• Paquita (1846) - Espagnolades et Gitaneries

    L'Art et la danse

    Dorothée Gilbert (Paquita) et Manuel Legris (Lucien)

       
         C'était sans doute ainsi que la France voyait l'Espagne à l'époque où le pays fut occupé par les troupes napoléoniennes et, un an après Giselle, Paquita abandonne cette fois les thèmes surnaturels des ballets blancs pour exploiter complètement celui de la couleur locale en répondant à la soif d'exotisme de la période romantique marquée alors par les voyages des peintres et des écrivains en terre espagnole, première approche de régions plus lointaines.

         En 1840 Théophile Gautier a visité cette Andalousie "a demi africaine" passant, dit-il, à l'Alhambra de Grenade "les jours les plus délicieux" de sa vie où, bien avant lui, Chateaubriand était déjà allé "chercher des images" pour son Itinéraire de Paris à Jérusalem.    
         De leur côté les peintres orientalistes comme Ingres, Chasseriau ou Delacroix vont eux aussi découvrir et largement exploiter la lumière et les couleurs de ces contrées ensoleillées.



        C'est dans ce contexte que s'inscrit le ballet composé en 1846 par Joseph Mazilier (1801-1868) d'après le livret de l'auteur dramatique et beau-frère de Victor Hugo, Paul Foucher (1810-1875), lequel revisite pour l'occasion un thème largement exploité par la littérature, de La Petite Gitane de Cervantés à L'Homme qui rit de Victor Hugo: Celui de l'enfant dérobé par des Gitans qui sera d'ailleurs, en 1854, le ressort principal de l'opéra de Verdi, "Il Trovatore" (Le Trouvère) dont le ballet mèle à son tour, à l'Acte III, danses espagnoles et gitanes.

        Ainsi que le fit remarquer avec humour Théophile Gautier:  "les Gitans, comme vous le savez, sont de grands kidnappeurs d'enfants, spécialement au théatre..."  Des rapts qui permettent d'envisager des retrouvailles dans un dénouement en coup de théatre emprunté à la littérature médiévale, mais apprécié de tous temps... et tout particulièrement d'un chorégraphe auquel les réjouissances finales offrent un champ illimité à sa créativité et son imagination.

        De l'imagination, le compositeur Edouard Deldevez (1817-1897) n'en était certainement pas dénué non plus, lui qui fit partie d'un groupe qui tenta de développer une manière originale de communiquer par l'intermédiaire de la musique, une note donnée représentant une lettre de l'alphabet...
        Le trio sillonna la France et lors de ses conférences répondait aux questions de l'auditoire avec un violon... Une application militaire fut même expérimentée avec un clairon qui donnait les ordres sur un champ de bataille en jouant un air approprié... Mais, en raison des aléas posés par la météo et le vent, le système ne fut guère utilisé et Deldevez reste aujourd'hui principalement connu comme l'auteur de la musique de Paquita...

     

    L'Art et la danse

                                               Edouard Deldevez

     

        L'histoire se situe dans la vallée des Taureaux aux environs de Saragosse à l'époque de l'occupation napoléonienne. Lorsque le rideau s'ouvre sur le Premier Tableau de l'Acte I, le Général d'Hervilly est venu, en compagnie de son épouse et de son fils Lucien, inaugurer le monument qu'il a fait ériger à la mémoire de son frère Charles assassiné il y a plusieurs années à cet endroit avec sa femme et sa fille. Le gouverneur de la province, Don Lopez de Mendoza ainsi que sa soeur Sérafina, dont la main est promise à Lucien, les accompagnent également sur les lieux.

        A deux pas de là, le village est en fête, et avec lui une troupe de Gitans et une jolie danseuse, Paquita, insensible à l'amour de leur chef Inigo, car elle sait au fond d'elle même qu'elle n'appartient pas à ce milieu comme semble le lui rappeler le médaillon qu'elle porte, et qui lui sera précisément dérobé par Inigo. Elle est aussitôt séduite par Lucien, qui ne manque pas de se laisser prendre également à son charme, et les deux jeunes gens tombent immédiatement amoureux.



        Don Lopez, qui joue en réalité double jeu, médite l'assassinat de Lucien d'Hervilly et prépare un complot avec la complicité d'Inigo trop heureux de se débarasser de son rival. Ensemble ils organisent un piège: un rendez vous avec Paquita.

     

        Le deuxième tableau a pour cadre le repère du chef gitan où, dès l'arrivée du gouverneur masqué, les deux compères mettent au point leur forfait: Une fois endormi par du vin drogué Lucien sera tué par des bandits qui pénétreront à minuit par une entrée secrète au fond de la cheminée. Paquita, déjà sur les lieux et dissimulée par une armoire, a tout entendu et lorsque le jeune homme arrive et que le traitre lui a versé à boire comme prévu, elle réussit  habilement à intervertir les verres et profite d'un moment d'inattention du gitan pour avertir son bien aimé de ce qui se trame... Celui-ci feint alors de dormir tandis que Paquita fait danser Inigo qui sombre, lui, peu à peu pour de bon dans l'inconscience et que les bandits trouveront, alors que les deux amoureux s'enfuient.

     

          L'Acte II se déroule dans un palais en Espagne où Lucien est attendu par ses parents et sa fiancée Sérafina. Lorsqu'il arrive, accompagné de Paquita, celle-ci témoigne du complot contre Lucien et reconnait soudain parmi les invités l'inconnu aux sinistres projets, démasquant le gouverneur au grand jour... Exit Sérafina...  Lucien fait alors part de son désir d'épouser Paquita, mais celle-ci refuse à cause de ses origines.
        C'est alors que les yeux de cette dernière tombent sur le portait de l'oncle de Lucien, Charles d'Hervilly, qui n'est autre que celui représenté sur son médaillon lequel, dans l'intervalle, a été retrouvé (car au théatre on ne détruit pas les preuves aussi facilement...). Paquita se révèle être la cousine du jeune homme et peut donc l'épouser... Place aux réjouissances du mariage...

     

     

        Créé à l'Opéra de Paris le 1er Avril 1846, le ballet connut un immense succés et l'engouement du public pour les nombreuses danses espagnoles n'eut d'égal que le talent des interprètes, Carlotta Grisi et Lucien Petipa. Joseph Mazilier avait su y exploiter parfaitement la solide technique de Carlotta, et Théophile Gautier émerveillé décrivait "ces espèces de sauts à cloche pied sur la pointe de l'orteil avec un mouvement d'une vivacité éblouissante qui causent un plaisir mélé d'éffroi car leur exécution parait impossible, bien qu'elle se répète huit ou dix fois..." Quand à la pauvre Carlotta nombreux sont ceux qui, parait-il, l'entendirent se plaindre dans les coulisses des douleurs que lui causait le travail des pointes...

     

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                                Carlotta Grisi (Paquita) et Lucien Petipa (Lucien)

     

        Paquita fut retiré du répertoire de l'Opéra de Paris en 1851, mais poursuivit sa carrière en Russie où il avait été repris dès 1847 par Marius Petipa, frère cadet de Lucien qui, bénéficiant du courant d'échanges artistiques franco-russe, avait été engagé cette année là comme danseur aux Théatres Impériaux de St. Petersbourg et inaugura sa première saison avec le ballet de Mazilier, collaborant à la mise en scène et interprétant le rôle de Lucien d'Hervilly avec comme partenaire Elena Andreyanova.
         L'année suivante il produit le ballet au théâtre Bolchoï de Moscou et en donne une autre version à St. Petersbourg en 1881 avec Ekaterina Vazem et Pavel Gerdt comme interprètes. Mais cette fois il a commandé des rajouts au compositeur Ludwig Minkus: Le Pas de Trois, le Grand Pas classique et la Mazurka des enfants.

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                                     La Mazurka des enfants    Théâtre Marinsky

        Le Grand Pas sera révisé en 1896 pour la représentation de gala tenue à Peterhof en l'honneur de l'impératrice Catherine II: Pour l'occasion Mathilde Kschessinskaya nouvellement promue Prima Ballerina Assoluta, invita quelques unes de ses congénères à participer à la représentation en interprétant leur variation favorite, et établit ainsi la tradition d'introduire une suite de soli pour plusieurs danseuses qui trouvèrent là un moyen ingénieux de rivaliser entre elles... 

         La version de Petipa resta au répertoire du Marinsky jusqu'en 1926, et bien longtemps après que le ballet ait quitté la scène les pièces rapportées à la chorégraphie de Mazillier continuèrent à être montées par les Compagnies du monde entier et devinrent des morceaux importants du répertoire classique: Anna Pavlova inclut le Grand Pas classique dans le répertoire de sa Compagnie, Rudolf Noureev le monta pour la Royal Academy of Dancing,  Natalia Makarova en donna une nouvelle version pour l'American Ballet Theatre et quand à George Balanchine il opta lui pour le Pas de Trois.

     

    Acte I   Danse d'ensemble et  Pas de Trois

    Pendant très longtemps seules ces parties furent représentées et il fallut attendre 2001 pour que Pierre Lacotte, "l'archéologue du ballet du XIXème siècle", décide de remonter une version intégrale de Paquita pour l'Opéra de Paris .

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                                              Pierre Lacotte (1932-   )

         Recréé le 25 Janvier 2001, avec Clairemarie Osta (Paquita), Manuel Legris (Lucien) et Gil Isoart (Inigo) le ballet de Pierre Lacotte se veut le plus fidèle possible à l'oeuvre originale de Joseph Mazilier (y compris décors et costumes) mais conserve, toutefois, de la version Petipa le Pas de Trois ainsi que la Mazurka des enfants. Quand au Grand Pas il est, dans un premier temps, amputé de toutes les variations hormis celles dévolues aux deux héros, mais en 2003 retrouvera sa forme d'origine.

     

                      Acte II   Final de la Mazurka des Enfants - Grand Pas Classique

        Paquita est un ballet difficile et sa présence dans une compagnie témoigne de son haut niveau de professionalisme. C'est également un ballet complexe où la partie mimée importante, notamment au début de l'Acte II, fait largement appel aux talents d'interprètes des danseurs.
        Lors de la Première Carlotta Grisi et Lucien Petipa reçurent cette critique élogieuse: "Le public est resté béat d'admiration face à ces danseurs et à l'authenticité de leur interprétation sans équivoque".

        Ballet pantomime tenant de la danse mais également du théatre de mouvement (la scène au repère d'Inigo relève quasiment du film muet) cette alliance d'éléments hybrides, jugée inopportune par certains, apporte pourtant au spectacle toute sa richesse et sa magnificence. Paquita est un ballet pétillant, haut en couleurs et riche en formes, un univers resplendissant, nous sommes dans le factice décoratif, l'esthétique du ballet dramatique propre au XIXème siècle, et le spectacle grâce à sa beauté raffinée arrive à se hisser au rang de véritable poésie chorégraphique.

     

     

    Les extraits de Paquita sont tirés de la version 2001 de Pierre Lacotte interprétée par Agnés Letestu (Paquita), José Martinez (Lucien), Karl Paquette (Inigo), Nolween Daniel, Mélanie Hurel et Emmanuel Thibaut (Pas de Trois) et le corps de ballet de l'Opéra de Paris.


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