• La Valse : Un Romantisme révolutionnaire

     

    L'Art et la danse

                              La Valse (1891)    Anders Zorn (1860-I920)


        "... Je n'étais plus un homme... Tenir dans mes bras la plus aimable créature et tourbillonner avec elle comme l'orage, à tout perdre autour de soi... J'ai fait le serment qu'une jeune fille que j'aimerais, sur laquelle j'aurais des prétentions, ne valserait jamais avec un autre que moi... jamais..."
                                   Goethe  Les Souffrances du Jeune Werther (1774)

     

         C'est ce passage du roman de Goethe au succés phénoménal, et dont sont extraites ces quelques lignes, qui assura la promotion définitive de la valse, laquelle ne fut pas toujours aussi populaire que l'on croit... Quand à son origine souvent contestée celle-ci n'a cessé d'alimenter les débats des historiens de la danse...

         Il faut savoir avant tout que jusqu'au XVIème siècle, dans ce Moyen Age où les prélats encore traumatisés par les Bacchanales infligeaient aux impudents qui se seraient avisés de danser sur une dépendance de l'église une peine pouvant aller jusqu'à trois ans de jeune ou de pèlerinage, danser en couple pouvait dans la foulée être passible du bûcher... Et les évolutions de l'époque auraient épargné bien des tourments et une triste fin à ce jeune Werther qui se serait alors contenté de tenir sa cavalière du boût de ses doigts gantés pour exécuter pompeusement une promenade agrémentée de glissades lentes entrecoupées de révérences... En résumé, pas de quoi enflammer les sens...

        C'est pourquoi "la volte", dont l'innovation sur le plan chorégraphique consistait dans l'enlacement final des deux danseurs qui tournoyaient ensemble, se transmit tout d'abord clandestinement en Italie, en France et en Angleterre...

     

            Extrait du film  Elizabeth (1998) avec Cate Blanchett et Joseph Fiennes
     

        Est ce là l'origine de la valse? Rien n'est moins clair... Une chose est certaine, elle n'est pas apparue soudainement et ne peut avoir une seule origine.

        De l'avis général et selon les milieux autorisés, la valse proviendrait des "ländlers", ces danses populaires en Allemagne et en Autriche dont le rythme à trois temps est issu des "Tanzlieder" des XVIème et XVIIème siècle.
        A la Cour de Vienne le "minnesänger" Neirthart von Renerthal composa des chansons dont le rythme annonçait clairement celui de la valse: Un fifre et un tambourin donnaient la cadence, accompagnant les danseurs qui assuraient eux-même le chant tout en virevoltant (certainement pas encore à perdre haleine... car danser en chantant n'est pas une entreprise de longue durée...)
        Montaigne décrit une danse qu'il vit à Augsburg en 1580 où "les danseurs se tenaient si prés l'un de l'autre que leurs visages se touchaient", et Kunz Haas parlera lui, à la même époque, de ces danses "païennes", Weller et Spinner, où les vigoureux paysans marquaient la mesure en tournoyant.

        Dansés à l'origines en plein air ou à l'auberge par les paysans de Bavière, du Tyrol ou de Styrie, les "ländlers" étaient des rondes exécutées en couples enlacés sur un rythme à trois temps, ce qui les distinguait des danses où les participants se faisaient face.

     

     

        Bien que la Renaissance ait balayé les terribles ukases ecclesiastiques celles-ci ne furent pas cependant sans laisser de traces... et le fait de danser en "couple fermé", c'est à dire l'homme face à la femme et non pas à ses côtés comme dans les danses "bienséantes", a été longtemps considéré comme inconvenant et n'était pas admis dans les milieux qui "donnaient le ton"...
        C'est pourquoi, tandis que les classes supérieures de la société continuaient à s'ennuyer en dansant le menuet, nombre de nobles messieurs s'échappaient vers les bals de leurs domestiques... (avec toutes les complications consécutives que l'on imagine...)

        Le terme de "Waltzer", qui désigne en fait la figure finale des "ländlers", se répand au XVIIIème siècle lorsque l'évolution des moeurs et des idées appelle un nouveau type de société, et que le couple dansant devient une représentation acceptable dans certains milieux éclairés.
        Don Curzio décrit ainsi la vie à Vienne en 1776 :
    "Les gens dansaient comme des fous. Les dames de Vienne sont particulièrement renommées pour leur grâce et leur façon de danser la valse dont elles ne se fatiguent jamais".

     

    La 54 ème édition du Bal de l'Opéra de Vienne, la soirée la plus glamour de la vie mondaine cloturant la traditionnelle saison des bals, a rendu hommage cette année à Chopin dont on fêtait le 200ème anniversaire de la naisance et rassemblé plus de 6000 invités. Parmi les traditionnels 144 débutants qui ont ouvert le bal en lançant le rituel "Alles Waltzer!" (Tous pour la Valse) figurait cette année l'arrière petit fils de Richard Strauss.
     

     

           Après avoir conquis la capitale autrichienne, la valse se répandit dans de nombreux pays d'Europe, sans s'être encore débarassée cependant de sa réputation sulfureuse... Car si le clergé autrichien était libéral et voyait dans la valse l'expression sociale d'une joie collective et une façon pour les jeunes gens des deux sexes de faire connaissance, en France par exemple, les curés puritains voyaient dans la valse "une pratique lascive", et il fallut attendre la Révolution qui, en coupant court à ces préjugés a supprimé l'interdit. 

         Ce n'est qu'en 1800 que l'on valsera pour la première fois au bal de l'Opéra à Paris, et en 1825, bien que la mode de la valse se soit imposée en Angleterre pendant la période de la Régence, on peut lire encore dans le Dictionnaire d'Oxford à la rubrique "valse" qu'il s'agit d'une danse "indécente et contraire à l'ordre public"...

        Il faut dire que lorsqu'émergea la danse en couple dans les bals populaires ceux-ci étaient d'immenses chahuts où les participants se bousculaient et se heurtaient parfois violemment... Il y avait souvent des bléssés et des rixes, et le bal se transformait en certaines occasions en véritables batailles rangées comme le décrivent les archives des tribunaux... (chaque siècle a eu ses rave-parties...)

        On aura compris que dans de telles conditions l'opinion publique n'était pas encore prête à autoriser la valse aux jeunes filles...
        "Aux temps où la valse régnait dans les salons, elle était l'apanage des femmes mariées autorisées de leurs maris. Les jeunes filles qui imitaient les femmes mariées étaient montrées du doigt et redoutées comme le feu par les jeunes gens à marier. En effet, la valse en rapprochant les deux sexes émeut vivement les sens... inspire les désirs... les irrite... et porte tellement vers la volupté qu'elle est souvent dangereuse pour l'innocence". (Brieux Saint-Laurent)
        Madame Celbart déclara "qu'elle pouvait faire perdre la raison aux jeunes filles", et le chevalier de Ségur dira d'une jeune demoiselle "Elle a son pucelage moins la valse..."

        En investissant les salons et les parquets cirés la valse, dansée jadis en sautillant à la manière paysanne, s'est maintenant transformée en une danse raffinée où les couples, aidés par leurs chaussures à semelles de cuir, tournent en glissant, et à partir du XIXème siècle le rôle de Vienne va se révéler considérable dans son développement lorsque la ville ouvre de grandes salles recouvertes de parquet dont certaines, dit-on, pouvaient contenir jusqu'à 3000 personnes.

        A côté de celui de la capitale autrichienne un autre nom reste indissociable de l'histoire de la valse: celui de Johann Strauss qui y vit le jour le 14 Mars 1804 et dont curieusement l'oeuvre la plus célèbre n'est pas une valse mais la Marche de Radetzsky jouée imperturbablement chaque année par l'Orchestre Philarmonique de Vienne  pour clôturer le traditonnel Concert du Nouvel An...

     

     Concert du Nouvel An 2010   L'Orchestre Philarmonique de Vienne est dirigé par Georges Prêtre.

     

         C'est pourtant à Johann Strauss père que revient le mérite d'avoir fait connaitre et apprécier la valse viennoise à travers l'Europe où il voyageait à la tête de son orchestre, un projet ambitieux qui lui permit de jouer sa musique à l'occasion du couronnement de la reine Victoria en 1838.
        Mais c'est à Paris qu'il vient chercher la consécration officielle où Berlioz, critique musical au "Journal de Débats" dira de lui: "Vienne sans Strauss, c'est comme l'Autriche sans le Danube".
     

    L'Art et la danse

                                    Johann Strauss père ( 1804-1849 )

        Cependant c'est son fils Johann Strauss II qui va accéder au titre de "roi de la valse" (un titre accompagné d'un véritable sceptre en argent ciselé qui passait de musicien en musicien et que Johann Strauss II reçut fréquemment).

     

    L'Art et la danse

                                      Johann Strauss fils ( 1825-1899 )
     
        Ce dernier fut incontestablement le membre le plus célèbre de la famille en accédant à une qualité d'écriture qui rapprocha la valse de la musique classique et transforma une danse rurale en un divertissement brillant, surpassant en cela ses prédécésseurs.
        Ses valses, Sang Viennois, le Beau Danube Bleu... feront le tour du monde et Richard Wagner vit en lui "le cerveau le plus musical qui fut jamais".
        Lorsqu'un jour son épouse Adèle demanda à Brahms de lui autographier son éventail (une pratique très à la mode à l'époque, où le compositeur à qui l'on faisait une telle requète inscrivait quelques mesures de l'une de ses oeuvres les plus connues qu'il faisait suivre de sa signature) l'ami personnel du couple écrivit quelques mesures du Beau Danube Bleu et ajouta:           " Malheureusement pas signé par Johannes Brahms"..

     

    L'Art et la danse

                                  Johann Strauss et Johannes Brahms

         Bientôt les trois frères Strauss, Johann, Joseph et Edouard se consacrent au même genre musical et en 1889 Johann Stauss II compose la célèbre Valse de l'Empereur, un dernier sommet avant le déclin de cette prodigieuse dynastie de musiciens dont le dernier, Edouard, meurt en 1916 durant la Première Guerre Mondiale après avoir fait brûler dans le four d'une usine de la banlieue de Vienne la plupart des partitions originales. Les trois frères ont en effet fait un pacte: le dernier vivant détruira toutes leurs oeuvres afin qu'aucun autre compositeur ne puisse s'en attribuer la paternité.

     

    L'Art et la danse

                      Monument à Johann Strauss II dans le Stadtpark de Vienne


         Née dans l'empire germanique, la valse a conquis l'Europe entière et inspiré les compositeurs de musique dite classique. Chez Mozart ou Haydn les premières valses sont encore de forme incertaine, mais peu à peu l'auditeur peu averti va identifier facilement le rythme caractéristique de cette danse: un accent sur la basse du premier temps, suivi de deux accords.

     

    L'Art et la danse

                 Extrait de l'opérette de Johann Strauss II  La Chauve Souris


         Franz Schubert est le premier à fixer ce modèle dans des oeuvres pour piano et écrit de nombreux recueils de valses pour arrondir ses fins de mois et divertir ses amis. Chopin, Litz, Debussy Ravel, Sibelius, Chostakovich, la liste est très longue de tous ceux que la célèbre musique à trois temps a inspirés, tel encore Verdi dont on retrouve la Valse Brillante dans l'adaptation que Luchino Visconti fit en 1963 du roman de Giuseppe Tomasidi di Lampedusa, Le Guépard.

     

     Le Guépard  (1963)  Interprété par Claudia Cardinale, Alain Delon et Burt Lancaster
     

       La valse apparait encore dans les opéras: Le Chevalier à la Rose de Richard Strauss, (totalement étranger à la famille viennoise), Eugène Onéguine  de Tchaïkovski ou encore Faust de Gounod pour ne citer que les plus largement connus.

     

        Faust  Acte I   Interprété par l'Orchetre et les choeurs de l'Opéra de Vienne 
     

        Et, le contraire eut été étonnant, la valse brille dans tous les grands ballets de l'époque, les plus célèbres demeurant , hormis peut-être la valse de Coppélia, les oeuvres composées par Tchaïkovski pour les chorégraphies de Petipa, de la valse de la Belle au Bois Dormant à la Valse des Fleurs de Casse Noisette.

     

               La Valse des Fleurs est interprétée par le Corps de ballet du Kirov 
     

         Le Spectre de la Rose de Nijinski sera composé sur L'invitation à la Valse de Weber (considérée comme la première valse de concert) et George Balanchine crée en 1960 son ballet La Valse sur deux partitions de Ravel: Les valses nobles et sentimentales (1911) et La Valse (1920). Quelques exemples parmi de nombreux autres car la liste est loin d'être exhaustive, la danse qui enflamma jadis Vienne n'ayant céssé d'inspirer les chorégraphes et d'enchanter le public.
         Exécutée brillamment sur scène par une étoile, ou moins élégamment par le père de la mariée, la valse entraine chaque fois les danseurs dans un tourbillon magique (à condition de ne porter ni chaussons de pointe non brisés ou escarpins trop sérrés...) et le secret de sa mystérieuse attraction est, dit-on, du au fait que l'être humain y retrouve inconsciemment ce rythme à trois temps familier qu'il porte en lui et qui l'accompagne jusqu'au dernier instant de sa vie quand cesse de battre son coeur...

     

     


    Tags Tags : , , , , , , , , , , , , , ,
  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :