• Sylvia (1876) - Une Symphonie pastorale

     

    L'Art et la danse

            
                                   Aminta et Sylvia  par  François Boucher (1703-1770)

      
     "Boy loves girl, girl captured by bad man, girl restored to boy by god"...

     

    C'est ainsi que Frederick Ashton (1904-1988) résume avec humour, lors de sa reprise du ballet en 1952, l'action de Sylvia fréquemment considérée comme médiocre:

        "Garçon aime fille, fille enlevée par méchant homme, fille rendue au garçon par dieu"... 

    Il faut reconnaitre que l'histoire ne permet pas beaucoup d'interprétation personnelle et n'est guère captivante, et que sans la contribution de Delibes le ballet serait vite tombé dans l'oubli.


        Initialement intitulé "Sylvia ou la Nymphe de Diane", le premier ballet monté à l'Opéra Garnier qui vient d'être inauguré, s'inspire d'une pastorale dramatique en vers et cinq actes avec prologue et choeurs que le poète Torquato Tasso, dit le Tasse (1544-1596), écrivit en 1563 et représenta la même année à la Cour de Ferrare sur l'ile de Belvédère où les ducs de Ferrare organisaient des fêtes.

                         "A l'ombre d'un beau hêtre étaient un jour assises,
                          Phyllis et ma Sylvia, et j'étais avec elles...."

        Les aventures effroyablement complexes des deux héros, Aminta et Sylvia, eurent à l'époque un succés considérable et quelques trois siècles plus tard Jules Barbier et le baron de Reinach les ressortent de l'oubli et les adaptent (après beaucoup de simplifications...) pour le ballet de l'Opéra de Paris.

        C'est  Louis Mérante (1828-1887), alors premier Maitre de ballet, qui sera le chorégraphe (et interprètera également le rôle d'Aminta), quand à la partition elle est confiée à Léo Delibes. Ce dernier dut regretter amèrement la disparition de Saint Léon, mort en 1870, avec lequel il avait collaboré pour créer son premier ballet Coppélia (1870). Car bien que fort compétent Louis Mérante n'avait ni l'intuition ni l'expérience de Saint Léon, et le scénario que l'on imposait au compositeur manquait d'intérêt dramatique et ne comportait aucune échappée pour le genre d'inspiration qui l'avait animé dans Coppélia.

     

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                                                   Louis Mérante

        La première répétition eut lieu le 15 Août 1875. Un tiers seulement de la partition avait été écrit et celle-ci fut constamment revue, reprise et transformée tout au long de son élaboration qui progressa au gré des désirs de Rita Sangalli (à qui a échu le rôle titre) ou de ceux de Louis Mérante interprète et chorégraphe exigeant (Léo Delibes, heureusement, était capable d'effectuer les modifications très rapidement...)
        Par bonheur ces difficultés n'inhibèrent pas le compositeur qui conçut un chef d'oeuvre, non seulement d'une merveilleuse richesse mélodique, mais aussi dans un style symphonique tout à fait neuf pour l'époque, qui classe l'oeuvre de Delibes très innovante, aux côtés de son prédécesseur Coppélia, parmi les tout premiers ballets modernes. Tchäïkovski qui eut l'occasion d'assister à une représentation de Sylvia à Vienne en 1876 fut rempli d'enthousiasme devant son inventivité et en fit part à son ami le compositeur Sergeï Taneyev en ces termes:
        "C'est le premier ballet dans lequel la musique constitue non seulement le principal mais le seul intérêt. Quel charme, quelle élégance, quelle richesse dans la mélodie, le rythme, l'harmonie!"
         Et il avoue:
        "Cela m'a fait honte...Si j'avais connu cette musique auparavant, je n'aurais, bien sûr, jamais écrit le Lac des Cygnes".
     

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                                                     Léo Delibes

         Sylvia redéfinit en effet le rôle de la musique de ballet reléguée jusque là à l'arrière plan sans autre utilité que celle d'évoquer une atmosphère. Car la partition ici s'impose, et en participant à l'action au même titre que la chorégraphie, les danseurs, les décors ou les costumes, acquiert une importance descriptive toute nouvelle que certains qualifièrent de pré-impressioniste.

        L'oeuvre de Delibes est également remarquable par l'utilisation du "leitmotiv", une autre nouveauté pour l'époque, et les passages les plus épiques ne sont pas sans rappeler Wagner (1813-1883) dont le compositeur est grand admirateur: Les "chasseresses", fidèles de Diane pourraient facilement passer pour d'antiques Walkyries, avec toutefois un pas plus léger et quelques kilos en moins...

     

     

         Cependant, Léo Delibes s'en défendit lui même:

    "Si j'ai voué au maitre allemand une profonde admiration, je me refuse comme producteur à l'imiter".
        Le modèle pour les "chasseresses" est plus certainement français: "La chasse Royale" des Troyens d'Hector Berlioz (1803-1869) que Delibes connait très bien car il était chef de choeur lors de la Première, et c'est le monde virgilien de Berlioz avec ses faunes, ses satyres et ses dryades qui est plus vraisemblablement la toile de fond utilisée dans Sylvia:

        "La musique de Delibes parvient souvent à sublimer le décor, plus que Berlioz n'en fut jamais capable" écrira David Nice dans son ouvrage Etudes sur Sylvia (Yale University Press)

        Des décors au luxe jugé excessif par certains et dont la réalisation, comme il était de tradition à l'époque, fut répartie entre plusieurs artistes travaillant pour l'Opéra: Joseph Chéret réalise ceux des deux premiers Actes et les associés Auguste Rubé et Philippe Chaperon ceux de l'Acte III. Toutefois leur travail somptueux sera chichement éclairé ce qui nuira à la qualité de la production dont les costumes réalisés par Lacoste seront eux pour leur part largement appréciés.

     

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                                          Sylvia   Décor pour l' Acte III

        La chorégraphie de Mérante, quand à elle, suit l'intrigue du livret de façon détaillée et pour cette raison fera une large part au dialogue mimé qui rend les rôles masculins, y compris celui d'Aminta, parfois plus proches de la pantomime que de la danse (le personnage d'Orion fut d'ailleurs confié au mime italien Magri Gennaro).
        Malheureusement, à côté des grands mouvements d'ensemble prétextes aux évolutions du Corps de ballet (les nymphes chasseresses ou le cortège de Bacchus), le ballet ne mettra que très peu en valeur les meilleurs éléments, réservant surtout les variations à l'héroïne campée par Rita Sangalli (1849-1909) qui brillait dans trois morceaux de bravoure: la scène de l'escarpolette à l'Acte I, celle où elle ennivre Orion à l'Acte II, et le clou du spectacle, celle dite des "pizzicati" où Sylvia voilée se fait reconnaitre d'Aminta.

        Et lorsque tous ces efforts conjugués voient leur aboutissement le soir du 14 Juin 1876, le livret programme a déjà connu deux impressions... dont la première ne fut pas mise en vente à la suite d'une réclamation de Rita Sangalli... Car la vedette du spectacle outrée que les rôles masculins soient mentionnés avant les rôles féminins exigea en effet une rectification et obtint gain de cause... 

     

    L'Art et la danse

     

        L'Acte I a pour cadre une forêt sacrée où faunes et nymphes vénèrent la statue du dieu Eros qui domine la clairière. L'intrusion du berger Aminta secrètement amoureux de Sylvia, la nymphe préférée de Diane, interrompt le rituel et lorsque celle-ci arrive suivie de son cortège de chasseresses il fait en sorte de se dissimuler soigneusement. Mais il est cependant découvert, et Sylvia à qui il avoue ses sentiments en conçoit une colère si violente qu'elle s'apprête à tirer une flèche dans sa direction, lorsqu'elle détourne subitement son courroux contre ce dieu qui a semé l'amour dans le coeur du berger et vise la statue... Aminta qui s'interpose reçoit la flèche qui lui porte un coup fatal, et la statue, Eros en personne, tire alors sur Sylvia et la rend, pour sa punition, amoureuse d'un mort...

     



        Orion, un chasseur épris lui aussi de la nymphe, vient d'assister à la scène et se réjouit de la disparition de son rival, et tandis que celle-ci s'attendrit maintenant sur sa victime, il en profite pour l'enlever. C'est alors que les paysans éplorés découvrent le corps sans vie d'Aminta, mais le berger sera bientôt ranimé par un sorcier qui est en réalité Eros et, informé par ce dernier des actions d'Orion, il se lance à la poursuite de sa bien-aimée.

     

     

         Le rideau de l'Acte II s'ouvre sur le décor d'une grotte dans laquelle Orion tient Sylvia prisonnière. Celui ci lui propose vainement bijoux et cadeaux de toutes sortes en échange de son amour, mais sans succés... La nymphe pleure maintenant amèrement Aminta et réussit grâce à une ruse à echapper à son geôlier qu'elle a fait boire, lui et ses gardes, jusqu'à ce qu'ils sombrent dans l'inconscience. L'intervention d'Eros lui permet alors de quitter ces rivages hostiles.

     

     

        L'Acte III se déroule sur un bord de mer près du temple de Diane, où ont lieu des Bacchanales. L'arrivée d'Aminta est suivie par celle d'un pirate (Eros déguisé) qui retient sur son bateau des jeunes filles voilées. Ce dernier lui apprend que parmi elles se trouve Sylvia, et lui promet que s'il réussit à la reconnaitre elle lui appartiendra.
        Les amoureux sont réunis bien évidemment, mais c'est alors que fait irruption Orion furieux qui les oblige à se réfugier dans le temple de Diane. Le chasseur tente d'y pénétrer à leur suite, mais sera aussitôt abattu par une flêche de la déesse qui, dans son courroux, veut également châtier Sylvia coupable d'avoir aimé un mortel. Eros qui reprend son apparence rappelle à cette dernière qu'elle fut aussi en son temps amoureuse d'Endymion, et Diane finalement pardonne au milieu de la fête générale.

     

               Sylvia Acte III      Darcey Bussel


    Les extraits présentés sont la chorégraphie de Fréderick Ashton pour le Royal Ballet avec dans les principaux rôles Darcey Bussell (Sylvia)  Roberto Bolle (Aminta) Thiego Soares (Orion) et Martin Harvey (Eros).
     

        Le succés du ballet fut très modéré. Il n'y eut que 7 représentations dont les trois premières avaient, de plus, été données seules sans opéra d'accompagnement, une innovation très peu appréciée du public, et la critique dans l'ensemble émit des avis très partagés:

        "Le malheur est que Mr. Mérante, artiste estimable et qui ferait, je crois, un excellent répétiteur de danse n'a aucunement l'étoffe d'un maitre de ballet... Je n'ai pas souvenir dans le genre de quelquechose de plus nul et de plus vide" écrivit Charles de la Rounat...

    Quand au critique de "Paris Journal" il resta lui totalement insensible à l'engouement provoqué par l'étoile milanaise:
        "Par où le sensualisme peut-il trouver à se satisfaire avec cette vigoureuse et mâle ballerine, avec cette Sylvia muscleuse dont le biceps puissant assommera d'un coup le frêle Aminta au premier regard que celui-ci s'avisera de lancer à quelqu'autre nymphe de Diane? Chez mademoiselle Sangali, rien n'est donné à la grâce, au charme, tout est réservé à l'effort puissant, aux coups de force, et malgré son énergique mérite de danseuse, il lui manque l'art souverain, l'art de plaire".

        Paul Victor émettra pour sa part une opinion différente et, admirant le travail de Louis Mérante dont "les pas sont tracés selon les règles de l'art", il sera également subjugué par les prouesses de Rita Sangali "légère à la façon de la flèche" et "qui a créé le rôle de Sylvia avec un sentiment artistique remarquable".

     

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                                                   Rita Sangalli

        Le ballet fut repris par les Théatres Impéraiaux de St. Petersbourg en 1901. Serge Volonsky confia à Serge Diaghilev (1872-1929) le soin de monter Sylvia pour la saison 1900-1901, mais des tensions s'élevèrent entre les deux hommes et s'accrurent au point que le projet fut annulé et Diaghilev contraint à démissionner.
        Celui-ci serait-il jamais parti à l'étranger sans cette querelle?  Aurait-il alors créé les Ballets Russes à Paris en 1909? Pour cette raison Sylvia contribua, certes indirectement, à ouvrir la porte au ballet moderne.
        L'idée de Volonsky ne fut cependant pas abandonnée pour autant par le Marinsky qui la concrétisa l'année suivante avec une chorégraphie confiée à Lev Ivanov. Ce dernier disparut malheureusement  4 jours avant la Première et son ultime contribution à l'histoire du ballet aura été d'avoir changé le titre de "Sylvia ou la nymphe de Diane" en celui plus simple de "Sylvia".
        Bien que la danseuse Olga Preobrajenska (1871-1962) qui interprétait le rôle titre se soit attiré un franc succés, cette production n'enthousiasma pas non plus les spectateurs, on lui reprocha un argument léger ainsi qu'une chorégraphie de piètre qualité et le ballet disparut de l'affiche après seulement cinq représentations.

     

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                                               Olga Preobrajenska

        C'est Frederick Ashton qui en reprenant Sylvia en 1952 va véritablement le populariser. D'après la légende, Delibes l'aurait chargé en rêve de donner vie à son ballet sous-estimé du public, et dès son réveil le chorégraphe se serait mis à la tâche...
        Il chorégraphia en réalité le ballet comme un hommage à sa danseuse fétiche, Margot Fonteyn: "la totalité du ballet est une couronne présentée par le chorégraphe à sa ballerine" écrit le critique Clive Barnes.
        Ashton simplifie l'action, il supprime l'épisode de l'escarpolette à l'Acte I ainsi que le personnage du pirate à l'Acte III, c'est Eros en personne qui ramène Sylvia.
        Cette version reste la base de toutes celles qui ont suivi, à quelques exceptions près: Beaucoup plus proche de la version de Mérante sera celle de Mark Morris en 2004 pour le San Francisco Ballet: "Je me suis servi de la partition et du livret exactement tels qu'ils ont été conçus" dira-t-il, tandis que la relecture de John Neumeier créée à la demande de l'Opéra de Paris présentait en 1997, dans un décor minimaliste situé aux antipodes de l'original, des nymphes vétues de shorts en cuir noir.

        Sans la partition dont l'orchestration brillante et variée surpassait encore celle de son prédécesseur Coppélia, il est évident que l'histoire de Sylvia aurait disparu du répertoire depuis bien longtemps. Ce dernier ballet du compositeur est cependant de loin le plus réussi et ne cesse d'enchanter aujourd'hui un public de connaisseurs: Admirablement adaptée à la scène la musique de Delibes, dont  le talent et la gloire se confirmèrent encore en 1883 avec son opéra Lakmé, fait de lui un maitre de la tradition musicale légère et mélodieuse auquel le monde de l'opéra et du ballet ne cesse de rendre hommage.

     

    Le Duo des Fleurs de Lakmé est interprété par Natalie Dessay (soprano) et Delphine Haidan (mezzo-soprano) accompagnées par l'orchestre du Capitole de Toulouse sous la direction de Michel Plasson.

     


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  • Commentaires

    2
    Vendredi 3 Décembre 2010 à 07:51

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    1
    Mardi 19 Octobre 2010 à 13:10

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