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Le costume mythique.
L'Orchestre. Edgar Degas (1834-1917)
Lorsque le ballet n'était encore à Versailles qu'un passe temps de Cour où il s'agissait de paraître, les participants arboraient les vêtements à la mode de l'époque, somptueux certes, mais dont le poids et l'encombrement limitaient considérablement les mouvements.
Et dans les années qui suivirent la création de l'Académie Nationale de Musique (1661), et en dépit de l'émergence des danseurs professionels dont la technique était devenue plus complexe, il n'existait toujours pas de tenue spécifique au ballet... Bien malin qui eut su dire alors en voyant les premières danseuses si elles se rendaient à un Souper du Roi où si elles allaient entrer en scène...Marie Thérèse de Subligny (1666-1736)
C'est Marie Anne de Camargo (1710-1770) qui accomplit le geste décisif lorsqu'afin de mettre en valeur ses entrechats elle n'hésita pas à raccourcir ses jupes, causant alors un véritable scandale en dévoilant ses chevilles (Une loi promptement promulguée l'obligea d'ailleurs par la suite, elle et ses consoeurs, à porter des "caleçons de précaution" destinés à dissimuler à la vue cette débauche de chair humaine)Marie Anne de Camargo (1710-1770)
Sa rivale, Marie Sallé 1707-1756), alla encore plus loin en abandonnant cette fois carrément paniers et brocards pour danser dans une légère robe de mousseline portée par dessus son corset et son jupon... Mais ceci se passait en Angleterre, beaucoup plus ouverte aux idées de Noverre (1727-1810) qui avait compris que seul un allégement du costume permettrait à la technique de progresser.
La France n'était pas encore prête pour de telles métamorphoses et il fallut attendre la Révolution et la mode nouvelle des années qui suivirent, où apparurent à la ville sobres jaquettes et robes de mousseline légères, pour qu'un changement notable se fasse sentir et que disparaissent enfin de la scène les lourds costumes dont les remplaçants prirent cette fois en compte les impératifs du ballet.Marie Madeleine Guimard (1743-1816)
Dans son manuel Traité élémentaire et Pratique de la Danse publié en 1820, Carlo Blasis (1797-1878) très concerné par le vêtement précise:
"Le vêtement des danseurs doit toujours être collant pour ne cacher aucune ligne de la silhouette, sans être trop étroit afin de ne gêner aucun mouvement ou attitude".
Et il dessina lui-même la tenue officielle des élèves de l'Opéra de Paris qu'il décrit ainsi:
"Le costume des hommes est composé d'une jaquette ajustée et de pantalons en étoffe blanche sérrés à la taille par une ceinture à boucle en cuir noire pour assurer le maintien" (Ces longs pantalons qui dissimulaient trop de fautes et de défauts furent très vite raccourcis aux genoux)
"Le vêtement porté par les femmes à leur leçon se compose d'un corsage et d'une jupe de mousseline blanche, et d'une ceinture noire autour de la taille".
Hommes et femmes portent alors des bas et une innovation importante fut apportée en 1830 par un certain monsieur Maillot, bonnetier de l'Opéra de Paris, qui inventa un vêtement de tricot moulant auquel il donna son nom: un maillot, sorte de "body" fait d'une seule pièce qui couvrait le corps jusqu'aux chevilles ou parfois s'arrétait aux genoux.
L'apparition du maillot ajoutée à la mode du vêtement fluide permit l'évolution nécessaire au costume de ballet, qu'il soit vêtement de classe ou costume de scène, mais c'est en 1832 que naquit le symbole même de la danse classique...
Car, lorsque Marie Taglioni (1804-1884) parait dans le rôle de la Sylphide, la jupe vaporeuse montée sur plusieurs jupons qu'a imaginé pour elle le peintre Eugène Lamy va s'ancrer dans les esprits comme l'uniforme de la ballerine par excellence... Toutefois s'il s'est immédiatement attaché à l'image de la danseuse romantique, il ne porte encore à l'époque aucun nom particulier, celui-ci n'apparaitra qu'en 1881 et sa véritable origine reste encore un mystère... (Certains pensent qu'il viendrait du mot tulle, d'autres évoquent l'ancienne plaisanterie grivoise des abonnés de l'Opéra: panpan-tutu).Marie Taglioni dans le rôle de la Sylphide
La jupe à volants superposés s'impose, et selon un témoignage du moment, les danseuses de l'Opéra de Paris sont ainsi vêtues pendant la classe en 1844:
"Les filles sont nu-tête et décolletées, leurs bras sont nus, le buste sérré dans un corsage ajusté. Une jupe bouffante faite de tissu léger leur arrive au dessous du genou et leurs cuisses sont chastement cachées sous de larges pantalons de calicot".
Pour la petite histoire, on décrit ainsi l'habillage d'une danseuse de l'époque...
"D'abord une chemise dont le pan arrière est ramené entre jambes par devant et sérré à la taille par un ruban. On revêt ensuite un corset laçé, un pantalon qui couvre les cuisses, et des bas de coton tenus par des jarretières sous lesquelles on glisse le bas du pantalon. C'est ensuite le tour du corsage et enfin le juponnage. Une large ceinture complète ce costume".
En 1870 les jupes bouffantes couvrent encore chastement le genou, immortalisées par Edgar Degas, familier des coulisses de l'Opéra, dont les peintures témoignent que le costume de scène ne diffère que très peu de celui porté en classe.Le Foyer de la danse de la rue Le Peletier. E. Degas (Le maitre de ballet est Louis Mérante)
Un costume que, jusqu'au milieu du siècle, les élèves doivent elles même fournir et que les mères des danseuses étaient alors chargées de confectionner selon des critères bien précis:
Deux jupons de tarlatane, de 5 à 6 mètres d'ampleur, froncés et pris dans une ceinture de 15 centimètres de large, et dont la hauteur était comprise entre 50 et 60 centimètres.
Ce sont les ballerines italiennes qui, désirant que leurs prouesses sur pointes soient appréciées à leur juste valeur, commencèrent dans les années suivantes à porter des tutus au dessus du genou.
La célèbre Pierina Legnani (1868-1930) fit un mini scandale au Marinsky lorsqu'elle refusa de danser avec le tutu traditionnel en soutenant que pour rien au monde elle ne consentirait à "mettre le tutu de sa grand- mère"... Elle eut finalement gain de cause, pour le plus grand plaisir de ses admirateurs...Pierina Legnani (1868-1930)
Avec le tutu ainsi raccourci apparurent les trousses, des culottes plus ou moins volantées selon la mode, généralement attachées à la jupe, et on verra par la suite la longueur des costumes diminuer progressivement, de façon à dégager les silhouettes et laisser apparaitre les jambes qui effectuent un travail de plus en plus technique.
Lorsque Serge Lifar (1905-1986) est nommé directeur de l'Opéra de Paris le tutu est encore la tenue des élèves dans les classes de danse, mais en 1930 une réforme décisive décide qu'il sera dorénavant uniquement réservé à la scène... S'il perd un empire il n'en acquiert que plus de prestige en devenant l'objet à atteindre ... Car un tutu se gagne et il n'est rien de plus pathétique qu'un tutu exilé sur des jambes qui ne le méritent pas.
Quelques dix années plus tard, son profil sera modifié par une innovation venue d'Angleterre où les danseuses ravissent le public avec leur tutu galette (pancake tutu) dont la jupe se détache du corps quasiment à l'horizontale...Violetta Elvin (1924- )
L'idée vient alors en France d'insérer dans ce premier tutu plateau un cerceau métallique, rigidifiant la structure qui donnera naissance à une autre version du genre: le tutu à cerclette.
A la suite de la seconde guerre mondiale et aux difficultés d'approvisionnement en tissus, les tutus raccourciront cette fois par la force des choses et, la mode s'installant, les années 60 en verront apparaitre quelques versions très courtes.
C'est ensuite la fantaisie et l'imagination des chorégraphes qui en commandera la longueur et l'aspect, avant que ceux-ci ne semblent maintenant, avec le temps, lui vouer un certain désamour...
Toutes les danseuses se souviennent pourtant avec émotion de celui qu'elles ont porté pour la première fois... les petites filles en rêvent... et les spectateurs admirent chaque fois son élégance...
Mais très peu sont ceux qui songent au nombre d'heures de travail que sa réalisation aura demandé : 20 heures environ pour le seul juponnage d'un tutu plateau...
Les tissus utilisés au XIXème siècle étaient aux tout débuts de couleur blanche ou blanc cassé et ce n'est qu'un peu plus tard qu'apparurent les tutus de couleur. Mais dans tous les cas les jupons obligatoirement fins et légers et, devant surtout laisser passer la lumière, sont faits de gaze, mousseline, organdi, organza, tarlatane, voile, ou tulle.
Une tradition voulait au siècle dernier que les danseuses du corps de ballet ne portent que du tulle de coton alors que les danseuses étoiles avaient droit à du tulle de soie... Cette coutume ne s'est pas perdue au fil du temps et perdure encore de nos jours où les tutus des étoiles sont faits de mousseline tandis que ceux des autres ballerines sont en organza
Le jupon d'un tutu plateau comporte de 9 à 13 volants dont les dimensions s'échelonnent entre 5 et 41 centimètres de large et 4 et 9 mètres d'ampleur.
Ceux-ci sont froncés très régulièrement et montés, du plus petit au plus grand, sur la trousse au niveau des hanches (un tutu n'est jamais monté à la taille, ce qui alourdirait la silhouette).
Puis on procède alors au baguage, qui consiste à relier les volants entre eux par des coutures afin de rigidifier l'ensemble pour qu'il supporte le poids du dernier volant sans plier. Pour les tutus à cerclette on glisse à ce moment là une cerclette entre les volants dont ceux du dessous sont, d'ailleurs, faits de textiles plus rigides et très souvent bordés de crin, alors que le dernier est toujours coupé dans un tissu plus léger, et orné plus ou moins richement selon le rôle de la danseuse.
Bien qu'il puisse être laissé libre cet ensemble est généralement fixé au bustier, souvent rigidifié par des baleines, lui-même constitué d'un assemblage de plusieurs pièces de satin ou de soie, textiles supplantés de nos jours par les tissus synthétiques, Nylon puis Lycra.
Cette dernière opération ne va pas sans de soigneux essayages car un tutu réussi se doit d'aller comme un gant et ne révèler aucun faux pli comme en témoignent les véritables chefs d'oeuvre que des ouvriers au talent exceptionnel réalisent dans l'ombre des ateliers à la gloire de la danse.Atelier des costumes du New York City Ballet
Certains tutus ont eu des concepteurs de renom tel le "tutu houppette" (Powder puff) que créa pour George Balanchine la célèbre costumière d'origine russe Barbara Karinska (1886-1983).
Le chorégraphe aimait réunir sur scène un grand nombre de danseuses dont le tutu plateau porté dans ces conditions révélait un défaut très génant, la cerclette le faisant osciller au moindre frôlement.
Barbara Karinska résolut alors ingénieusement le problème en créant son "tutu houppette": avec une jupe plus courte faite de 6 ou 7 volants décalés d'1centimètre environ, et d'apparence plus vaporeuse que le tutu plateau. Celui-ci apparut pour la première fois en 1947 dans le ballet Symphonie en Ut et fit dire plus tard à Balanchine:
"J'attribue à Karinska 50% du succés de mes ballets dont elle a créé les costumes".Tutu houppette Barbara Karinska (1886-1983)
Rudolf Noureev, très exigeant dès ses débuts, et trouvant le tutu plateau trop peu pudique, créa également son tutu idéal : plongeant devant et derrière et plus court sur les côtés...
Nombreux sont les chorégraphes ayant, comme lui, affiché à l'occasion leurs préférences, et les variations qui ont été données du tutu sont aujourd'hui nombreuses, mais quel que soit son style ou le qualificatif qui s'y attache il reste depuis sa première apparition l'image de la danse classique et ne cesse, sous toutes ses formes, d'enchanter le public car il trace autour de la ballerine un cercle magique qui en fait le plus poétique de tous les costumes...Viviana Durante dans le rôle d'Aurore de La Belle au Bois Dormant.
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