• La Comédie-Ballet, un fait du hasard.

       

    La Comédie-Ballet, un fait du hasard.

    Château de Vaux-le Vicomte 

     

     

         L'histoire de la comédie ballet débute de façon tout à fait fortuite, lorsque le surintendant Nicolas Fouquet (1615-1680), alors ministre des Finances qui s'est honteusement enrichi aux dépens du roi pendant la Fronde, vient de faire achever les derniers aménagements de son château de Vaux-le-Vicomte dont les travaux commencés en 1656 ont réuni les plus grands noms de l'époque, Louis Le Vau (1612-1670) premier architecte du roi, le peintre Charles Le Brun (1619-1690), et le paysagiste André Le Nôtre (1613-1700) dont les talents se conjuguerons encore une fois à Versailles.

        Sans doute maladresse extrême qui signa sa perte, il a décidé d'une fête somptueuse afin de faire étalage de cette munificence devant le souverain et ses 600 courtisans... Et le maitre de céans fera donc appel à Molière (1622-1673) qui écrira pour l'occasion une nouvelle comédie, Les Fâcheux, et afin de satisfaire l'amour du roi pour la danse Pierre Beauchamp (1631-1705) reçut également commande d'un ballet dont il composera la musique, Jean-Baptise Lully (1632-1687) ne contribuant que partiellement à ce projet avec seulement une "courante".

        L'organisation de cette soirée qui ne voulait présenter que le meilleur mit les intervenants face à un problème de changement de costumes que résuma Molière en ces termes:
        "Le dessein était de donner aussi un ballet, et comme il n'y avait qu'un petit nombre choisi de danseurs excellents, on fut contraint de séparer les entrées de ce ballet, et l'avis fut de les jeter dans les entractes de la comédie, afin que ces intervalles donnassent temps aux mêmes balladins de revenir sous d'autre habits. De sorte que, pour ne point rompre aussi le fil de la pièce par ces manières d'intermèdes on s'avisa de les coudre au sujet du mieux que l'on put et de ne faire qu'une seule chose du ballet et de la comédie; mais comme le temps était fort précipité et que tout cela ne fut pas réglé entièrement par une même tête, on trouvera peut-être quelques endroits du ballet qui n'entrent pas dans la comédie aussi naturellement que d'autres" et il ajoute:
        "Jamais entreprise au théâtre ne fut si précipitée que celle-ci... Et c'est une chose, je vois, toute nouvelle qu'une comédie ait été conçue, faite, apprise et représentée en quinze jours..." 


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    Jean-Baptiste Poquelin, dit  Molière (1622-1673)

       

        En dépit de ce court délai la représentation sera aussi réussie que fastueuse, donnée dans un cadre féérique à l'orée du bois éclairée d'une multitude de flambeaux:
        "Le théâtre était dressé dans le parc, la décoration ornée de fontaines véritables et de véritables orangers. Il y eut ensuite un feu d'artifice et un bal où l'on dansa jusqu'à 3 heures du matin" se souviendra l'abbé de Choisy dans ses Mémoires. Et lorsque le rideau se lève sur le Prologue, rédigé par Paul Pelisson (1624-1693), homme de lettres et secrétaire de Fouquet, une Naïade donne le ton en s'adressant en ces termes aux danseurs et aux comédiens qui paraissent au son des hautbois et des violons:

        "Quittez pour quelque temps votre forme ordinaire
         Et paraissons ensemble aux yeux des spectateurs
         Pour ce nouveau théâtre, autant de vrais acteurs".

        Le succès de cette innovation fut total car selon La Fontaine (1621-1695):
        "On avait accommodé le ballet à la comédie autant qu'il était possible, et tous les danseurs y représentaient des fâcheux de plusieurs manières en quoi certes ils ne parurent nullement facheux à notre égard; au contraire, on les trouva fort divertissants, et ils se retirèrent trop tôt au gré de la compagnie", louanges auxquelles viendra se joindre le poète Jean Loret (1600-1665) qui écrira:

        "Le ballet entendu des mieux fut composé
         Par Beauchamp, danseur fort prisé,
         Et dansé de telle sorte
         Par les messieurs de son escorte
         Et même, où le sieur d'Olivet
         Digne d'avoir quelque brevet
         Et fameux en cette contrée
         A fait mainte agréable entrée".


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    Pierre Beauchamp (1631-1705)


         Seul le roi en définitive n'apprécia que très modérément cette fête enchanteresse, suspectant déjà l'origine de toutes ces splendeurs... Il faut dire que, une fois de plus, Fouquet n'avait pas regardé à la dépense...: jets d'eau, feux d'artifice, fastueux diner de 5 services donné pour 1000 couverts dans de la vaisselle d'or et de vermeil et supervisé par le grand Vatel (1631-1671) qui créa en manière de dessert une nouveauté mousseuse et sucrée que l'on appellera plus tard Chantilly, laquelle resta sur l'estomac du souverain qui ulcéré par cet apparat qui dépassait celui de sa Cour fut sur le point de faire arrêter Fouquet sur le champ... Et refusera, après le feu d'artifice, la chambre somptueuse qui lui avait été préparée s'en retournant furieux à Fontainebleau... Voltaire (1694-1778) résuma brièvement en quelques mots cette fête mémorable:


        "Le 17 Août à 6 heures du soir, Fouquet était le roi de France: à 2 heures du matin il n'était plus rien...",

        car effectivement, arrêté le mois suivant par d'Artagnan(1611-1673) et ses mousquetaires , le surintendant sera condamné au cachot à vie pour malversations et lèse-majesté.

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    Nicolas Fouquet (1715-1680)

     

        Le jeune roi a par contre énormément apprécié le nouveau genre de distraction qui lui a été présenté, celui-ci va alors se développer selon sa volonté en divertissement royal et, entre 1661 et 1673, Molière, courtisan, chantre de la gloire du souverain et avec sa troupe fournisseur de spectacle, va écrire en collaboration avec Jean-Baptiste Lully et Pierre Beauchamp plus d'une douzaine de comédies-ballets.
        Il faut remarquer au passage que ni l'auteur des Fâcheux ni ses contemporains n'utilisèrent le terme de "comédie-ballet" qui n'apparut qu'au siècle suivant, Molière n'emploiera lui-même que le mot "comédie" (exception faite du Bougeois Gentilhomme présenté comme "comédie-ballet" car la pièce est suivie d'un véritable ballet, Le Ballet des Nations, auquel prennent part tous les personnages), quand aux chroniqueurs ils usent de diverses périphrases afin de décrire ces spectacles:

        "pièce assez singulière: ballet et comédie en prose à la fois", "ballet en comédie ou comédie en ballet" ou encore "comédie qui était mêlée dans les entractes d'une espèce d'autre comédie en musique et de ballets".


    La Comédie-Ballet, un fait du hasard.


        Cette nouvelle formule n'est d'ailleurs pas originale car depuis le Moyen-Age les représentations théâtrales connaissaient des interventions musicales et le genre "comédie plus ballet" existait déjà en Italie au XVIème siècle tandis que certaines pièces représentées à l'Hôtel de Bourgogne dans les années 1630 étaient communément entrecoupées d'intermèdes.
       Toutefois l'introduction de quelques danses qui demeuraient dans ces cas là absolument étrangères au dialogue dramatique ne peut se comparer à la comédie-ballet dont l'originalité réside dans leur véritable intégration à l'oeuvre, et l'écrivain Donneau de Visé (1638-1710) affirmera très justement en 1673 dans Le Mercure Galant que:

        "Molière a le premier inventé la manière de mêler des scènes de musique et de ballets dans ses comédies",

        le trio vocal qui forme le Prologue musical de L'Amour Médecin (1665), chanté par la Comédie, la Musique et le Ballet, résumant très clairement le fondement de cette alliance:

        "Quittons, quittons notre vaine querelle
         Ne nous disputons point nos talents tour à tour
         Et d'une gloire plus belle
         Piquons nous en ce jour:
         Unissons nous tous trois d'une ardeur sans seconde,
         Pour donner du plaisir au plus grand roi du monde".


    La Comédie-Ballet, un fait du hasard.

    Jean-Baptiste Lully (1632-1687)


        Si l'originalité de ce genre nouveau consiste en effet à mêler ces trois langages dans une oeuvre commune, elle constituera cependant un véritable problème esthétique car

        "Comment enchainer ensemble tant de choses diverses?" dira lui-même Molière dans l'Avant-Propos des Amants Magnifiques.
        Dans certaines oeuvres la comédie restera préeminente tandis que les parties dansées et chantées y occupent une place relativement modeste, s'intercalant naturellement dans la suite de l'action dramatique comme dans L'Amour Médecin, Monsieur de Pourceaugnac ou Le Bourgeois Gentilhomme:

     

    Le Bourgeois Gentilhomme   Acte IV, scène 5    Cérémonie turque

     

         Mais la tendance qui l'emportera sans doute sous la pression de Lully et en conformité avec les goûts du roi et de la cour, verra un développement accru des intermèdes chantés et dansés avec la volonté de les organiser dramaturgiquement: Ils prendront même une telle ampleur pour Georges Dandin qu'ils deviendront une grande pastorale en musique de 4 Actes, qui enchâssent les 3 Actes de la petite farce paysanne, ce qui est en somme un étrange renversement, car c'est la comédie de Molière qui sert cette fois d'intermède à la pastorale de Lully.

         Une multitude de personnages peuplent ces "agréments" que Molière appelait encore "ornements": allégories, dieux, personnages de la pastorale ou empruntés à la vie quotidienne et à la réalité familière ou plus exotique car pour l'auteur toutes les sortes de sujets et toutes les formes de comédie pouvaient s'accomoder du genre nouveau et seront proposées à la collaboration du musicien et du chorégraphe:
        Les Fâcheux, La Princesse d'Elide (1664) ou Les Amants Magnifiques nous introduisent dans l'univers noble, tandis que Mr. de Pourceaugnac (1669), L'Amour Médecin(1665) ou Le Bourgeois Gentilhomme (1670) peignent à l'opposé la réalité bourgeoise, ou encore provinciale et campagnarde avec George Dandin (1668).

     

    Le Bourgeois Gentilhomme  -   Acte I, scène 2 
    (Mr. Jourdain s'entretient avec son Maitre de Musique et son Maitre à Danser)

     

        Jusqu'au Malade Imaginaire (1673-Musique de Marc-Antoine Charpentier), une ou deux de ces comédies-ballet naitront chaque année, toutes créées à l'origine pour animer les fêtes royales: La Princesse d'Elide à l'occasion des Plaisirs de l'Ile Enchantée (1664), Georges Dandin pour Le Grand Divertissement (1868) etc... Données au gré des séjours dans les diverses résidences: Le Louvre, Versailles, St.Germain-en-Laye, Chambord, la plupart de ces pièces se présenteront comme un spectacle qui prend place à côté d'autres plaisirs: chasse, bal, ballet, concert, collation, feu d'artifice et autres représentations théâtrales, en un môt il n'y aurait jamais eu de comédies-ballets sans l'ambition de Fouquet, le service du roi et les divertissements royaux.

     

    La Comédie-Ballet, un fait du hasard.

    Représentation de La Princesse d'Elide à Versailles dans le cadre de la seconde journée des Plaisirs de l'Ile Enchantée (7-13 Mai 1664)  

     

        Mais la fête de cour est éphémère et après avoir servi le roi en ses châteaux Molière donnait ses pièces à son public parisien en son théâtre du Palais Royal. Cependant le spectacle auquel assistaient les spectateurs citadins était très différent de celui qu'avaient pu applaudir les nobles courtisans, car la transposition sur une modeste scène de ces oeuvres créées dans un cadre et avec des moyens exceptionnels leur enlèvera une partie de leur charme (La pastorale de Lully sera par exemple complètement supprimée de George Dandin) et Molière déplorera lui-même:
        "Il serait à souhaiter que ces sortes d'ouvrage pussent toujours se montrer à vous avec les ornements qui les accompagent chez le Roi: Vous les verriez dans un état beaucoup plus supportable, et les Airs, et les Symphonies de l'incomparables Monsieur Lully, mêlés à la beauté des voix et à l'adresse des danseurs, leur donne sans doute des grâces dont ils ont toutes les peines du monde à se passer".

    La Comédie-Ballet, un fait du hasard.

    Ouverture du ballet des Fâcheux


         Est-ce parce qu'il leur manqua cette magnificence? Quoi qu'il en soit la disparition de Molière sonna le glas de cette forme de théâtre musical au profit de l'opéra. Quand à l'histoire littéraire que seul le texte intéresse, elle négligera injustement la partie musicale et renvera très souvent Terpsichore dans ses foyers...

        Cependant la vogue du théâtre baroque a favorisé la redécouverte de certaines d'entre elles dans leur version originale, et le succès de cette expérience montre que c'est appauvrir ces oeuvres que de les dépouiller de leurs ornements de musique et de danse qui, avec leur fantaisie propre, achèvent l'oeuvre "en une envolée légère", car les en priver c'est véritablement empêcher l'auteur de dire le dernier mot de sa sagesse comique.
          

    Vaux-le-Vicomte - Le Château qui inspira Versailles    

     


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