surprise générale n'est plus qu'une poupée de chiffon...
       Tandis que la nuit tombe l'assistance se disperse et le magicien resté seul s'éloigne en trainant le pantin, lorsque sur le toit du petit théâtre lui apparait soudain le fantôme de Petrouchka... Terrifié, il s'enfuit alors, laissant le public démêler le réel du surnaturel...
        Selon Pierre Monteux (1875-1964) qui dirigeait l'orchestre à Paris en 1911, ce tour de passe passe final résume l'énigme Stravinsky "ce mélange insolite d'agressivité et de poésie, de familiarité et de candeur, de bonne humeur et de mélancolie".




        La Première qui eut lieu le 13 Juin 1911 à Paris au théâtre du Châtelet fut un véritable triomphe, interprété par Vaslav Nijinski (Petrouchka), Tamara Karsavina (la Poupée), Alexandre Orlov (le Maure), Enrico Cecchetti (le vieux Charlatan), et Bronislava Nijinska et Ludmilla Shollar (les danseuses des rues).

     

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    Les principaux interprètes de la Première de Petrouchka (1911)

     

        Le ballet souleva un enthousiasme considérable auprès du public même si certains gardaient encore un avis mitigé sur la musique de Stravinsky...
        Après avoir assisté à une répétition un critique avait fait cette réflexion à Diaghilev:
    " Et c'est pour nous faire entendre ça que vous nous avez invités?"
    "Exactement" rétorqua l'impresario avec sa concision habituelle...

        Martèlements rythmiques entêtés, orchestration acide et grimaçante, Petrouchka chamboule l'univers compassé du classique, y introduisant la naïveté fantasque du cirque et l'ivresse goguenarde des fêtes foraines (le thème très connu qui ouvre le dernier tableau avec la danse des nourrices a déjà été utilisé par Balakiev et Tchaïkovski).
        Propre au personnage principal, "l'accord Petrouchka" qui caractérise l'oeuvre illustrant le sentiment de malaise et de surnaturel, renferme le terrible "triton", écart de 3 tons entre deux notes (do et fa dièse par exemple) qui très redouté au Moyen-Age était considéré comme la marque du diable. Et lorsque Diaghilev et sa Compagnie allèrent à Vienne en 1913, l'orchestre philarmonique refusa carrément dans un premier temps d'interpréter la partition qu'ils qualifièrent de "vulgaire". Le public parisien fut quand à lui fasciné par cette musique qui semblait approuver le souci qu'avait la France de Fauré-Debussy-Ravel de ne plus composer selon les règles italo-germaniques, et les musicologues estimeront plus tard ce ballet de Stravinsky comme le sommet de son art, car pour la seule et unique fois le compositeur cherche à éveiller la sympathie et la compassion du public pour les souffrances du héros.

     

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    Décor d'Alexandre Benois (1911) pour la scène 1 et 4  de Petrouchka

     

       Fokine de son côté avait lui aussi fait oeuvre de novateur, mêlant adroitement la danse classique, les danses de caractère et les gestes désarticulés des pantins qui annoncent l'émergence du style néo-classique, et Petrouchka considéré grâce aux talents conjugués du compositeur, du chorégraphe et du décorateur, comme le plus parfait de toutes les créations des Ballets Russes demeura à leur répertoire jusqu'à leur dernière saison en 1929.

        Ils le redonneront à l'Opéra de Paris en 1914, et en 1948 Alexandre Benois redessine les décors et les costumes lorsque Serge Lifar (1905-1986) remonte le ballet qui à cette occasion est inscrit au Répertoire.
      (Remonté par Nicholas Beriossof puis Serge Golovine (1924-1998), Petrouchka est représenté depuis 1997 dans la version Beriossof avec les décors et les costumes de Benois).

     

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    Costumes de Petrouchka et de la Poupée (Alexandre Benois - 1948)

     

        John Neumeier pour le Ballet de Hambourg (1975 et 1995), Maurice Béjart pour le Ballet du XXème siècle (1977) ou encore Benjamin Millepied pour le Ballet de Genève (2007) proposeront des relectures de l'histoire de ce héros qui émeut le public par sa sensibilité et dont l'un des plus célèbres interprètes fut Rudolf Noureev qui, marquant le personnage de sa forte personnalité, incarna Pétrouchka pour la première fois le 24 Octobre 1963 avec le Royal Ballet, et dansa tout au long de sa carrière et dans le monde entier ce rôle qui compte parmi ses plus émouvantes compositions (Noureev interpréta Petrouchka pour la dernière fois à Naples le 15 Décembre 1990).

     

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    Rudolf Noureev (1938-1993) dans le rôle de Petrouchka

     

        Evocation de la vie et des moeurs du peuple russe à travers des scènes de foule les plus réalistes et variées jamais vues sur scène où toutes les classe de la société sont représentées, Petrouchka récapitule toute l'histoire russe où le peuple tel le héros se retrouve manipulé et humilié, démuni et solitaire sans pouvoir ni avenir.
        Rôle préféré de Nijinski, et l'une des plus belles réussites d'Alexandre Benois, Fokine jugeait ce ballet comme l'expression la plus achevée de ses idées artistiques. Fruit de cette collaboration parfaite entre un musicien, un chorégraphe et un peintre dont les noms sont devenus inséparables, Pétrouchka qui connut un succès exceptionnel n'a cessé depuis d'enchanter le public et reste inscrit à juste titre dans l'histoire du ballet comme la réussite majeure des Ballets Russes. 

     

     Petrouchka  interprété par  Rudolf Noureev (Petrouchka,) Noëlla Pontois (la Poupée), Charles Jude (le Maure), Serge Peretti (le vieux Charlatan) et le corps de ballet de l'Opéra de Paris (1976).

     

     


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    Alexandre Benois  par Léon Bakst (1866-1924)

     

     

     "Il a su tirer profit de tous les âges de l'existence, les respectant tous lorsqu'il les traversa, il ouvrit largement ses oreilles, ses yeux et son esprit à la vie et lui rendit perpétuellement hommage avec la ferveur d'un homme amoureux".
                  Peter Ustinov (1921-2004)  (petit-neveu d'Alexandre Benois).

     

        Peintre, illustrateur, décorateur, librettiste, metteur en scène et historien d'art, Alexandre Benois fait partie d'une famille d'artistes et d'intellectuels, descendants d'émigrés français et membres de l'intelligentsia de la fin du XIXème.
        Fils de Nicholas Benois (1813-1898), architecte à la cour du tsar, et de Camille Cavos, passionnée de théâtre, d'opéra et de ballet (et dont le père conçut le Marriinski), l'acteur déterminant de la création des Ballets Russes naquit à Saint Petersbourg le 4 Mai 1870 dans ce milieu prédestiné qui ne cessera d'être associé à des noms célèbres au fil des générations:


         Son frère Albert (1852-1936), de 18 ans son ainé, devint un aquarelliste renommé dont la fille, Maria, épousa le compositeur Nikolaï Tcherepnin (1873-1945).

     

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    Hêtres argentée  (1908)   Albert Benois


        Sa soeur, mariée à un sculpteur réputé, Evgueny Alexandrovitch Lanceray, sera la mère de Zinaïda Serebriakova (1884-1967) qui fut la première femme peintre russe à connaitre la notoriété. 

     

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    Autoportrait (1909)    Zinaïda Serebriakova


        Quand à son second frère, Léon, (1856-1928) au talent duquel Saint-Petersbourg doit de nombreux édifices, il est le père de Nadia  Benoit (1896-1975), artiste peintre elle aussi, qui s'établit à Londres et fut la décoratrice du Ballet Rambert et du Sadler's Wells Ballet, et la mère de l'acteur Peter Ustinov (1921-2004).


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    Cathédrale Notre-Dame   Saint- Petersbourg    (Oeuvre de Léon Benois)


        Plongé dès l'enfance dans le monde de l'art, Alexandre, sans aucun doute le plus célèbre de la fratrie, tiendra brillamment sa place dans cette famille hors du commun... Après avoir reçu ses premières leçons de dessin de son frère Albert il fréquente brièvement l'Académie d'Art de Saint-Petersbourg, et une fois ses études secondaires terminées s'inscrit en 1890 à la faculté de droit où il côtoie Sergueï de Diaghilev. Son diplôme en poche (1894) il séjourne ensuite à Paris où il prend des cours de peinture et s'intéresse tout particulièrement à l'art de l'époque du "Roi Soleil".
        Ce sera pour lui l'occasion de peindre à Versailles une série d'aquarelles originales, Les Dernières Promenades de Louis XIV, qui lors de leur exposition en 1897 sont particulièrement appréciées de Diaghilev et Léon Bakst dont il partage les idées et qu'il retrouve au cercle des "Pickwickiens".


    L'Art et la danse

    Les Dernières Promenades de Louis XIV     Alexandre Benois


        En réaction contre le positivisme dans l'art russe qu'ils estiment décadent, les trois amis vont fonder ensemble l'année suivante l'association Mir Iskousstva (Le Monde de l'Art), prônant un renouveau pictural tourné vers l'Europe et marqué par le culte de la beauté, un mouvement auquel viendront se joindre Konstantin Somov, Dmitry Filosofov et Evgueny Evguenievitch Lanceray, neveu de Benois et peintre lui aussi.

        Les "miriskuniki" se voulaient les partisans de l'art populaire traditionnel, ainsi que du "rococo" du XVIIIème, et grands admirateurs d'Antoine Watteau (1684-1721) fascinés par les masques, le carnaval, le rêve et les contes de fées, ces héritiers des pré-raphaélites feront de Venise leur ville favorite où Diaghilev et Stravinsky seront enterrés.

     

    L'Art et la danse

     Venise - Le Pont des Soupirs    Alexandre Benois

     

        En 1899 le groupe édite son magazine, auquel Alexandre Benois collabore très activement. Cependant il ne bornera pas là ses travaux d'écriture, car pendant la première décennie du XXème siècle il publie plusieurs monographies sur l'Art, dont l'une d'entre elles sera consacrée à la résidence impériale de Tsarkoïe Selo, le "Versailles Russe" non loin de Saint-Petersbourg, apparemment selon lui sans rivale:
        "Aucun Versailles ne peut se comparer avec Tsarkoïe Selo..." avait-il déclaré à son retour de Paris."

     

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    Tsarkoïe Selo

     

        A ce talent d'écrivain il ajoute très naturellement celui d'illustrateur et opère à l'époque une véritable révolution dans le monde du livre avec ses gravures pour le poème de Pouchkine (1799-1837) Le Cavalier de Bronze (inspiré par la célèbre statue équestre du tsar Pierre le Grand à Saint-Petersbourg) ou encore La Reine de Pique et Le Cavalier d'Airain, et donnera libre cours à son inspiration dans un abécédaire qui reste encore aujourd'hui un chef d'oeuvre du genre, L'Alphabet en Images.


    L'Art et la danse

    Illustration pour Le Cavalier de Bronze (1904)  Alexandre Benois

      

    L'Art et la danse

    Illustration pour L'Alphabet en Images     Alexandre Benois


         Sans abandonner pour autant son activité de peintre, l'infatigable  Alexandre Benois collabore pendant la même période à de nombreuses manifestations dont en 1904 la plus grande exposition de portraits organisée par Diaghilev qui réunit plus de 7000 toiles venues de toute la Russie.

        Mais c'est sa nomination au poste de metteur en scène au Mariinski en 1901 qui imprime véritablement un tournant décisif à sa carrière: il crée alors les décors et les costumes pour le Ballet Impérial et participe entre autres à la production des Sylphides et du Pavillon d'Armide dont il co-écrit le livret avec Fokine, une expérience qui fera de lui un passionné de cet "art total" que représente la danse.
        "Le ballet est la plus importante forme d'art qui par miracle a survécu en Russie, alors qu'elle a disparu partout ailleurs" écrit-il.

     

    L'Art et la danse

    Karsavina et Nijinsky   Les Sylphides    Costumes d'Alexandre Benois


        Porté par cet enthousiasme, c'est lui qui va convaincre Diaghilev de se tourner vers la danse lorsque celui-ci ne peut renouveler l'année suivante la tournée triomphale de concerts d'opéras russes qu'il a montée à Paris en 1908 car le tsar lui a coupé les vivres, et le célèbre décorateur écrira très justement bien des années plus tard "sans moi les Ballets Russes n'auraient jamais existé".

        La tournée parisienne de 1909 sera un triomphe et Benois s'y illustre avec la reprise des Sylphides et du Pavillon d'Armide, deux réalisations emblématiques que le public découvre dans les décors et les costumes déjà présentés au Mariinski.

     

    Le Pavillon d'Armide  Musique de Nikolaï Tcherepnine (Neveu d'Alexandre Benois) Chorégraphie de Mikhaïl Fokine. Livret de Benois et Fokine. Décors et costumes d'Alexandre Benois. Interprété par Nijinski et Anna Pavlova.  Théâtre du Châtelet- Paris   18 Mai 1909 

     

        "Ceux qui étaient habitués à la fadeur maladive adoptée invariablement par les théâtres parisiens pour caractériser l'époque Rococo trouvèrent nos couleurs trop vives et la grâce de nos danseurs trop apprêtée. Mais pour ceux qui comprenaient réellement Versailles, les porcelaines chinoises de Sèvres, les tapisseries, les appartements dorés des châteaux et l'architecture des parcs, notre Pavillon d'Armide fut une révélation. Parmi nos amis les plus enthousiastes figuraient Robert de Montesquiou et Henri de Régnier lui-même".
                                      Alexandre Benois    Souvenirs des Ballets Russes

     

    Le Pavillon d'Armide   Musique de Nikolaï Tcherepnine, chorégraphie de Nikita Dolgushin d'après Mikhaïl Fokine. Livret de Fokine et Alexandre Benois.
    Enregistré dans la salle d'Opéra du Conservatoire Rimsky-Korsakov de Saint-Petersbourg et au palais de Tsarkoïe Selo.

     

         Le succès ira encore grandissant les années suivantes et se poursuivra entre autres avec Giselle (1910) et Petrouchka (1911) considéré comme son chef d'oeuvre et dont il a rédigé le livret avec Stravinsky (Il réécrira également entièrement celui du Coq d'Or en 1914).


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    Giselle  (1910)   Décor d'Alexandre Benois

     

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    Petrouchka (1911)    Décor d'Alexandre Benois


       Cependant, Alexandre Benois ne réservera pas ses productions aux seuls Ballets Russes et sera également le principal décorateur du Théâtre d'Art de Moscou, mais lorsqu'en 1917 survient la tourments de la révolution, obligé d'abandonner la scène pour un temps il se tourne alors essentiellement vers ses activités d'historien de l'art et devient un véritable expert de la période de Pierre le Grand, Elisabeth et la Grande Catherine.
        La notoriété que lui valurent ces travaux de recherche le firent nommer, lorsque l'ordre fut rétabli, curateur de la galerie des "Grands Maitres" au musée de l'Ermitage à Saint-Petersbourg, où il s'acquitta de cette charge de 1918 à 1926.
        C'est à cette occasion qu'il permit au musée d'acquérir une madonne de Léonard de Vinci qui faisait partie d'un héritage que son frère Léon détenait de sa belle-famille, et la toile, que l'on estime être le premier travail exécuté par Léonard de Vinci comme peintre indépendant de son maitre Andréa del Verrochio, reçut alors en entrant au musée le nom qu'elle porte encore aujourd'hui: la "Madonne Benois" (1478).

     

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    "La Madonne Benois" (1478)      Léonard de Vinci (1452-1519)

     

        En 1926 l'artiste aux multiples talents décide de quitter la Russie soviétique et se fixe définitivement à Paris où il travaille avec Diaghilev et Stravinsky et collabore de même avec Ida Rubinstein, l'Opéra privé russe de Paris, le ballet de Monte Carlo, la Comédie Française, l'Opéra Comique et la Scala de Milan où son fils Nikolaï (1901-1988) sera plus tard décorateur.
         Cet infatigable créateur continue également à participer avec ses toiles à d'innombrables expositions en Europe, et n'abandonnant pas non plus ses travaux d'écriture, publie en 1941 Souvenirs des Ballets Russes puis rédige ensuite ses Mémoires qui voient le jour en 1955. Mais la mort mettra un terme à cette activité débordante et viendra le surprendre le 9 Février 1960 à Paris où il repose au cimetière des Batignoles.

     

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    Saint- Petersbourg         Alexandre Benois (1870-1960)

     

        Créé en son honneur en 1991 par l'Association internationale de la danse à Moscou, le Prix Benois de la danse est décerné chaque année aux environs de la date anniversaire de la naissance du peintre. Les membres du jury sont choisis parmi les artistes les plus compétents dans le domaine du ballet, et les statuettes qui couronnent le succès des lauréats de chaque discipline: ballerine, danseur, chorégraphe, compositeur et metteur en scène, ont été symboliquement conçues par le sculpteur Igor Ustinov, fils de Peter Ustinov et arrière petit-neveu d'Alexandre Benois.

     

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    Juri Grigorovich remet son prix à Carolyn Carlson (1997)

     (Parmi les nombreux lauréats figurent entre autres, Alicia Alonso, Aurélie Dupont, Natalia Ossipova, Alessandra Ferrari, Mikhaïl Barychnikov, Maurice Béjart, Mathieu Ganio ou Carlos Acosta.)

     

        Artiste dans le vrai sens du terme, Alexandre Benois vécut, créa et célébra l'Art sur et en dehors de la scène, auteur d'une centaine de livres, peintre de talent ou créateur des décors et des costumes de plus de 200 ballets et opéras dans le monde...
        Une carrière auréolée de succès, et lorsqu'il participa au Napoléon d'Abel Gance (1927), l'un des derniers films muets français, dont il fut le chef décorateur, il ne se déclara pas apparemment très satisfait du résultat car il écrivit rageusement au dos de l'un de ses dessins préparatoires:
        " Cette scène a été gâchée par les prétendues exigences du cinéma"...

        Une constatation sans aucun doute très frustrante pour celui qui, avec certainement une grande exigence envers lui-même fit autant de choses et les fit aussi bien...

     

         "L'idéal de la vie n'est pas l'espoir de devenir parfait, c'est la volonté d'être toujours le meilleur"
                           Ralph Waldo Emerson (1803-1882) 

     

     Petrouchka (Scène 1)  Musique d'Igor Stravinsky.  Chorégraphie de Mikhaïl Fokine.  Décors et Costumes d'Alexandre Benois.
    Interprété par Rudolf Noureev (Petrouchka), Denise Jackson (la ballerine), Christian Holder (le Maure) et Gary Chryst (le magicien).

     


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    Lincoln Center for the performing Arts (New-York)  Le Metropolitan Opera 

     

        

          Située sur la 14ème rue, l'Academy of Music qui ouvrit ses portes le 2 Octobre 1854 et que le New-York Times décrivit comme un "triomphe" dans le domaine de l'acoustique mais "une véritable catastrophe" dans celui de l'architecture, était au XIXème siècle le seul opéra de la ville que l'éditeur du New-York Tribune et fondateur du parti républicain, Horace Greeley (1811-1872) n'affectionna pas particulièrement non plus, allant même jusqu'à s'enquérir de la somme à payer pour le faire incendier et ajoutant: "Si le prix est raisonnable, faites le et envoyez moi la note..."


    L'Art et la danse

     Academy of Music- 14th Street  (1859)


        Lieu de rendez vous de la haute société new-yorkaise qui y imposait des règles subtiles que la romancière Edith Wharton (1862-1937) décrit avec finesse dans son roman The Age of Innocence (Le temps de l'Innocence - 1920), l'Academy of Music était le domaine des plus anciennes familles qui avaient accès aux meilleures loges d'où l'on pouvait le mieux voir et être vu, les nouveaux riches de l'époque, les Morgan, Astor ou Vanderbilt n'y ayant pas leur place; et en 1883, lassés de telles brimades, ces derniers décidèrent d'un commun accord de financer la création d'un nouvel opéra, le premier Metropolitan Opera de New-York.

        L'aventure débute très exactement le 22 Octobre 1883 lorsqu'au 1411 Broadway, sur un terrain occupant tout l'espace entre la 39ème et la 40ème rue, est inauguré "The yellow brick brewery" ("La brasserie en briques jaunes") surnom que s'acquit l'édifice par l'aspect industriel de son architecture extérieure.
        L'oeuvre de Josiah Cleveland Cady (1837-1919), ornée d'arcades est bientôt flanquée par deux tours qui viennent offrir non seulement de l'espace supplémentaire, mais également des revenus avec leurs bureaux que le théâtre met en location.

     

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    Metropolitan Opera -   Broadway  (1905) 

     

        Officiellement inauguré avec une représentation du Faust de Gounod, le Metropolitan Opera est détruit par un incendie le 27 Août 1892, entrainant l'annulation de la saison tandis que les lieux seront réhabilités sur leur site d'origine.
        Mais ce sont les architectes Carrère et Hastings qui lors d'une campagne de rénovation donnent en 1903 à la salle son aspect légendaire avec son rideau en satin damassé doré et les noms des six compositeurs inscrits sur l'avant-scène: Gluck, Mozart, Beethoven, Wagner, Gounod et Verdi. Le dernier changement majeur y sera finalement apporté en 1940, lorsque la propriété de l'Opéra, échappant aux riches familles qui occupaient les loges privées, revient à la gestion du Metropolitan Opera (le Met) qui convertit le second balcon de loges en rangées de fauteuils afin d'augmenter la capacité d'accueil et que seul subsiste alors le premier balcon du "golden horseshoe" ("fer à cheval doré") comme vitrine de la haute société...

     

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    L'ancien Metropolitan Opera -  New-York

     

        Si le théâtre était réputé pour son excellente acoustique et l'élégance de son intérieur, l'aménagement des coulisses se montra très vite inadapté à des productions importantes, et il n'était pas rare de voir régulièrement appuyés contre le bâtiment le long de la 39ème rue, des éléments de décors que les machinistes venaient chercher pendant le spectacle.

        Divers plan furent élaborés afin d'offrir une nouvelle résidence à l'opéra, et plusieurs architectes dont Joseph Urban avancèrent différents projets. Parmi les sites proposés figurèrent Colombus Circle (le lieu d'où sont mesurées toutes les distances à partir de New-York), ou encore le Rockfeller Center, dont l'Opéra aurait constitué le noyau principal.

         Aucune de ces études ne fut cependant retenue, et c'est la construction du Lincoln Center for the Performing Arts qui permit la construction d'un Opéra moderne.
        C'est en 1955, alors que la Juilliard School et le New York Philarmonic étaient également à la recherche de nouveaux locaux que l'on parla pour la première fois de créer un grand centre culturel pour l'opéra, le théâtre et le ballet. Dans cette optique, John Davison Rockefeller III (1906-1978) institua en 1956 une commission qui amena la ville à acheter un terrain de quelques cinq hectares dans le sud de l'Upper West Side, un secteur en décrépitude alors principalement composé d'immeubles désaffectés et de hangars.

        Le plan de rénovation fut confié au célèbre urbaniste Robert Moses (1888-1981), le "Baron Haussmann" américain à qui l'on doit une grande partie de la conception urbaine de New-York, et l'ensemble qui s'étend aujourd'hui sur 6 hectares entre Broadway et Amsterdam Avenue (fondée par une poignée de colons hollandais, New-York s'appela à l'origine New-Amsterdam) reçut le nom du quartier, Lincoln Square.
        A l'époque de la création du district, en 1906, la municipalité s'était appliquée à expliquer largement que ce patronyme était celui de l'un des propriétaires à qui avaient été achetés les terrains... Cependant aucun document d'archive ne fait mention d'un quelconque monsieur Lincoln parmi ces transactions... et l'on s'accorde à penser qu'il s'agissait en l'occurrence d'un pieux mensonge destiné à ne pas contrarier le maire d'alors, George Brinton Mc.Clellan Jr. (1865-1940), dont le père, général en chef de l'armée des Confédérés pendant la Guerre de Sécession avait été un farouche rival d'Abraham Lincoln!.. Il est donc possible de penser très raisonnablement que ce choix du nom de Lincoln dont l'origine n'a jamais été officiellement reconnue est bien en réalité un hommage a l'ancien président des Etats Unis...

     

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     Abraham Lincoln (1809-1865)
    "De même que je refuse d'être un esclave, je refuse d'être un maitre". 


        Le "vieux Met" ferma définitivement ses portes le 16 Avril 1966 lors d'un dernier gala, et en dépit d'une campagne de sauvegarde les lieux ne réussirent pas à être classés monuments historiques et furent rasés l'année suivante, remplacés par un immeuble de bureaux destinés à fournir des revenus réguliers au théâtre qui s'élève aujourd'hui au coeur du Lincoln Center.
        Oeuvre de l'architecte Wallace K.Harrison (1895-1981) qui conçut également le siège des Nations Unies, le bâtiment doté d'une colonnade de cinq arches stylisées en marbre blanc et d'une façade en verre formée de rectangles irréguliers occupe le fond de la Lincoln Center Plaza ornée en son centre d'une fontaine en marbre noir, laquelle présente depuis les récentes rénovations un véritable show chorégraphié par la même compagnie qui mit en place les légendaires fontaines du Bellagio à Las Vegas et dont le final a de quoi surprendre le spectateur si l'eau n'est pas son élément favori...

     

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        Le Met s'enorgueillit tout particulièrement de magnifiques lustres en étoiles en cristal autrichien et de sculptures de Maillol (1861-1944)

     

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        ainsi que, joyaux du hall d'entrée, deux oeuvres monumentales de Marc Chagall (1887-1985): Les Sources de la Musique et Le Triomphe de la Musique. Ce dernier croyait, disait-il en "Dieu, Mozart et la couleur"... Mais le directeur du Met croyant, lui, en Mozart, Chagall et le tiroir-caisse a donné les célèbres mosaïques en gage afin d'obtenir en 2009 un prêt important...

     

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    Marc Chagall au Met devant ses mosaïques 

     

        La salle fut inaugurée le 16 Septembre 1966 avec la première mondiale d'Anthony et Cleopatra de Samuel Barber (1910-1981, célèbre pour son Agnus Dei utilisé pour les funérailles d'Etat et les services commémoratifs publics des Etats Unis), et arborant toujours le légendaire rideau or en soie damassée le plus grand du monde, peut recevoir près de 4000 spectateurs.

     

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    Metropolitan Opera - Le rideau de scène.  

     

        Lorsque la saison lyrique est terminée, les spectacles d'opéra font place aux compagnies de ballets étrangères en tournée ainsi qu'aux productions de l'une des trois grandes compagnies américaines, l'American Ballet Theater (ABT) fondé en 1937 par Lucia Chase (1907-1986) qui s'est donné pour vocation première de reprendre et de remonter les grands ballets classiques sur le sol américain, une politique qui prit véritablement de l'ampleur en 1980 avec la nomination au poste de directeur artistique de Mikhaïl Baryshnikov (1948- ). Première compagnie américaine à se produire en Union Soviétique en 1960, l'ABT possède aujourd'hui à son répertoire des oeuvres de Fokine, Massine, Nijinska, Balanchine, Antony Tudor et Alvin Ailey.


    Michele Wiles et David Hallberg de l'ABT interprètent un extrait du Grand Pas Classique.

     

          Fermant la Plaza sur le côté Nord, s'élève à la droite du Met, l'Avery Fisher Hall qui accueille le célèbre New-York Philarmonic et s'enorgueillit d'un orgue impressionnant de 5500 tuyaux (mais dont par contre l'acoustique de la salle était au départ tellement mauvaise qu'aucun orchestre de passage ne voulait y jouer). D'inspiration néo-classique comme le reste des bâtiments il fait face au David Hamilton Koch Theater qui occupe le bord Sud de l'esplanade et fut spécialement aménagé selon les désirs de George Balanchine pour être le lieu de résidence du New-York City Ballet (les lieux accueillent également le New-York City Opera).

     

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    Lincoln Center Plaza avec au centre le Metropolitan Opera, l'Avery Fisher Hall à droite et le David Hamilton Koch Theater à gauche.

     

        Dessiné par l'architecte Philip Johnson (1906-2005), le David Hamilton Koch Theater, dont le foyer est orné d'une immense peinture murale de Jasper Johns (1930- ), Numbers-1964, et le plafond de la galerie au premier étage décoré à la feuille d'or, ouvrit ses portes le 23 Avril 1964 et s'appelait à l'origine The New-York State Theater. Mais en Juillet 2008, le philanthrope milliardaire David Hamilton Koch offrit 100 millions de dollars pour sa rénovation et son entretien, et demanda en échange que le théâtre porte son nom pendant 50 ans... Après quoi il sera rebaptisé, la famille gardant toutefois le droit de refuser un nom qui ne lui conviendrait pas...

     

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     David Hamilton Koch Theater  - L'atrium

     

        Le New-York City Ballet, la compagnie résidenteest né du rêve d'un homme, Lincoln Kirstein (1907-1996), dont l'ambition était de créer un corps de ballet essentiellement américain, avec de jeunes danseurs formés à exécuter un répertoire moderne, et lorsqu'il rencontre George Balanchine (1904-1983) à Londres en 1933, il sait qu'il a trouvé l'homme de la situation.

     

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    Lincoln Kirstein (à gauche) et George Balanchine (à droite)  - 1933

     

        Cependant le projet ne se concrétisera pas immédiatement car au milieu de diverse difficultés plusieurs compagnies seront consécutivement formées et dissoutes, et la Première Guerre Mondiale mettra momentanément un terme à leurs efforts. The Ballet Society voit enfin le jour dès la fin des hostilités et portera bientôt son nom définitif de New-York City Ballet lorsqu'il s'établit au New-York City Center (1948-1966). En 1948 Balanchine invitera Jerome Robbins à l'assister, puis ce dernier partagera ensuite la direction avec Peter Martins qui depuis 1990 est le seul responsable.

        Le New-York City Ballet (NYCB) a dans son répertoire quelques 150 oeuvres principalement chorégraphiées par George Balanchine dont il préserve les idéaux avec sa troupe de 90 danseurs, la plus importante d'Amérique, tous issus de l'école officielle du NYCB, The School of American Ballet (S.A.B.) également située au Lincoln Center dans le Samuel B. and David Rose Building. 

     

    Extrait du DVD "Bringing Balanchine back", récit de la tournée des héritiers spirituels de George Balanchine à St. Petersbourg en 2003, à l'occasion du tricentenaire de la fondation de la ville où le père du NYCB découvrit la danse.

     

        Construit pour réhabiliter le quartier de l'Upper West Side qui, malgré la proximité de Central Park n'avait rien de son vis à vis huppé côté Est et que sa décrépitude fit choisir comme cadre du tournage du célèbre film West Side Story, le Lincoln Center for the Performing Arts fut longtemps décrié par certains au moment de sa construction. Mais comme l'avaient très judicieusement prévu ses concepteurs, le complexe qui réunit aujourd'hui le long de Columbus Avenue douze organisations et dix-neuf salles de spectacle, est devenu l'un des centres les plus importants consacrés aux arts de la scène et, dédié à l'excellence, se classe parmi les leaders dans le monde de la culture.

     

     "O mio babbino caro" (Puccini)  Interprété par Renata Tebaldi (1922-2004)

      


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    Pierina Legnani dans Le Petit Cheval Bossu (Saint-Léon/Pugni)

     

        La carrière de Pierina Legnani née à Milan le 30 Septembre 1863 débute à l'école de la Scala où ses dons particuliers ajoutés à ses qualités de travailleuse acharnée lui permettent de se hisser très vite parmi les meilleures. Elève de Cesare Coppini (dont elle consigna tous les cours par écrit) puis de Caterina Beretta (1839-1911), et formée dans la tradition de Carlo Blasis (1797-1878) qui permit aux danseurs italiens d'être techniquement beaucoup plus avancés que les français ou les russes de l'époque, Pierina Legnani parait pour la première fois sur la scène de la Scala en 1888 dans le rôle de Nunziatella d'Amadriade de Danesi.

     

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    Teatro alla Scala    Milan
      

        Dès 1890 sa virtuosité et sa technique font sensation et éblouissent l'Europe, et après avoir interprété au théâtre de l'Eden à Paris le ballet de Luigi Manzotti (1835-1905), Rolla, elle parait à Londres à l'Alhambra Theatre dans l'Aladdin de Coppé, déclarant à cette occasion à des admirateurs stupéfaits par son travail de pointes qu'elle était capable d'exécuter trente deux fouettés en tournant... 
        A son retour à la Scala elle est nommée Prima Ballerina, et à peine arrivée reçoit une invitation des Théâtres Impériaux de Russie... Invitation à laquelle la ballerine milanaise croit répondre pour une saison...  Elle va y séjourner en réalité près de 10 ans...

     

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    Le Théâtre Mariinski (St. Petersbourg) dans les années 1890 

     

        La rencontre avec Marius Petipa est décisive. Ce dernier venait de remonter au Mariinski un ballet, Satanella ou le diable amoureux, que les caricaturistes de l'époque avaient surnommé "le diable boiteux" vu le nombre de chutes que l'on dénombrait dans les représentations (jusqu'à 25 certains soirs...), et lorsqu'il fait la connaissance de la virtuose incomparable qu'est la jeune Pierina Legnani, débute une collaboration privilégiée à travers laquelle s'épanouiront véritablement leurs qualités artistiques, chacun s'élevant à la juste mesure du talent de l'autre.

     

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    Marius Petipa (1818-1910) 

     

        Petipa qui à l'époque essaye de remonter des oeuvres romantiques comprend alors qu'il leur manque quelquechose, et comme l'exprime Tamara Karsavina (1885-1978) dans sa biographie, l'étoile milanaise fera le lien entre l'école italienne: Carlo Blasis (1797-1878), Enrico Cecchetti (1850-1928), et l'école russe pour aboutir à une fusion entre technicité et lyrisme:
        "les traditions de danse des maitres français avaient été jusque là la seule forme d'enseignement admise. Maintenant, à la réunion annuelle des professeurs, on avait décidé de créer parallèlement une classe de danse selon les méthodes italiennes. Cette idée était peut-être suggérée par la virtuosité prodigieuse de Pierina Legnani".

        De son côté, en très grande professionnelle, celle-ci ne cessera d'enrichir son bagage et de continuer à étudier auprès des maitres tels que Sergueï Legat (1875-1905) ou encore Christian Johannson (1817-1903), afin d'acquérir le lyrisme du style russe. Elle arrivera à interpréter parfaitement les danses de caractère slaves, et lorsque s'achève  Le Petit Cheval Bossu de Saint-Léon (1821-1870) repris par Petipa, la salle est debout et l'applaudit à tout rompre.

     

                          Le Petit Cheval Bossu   Acte III- Final
    Chorégraphie de Marius Petipa d'après Arthur Saint Léon. Musique de Cesare Pugni. Interprété par Maïa Plissetskaïa et Vladimir Vassiliev.

     

        Le chorégraphe du Mariinski  considèrera d'ailleurs constamment Pierina Legnani comme la meilleure danseuse d'Europe, et crée à son intention le titre de Prima Ballerina Assoluta qu'il lui confère dès 1893... Mais qu'il se voit obligé d'accorder également à Mathilde Kschessinskaïa (1872-1971) afin de ménager les influents protecteurs de cette dernière...(les deux seules ballerines soviétiques à obtenir le titre par la suite seront Galina Ulanova (1910-1998) et Maïa Plissetskaïa (1925- )
        Quoi qu'il en soit, c'est à Pierina Legnani que Marius Petipa résevera la majorité de ses créations: Cendrillon (1893), Le Talisman (1895), La Perle (1896), La Halte de Cavallerie (1896), Raymonda (1898) ou encore Les Ruses d'Amour (1900).

     

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    Pierina Legnani dans le rôle de Cendrillon 

     

       Et, lorsqu'après l'échec de la chorégraphie de Reisinger en 1877, il remonte en 1895 Le Lac des Cygnes de son ami Tchaïkovski qui vient de mourir, c'est encore à sa ballerine favorite que Petipa confie le premier rôle, et le compositeur Riccardo Drigo va écrire pour elle la Coda du Pas de deux du Cygne Noir à l'Acte III afin d'introduire dans la chorégraphie les célèbres trente deux fouettés en tournant, que la ballerine avait précédemment exécutés dans Cendrillon et La Tulipe de Harlem.
        Quoi qu'elle fasse, le public lui réclamait ce morceau de bravoure, et la légende raconte que la pointe de sa jambe d'appui ne sortait pas d'un cercle qui avait été préalablement tracé à la craie sur le sol autour d'une pièce d'un rouble... Tamara Karsavina relate ainsi cet exercice de virtuose:

        "Un de ses tours de force était les "32 fouettés". D'autres danseuses l'ont imitée depuis, mais alors elle était la seule à pouvoir le faire. Ce pas ressemblait assez à un numéro d'acrobate et sentait un peu le cirque par la pause délibérée qui le précédait. Legnani marchait jusqu'au milieu de la scène et se préparait ostensiblement à son tour. Le chef d'orchestre attendait, baguette levée. Soudain, une cascade de pirouettes vertigineuses, merveilleuses de précision, brillantes comme les facettes d'un diamant, ravissait toute l'assistance. Théoriquement une exhibition de simples acrobaties était incompatible avec la pureté du style, mais ce tour de force, tel qu'elle l'accomplissait, avait quelque chose d'héroïque dans sa folle audace et réduisait la critique au silence. Toutes les élèves, petites ou grandes, essayaient continuellement de faire les "32 tours". Nous tournions dans les salles de danse, nous tournions dans le réfectoire, nous tournions dans le dortoir, perdant l'équilibre après quelques essais et recommençant aussitôt".
        (Il faudra attendre le début du siècle suivant pour voir Mathilde Kschessinskaïa égaler la performance. Les fouettés s'exécutent de nos jours couramment seize fois de suite, les étoiles en font trente deux, et l'on cite le cas de la danseuse américaine d'origine croate Mia Slavenska (1916-2002) étoile des Ballets Russes de Monte Carlo et du Metropolitan Opera Ballet, qui en faisait soixante quatre...)

     

    Le Lac de Cygnes (Acte III)  Margot Fonteyn et Rudolf Noureev
    (Pour les pointilleux le compte des fouettés n'y est pas exactement...)

     

        Pierina Legnani pour qui fut créé le double rôle du Cygne blanc et du Cygne noir afin de mettre en valeur sa virtuosité (dans la version d'origine il était dévolu à deux danseuses différentes), avait pour l'occasion Pavel Gerdt (1844-1917) comme partenaire, lequel venait de passer la cinquantaine, un état de chose qui laisse à penser que c'est la raison pour laquelle tous les pas de deux de l'époque ont été chorégraphiés pour trois... avec l'introduction d'un "ami" de Siegfried qui en prenant le relais de temps en temps permettait au prince de reprendre son souffle... C'est le jeune Nikolaï Legat (1869-1937), alors âgé de 26 ans qui épaulait Gerdt, et lorsqu'il reprit lui-même le rôle de Siegfried et qu'il demanda à être débarrassé de "l'ami" il s'attira alors de fort méchantes critiques.

     

    L'Art et la danse

     Pierina Legnani dans Le Lac des Cygnes

     

        Après le départ à la retraite de Pavel Gerdt, Nikolaï Legat devint le partenaire quasi attitré de Pierina Legnani, avec qui il devint très ami, la rencontrant souvent chez sa propre grande tante Sophie où elle prenait pension. Cette dernière possédait en effet un très grand appartement et louait des chambres aux "artistes invités". Pierina prenait la "pension complète", ce qui comprenait de succulents petits plats mijotés par le mari italien de Sophie et de longues soirées passées à converser avec Nikolaï, et celui-ci écrira dans ses Mémoires:
        "Mon père m'a dit plus d'une fois qu'il aurait été heureux que je l'épouse, mais je ressentais seulement de la sympathie envers Legnani, et je n'aurais jamais pu l'imaginer comme ma femme, elle avait sept ou huit ans de plus que moi".


    L'Art et la danse

    Pierina Legnani/Medora et Olga Preobrajenska/Gulnare dans la scène du Jardin Animé du Corsaire.


        Pierina Legnani n'était pas particulièrement belle, Tamara Karsavina ira même jusqu'à dire "Elle n'était pas jolie du tout, et un peu petite" (elle avait en fait des jambes assez courtes), mais elle avait par contre infiniment de grâce et de charme, et sa nature agréable et enjouée la rendit très populaire au sein de la société de St. Petersbourg.
        Hormis Kschessinskaïa, sa rivale, tous ses collègues conçurent de l'affection à son égard, car celle que tous considéraient comme la plus grande professionnelle de l'époque, adorée du public, ne fit jamais preuve de la moindre prétention et sut toujours se faire apprécier de son entourage.
        "Dès qu'elle parut à St.Petersbourg, cette danseuse italienne conquit tous les coeurs et je ne crois pas que nos danseurs aient éprouvé de jalousie réelle envers elle" écrit encore Tamara Karsavina.
         D'autres parts, à la différence de certaines de ses collègues, Pierina Legnani ne fut jamais mêlée à de quelconques intrigues ou autres aventures scandaleuses, et se consacra entièrement à son art, pour lequel sa technique parfaite et son brio lui permirent d'affronter avec maestria les difficultés les plus compliquées.


        La Prima Ballerina Assoluta fait ses adieux à la scène le 28 Janvier 1901, dans La Camargo, où elle interprète aux côtés de Sergueï Legat la légendaire danseuse, avec sa virtuosité habituelle malgré l'encombrant costume orné de roses inspiré par la célèbre toile de Lancret. L'étoile n'avait à cette époque là plus rien à prouver et peu lui importait sans doute les aléas de la robe... Car c'est la même Legnani qui quelques dix années auparavant avait fait un mini-scandale au sujet d'un costume qu'elle jugeait beaucoup trop long car il cachait son jeu de jambes, déclarant formellement qu'elle ne danserait pas avec le tutu de sa grand mère (ce qu'elle fit d'ailleurs pour le plus grand plaisir du public).

     

    L'Art et la danse

    Pierina Legnani dans le rôle de La Camargo 


        Lorsque Mathilde Kschessinskaïa reprit le rôle en Avril après le départ de Legnani, c'est elle par contre qui refusera de porter la robe volumineuse dessinée pour la danseuse italienne, et malgré les ukases de la direction enlèvera les crinolines... Elle sera pour cela condamnée à une amende dont elle ne s'acquittera pas, ayant fait intervenir qui de droit en hauts lieux (et comme ce directeur était par trop contrariant elle finira par le faire renvoyer)

     

    Tableau de Nicolas Lancret (1690-1743)  "La Camargo"
    Madrigal de Thomas Morley (1557-1602) interprété par The King's Singers. 

     

        De retour en Italie, Pierina Legnani vécut à Pognana Lario (Lombardie), sur les bords du lac de Côme où elle s'occupa de sa mère malade, mais n'abandonna cependant pas complètement ses activités, car elle fit partie quasiment jusqu'à sa mort du jury d'examens de la Scala, avec Cecchetti, Beretta et Virginia Zucchi.

       La première Odile/Odette du Lac des Cygnes est l'une des dernières représentantes de l'école milanaise, d'où sont sorties des danseuses illustres comme Fanny Cerrito, Carlotta Grisi, Amalia Ferrari, Claudina Cucchi et Virginia Zucchi, et son nom reste inscrit dans l'histoire de la danse comme le mythe de la ballerine italienne qui a exporté la virtuosité, l'unissant à la grâce, la beauté et l'émotion.
        Décédée le 15 Novembre 1930, elle repose à Pognana Lario auprès des siens sur les rives de ce lac de Côme qu'elle a tant aimé.

     

    Le Lac de Côme (Lombardie)
    Musique de Giselle Galos   Nocturne N°6  "Il lago di Como"



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