• Léon Bakst (1866-1924) - Musicien de la couleur.

     

    L'Art et la danse

    Costume pour Narcisse (1911)     Léon Bakst

     

     "Ceux qui n'ont pas connu l'époque merveilleuse qui a précédé la Première Guerre Mondiale ne peuvent pas imaginer l'influence immense de Léon Bakst dont le nom était sur toutes les lèvres".
                                                          Cyril de Beaumont

     

        Lev Samoïlovitch Rosenberg naquit à Grodno (Biélorussie) le 28 Avril 1866 dans une famille d'origine modeste dont le grand père, qui s'était fait remarquer du tsar pour ses talents de tailleur, habitait une demeure somptueuse à Saint Petersbourg. Le jeune Lev, installé par la suite avec ses parents dans la capitale, rendra visite tous les Samedi à cet aïeul en compagnie de ses frères et soeurs et avouera plus tard avoir été très impressionné par cette demeure hors du commun.

        Alors qu'il n'est âgé que de 12 ans, le jeune garçon remporte à l'école un concours de dessin et affiche résolument son intention de devenir peintre, un projet que ses parents considèrent avec réserve et, désireux de s'entourer d'un avis autorisé, soumettent au sculpteur renommé Mark Antokolski (1843-1902). Ce dernier leur répond que leur fils a des dons évidents, mais qu'il doit certainement avant tout terminer ses études. Un conseil auquel Lev restera sourd, car il quitte le collège et... échoue à l'examen d'entrée à l'Académie des Beaux Arts dont il suit malgré tout les cours en auditeur libre tout en travaillant parallèlement pour un illustrateur de livres.
        Il sera cependant finalement admis dans la vénérable institution en 1883 et c'est à l'époque de sa première exposition (1889) qu'il prend le nom de Bakst, inspiré du nom de jeune fille de sa mère (Bakster), et jugé plus commercial.

        La famille Rosenberg traverse à ce moment là une période difficile, et à la suite de la mort de son grand-père et au divorce de ses parents, Léon Bakst devra subvenir aux besoins collectifs, chacun assurant le quotidien selon ses moyens, une situation qui les rendra très proches les uns des autres.
        Grâce à un ami écrivain, Kanaev, qui lui vient en aide, il obtient des commandes de portraits dans la société mondaine, et c'est également par son intermédiaire qu'il fera la connaissance d'Albert Benois, un remarquable aquarelliste, qui lui présente son frère Alexandre (1870-1960).

        Celui-ci l'introduit alors à une société d'artistes dont fait partie Serge Diaghilev (1872-1929), Les Pickwickiens, qui s'intéressent non seulement à la culture russe, fascinés comme les pré-Raphaélites par l'aspect féerique des contes populaires, mais aussi également à la culture européenne. Léon Bakst va se passionner pour l'art antique (il se rendra plus tard en Grèce à deux reprises en 1906 et 1910), et à l'instigation de ses nouveaux amis entame alors une série de voyages qui le mèneront d'Italie en Allemagne et finalement en France où il vécut à Paris de 1893 à 1897, fréquentant les cours de l'Académie Julian et l'atelier du peintre orientaliste Jean-Léon Gérôme (1824-1904). Il se rend malgré tout régulièrement à Saint Petersbourg où le Grand Duc Vladimir (1843-1909), président de l'Académie Impériale des Beaux Arts (et aux enfants duquel il donnera des cours de dessin) lui commande un tableau pour le musée de la Marine: L'accueil de l'Amiral Avellan et des marins russes à Paris, des fêtes qui se déroulèrent du 17 au 25 Octobre 1893, et au cours desquelles Léon Bakst travaillera "in situ" sur cette peinture qu'il mettra cependant huit ans à terminer.

     

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    L'Accueil de l'Amiral Avellan à Paris       Léon Bakst 

     

        Le retour du peintre dans son pays natal en 1897 voit sa première exposition importante dans la cité des tsars où il participe avec son cercle d'amis l'année suivante à la fondation du mouvement Mir Iskousstva (Le Monde de l'Art) marqué par l'Art Nouveau et le culte de la beauté, et collabore aux côtés de Diaghilev et d'Alexandre Benois à la création du périodique du même nom dans lequel ses dessins le rendent très vite célèbre.

     

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     Couverture du journal Mir Iskousstva par Léon Bakst

        

        Ses peintures sont présentes dans toutes les manifestations organisées par le célèbre impresario et l'artiste ne songe pas encore spontanément à une carrière dans le monde du spectacle, laquelle lui sera en fait largement inspirée par son entourage:
        " A l'origine Bakst ne montrait que peu d'intérêt pour le théâtre. Quand au ballet, il n'en avait jamais vu, et considérait cela en fait comme plutôt absurde..." écrivit Alexandre Benois, qui communiqua, lui, avec le magistral résultat que l'on connait, sa passion pour la scène:
        " Si je n'avais pas montré autant d'enthousiasme pour le ballet, et si je n'avais pas transmis cette passion à mes amis, les Ballets Russes n'auraient jamais existé" affirmait-il.

     

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    Les membres du cercle Mir Iskousstva  par  Boris Kustodiev (1878-1927)

     

        Léon Bakst exécute en 1901 ses premiers décors et costumes pour le Mariinski qui monte Sylvia, et l'année suivante réalise une seconde commande pour Le Coeur de la Marquise de Petipa (1818-1910), tout en menant parallèlement une activité d'enseignant à l'école privée Zwanceva où il a comme élève Marc Chagall (1887-1985):
        " Chagall est mon élève préféré" dira-t-il, "et ce que j'aime chez lui c'est qu'après avoir écouté attentivement mes leçons, il prend ses pinceaux et ses couleurs et fait quelque chose de complètement différent de ce que je lui ai demandé..."

        C'est alors que Diaghilev entame  en 1907 ses concerts historiques à Paris et lorsqu'en 1909 les Ballets Russes débutent leur glorieuse carrière, Léon Bakst qui vient de concevoir les décors de plusieurs tragédies grecques, sera à l'origine du feu d'artifice qui éblouit le public parisien.
        Marcel Proust (1871-1922) dans une lettre au chef d'orchestre Reynaldo Hahn(1874-1947) écrit en 1911:
    " Dites mille choses à Bakst que j'admire profondément, ne connaissant rien de plus beau que Shéhérazade".




        Le peintre qui aime passionnément la couleur joue avec elle en virtuose, et l'impression la plus considérable de son art fut certainement provoquée, en effet, par Shéhérazade (1910) où, dans un décor simplifié ramené à quelques lignes, contrastent violemment deux couleurs dominantes et complémentaires, le rouge et le vert. Ses dons exceptionnels de coloriste et de graphiste alliés à l'audace de ses plans qui élargissent l'espace scénique et prolongent les perspectives vont définitivement révolutionner la décoration théâtrale et ont assurément très largement contribué  au triomphe de la Compagnie de Serge Diaghilev.


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     Décor pour Thamar (1912)     Léon Bakst


        Grâce à une grande diversité d'inspiration puisée tour à tour en Orient, dans la vieille Russie ou la Grèce antique, comme dans le romantisme français ou l'Italie de Carlo Goldoni (1707-1793), ainsi qu'a son désir de participer de façon originale au renouveau de l'Art contemporain, il conçoit de la même façon des costumes essentiels à la danse:
        "Il voit ses costumes en mouvement et dans le mouvement même du poème... Avec la plus grande frugalité d'éléments il obtient la plus grande puissance et la plus grande opportunité d'effets. Il réalise ainsi, lui aussi, une orchestration colorée qui s'adapte à la coloration orchestrale" écrivit un critique.

     

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     Costumes pour Narcisse  (1911)    Léon Bakst

     

        Ses costumes iront jusqu'à influencer la mode à travers les grands couturiers, Worth, Paul Poiret ou Jeanne Paquin qui s'en inspirent dans leurs collections: il présente chez cette dernière  en 1912 Fantaisie sur le costume moderne, provoquant un très grand remous dans le milieu de la haute couture parisienne et, imposant un style nouveau, le styliste-décorateur dessinera également des motifs pour des papiers peints ainsi que des cartes postales devenues célèbres. 

     

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         Cette même année 1912, il est nommé directeur artistique des Ballets Russes, ce qui va lui permettre entre autres de soutenir les audaces chorégraphiques et musicales de Vaslav Nijinski (1889-1950) et Igor Stravinsky (1882-1971), et à ses précédents succès, Le Spectre de la Rose, L'Oiseau de Feu ou Narcisse , vont venir s'ajouter entre autres Daphnis et Chloé, L'Après Midi d'un Faune, Le Dieu Bleu et Thamar.


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    Décor pour Le Dieu Bleu (1912)   Léon Bakst 

     

         Il ne cessera pas cependant de dessiner ou peindre au chevalet et réalise de nombreux paysages et portraits d'artistes du monde des lettres et des arts, dont ceux de Vaslav Nijinsky, Anna Pavlova, Blaise Cendrars, Claude Debussy, Alexandre Benois, Léonide Massine, Ida Rubinstein ou Michel Fokine, et en 1914 il est élu membre de l'Académie Impériale des Arts et se voit également chargé des décors de Midas, cependant, victime d'une dépression nerveuse il sera remplacé par Mstislav Doboujinski (1875-1957).

     

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     Anna Pavlova (1881-1931)  par Léon Bakst

     

        "Bakst était une personne charmante, plein d'imagination, et souvent très drôle, quelquefois même sans le vouloir. Il était touchant, et d'un équilibre fragile, c'est pourquoi il n'était pas toujours possible de lui faire entièrement confiance", écrira à son sujet Walter Nouvel, collaborateur et ami de Serge Diaghilev.
        Et lorsqu'en 1919 Diaghilev lui demande d'exécuter en hâte les décors et les costumes pour La Boutique Fantasque, il n'achèvera pas le projet et le ballet sera finalement scénographié par Derain(1880-1954).
        Diaghilev fera cependant encore appel à lui pour concevoir les décors fastueux et les 300 costumes de La Belle au Bois Dormant (1921) qu'il souhaite monter à Londres lorsque Alexandre Benois, faute de garanties financières, refuse de quitter la Russie.

        Bakst va croquer somptueusement les splendeurs de la Cour de Louis XIV et de Louis XV, mais très attaché à l'art contemporain exige de se voir confier en contrepartie les décors de l'opéra de Stravinsky, Mavra (1922), dont il sera cependant écarté... Un incident qui signera sa brouille définitive avec Diaghilev, et les des deux hommes ne se réconcilieront jamais.

     

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    Décor pour La Belle au Bois Dormant (1921)      Léon Bakst 

        

        C'est aux Etats Unis que le décorateur célèbre ira ensuite exprimer son talent à la demande d'un couple d'amis, John et Alice Garrett, dont il a fait la connaissance à Paris en 1916. Ces derniers appartiennent à une  famille très connue de millionnaires de Baltimore (Robert, le frère de John a remporté la médaille d'or aux Jeux Olympiques d'Athènes en 1896) et souhaitant convertir en théâtre l'ancien gymnase, situé dans les sous sols d'Evergreen la somptueuse demeure familiale, John et Alice qui ne reculent devant aucune dépense vont tout naturellement faire appel à Léon Bakst.
        Celui-ci se rendra alors sur place et dessinera non seulement la salle de spectacle mais encore plusieurs décors, ainsi qu'à l'étage une éblouissante salle à manger dans des tons de rouge éclatant, décorée de gravures japonaise.
        Le domaine d'Evergreen est aujourd'hui converti en Bibliohéque et en Musée où l'on peut voir à côté du célèbre théâtre art-déco, plusieurs toiles de Bakst dont les portrait qu'il fit de John et Alice (et au milieu de la splendeur des appartements des toilettes en plaqué-or...).

     

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    Le théatre art-déco d'Evergreen (Baltimore)     Léon Bakst

     

        De retour en France, alors qu'il se rendait l'année suivante à une répétition d'Istar dont, à la demande de la danseuse icône de la Belle Epoque Ida Rubinstein (1885-1960), il avait réalisé les costumes, Léon Bakst est saisi d'un malaise et, transporté d'urgence dans une clinique de Rueil Malmaison, il décède peu de temps après d'un oedème du poumon le 27 Décembre 1924.
         Une foule de peintres, poètes, musiciens, critiques d'art, comédiens et danseurs, l'accompagneront dans une cérémonie émouvante au cimetière des Batignoles, et Serge Diaghilev fera parvenir un télégramme de condoléances à la famille de celui qui resta en dépit de tout son décorateur préféré.

     

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    Léon Bakst (1866-1924)

     

         Virtuose de la ligne, musicien de la couleur, Léon Bakst a su insuffler au spectacle cette intensité, ce sens inné du mouvement que demande toute création chorégraphique. Investi dans la danse dont il fit sa spécialité, le plus doué de tous les décorateurs de Diaghilev, a magistralement marqué d'une empreinte indélébile la peinture ainsi que les arts décoratifs et scénographiques de la première moitié du XXème siècle, et dominant de tout son éclat les décorateurs qui ont tenté de le suivre, se place en chef de file incontesté de la décoration chorégraphique.

     


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