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Art, Musique, Danse....etc....

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Emma Livry (1842-1863) - Un Papillon envolé.

L'Art et la danse


    On ne relève sur le Journal des frères Goncourt, à la date du 16 Novembre 1862, que ces quelques lignes:
   "Sous la couverture mouillée que le pompier lui avait jetée, la pauvre danseuse si horriblement brulée hier, Emma Livry, s'était mise à genoux et faisait sa prière".
    Une phrase laconique qui relate la fin de la carrière d'une artiste de 20 ans dont le talent égalait déjà celui de la grande Marie Taglioni qui avait fait cette remarque:
   "Il est vrai que je ne me suis jamais vue danser, mais je devais danser comme elle".

    Née le 24 Septembre 1842, Emma Livry, de son vrai nom Emma-Marie Emarot, était la fille d'une danseuse, Célestine Emarot, et du baron Charles de Chassiron. Elève de madame Dominique à l'école de danse de l'Opéra, ses aptitudes exceptionelles la firent très vite remarquer et à 16 ans elle est nommée Première danseuse ("étoile" ne sera employé à l'Opéra qu'à partir de 1938) et se voit confier le rôle de La Sylphide: une succession difficile à assumer après les apparitions triomphales de Marie Taglioni que personne n'avait oubliées.
    Emma, de plus, n'était pas avantagée par son physique. Elle se décrivait elle même comme "pale et intéréssante, mais pas jolie, avec de trop grands yeux", et à une époque où l'on appréciait les rondeurs elle était quasiment squelettique (elle avouait "vivre d'eau et de vinaigre").
                  "Se peut-il qu'un rat si maigre
                   Soit la fille d'un chat si rond?.." ne résistèrent pas certains à écrire à son sujet... 
    Le baron de Chassiron avait d'ailleurs, à cette époque, cédé la place auprès de sa mère au vicomte Ferdinand de Montguyon lequel chaperonna lui même activement la carrière de celle qui allait devenir la danseuse la plus appréciée du moment.

    L'apparition d'Emma dans La Sylphide avait été un véritable triomphe... car son immense talent avait fait l'unanimité parmi le public. N'étant ni belle ni bien enveloppée elle avait été uniquement jugée sur ses qualitée de danseuse et d'interprète et personne ne s'y trompa... Les habitués de l'Opéra furent enthousiasmés et ne tarissaient plus d'éloges à son égard.



    C'est alors qu'ayant appris la visite prochaine de Marie Taglioni à Paris, le vicomte de Montguyon qui jouissait d'une influence certaine demanda au directeur de l'Opéra de modifier ses programmes afin de mettre La Sylphide à l'affiche pour cette occasion. Ce qui fut fait... Et Marie Taglioni fut tellement impressionée par la virtuosité d'Emma qu'elle décida de devenir son professeur et la considéra comme sa dauphine. Elle se prit d'une profonde affection pour cette jeune ballerine qui, disait-elle, lui rappelait sa propre jeunesse, et parmi ses objets personnels exposés au London Theatre Museum on peut voir une touchante statuette représentant sa protégée.

L'Art et la danse

    En 1860, Marie Taglioni créa pour son élève son unique ballet Le Papillon. L'histoire d'une jeune femme Farfalla (Papillon en italien) qui est transformée en papillon par une méchante fée et qui, après de nombreuses péripéties, retrouve à la fin son amoureux le prince Djalma (rôle confié à Louis Mérante). La musique en avait été écrite par Jacques Offenbach dont ce fut le premier ballet et le seul de cette envergure.
    Le Papillon reste associé au nom d'Emma Livry comme La Sylphide à celui de Marie Taglioni:
   "Le Papillon ne saurait exister sans Livry. Mademoiselle Livry, si aérienne, si diaphane, frôle le sol sans le toucher, elle s'envole comme une plume et retombe comme un flocon de neige" écrivit un critique, et son confrère  Paul de Saint Victor d'ajouter:
                 "L' herbe la porterait, une fleur n'aurait pas
                  Reçu l'empreinte de ses pas".
    Napoléon III vit le ballet deux fois, et à deux reprises également on demanda à Emma d'aller le danser en Angleterre... Le monde était à ses pieds...

    C'est alors que l'on demanda à Taglioni de créer pour elle un second ballet, et tandis que celui ci était en préparation Emma accepta de jouer, pendant ce temps, un rôle de mime dans l'opéra d'Aubert "La Muette de Portici".
    Il faut se souvenir que les scènes de théatre étaient éclairées à l'époque avec des rampes au gaz: Un danger permanent, en particulier pour les danseuses dont les tutus vaporeux pouvaient s'enflammer très facilement. Elles devaient donc, afin de prévenir les accidents, appliquer sur les costumes un produit spécial qui avait malheureusement un défaut: il jaunissait les tissus et surtout les raidissait... De ce fait afin de préserver l'allure éthérée de leur tutu immaculé la majorité des danseuses préférait ne pas l'employer et elles signaient de leur main une décharge reconnaissant qu'elles acceptaient de courir le risque.

L'Art et la danse



    Le  15 Novembre 1862, Emma Livry assise dans les coulisses au cours d'une répétition attend son entrée en scène du deuxième Acte, et au moment où elle se lève son costume frôle les flammes et prend feu.
    Elle traversa trois fois la scène, prise de panique... deux de ses camarades tentèrent courageusement d'intevenir tandis que les autres reculaient affolés et que certains s'enfuirent carrément du théatre... S'apercevant alors qu'elle allait se retrouver nue Emma ramena contre elle par pudeur les morceaux d'étoffe enflammés ce qui aggrava considérablement ses brulûres, tandis qu'un pompier l'arrétait finalement en la couvrant d'une couverture mouillée.
    (Le musée de l'Opéra conserve dans une vitrine une partie de la ceinture et un lambeau de tissu épargnés par le feu)

    Un accident similaire s'était déroulé en Angleterre en 1844, où, pendant une représentation du London Royal Ballet, le costume de la danseuse Clara Webster avait pris feu, et celle ci très gravement brulée était morte deux jours plus tard.
    A partir de ce moment là on plaça constament, par sécurité, dans les coulisses, côté Cour et côté Jardin, une couverture mouillée, en anglais "a wet blanket"... Accident à l'origine d'une expression courante dans la langue de Shakespeare où "a wet blanket" est synonyme de rabat joie...celui qui éteint le feu...

    Les brulûres d'Emma Livry n'étaient pas vraiment profondes, mais elles étaient surtout très étendues car seul son visage et le haut de sa poitrine avaient étaient épargnés. Et malheureusement, croyant bien faire, Marie Taglioni qui assistait à la répétition les avait enduites de graisse à démaquiller ce qui ne fit qu'aggraver le mal.
    Malgré les terribles souffrances qu'elle endura courageusement, l' infortunée Emma n'avait pas perdu l'espoir de guérir, ni même de redanser un jour... Et sa position concernant les tutus anti-feu n'avait pas changé:  
   "Oui, ils sont, comme vous le dites, moins dangereux... Mais si je reviens à la scène je refuserai encore d'en porter... ils sont trop laids..."
    Dans le courant de l'été 1863 on crut pouvoir la transporter de Paris à Neuilly sur Seine, mais ce fut trop pour elle. Ses blessures se rouvrirent et elle mourut de septicémie le 26 Juillet.

    Emma Livry emportait avec elle toute une époque de l'histoire du ballet, car elle fut la dernière des "danseuse romantiques" parmi lesquelles avaient rayonné, outre Marie Taglioni, Fanny Cerrito, Fanny Elssler ou Carlotta Grisi.
   Quand au Papillon, il serait très certainement resté au répertoire si la carrière d'Emma s'était poursuivie, mais il fut retiré car personne n'avait le coeur de voir une autre danseuse la remplacer, et il fallut attendre 1976 pour que Pierre Lacote présente une reconstitution du Pas de deux principal.

    Après son enterrement à Notre Dame de Lorette à Paris, Emma Livry fut inhumée au cimetière de Montmartre où reposait déjà un autre grand de la danse, Gaetano Vestris, et où les rejoignirent Edgar Degas, Vaslav Nijinski et Théophile Gautier. Ce dernier qui avait assisté aux obsèques d'Emma avait affirmé qu'il avait vu, tandis que le cortège funèbre parcourait les rues, deux papillons blancs accompagner le corbillard...

L'Art et la danse



                 "Mais elle était du monde où les plus belle choses
                                   Ont le pire destin
                  Et rose elle a vécu ce que vivent les roses
                                   L'espace d' un matin".
                                                          François Malherbe

    
     
  

     
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