• Quand un danseur était Roi...

      

    Ballet de la lune


         Le ballet de Cour, divertissement importé d'Italie et dont l'ancêtre le plus célèbre fut Le Ballet Comique de la Reine (1581) patronné par Catherine de Médicis, atteignit son apogée pendant le règne de Louis XIV (1638-1715).

        La danse faisait partie, à l'époque, des connaissances de base de tout gentilhomme au même titre que l'escrime ou l'équitation, et le jeune roi, svelte et gracieux, y montra très tôt de réelles dispositions. Dés l'age de 7 ans il travaillait déjà quotidiennement avec les maitres à danser Prevost puis Regnault, et perfectionna plus tard sa technique avec Pierre Beauchamp. (Son nom est d'ailleurs resté associé à l'entrechat royal, l'entrechat 5, qu'il exécutait parait-il à merveille). Il avait à peine 13 ans lorsqu'il fit ses débuts de danseur dans Le Ballet de Cassandre, et à 15 ans incarna le soleil levant dans Le Ballet de la Nuit (1653).

        C'est un nouveau venu à la Cour qui en avait composé la musique: Jean Baptiste Lully (1632-1687), fils d'un meunier de Florence. Engagé d'abord comme danseur, ses dons à la fois pour la danse et pour la musique firent grande impression auprès du souverain, ce qui lui valut rapidement la charge de compositeur pour Les Vingt-Quatre Violons du Roi, l'orchestre qui jouait aux bals, diners et concerts.



        Il se trouvait que parmi les musiciens de l'orchestre l'un d'eux avait un fils doué d'un talent exceptionnel que remarqua aussitôt Lully: Pierre Beauchamp, la personnalité la plus marquante du siècle dans l'univers chorégraphique, avec qui il créa, en collaboration avec le poète Benserade et les décorateurs Giacomo Torelli et Carlo Vigarani, la plupart des ballets qui furent présentés dans les décennies à venir.
        Le ballet de Cour est un genre qui mêle à la fois intimemment récit, danse et musique. Très colorié et varié, il reflète toutefois, sous le couvert de la mythologie, thème de prédilection, la vie de la Cour avec ses évènements marquants et ses intrigues.... Chaque année voyait naître de nouvelles créations avec pour personnage central le roi, transmettant à dessein le message politique de son autorité absolue.
        Au fil du temps, le monarque dont la silhouette s'était épaissie et qui était de plus en plus accaparé par les affaires de l'Etat, cessa cependant d'y paraitre. Mais, privé de son but principal et réduit à n'être qu'un simple divertissement, le ballet de Cour n'en perdit pas son prestige pour autant grâce à la réunion de ces deux talents remarquables qu'étaient Lully et Beauchamp, et que vint rejoindre Molière (1622-1673).

        En 1661, Louis XIV avait été invité par Fouquet au château de Vaux-le-Vicomte pour assister à la création des Facheux.
        Connaissant la passion du roi pour la danse, Molière avait imaginé de joindre à sa pièce quelques divertissements dansés et ce fut une réussite... Molière reçut l'ordre du roi de présenter à nouveau  Les Facheux à Fontainebleau... alors que le luxe ostentatoire affiché par Fouquet ce jour là lui vaudra de tomber en disgrâce et d'être emprisonné...
       Ce fut la naissance de la comédie-ballet qui devint rapidement le spectacle préféré du monarque. De nombreuses commandes s'en suivirent et en collaboration avec Beauchamp et Lully, Molière créa, entr'autres, Monsieur de Pourceaugnac en 1669, Le Bourgeois Gentilhommme en 1670 et Le Malade Imaginaire en 1673. Mais lorsqu'il disparut cette même année la comédie-ballet mourut avec lui car le genre ne lui survécut pas (Maurice Béjart lui rendit hommage en 1976 avec Le Molière Imaginaire).

     


        Afin d'assurer le développement de cet art de la danse qui lui tenait particulièrement à coeur, Louis XIV fonda en 1661 l'Académie Royale de Danse (avant même de fonder l'Académie Royale des Inscriptions et Belles Lettres en 1663 ou l'Académie des Sciences en 1666) dont firent partie treize maitres à danser choisis parmi les meilleurs (cénacle trop fermé, l'Académie de Danse cessa d'exister en 1780)

        Rares étaient, à l'époque, les danseurs professionels car ils n'avaient aucun statut, et peu d"entre eux participaient aux spectacles de la Cour. Aux côtés du Roi et de Lully, paraissait au contraire une majorité de courtisans plus ou moins doués,dont le niveau des prestations rendait évident le fait que pour accroitre le prestige du ballet il fallait en relever le niveau d'exécution... Il était nécessaire d'organiser une vraie formation au métier de la danse et de le faire reconnaitre comme tel (il arrivait parfois que le maitre à danser soit aussi le maitre d"armes...).

        C'est ce que fit le monarque en 1672 lorsqu'il apposa sa signature sur un parchemin autorisant Lully à fonder une Académie Royale de Musique qui prit plus tard le nom de Théatre National de l'Opéra, et dont les deux directeurs, Fraicine et Dumont, furent chargés de recruter dans les familles pauvres garçons et filles de 9 à 13 ans pour "leur apprendre gratuitement le métier", posant ainsi les bases de l'actuelle école de danse.

        Ce nouvel Opéra avait évidement besoin d'une troupe, mais s' il fut relativement facile de trouver des chanteurs de niveau professionel il y avait pénurie de danseurs... Même avec les privilèges qui leur permettaient de paraître dans des opéras sans déchoir de leur rang, les courtisans qui avaient participé aux ballets de Cour n'étaient pas intéréssés et l'on recruta les danseurs masculins parmi les élèves des maitres à danser. La difficulté s'accrut encore lorsqu'il s'agit de danseuses car aucune des professionelles qui avaient paru à la Cour n'ayant été admise dans la troupe il en résulta que pendant les dix premières années les rôles féminins furent dansés par des travestis.

        Subterfuge que le port du masque rendit cependant moins manifeste...  Car le masque était resté, et ce jusqu'à la seconde moitié du siècle, l'accessoire presque obligatoire du costume du danseur masculin, à l'effigie du dieu, ou du personnage qu'il représentait.
        Puisque le texte, parlé ou chanté, raccontait l'histoire, il était inutile de  recourir au mime et, sans avoir à traduire d'expressions sur leur visage, les danseurs pouvaient alors ainsi mieux se concentrer sur les poses ou les mouvements du corps.
       Le jour où opéra et ballet seraient deux formes séparées était encore lointain car le chant et la danse restaient des éléments indissociables du spectacle où l'un ne savait aller sans l'autre.



        Toutefois le passage de la danse à la scène avait opéré d'importantes évolutions, car en séparant spectateurs et danseurs il se créa un univers spécifique consacré à l'imagination dont les scènes surélevées et les scènes en pente (6%) modifièrent ensuite toute la perspective.
        Jusqu'alors "horizontale", car elle se décrivait au sol, la danse se "verticalisa".et devint plus aérienne, la danse d'élévation vit le jour. Il n'était plus donné à tout le monde de pouvoir la pratiquer, et elle fut véritablement l'apanage du danseur professionel. Mais elle atteignait, par contre, une plus large audience et n'était plus réservée aux privilégiés de la Cour.

        Sous la directoin de Beauchamp à l'Académie Royale de Musique, et de son successeur Pécour, une pleïade de talents vinrent séduire le public.  Les plus populaires furent sans conteste Michel Blondy, élève et neveu de Beauchamp "le plus grand danseur de l'Europe pour la danse haute, les entrées de furies et entrées de caractère"; et Claude Balon, renommé pour "un goût infini et une légèreté prodigieuse", légèreté que l'on célèbre encore aujourd'hui lorsque l'on dit d'un danseur qui rebondit bien qu'il a "du Balon' (ce qui n'a rien à voir avec l'homonyme rond ou ovale...). Il ne faut pas oublier de citer également parmi ces talents  Molière car, s'il n'était pas "un danseur noble" il réussissait très honorablement  dans cet art dont il aimait le style acrobatique de la Commedia dell'Arte.



         Beauchamp qui fut le véritable architecte du ballet de l'Opéra, non seulement comme chorégraphe mais aussi comme professeur, fit accomplir de notables progrés au Corps de Ballet qui demeura essentiellement masculin jusqu'au jour où il fut possible, en 1681, de faire monter sur la scène de l'Opéra les premières danseuses professionelles issues de l'école de danse, circonstance historique pour laquelle Lully écrivit spécialement  Le Triomphe de l'Amour.

        Aussi douées que pouvaient l'être les danseuse c'était cependant l'époque de la suprématie incontestable des danseurs masculins, car, encombrée par le poids des costumes, la danseuse de cette période était toujours la partenaire défavorisée. Les lourdes robes limitant considérablement les mouvements de jambes alors que les hommes pouvaient sans aucune gène faire montre d'une technique spectaculaire.



        Quelques danseuses celèbres firent leur apparition: Mademoiselle de La Fontaine, surnommée "reine de la danse" qui obtint un tel succés qu'elle était autorisée à régler elle même ses entrées, mesdemoiselles Roland, Lepeintre, ou encore Françoise Prevost ou Marie Thérèse de Subligny qui fut l'une des premières  professionelles françaises à se produire à Londres.

        Car le ballet français tient alors la première place qui lui revient de droit. Partout en Europe on s'arrache les maitres à danser et les danseurs français qui imposent la base de la danse classique internationale.
        En 1701, Beauchamp, qui a déjà codifié entre autres les 5 positions des pieds ainsi que des exercices de classe, publie une Chorégraphie de l' Art d' Ecrire la Danse par caractères, figures, et signes démonstratifs, trés vite traduit en allemand et en anglais ( il faut noter que l'un de ses disciples, Raoul-Auger Feuillet avait fait paraitre ce travail sous son propre nom l'année précédente de manière assez indélicate...)
       Quoi qu'il en soit, la langue chorégraphique est définitivement fixée et ne changera plus...à Londres, New York ou Moscou on parle, et encore aujourd'hui, français dans le ballet.

        Tout au long de ces années un déplorable écheveau d'intrigues s'était noué pour prendre la direction du théatre, encore géré de façon privée.
        En Janvier 1713, le vieux roi esaya de remettre de l'ordre en imposant un "Réglement concernant l'Opéra" qui lui reconnaissait le statut d' Institution d'Etat et d'Expression Officielle de la Culture Française.
        Ce réglement prescrivait l'établissement d'une troupe permanente de vingt danseurs, dix de chaque sexe, mais l'inovation la plus importante consistait en la création formelle de l'école de danse, la plus ancienne de toutes, qui a formé au cours du temps des générations d'étoiles et continue encore aujourd'hui à le faire.

        Ce fut le dernier cadeau que le monarque fit à l'art qui avait enchanté sa vie et auquel il donna ses lettres de noblesse. Et lorsque s'éteignit le Roi Soleil (nom que lui avait valu son rôle dans Le Ballet de la Nuit),  il léguait à la France une institution qui n'a jamais céssé depuis de porter très haut son prestige dans le monde.

     


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  • Commentaires

    1
    Pelle Räf
    Vendredi 1er Mai 2015 à 15:18

    Je cherche l´origine en France d´un danseur

    Antoine Fleurie,

    qui et mort très, très vieux en Suède en 1777.

    Peut-être élève à Pierre Beuchamp ou à quelqu´un de ses élèves?

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