• Marius Petipa (1818-1910) - Lord of the Dance

     

    L'Art et la danse

                   Marius Petipa    Portrait au pastel par Guillaume-Alfred Dartigueaux (1842)



        Le 29 Mai 1847 un jeune homme élégant  débarque d'un bâteau dans le port de St. Petersbourg et, tandis qu'un employé des douanes examine ses valises, la voix d'un supérieur s'élève sur le ton de la réprimande:
        "Quand les artistes-invités viennent pour la première fois on ne doit pas ouvrir leurs bagages!.." 

     

        Ce jeune homme est un danseur français, qui écrivit dans ses mémoires le lendemain:
        " J'ai mis ma queue de pie et une cravate blanche et je suis allé me présenter au directeur des Théatres Impériaux. Celui-ci m'a accueilli chaudement et je lui demandais quand je pourrais faire mes débuts..."

        Ainsi commence la brillante carrière de Marius Petipa, ce français qui devint le père du ballet russe.

        Michel-Victor-Marius-Alphonse Petipa naquit à Marseilles le 11 Mars 1818 dans le milieu prédestiné du spectacle, d'une mère tragédienne et d'un père, Jean-Antoine Petipa (1787-1855), maitre de ballet et professeur renommé.
        Sa petite enfance se passe à parcourir l'Europe au gré des engagements de ses parents jusqu'à ce que ces derniers se fixent à Bruxelles tout d'abord, puis à Bordeaux par la suite. Tout comme son ainé Lucien (1815-1898), le jeune Marius reçoit de son père dès l'age de 7 ans ses premières leçons de danse qui, il faut le dire, ne l'enthousiasment guère. Il préfère de beaucoup le violon qu'il étudie au Conservatoire, cependant ses aptitudes l'amènent très vite à se prendre de passion pour cet art qui anime sa famille et dans lequel il excelle rapidement.

     

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                   Marius Petipa à 9 ans dans un ballet de Pierre Gardel  La Dansomanie


        Sa formation achevée il se voit offrir en 1838 le poste de Premier danseur au Ballet de Nantes, puis fait ses débuts à Paris à la Comédie Française ( le ballet à l'époque servait d'intermède entre les pièces). Il lui arrive également de prendre part à des représentations à la salle Le Peletier où son frère Lucien est Premier danseur, et en 1841 sera lui-même nommé Premier danseur au théâtre de Bordeaux, puis en 1843 au King's Theatre de Madrid. Il a déjà à son actif de nombreuses chorégraphies (La Vendange, la Jolie Bordelaise...) et va acquérir dans la capitale madrilène une connaisance étendue des danses espagnoles traditionelles qui lui inspireront La Perle de Seville ou La fleur de Grenade... Mais son séjour au pays du fandango ne sera que de courte durée, car en 1846 il s'éprend de l'épouse d'un diplomate, le marquis de Châteaubriand, qui averti de la chose le provoque en duel... Et, pour ne pas courir le risque de priver Terpsichore de l'un de ses adorateurs, le coupable quittera alors rapidement l'Espagne pour ne plus jamais y revenir...

        Son père enseigne à l'époque dans la classe de perfectionnement de l'Ecole du Ballet Impérial à St. Petersbourg et en 1847 Marius, qui vient d'y être invité comme Premier danseur, va aller le rejoindre.
       Le Ballet Impérial connait à ce moment là un déclin de popularité considérable depuis le départ de l'artiste invitée Marie Taglioni, et les spectacles de danse sont largement délaissés au profit de l'opéra italien. C'est dans ce contexte difficile que Petipa va remonter consécutivement Paquita et Satanella (Le Diable Amoureux) dont le triomphe arrive comme une bouffée d'oxygène et permet à la Compagnie de retrouver son ancien prestige:
        "Paquita et Satanella ont fait renaître notre ballet, et ses excellentes prestations lui ont rendu la renommée qu'il avait perdue ainsi que notre affection" écrivit le critique Raphael Zotou. 

        Le public reçoit avec enthousiasme cet artiste français qui lui a rendu le goût de la danse, malheureusement celui-ci va devoir mettre de côté pour un temps ses ambitions chorégraphiques avec l'arrivée à St. Petersbourg du plus célèbre chorégraphe européen de l'époque: Jules Perrot à qui vient d'être attribuée la fonction de Premier Maitre de Ballet.

     

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                                             Jules Perrot (1810-1892)

     

        Bien qu'il assiste Perrot et participe à la création de la plupart de ses oeuvres Petipa consacrera plus particulièrement les années qui vont suivre à ses activités d'interprète et, lorsqu'en 1858 le Premier Maitre de Ballet regagne définitivement la France, pour le danseur qui a alors 41 ans et quitera bientôt la scène, il semble que la chorégraphie doive s'inscrire cette fois dans la suite logique de sa carrière...

     

       Mais son heure n'est décidément pas encore venue... Car c'est Arthur Saint Léon qui obtient le poste convoité... Et une saine émulation va alors s'établir entre les deux hommes qui vont rivaliser pour le meilleur dans chacune de leurs créations respectives.

     

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                                         Arthur Saint Léon (1821-1870)


        Fin 1861 le directeur des Théâtres Impériaux, Saburov, convoque en toute hâte Marius Petipa et lui demande très inquiet s'il serait capable de monter un ballet en six semaines seulement... Très confiant celui-ci répondit:
        "Oui, je vais essayer... et je réussirai probablement..."
    (Le contrat de la grande ballerine Carolina Rosati qui allait faire ses adieux à la scène lui accordait de paraitre dans une dernière production, et la danseuse italienne en exprimant ce désir au dernier moment déclencha un certain émoi...)
        En compagnie de Cesare Pugni (1802-1870) qui s'acquita de la partition avec la rapidité qui le caractérisait, Petipa se mit aussitôt à l'oeuvre, travaillant comme le décrivait Alexandre Shirkyaev, son assistant:
        "Petipa élaborait entièrement la production d'un nouveau ballet chez lui où il convoquait un pianiste et un violoniste. Il leur faisait jouer un passage plusieurs fois de suite et pendant ce temps construisait le ballet à sa table en se servant de petites figurines de papier maché. Il les déplaçait, les combinait, et inscrivait tout cela en détail sur un papier, avec des zéros pour les femmes et des croix pour les hommes. Et il notait les déplacements avec des flêches, des points, des tirets, dont il était le seul à connaitre le sens".

        La Fille du Pharaon, un ballet somptueux affirmant le "style Petipa" fut présenté le 30 Janvier 1862  et obtint un succés inégalé qui valut à son auteur la fonction officielle de Second maitre de ballet, avant que de devenir le ballet le plus populaire du Répertoire...

     

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       La Fille du Pharaon  Acte I  Grand Pas des Chasseresses   Au centre Mathilde Kschessinskaïa (à droite) et Olga Preobrajenskaïa (à gauche)


        Bien que Saint-Léon resta le supérieur hiérarchique de Petipa, les deux hommes étaient en fait placés sur un pied d'égalité par la critique et les balletomanes de l'époque, chacun d'eux composant pour sa ballerine favorite: Petipa montant la majorité de ses oeuvres pour sa femme la Prima Ballerina Surovshchikova, tandis que Saint Léon travaillait pour Mafa Muravieva.
        Petipa apportait aux variations des danseuses un soin tout particulier et, toujours selon Shirkyaev son assistant, "travaillait avec la danseuses séparément. Il étudait soigneusement ses dons particuliers, recherchait ses qualités intéressantes et s'efforçait constamment de les mettre en valeur du mieux possible".
        Et c'est à cette époque que verra le jour Don Quichotte (1869) l'un des piliers du répertoire classique.

        Lorsque le contrat de Saint Léon expira il ne fut pas renouvelé par la direction, et Marius Petipa fut enfin nommé cette fois Premier Maitre de Ballet le 12 Mars 1871.
        La Cour de la Russie Impériale était à l'époque la plus brillante d'Europe et les tsars dépensaient chaque année des dizaines de millons de roubles pour le Ballet et l'Ecole du Ballet (aujourd'hui l'Académie Vaganova). A chaque nouvelle saison Petipa devait créer un nouveau "Grand Ballet", mettre en scène divers opéras et préparer des galas et des divertissements pour des spectacles à la Cour ou des mariages royaux...
        Celui-ci entame alors une longue collaboration avec Ludwig Minkus (1826-1917), puis avec l'italien Riccardo Drigo (1846-1930) qui resta son collaborateur favori. Toutefois c'est avec Tchaïkovski qu'il crée en 1889 l'oeuvre qui sera considérée comme la quintescence du ballet classique: La Belle au Bois Dormant, suivie en 1892 de Casse Noisette, composé cette fois avec la collaboration de son assistant Lev Ivanov (1834-1901). Car Petipa souffre d'une affection très invalidante, le pemphigus (une maladie auto-immune attaquant la peau et les muqueuses, dont le pronostic pouvait alors être fatal) et se voit contraint de ce fait à de nombreuses absences. Ce sera également l'époque de Cendrillon (1893), du Lac des Cygnes (1895) qu'il reprendra après la mort de Tchaïkovski en 1894, ou encore de Raymonda (1898).

     

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        Première représentation de La Belle au Bois Dormant   Au centre Carlotta Brianza (Aurore)

     

        Son dernier chef d'oeuvre, Les Millions d'Arlequin (Harlequinade), que Drigo et lui même ont dédié à la nouvelle impératrice Alexandra Feodorovna sera présenté au théâtre de l'Hermitage le 23 Février 1900, et le reste de sa carrière sera dorénavant consacré à la reprise d'anciens ballets...

     

     

        Car le nouveau directeur des Théâtres Impériaux, Telyakovsky, n'aime pas Petipa et ne s'en cache pas... Dans l'impossibilité de rompre légalement son contrat il va alors employer tous les moyens pour l'inciter à partir et, sans considération aucune pour ce qu'il a accompli, lui infligera une impitoyable guerre des nerfs...
        Le chorégraphe n'était régulièrement pas averti de répétitions auxquelles il devait obligatoirement assister... et l'on n'envoyait plus de voiture le chercher à son domicile (il avait alors 80 ans passés)... Une nouvelle version de Don Quichotte fut même montée sans que lui soit demandée l'autorisation de remanier son oeuvre... et il put lire dans la presse que "la Compagnie va devoir s'habituer à un nouveau Maitre de Ballet".

       Les danseurs, eux, recherchaient toujours l'aide et les conseils de leur éminent professeur pour qui leur estime n'avait fait que grandir:
        "Quand j'ai rejoint le Ballet Imperial en 1889", dit Olga Preobrajenskaya, "Petipa était un vrai Maitre. Je me suis toujours estimée heureuse d'avoir pu côtoyer un tel génie dont l'art, à la fin de sa carrière, avait atteint une perfection sans égal, et notre ballet n'eut pas son pareil en Europe grâce à lui".
       ( En 1904, Marius Petipa fera travailler Anna Pavlova pour son rôle dans Giselle et ses débuts dans Paquita, et créa même pour elle une variation que les étoiles interprètent encore aujourd'hui dans le Grand Pas Classique).

     

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                        Olga Preobrajenskaya et Nicolas Legat dans Casse Noisette


        Le 5 Février 1904 devait paraitre sur la scène du théâtre de l'Hermitage "un petit chef d'oeuvre" selon Olga Preobrajenskaya, Le Bouton de Rose et le Papillon que venaient d'achever Drigo et Petipa... Mais le ballet ne vit jamais le jour... car, sous un prétexte falacieux, Telyakovsky annula la représentation...

        Marius Petipa redoublait d'activité malgré son âge, ou plus vraisemblablement à cause de celui-ci, car ses notes personnelles se font l'écho de sa peur de vieillir et du peu de temps qu'il lui reste à vivre.
        Le 17 Janvier 1905 verra dans ses carnets sa dernière composition: Destinée à Olga Preobrajenskaya, une variation de La Danseuse en Voyage sur une musique de Pugni, suivie de ces mots:

                                         " C'est terminé..." 

        Marius Petipa reçut le titre de Maitre de Ballet à Vie assorti d'une pension annuelle de 9000 roubles, et suivant les conseils de ses médecins s'installa à Gurzuf en Crimée (aujourd'hui Ukraine) où il rédige ses Mémoires (publiées en 1906) et passe ses dernières années plein d'amertume et de désillusion...
        Il mourut le 14 Juillet 1910 et selon un témoin pas un membre de l'administration des Théâtres Impériaux n'assista à ses obsèques...
        Petipa qui avait officiellement pris la citoyenneté russe en 1894 avait émis ce souhait :"La Russie m'a rendu célèbre, je veux être enseveli dans sa terre" et conformément à sa volonté le chorégraphe repose aujourd'hui au Monastère Alexandre Nevsky à St. Petersbourg. 

        Il n'avait cependant pas poussé l'amour du pays jusqu'à apprendre la langue, et c'est dans un véritable sabir que furent conçus les plus grands chefs d'oeuvre que le ballet a connus:
        "Il nous montrait les mouvements et les gestes avec des mots prononcés dans un russe exécrable" écrira Kschessinskaïa. 
         Pendant près de quarante ans Marius Petipa régna sur l'Ecole et le Théâtre Impérial. Il composa au moins 50 ballets, en remonta 20 autres, créa ceux de 35 opéra et fit encore certainement beaucoup plus encore... Alors que la danse s'étiolait  dans un académisme désuet c'est à lui que revient l'introduction des fameux Grands Pas d'Action où se mélangent mime et danse ainsi que des nombreuses variations requérant un haut niveau technique.
         Préparés minutieusement selon des plans précis pour les décorateurs et les compositeurs, ("il arrivait aux répétitions avec une pile de croquis et de dessins qu'il avait fait chez lui" dira encore Alexandre Shirkyaev) les ballets de Petipa étaient des spectacles somptueux produits devant un public de connaisseurs très exigeants que celui-ci s'efforça de satisfaire en atteignant avec sa compagnie un niveau de perfection et d'excellence qui fit de la seconde moitié du XIXème siècle l'Age d'Or du ballet russe.
        Sa longue carrière relie directement Vestris (1729-1808), dont il fut l'élève, à Diaghilev (1872-1929), et son oeuvre mariant l'élégance française et la virtuosité italienne devait rénover l'art chorégraphique dans tout le monde occidental.

     

    L'Art et la danse

     

        "Je pense avoir créé une compagnie dont on aura pu dire: St. Petersbourg a le meilleur ballet de toute l'Europe"
                                                   Marius Petipa

     

        C'est à partir de 1891 qu'une grande partie des ballets de Petipa ont été transcrits dans la méthode de notation créée par Vladimir Stepanov. Et c'est grâce à ces notations que ces ballets furent mis en scène à l'Ouest et forment le noyau de ce qui est aujourd'hui le réperoire du Ballet Classique non seulement pour l'Europe mais pour le monde entier.
        La collection Sergeyev qui rassemble ces documents se trouve aujourd'hui aux Etats Unis, achetée en 1969 par la Bibliothèque de l'université d'Harvard. 

     

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                           Une page de la notation Stepanov pour La Bayadère


    Les Millions d'Arlequin est interprété par le Maly Mikhalovsky Theatre Ballet, avec Alla Malysheva (Colombine) et Sergeï Kosadaev (Arlequin), Tatiana Podkopayeva (Pierrette) et Evgenii Miasichef (Pierrot), Gennadii kolobkhov (Cassandre), Valerii Dolgallo (Leandre) et Galina Laricheva (la bonne fée).

    Les Mémoires de Marius Petipa ont été publiées en France par les éditions Actes Sud (1990)


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