• Marie Taglioni (1804-1884) - La Sylphide éternelle.

    L'Art et la danse


        Au cimetière de Montmartre où on la croit enterrée à cause de l'ambiguité d'une plaque posée sur la sépulture de sa mère, la tombe disparait sous un amas de fleurs et de chaussons vieillis par le temps, déposés là par les jeunes danseuses...
        Dans la réalité des choses, c'est au cimetière du Père Lachaise que repose Marie Taglioni qui, après avoir été adulée comme une reine, mourut dans la misère. 

        La petite fille de Carlo Taglioni, chorégraphe et maitre de ballet napolitain, naquit à Stockolm le 23 Avril 1804. Son père Filippo et son oncle Salvatore étaient eux même chorégraphes et sa mère, la suédoise Sophie Karsten, danseuse professionelle... Autant dire que Marie tomba dans le chaudron dès son plus jeune age...
        Tandis que Filippo Taglioni parcourait l'Europe au hasard de ses contrats, sa famille était installée à Paris à l'abri des guerres napoléoniennes, et c'est un professeur de l'Opéra, Jean François Coulon, qui fut chargé d'enseigner à la petite Marie les rudiments de son art...
        Certains détails laissent à penser que celle ci souffrait d'une déviation de la colonne vertébrale qui entrava son apprentissage et fit dire un jour à Coulon, sans doute excédé:
                "Est-ce que cette petite bossue apprendra un jour à danser?"
      Et comme il n'était pas avare de ses compliments il lui arrivait aussi, parait-il, de la traiter fréquement de "vilain petit canard"...

        Lorsque Filippo Taglioni se vit offrir un poste permanent à l'Opéra de Vienne il fit revenir Marie près de lui et fut si désagréablement surpris de son peu de progrés qu'il décida de la faire travailler lui même en lui imposant un entrainement impitoyable... On dit qu'elle était tellement épuisée à la fin de la journée qu'elle avait besoin de quelqu'un le soir pour la déshabiller.
        Impassible devant sa fatigue ou ses orteils en sang, le père avait en tête de créer pour sa fille un style novateur tout en légèreté et en finesse mis en valeur par le travail des pointes. Ces envolées éthérées étaient en outre soulignées par des ports de bras délicats et des postures du buste très particulières qui devinrent la caractéristique de l'école romantique, mais que beaucoup d'historiens de la danse pensent avoir été destinés, en réalité, à contourner le problème de colonne vertébrale de Marie.

         Lorsque celle ci fut jugée enfin prête, elle débuta à Vienne en 1822 dans une chorégraphie de son père, La Réception d'une jeune nymphe à la Cour de Terpsichore et, après avoir été largement applaudie et louangée à Munich et Stuttgart, elle parut à Paris un soir d'été 1827.
                "Ses débuts feront époque, c'est le romantique appliqué à la danse" écrivit le Figaro, "tout était de poésie et de simplicité, de grâce et de suavité".
        Marie Taglioni maitrisait si parfaitement, en fait, la technique des pointes (chèrement acquise...) qu'il n'y avait chez elle aucun effort physique apparent... ce qu'en un rien de temps toutes les autres danseuses essayèrent inévitablement d'imiter, mais sans succés...
        Sachant mettre sa fille en valeur comme seul un père peut le faire, Filippo Taglioni créa alors pour elle en 1832 (sur une musique de Jean-Madeleine Schneitzhoeffer) La Sylphide, qui étendit d'un coup sa renommée à l'Europe entière.



        Véritable vitrine de son talent, ce ballet qui fit la gloire de "la Taglioni" s'inscrivit dans l'histoire de la danse comme le premier ballet où l'usage des pointes ajoutait à l'esthétique et n'était pas une simple prouesse accrobatique entrainant souvent de très disgracieux mouvements des bras, comme tout ce qui avait été vu auparavant.
         La Sylphide, effectivement, ne vit pas l'apparition des premiers chaussons de pointes comme on le dit souvent, et Marie Taglioni ne fut pas,comme le veut la tradition, la première danseuse à monter sur les pointes, car beaucoup d'autres l'avaient déjà fait avant elle, mais elle fut la première à le faire avec art...
       ( Pour les esprits curieux il faut noter que ces premiers chaussons de pointes n'avaient absolument rien à voir avec ceux que l'on connait aujourd'hui . Marie Taglioni portait de simples chaussons de satin dont la pointe et les côtés étaient rebrodés afin de les rigidifier, les danseuses rembourrant elles même l'extrémité).

        Les spectateurs découvrirent, par contre, une véritable révolution dans le costume dépouillé qu'avait imaginé Eugène Lami pour la Sylphide: une superposition de vaporeux jupons de mousseline blanche très légère, posée sur un bustier dégageant le cou et les épaules... de l'inédit absolu... en deux môts: un tutu romantique, que l'on retrouvera plus tard dans "Giselle" (1842), le "Pas de Quatre" (1845) et "Les Sylphides" (1901).

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        Un tutu que Marie Taglioni avait, chose encore scandaleuse pour l' époque, fait raccourcir afin de mieux montrer sa virtuosité dans le travail des pointes (Elle avait eu un illustre prédécesseur dans ce domaine avec "la Camargo" qui, en 1726, avait déclenché un scandale en montrant ses chevilles... et avait enlevé dans la foulée les talons de ses chaussures, inventant les premiers chaussons de danse...).

        Les élégantes du moment se coiffent "à la Sylphide"... les petites filles ont des poupées qui représentent la Sylphide... des bonbons et des biscuits porteront son nom... Marie Taglioni règne alors en reine incontestée sur le monde de la danse...

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        Après la fin de son contrat avec l'Opéra de Paris en 1837, elle se produit pendant 15 ans de Londres à Berlin et de Milan à St. Petersbourg où elle signa là un contrat de trois ans avec le Ballet Impérial (aujourd'hui le Kirov) C'est précisément à l'issue de sa dernière représentation en Russie que des chaussons de pointes lui appartenant furent, parait-il, vendus aux enchères pour la somme de 200 roubles, et achetés par des admirateurs qui les firent cuire (sans doute très longtemps...) avec une garniture de légumes et les mangèrent assaisonnés d'une sauce...
        Une autre légende racconte que Marie Taglioni conservait dans sa boite à bijoux un morceau de quartz étincellant comme la glace, en souvenir du jour où elle avait dansé sous les étoiles à la requète d'un bandit de grands chemins qui après avoir fait arrêter sa calèche en plein hiver lui avait demandé d'exécuter pour lui au clair de lune quelques pas sur une peau de panthère étalée sur la neige...

       Rempli d'enthousiasme l'écrivain-journaliste anglais William Thackeray écrivit :
                 "Est-ce que la jeune génération verra quelque chose d'aussi charmant, aussi classique, aussi semblable à Taglioni?"
        La réponse est non... A la fin de sa carrière elle parut encore dans tout l'éclat de son talent  le 26 Juin 1845 à Londres, où le directeur du Her Majesty's Theatre avait eu l'heureuse idée de rassembler les quatre plus grandes danseuses du siècle (Taglioni, Cerrito, Grahan et Grisi) dans le célèbre Pas de Quatre réglé par Jules Perrot sur une musique de Cesare Pugni.



        Deux ans plus tard, toujours à Londres, Marie Taglioni faisait ses adieux définitifs à la scène après 25 années de triomphe ininterrompu. L'inoubliable Sylphide prit alors sa retraite à l'age de 43 ans dans la villa qu'elle avait faite construire sur les bords du lac de Côme où en 1852 décéda son père devenu aveugle.
        Elle quitta cependant ce refuge en 1858 pour l'Opéra de Paris où elle devint le professeur de la jeune Emma Livry qui triomphait à son tour dans le rôle de la Sylphide, et composa pour elle en 1860 son unique chorégraphie, Le Papillon, sur une musique d'Offenbach (La tragique disparition prématurée de cette jeune ballerine à laquelle elle s'était profondément attachée lui causa un immense chagrin qu'elle eut par la suite beaucoup de mal à surmonter).



        Nommée inspectrice de la danse en 1859, Marie Taglioni avait institué dès son arrivée l'examen annuel du Corps de ballet dont le tout premier eut lieu le 13 Avril 1860. Mais la guerre franco-prussienne entraina, avec la fermeture de l'Opéra, la fin de son activité et surtout de graves soucis financiers personnels:
        Elle avait durant toutes ces années, comme on l'imagine, accumulé une immense fortune (L'Opéra de Paris lui versa pendant toute la durée de son contrat le salaire sans précédent de 30 000 francs par an) et bien que son père et elle aient été des investisseurs prudents, la guerre entraina leur ruine. Marie Taglioni s'exila alors à Londres où, pour subister, elle enseignait la danse classique et donnait des cours de danse de salon à la haute société.
        Mais le poids de l'age se faisant sentir elle prit en 1880 la décision de rejoindre à Marseille son fils, né d'un mariage malheureux avec le comte Gilbert des Voisins; et privée de ses maigres revenus elle s'éteignit dans la cité phocéenne le 24 Avril 1884 à l'age de 80 ans, pratiquement dans la misère. Enterrée dans un premier temps au cimetière St. Charles de Marseille, son corps a été transféré par la suite à Paris au cimetière du Père Lachaise dans la tombe de la famille Gilbert des Voisins sur laquelle est inscrite cette touchante épitaphe:

             "O terre ne pèse pas sur elle, elle a si peu pesé sur toi!"

        Elégante et raffinée, Marie Taglioni fut une technicienne virtuose qui fit passer à la postérité sa parfaite maitrise de l'art que son père lui avait enseigné: une danse aérienne imprégnée d'une harmonie naturelle et d'une sensibilité inhérente à chaque mouvement.
        Peut-être avait-elle été aiguillonnée dans sa quête de légèreté par ces paroles de l'auteur de ses jours, pleines de fougue italienne:
                             "Si je l'entend, je la tue..."
        Pour le plus grand plaisir de ses contemporains celui-ci n'eut pas à mettre sa menace à exécution... et fit à la danse le plus inestimable cadeau...
      


     
    Johann Strauss (1825-1899) composa la Marie Taglioni Polka (op 173) en son honneur, en utilisant des musiques de ballets dans lesquels elle avait paru. 

                 

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