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    L'Art et la danse

                                      Ballets Russes    August Macke 1912
     


        On a du mal à imaginer ce que fut en 1909 le choc artistique provoqué par les Ballets Russes, tant dans le domaine de la danse que ceux de la musique et des arts plastiques... Une oeuvre grandiose dont l'esthétique bouleversa l'Europe, et qui fit rêver les parisiens pendant vingt ans et ne serait pas née sans la personalité hors du commun de leur prodigieux imprésario, Serge Diaghilev:

         "Ce noble et ardent Chevalier de la plus grande croisade des Arts du XXème siècle qui par son génie devait réaliser cette union féconde entre toutes les valeurs spirituelles et artistiques, entre l'Orient et l'Occident, et ainsi accomplir la renaissance de l'art dans le monde". 
                                                             Serge Lifar   La Danse
        

        Epris de peinture et de musique (il eut Rimski-Korsakov comme professeur de piano...), le "noble et ardent chevalier" dut cependant, avant d'entamer sa croisade, sacrifier quelques années de sa vie à l'étude du droit à l'université de St. Petersbourg afin de satisfaire aux pressions familiales... Et mission accomplie et diplôme en poche, c'est l'âme en paix qu'il peut alors affronter son véritable destin.
        En compagnie de son cousin Dimitri Philosophoff il a rejoint un cercle d'artistes "les Pickwickiens" dont font également partie Léon Bakst et Alexandre Benois et le groupe d'avant garde fonde en 1898 le journal Mir Iskousstva (Le monde des Arts) où Diaghilev s'occupe à l'époque de peinture et de musique.
        De 1899 à 1901 il remplira brièvement auprès de Serge Volkonsky, directeur des Théâtres Impériaux, les fonctions de "chargé de missions extraordinaires" que des divergences d'opinions à propos du ballet Sylvia l'obligent à abandonner assez rapidement.

        Nullement découragé par ce renvoi il déclare au contraire "d'ailleurs je crois avoir trouvé ma véritable vocation: le mécénat. Pour cela j'ai tout ce qu'il faut... Sauf l'argent... mais ça viendra..."
        Avec l'appui de son cercle d'amis il monte alors des expositions de peinture et en 1905 présente à St.Petersbourg des portraits d'artistes russes qu'il produira l'année suivante à Paris au Petit Palais, encouragé par les liens culturels entre la France et la Russie qui se sont ressérés à la fin du XIXème siècle et promettent un nouvel essor.
        Le groupe conçoit alors l'idée de faire connaitre l'opéra russe en France et, après avoir organisé cinq concerts, présente Boris Godounov à l'Opéra Garnier en 1907. L'accueil est si chaleureux qu'ils envisagent une nouvelle saison l'année suivante et reviennent cette fois avec un programme qui mêle opéra et ballet... Des ballets qui font un véritable triomphe et les décident à ne plus présenter dorénavant que des spectacles chorégraphiques.

        Et lors de leur retour à Paris pour le premier spectacle officiel des Ballets Russes, le 19 Mai 1909, c'est Diaghilev cette fois qui tient fermement les rênes de la petite Compagnie qu'il a rassemblée, composée des meilleurs éléments du théâtre Marinsky: des danseurs de renom Tamara Karsavina, Anna Pavlova ou encore Vaslav Nijinski, qui mettent tous à profit leurs longues vacances pour suivre la tournée.
        Mais en 1911 l'impresario souhaite aller plus loin, et fait alors de cette Compagnie une troupe privée indépendante qui sans attache à un quelconque théatre particulier se fixera indifféremment au fil des ans à Paris, Londres ou Monte Carlo. 

        Présentés à l'Opéra Garnier et dans plusieurs théatres (Châtelet, théâtre des Champs Elysées, théâtre Sarah Bernard ou Gaité Lyrique) les Ballets Russes révèlent alors à l'Occident ébloui dans un feu d'artifices de couleurs des richesses cuturelles jusque là ignorées, et le haut niveau de ses danseurs contribue à l'immense succés qu'ils remportent dans un Paris où la technique de la danse avait beaucoup décliné et où la Compagnie, avec L'Oiseau de Feu (1910) ou Le Spectre de la Rose (1911), réhabilite le statut du danseur masculin largement ignoré par les chorégraphes et le public du XIXème siècle.

        "J'ai compris tout de suite que je me trouvais devant un miracle. Je voyais ce qui n'avait pas existé encore" écrira Anna de Noaille, et Cocteau ajoutait: "le rideau rouge s'est levé sur des fêtes qui bouleversent la France et qui entrainent une foule en extase".

     

                         Petrouchka (1911)    Décors et costumes d'Alexandre Benois


        Jusqu'en 1912 ce sont les folklores russe et oriental qui inspireront les ballets chorégraphiés par Michel Fokine, Pétrouchka (1911) ou encore Le Prince Igor (1909) et Shéhérazade (1910) qui à travers un imaginaire slave dévoilent un Orient digne des Mille et Une Nuits qui enthousiasma les spectateurs:
        "Nous découvrions l'Orient, l'Asie colorée et réveuse, les Mille et Une Nuits se levèrent du livre, pleines d'étoiles et de fleurs, de jets d'eau, de sang, de soupirs, tout éblouissantes de gemmes, et secouèrent la poussière des formes où elles sommeillaient" (E.Henriot).

     

                         Décor de Léon Bakst pour Shéhérazade  et divers costumes.


         Les quelques dix années suivantes verront ensuite, de 1912 à 1921, une plus grande diversité dans les productions ainsi que des créations originales, La Boutique Fantasque (1919), Le Tricorne (1919), Le Coq d'Or (1914) et des recherches expérimentales. C'est à cette époque que voient le jour les deux chorégraphies de Nijinski, L'Après Midi d'un Faune (1912) suivi par Le Sacre du Printemps (1913).

         Un style jugé beaucoup trop novateur par certains, et qui donna lieu à de très violentes polémiques et bouleversa la sensibilité artistique de l'époque: "On y rampe à la manière des phoques" s'exclama, outré, un critique contemporain à propos du Sacre dont la Première tourna quasiment à l'émeute...

     

                   Extrait du film The Riotous Premiere relatant la soirée mémorable...

     

        Mais, agitateur, provocateur, Diaghilev ne craint pas les scandales... Et son chorégraphe Michel Fokine en réaction contre la tradition représentée par les ballets d'un Marius Petipa écrira:
        "Il suffit d'avoir douté une seule fois pour perdre la foi fétichiste en la valeur absolue des cinq positions pour comprendre qu'elles n'épuisent pas toute la gamme, toute la beauté des mouvements du corps humain".

        Emportés par le contexte des "années folles" les Ballets Russes seront finalement de 1921 à 1929 un foyer de convergence de toutes les tendances artistiques nouvelles et verront naître Apollon Musagette (1928), Le Fils Prodigue (1929),  Une nuit sur le Mont Chauve (1920) ou encore Les Noces et Les Biches la même année 1923.
        Considérées souvent comme trop intellectuelles ou "stylish", ces dernières saisons n'eurent certainement pas le même succés que les premières mais servirent toutefois de tremplins à de jeunes talents tel George Balanchine.

     

        Toujours en quête d'un riche mécène, la Compagnie n'existait que grâce à l'habileté de son directeur, "grand charmeur, charlatan plein de brio", à gérer un équilibre financier extrêmement précaire, et malgré le succés toujours présent, ne survécut pas à son décès le 19 Août 1929.
        Ironie du sort, celui qui avait eu toute sa vie la phobie de mourir sur l'eau (et ne suivit jamais sa troupe lorsque la tournée exigeait une traversée en bateau) mourut à Venise... la ville construite sur l'eau... et rejoint en gondole sa dernière demeure...

        "le cortège quitte l'église orthodoxe de Venise. Une longue file de gondoles se dirige vers l'ile romantique de San Michele. Serge Diaghilev n'emporte avec lui qu'une paire de boutons de manchettes que Serge Lifar, effondré par la perte de son ami, a échangé contre les siens", ainsi relatera l'évênement Coco Chanel qui réglera elle même les frais des funérailles...

     

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                                Tombe de Serge Diaghilev sur l'ile de San Michele
     

        Les Ballets Russes ne sont plus... mais viennent d'opérer une extraordinaire révolution culturelle entrainant dans leur sillage tous les arts.

        
        "Dans notre ballet, les danses ne sont que l'une des composantes du spectacle, et même pas la plus importante... la révolution que nous avons opérée dans le ballet concerne peut-être encore moins le domaine spécifique de la danse qu'avant tout les décors et les costumes".
        Cette citation de Serge Diaghilev, qui ouvrait la récente exposition célébrant le centenaire des Ballets Russes à l'Opéra de Paris, met en relief l'importance que celui-ci attacha à la scénographie de ses ballets, révolutionnant à la fois l'esthétique de la danse et celui de l'art contemporain en invitant les plus grands peintres modernes de son temps à signer les décors et dessiner les costumes.

     

     

          En 1900 la décoration théatrale faite de trompe l'oeil et de couleurs pâles n'avait su rendre jusque là qu'une atmosphère sombre, et les décors resplendissants des Ballets Russes, signés pour beaucoup d'entre eux par le peintre Léon Bakst mais aussi par des artistes comme Picasso (Le Tricorne, Parade, Le Train Bleu), Braque (Les Fâcheux), Matisse (Le chant du rossignol), Derain (Jack-in-the-Box) ou Max Ernst et Miro (Roméo et Juliette) recréent un univers aux couleurs éclatantes qui ne sera pas sans avoir inspiré les peintres fauvistes.

     

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                                       Parade (1917)   Décor de Pablo Picasso


        Quand aux éblouissants costumes, conçus par ces mêmes artistes et réalisés à partir d'authentiques tissus que Diaghilev se procurait dans les boutiques orientales de St. Petersbourg, leur diversité et leur fantaisie colorée qui participèrent largement à l'émerveillement du public marqueront leur empreinte dans des domaines situés bien au de là de la scène et atteindront la vie de tous les jours.

     

     

        A la recherche d'un art de synthèse Diaghilev exerça encore son influence dans l'univers de la musique où il fut le tout premier à adopter le nouveau style de la fin du XIXème siècle et fit appel entre autres pour ses productions à Ravel (Daphnis et Chloé 1912), Satie (Parade 1917), Poulenc (Les Biches 1923) Prokofiev (Suite Scythe 1915) ou Stravinski (L'Oiseau de Feu 1910, Le Sacre du Printemps 1913, Les Noces 1923), qui influencera "le Groupe des Six", et pour lequel Arthur Honnegger aura ces mots:
        "Stravinski a été pour notre génération un exemple salutaire dont nous avons tous bénéficié".

        Mais bien au de là encore les Ballets Russes ont constitué selon Denis Bablet "un phénomène éminemment social" et atteint jusqu'au monde de la mode et des arts décoratifs.
        Les élégantes amèneront le couturier Paul Poiret à réaliser des turbans lamés dans le style de L'Oiseau de Feu et des robes inspirées des costumes de Schéhérazade et du Prince Igor, et Coco Chanel transcrira, elle, le goût pour les motifs slaves et créera des vêtements comme "la roubachka" et la blouse ceinturée des moujiks. Un intérêt qui se répercutera également sur les accessoires de mode ainsi que sur les bijoux.
        Ainsi que l'écrivit André Warnod:
        "Tout fut à la mode des Ballets Russes. Bientôt le décors des maisons, les boutiques, les brasseries, les cafés suivirent le mouvement", partout fleurit le style Art Déco.

        "Si dans le peuple de Paris on aime les lampes voilées par des abats-jour orange, et si les petits hôtels meublés ont renoncé à leur décor couleur de tanière pour offrir des chambres peintes et tapissées de jolies couleurs vives, c'est aux Ballets Russes que nous le devons" poursuit Alexandre Cingria.

        Les Ballets Russes n'ont pas manqué non plus de susciter l'intérêt d'écrivains comme Marcel Proust qui dira de L'Oiseau de Feu "Je n'ai jamais rien vu d'aussi beau", ou encore Paul Claudel qui aprés avoir vu danser Nijinski s'exclame ébloui "L'âme pour une seconde porte un corps!". Paul Valéry a écrit son poème L'Ame et la Danse après avoir été ému par L'Après midi d'un Faune, quand à Jean Cocteau il collabora lui-même à plusieurs ballets, entre autres Parade (1917) dont il écrivit le livret ainsi que celui du Train Bleu (pour lequel Coco Chanel réalisa les costumes et Pablo Picasso le décor).

     

     Le Train Bleu (E.Maurin N.Le Riche) Décor de Pablo Picasso, costumes de Gabrielle Chanel


        Mais qui était vraiment celui qui, doté d'un don remarquable pour repérer d'exceptionnels talents, engendra un pareil séisme?
       Dominateur et colérique, Ninette de Valois disait de lui que sa seule présence l'intimidait à un point tel qu'elle n'osait pas le regarder en face... et d'autres danseurs affirmèrent qu'il était capable de les paralyser d'un regard ou d'une phrase assassine.

     

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                                         Serge Diaghilev (1872-1929)

        Mais il pouvait, d'un autre côté, faire preuve d'une extrême gentillesse et se montrer attentionné à l'égard de cette troupe qu'il dirigeait d'une main de fer (Au bord de la faillite en Espagne il lui arriva à une certaine occasion de donner ses derniers deniers pour faire soigner l'enfant de l'une de ses danseuses). Et Tamara Karsavina ou Serge Lifar se souviennent de lui comme d'un personnage paternaliste qui plaçait toujours les besoins de sa compagnie au dessus des siens propres et ne chercha jamais à faire de ses ballets une entreprise lucrative.
        Débordant d'imagination il faisait flêche de tout bois, et après le gouffre financier que fut en 1921 à Londres La Belle au Bois Dormant il n'hésita pas à découper le fond du décor du ballet Cuadro Flamenco, signé Picasso, en d'innombrables morceaux et à les vendre chacun comme d'authentiques toiles du Maitre... (Cette Belle au Bois Dormant dont il s'entéta à vouloir changer le titre original anglais de "Sleeping Beauty", la Belle Endormie, en "Sleeping Princess", la Princesse Endormie, et lorsqu'on lui en demanda la raison répondit froidement: "Parceque je n'ai pas de Belle!.." On se demande ce qu'en pensa Olga Spessivtseva qui incarnait alors la Princesse Aurore!).

     

        Acteurs à ses côtés de cette formidable aventure, plusieurs membres des Ballets Russes sont devenus des références de l'art chorégraphique en Occident:
        George Balanchine va créer le ballet américain, Serge Lifar recréer le ballet en France, tout comme Ninette de Valois et Marie Rambert le feront en Angleterre. 

        Une place à Paris située derrière l'Opéra Garnier rappelle aujourd'hui aux passants le souvenir de ce "mécène sans argent " comme il aimait lui même à s'appeler, qui réussit grace à son génie à atteindre le but ambitieux qu'il s'était fixé: révéler la Russie à la Russie, révéler la Russie au monde, révéler le monde nouveau à lui même...

     

     

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                      Portrait de Serge Diaghilev et du mécène Alfred Seligsberg     Picasso


       - A ne pas manquer sur You Tube cette vidéo dont l'intégration a été malheureusement désactivée et où Jean Cocteau évoque quelques savoureux souvenirs avec les Ballets Russes:

                         Jean Cocteau and the Ballets Russes - Part1 (/2)

     

       - Le film de Michael Powell Les Chaussons rouges (1948),  met en scène un personnage d'impresario intraitable, Boris Lermontov, qui dirige ses troupes d'une main de fer et fait revivre Serge Diaghilev et ses Ballets Russes d'une façon à peine romancée (Un ancien membre des Ballets Russes, Léonide Massine, a réglé les chorégraphies et fait également partie de la distribution).

     

     

    The Red Shoes avec Moira Shearer (Vicky Page), Anton Walbrook (Boris Lermontov), Marius Goring (Julian Craster) et Leonide Massine (le répétiteur de la troupe et le cordonnier magicien)


    3 commentaires
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                                    L'Orchestre.   Edgar Degas (1834-1917)

          Lorsque le ballet n'était encore à Versailles qu'un passe temps de Cour où il s'agissait de paraître, les participants arboraient les vêtements à la mode de l'époque, somptueux certes, mais dont le poids et l'encombrement limitaient considérablement les mouvements.


        Et dans les années qui suivirent la création de l'Académie Nationale de Musique (1661), et en dépit de l'émergence des danseurs professionels dont la technique était devenue plus complexe, il n'existait toujours pas de tenue spécifique au ballet... Bien malin qui eut su dire alors en voyant les premières danseuses si elles se rendaient à un Souper du Roi où si elles allaient entrer en scène...

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                                     Marie Thérèse de Subligny (1666-1736)

        C'est Marie Anne de Camargo (1710-1770) qui accomplit le geste décisif lorsqu'afin de mettre en valeur ses entrechats elle n'hésita pas à raccourcir ses jupes, causant alors un véritable scandale en dévoilant ses chevilles (Une loi promptement promulguée l'obligea d'ailleurs par la suite, elle et ses consoeurs, à porter des "caleçons de précaution" destinés à dissimuler à la vue cette débauche de chair humaine)

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                                     Marie Anne de Camargo (1710-1770)

        Sa rivale, Marie Sallé 1707-1756), alla encore plus loin en abandonnant cette fois carrément paniers et brocards pour danser dans une légère robe de mousseline portée par dessus son corset et son jupon... Mais ceci se passait en Angleterre, beaucoup plus ouverte aux idées de Noverre (1727-1810) qui avait compris que seul un allégement du costume permettrait à la technique de progresser.

        La France n'était pas encore prête pour de telles métamorphoses et il fallut attendre la Révolution et la mode nouvelle des années qui suivirent, où apparurent à la ville sobres jaquettes et robes de mousseline légères, pour qu'un changement notable se fasse sentir et que disparaissent enfin de la scène les lourds costumes dont les remplaçants prirent cette fois en compte les impératifs du ballet.

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                                   Marie Madeleine Guimard (1743-1816)

        Dans son manuel Traité élémentaire et Pratique de la Danse publié en 1820, Carlo Blasis (1797-1878) très concerné par le vêtement précise:

        "Le vêtement des danseurs doit toujours être collant pour ne cacher aucune ligne de la silhouette, sans être trop étroit afin de ne gêner aucun mouvement ou attitude". 

        Et il dessina lui-même la tenue officielle des élèves de l'Opéra de Paris qu'il décrit ainsi:

        "Le costume des hommes est composé d'une jaquette ajustée et de pantalons en étoffe blanche sérrés à la taille par une ceinture à boucle en cuir noire pour assurer le maintien" (Ces longs pantalons qui dissimulaient trop de fautes et de défauts furent très vite raccourcis aux genoux)
        "Le vêtement porté par les femmes à leur leçon se compose d'un corsage et d'une jupe de mousseline blanche, et d'une ceinture noire autour de la taille".

         Hommes et femmes portent alors des bas et une innovation importante fut apportée en 1830 par un certain monsieur Maillot, bonnetier de l'Opéra de Paris, qui inventa un vêtement de tricot moulant auquel il donna son nom: un maillot, sorte de "body" fait d'une seule pièce qui couvrait le corps jusqu'aux chevilles ou parfois s'arrétait aux genoux.
         L'apparition du maillot ajoutée à la mode du vêtement fluide permit l'évolution nécessaire au costume de ballet, qu'il soit vêtement de classe ou costume de scène, mais c'est en 1832 que naquit le symbole même de la danse classique...

       Car, lorsque Marie Taglioni (1804-1884) parait dans le rôle de la Sylphide, la jupe vaporeuse montée sur plusieurs jupons qu'a imaginé pour elle le peintre Eugène Lamy va s'ancrer dans les esprits comme l'uniforme de la ballerine par excellence... Toutefois s'il s'est immédiatement attaché à l'image de la danseuse romantique, il ne porte encore à l'époque aucun nom particulier, celui-ci n'apparaitra qu'en 1881 et sa véritable origine reste encore un mystère... (Certains pensent qu'il viendrait du mot tulle, d'autres évoquent l'ancienne plaisanterie grivoise des abonnés de l'Opéra: panpan-tutu). 

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                                   Marie Taglioni dans le rôle de la Sylphide

        La jupe à volants superposés s'impose, et selon un témoignage du moment, les danseuses de l'Opéra de Paris sont ainsi vêtues pendant la classe en 1844: 
    "Les filles sont nu-tête et décolletées, leurs bras sont nus, le buste sérré dans un corsage ajusté. Une jupe bouffante faite de tissu léger leur arrive au dessous du genou et leurs cuisses sont chastement cachées sous de larges pantalons de calicot".

        Pour la petite histoire, on décrit ainsi l'habillage d'une danseuse de l'époque...
    "D'abord une chemise dont le pan arrière est ramené entre jambes par devant et sérré à la taille par un ruban. On revêt ensuite un corset laçé, un pantalon qui couvre les cuisses, et des bas de coton tenus par des jarretières sous lesquelles on glisse le bas du pantalon. C'est ensuite le tour du corsage et enfin le juponnage. Une large ceinture complète ce costume".

        En 1870 les jupes bouffantes couvrent encore chastement le genou, immortalisées par Edgar Degas, familier des coulisses de l'Opéra, dont les peintures témoignent que le costume de scène ne diffère que très peu de celui porté en classe.

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     Le Foyer de la danse de la rue Le Peletier.  E. Degas  (Le maitre de ballet est Louis Mérante)

         Un costume que, jusqu'au milieu du siècle, les élèves doivent elles même fournir et que les mères des danseuses étaient alors chargées de confectionner selon des critères bien précis:
       Deux jupons de tarlatane, de 5 à 6 mètres d'ampleur, froncés et pris dans une ceinture de 15 centimètres de large, et dont la hauteur était comprise entre 50 et 60 centimètres.

       Ce sont les ballerines italiennes qui, désirant que leurs prouesses sur pointes soient appréciées à leur juste valeur, commencèrent dans les années suivantes à porter des tutus au dessus du genou.
       La célèbre Pierina Legnani (1868-1930) fit un mini scandale au Marinsky lorsqu'elle refusa de danser avec le tutu traditionnel en soutenant que pour rien au monde elle ne consentirait à "mettre le tutu de sa grand- mère"... Elle eut finalement gain de cause, pour le plus grand plaisir de ses admirateurs...

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                                            Pierina Legnani (1868-1930)

        Avec le tutu ainsi raccourci apparurent les trousses, des culottes plus ou moins volantées selon la mode, généralement attachées à la jupe, et on verra par la suite la longueur des costumes diminuer progressivement, de façon à dégager les silhouettes et laisser apparaitre les jambes qui effectuent un travail de plus en plus technique.

        Lorsque Serge Lifar (1905-1986) est nommé directeur de l'Opéra de Paris le tutu est encore la tenue des élèves dans les classes de danse, mais en 1930 une réforme décisive décide qu'il sera dorénavant uniquement réservé à la scène...  S'il perd un empire il n'en acquiert que plus de prestige en devenant l'objet à atteindre ... Car un tutu se gagne et il n'est rien de plus pathétique qu'un tutu exilé sur des jambes qui ne le méritent pas.

        Quelques dix années plus tard, son profil sera modifié par une innovation venue d'Angleterre où les danseuses ravissent le public avec leur tutu galette (pancake tutu) dont la jupe se détache du corps quasiment à l'horizontale...

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                                            Violetta Elvin (1924-    )

        L'idée vient alors en France d'insérer dans ce premier tutu plateau un cerceau métallique, rigidifiant la structure qui donnera naissance à une autre version du genre: le tutu à cerclette. 

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        A la suite de la seconde guerre mondiale et aux difficultés d'approvisionnement en tissus, les tutus raccourciront cette fois par la force des choses et, la mode s'installant, les années 60 en verront apparaitre quelques versions très courtes.
         C'est ensuite la fantaisie et l'imagination des chorégraphes qui en commandera la longueur et l'aspect, avant que ceux-ci ne semblent maintenant, avec le temps, lui vouer un certain désamour...

         Toutes les danseuses se souviennent pourtant avec émotion de celui qu'elles ont porté pour la première fois... les petites filles en rêvent... et les spectateurs admirent chaque fois son élégance...
         Mais très peu sont ceux qui songent au nombre d'heures de travail que sa réalisation aura demandé : 20 heures environ pour le seul juponnage d'un tutu plateau...



          Les tissus utilisés au XIXème siècle étaient aux tout débuts de couleur blanche ou blanc cassé et ce n'est qu'un peu plus tard qu'apparurent les tutus de couleur. Mais dans tous les cas les jupons obligatoirement fins et légers et, devant surtout laisser passer la lumière, sont faits de gaze, mousseline, organdi, organza, tarlatane, voile, ou tulle.

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        Une tradition voulait au siècle dernier que les danseuses du corps de ballet ne portent que du tulle de coton alors que les danseuses étoiles avaient droit à du tulle de soie... Cette coutume ne s'est pas perdue au fil du temps et perdure encore de nos jours où les tutus des étoiles sont faits de mousseline tandis que ceux des autres ballerines sont en organza

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         Le jupon d'un tutu plateau comporte de 9 à 13 volants dont les dimensions s'échelonnent entre 5 et 41 centimètres de large et 4 et 9 mètres d'ampleur.
        Ceux-ci sont froncés très régulièrement et montés, du plus petit au plus grand, sur la trousse au niveau des hanches (un tutu n'est jamais monté à la taille, ce qui alourdirait la silhouette).
         Puis on procède alors au baguage, qui consiste à relier les volants entre eux par des coutures afin de rigidifier l'ensemble pour qu'il supporte le poids du dernier volant sans plier. Pour les tutus à cerclette on glisse à ce moment là une cerclette entre les volants dont ceux du dessous sont, d'ailleurs, faits de textiles plus rigides et très souvent bordés de crin, alors que le dernier est toujours coupé dans un tissu plus léger, et orné plus ou moins richement selon le rôle de la danseuse.
         Bien qu'il puisse être laissé libre cet ensemble est généralement fixé au bustier, souvent rigidifié par des baleines, lui-même constitué d'un assemblage de plusieurs pièces de satin ou de soie, textiles supplantés de nos jours par les tissus synthétiques, Nylon puis Lycra.
         Cette dernière opération ne va pas sans de soigneux essayages car un tutu réussi se doit d'aller comme un gant et ne révèler aucun faux pli comme en témoignent les véritables chefs d'oeuvre que des ouvriers au talent exceptionnel réalisent dans l'ombre des ateliers à la gloire de la danse.

      

                              Atelier des costumes du New York City Ballet

        Certains tutus ont eu des concepteurs de renom tel le "tutu houppette" (Powder puff) que créa pour George Balanchine la célèbre costumière d'origine russe Barbara Karinska (1886-1983).
        Le chorégraphe aimait réunir sur scène un grand nombre de danseuses dont le tutu plateau porté dans ces conditions révélait un défaut très génant, la cerclette le faisant osciller au moindre frôlement.
        Barbara Karinska résolut alors ingénieusement le problème en créant son "tutu houppette": avec une jupe plus courte faite de 6 ou 7 volants décalés d'1centimètre environ, et d'apparence plus vaporeuse que le tutu plateau. Celui-ci apparut pour la première fois en 1947 dans le ballet Symphonie en Ut et fit dire plus tard à Balanchine:
        "J'attribue à Karinska 50% du succés de mes ballets dont elle a créé les costumes".

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                                Tutu houppette    Barbara Karinska (1886-1983)

        Rudolf Noureev, très exigeant dès ses débuts, et trouvant le tutu plateau trop peu pudique, créa également son tutu idéal : plongeant devant et derrière et plus court sur les côtés...
        Nombreux sont les chorégraphes ayant, comme lui, affiché à l'occasion leurs préférences, et les variations qui ont été données du tutu sont aujourd'hui nombreuses, mais quel que soit son style ou le qualificatif qui s'y attache il reste depuis sa première apparition l'image de la danse classique et ne cesse, sous toutes ses formes, d'enchanter le public car il trace autour de la ballerine un cercle magique qui en fait le plus poétique de tous les costumes...

      

                    Viviana Durante dans le rôle d'Aurore de La Belle au Bois Dormant.

     

                                         

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         A l'époque où Louis XIV et ses courtisans se produisent dans les somptueux ballets de Cour, il n'y a pas encore de vêtements spécifiques au ballet, et ils ont aux pieds ce qu'exhibent avec orgueil tous les riches aristocrates du moment: d'élégantes et coûteuses chaussures à talons dont la semelle est en cuir et le dessus fait de délicates étoffes précieuses. 

         Et lorsque les premières femmes paraissent sur scène en 1681 elles porteront elles aussi à quelques détails près, ces mêmes chaussures à talons jusqu'à ce qu'une brillante technicienne Marie Anne de Camargo (1710-1770) ne réalise l'obstacle qu'elles représentent... et les remplace par de simples chaussures qui en lui permettant de bouger plus librement lui autorisent des sauts jusque là impossibles.  

        C'est ici que débute l'histoire du chausson de danse dont l'évolution, intimement liée à celle de la technique, est l'un des facteurs importants qui ont permis au ballet d'atteindre le haut niveau auquel il est parvenu aujourd'hui:
       Car pour faire encore mieux, la danseuse a demandé toujours plus à des chaussons qui l'ont amenée chaque fois un peu plus loin...

        Les premiers vrais chaussons attachés avec des rubans apparaissent à l'époque de la Révolution où le costume de ballet évolue de façon notable. La nouvelle chaussure de satin avec une semelle courte et le bout replié sous les orteils permet alors à ceux-ci de se tendre et de pointer complètement ce qui, tout en ajoutant à l'esthétique, représente à la fois un gain de confort et d'aisance. Mais il faudra attendre encore quelques années avant que cet ancêtre ne soit appelé à un autre destin... 

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       Les toutes premières danseuses à monter un bref instant sur pointe le firent, en fait, délicatement soulevées par un cable, gràce à un système mis au point par Charles Didelot (1767-1837) qui permettait les déplacements dans l'espace. Cette nouveauté reçut en 1794 un accueil particulièrement enthousiaste et l'idée fit son chemin...  Des ballerines, dont Amalia Brugnoli (1802-1892) ou Geneviève Gosselin (1791-1818), découvrirent qu'en s'élevant de plus en plus haut sur la demi-pointe elles pouvaient se tenir un court moment en équilibre sur leurs orteils complètement tendus... Plusieurs gravures anciennes attestent ainsi de ces performances qui, si elles relèvent encore de l'acrobatie et n'ont rien de très esthétique, témoignent malgré tout de l'effort de recherche. 

        Mais c'est l'arrivée de l'ère romantique et le besoin de donner une autre dimension au personnage féminin, qui va véritablement servir de déclencheur... Car, comment atteindre la légèreté de la créature éthérée qui appartient au royame des esprits sinon en utilisant avec art cette technique des pointes qui en est à son balbutiement ?.. C'est ce que fera Filippo Taglioni (1777-1871), et lorsque sa fille Marie parait en scène dans la Sylphide (1832) celle-ci semble flotter avec une grâce surnaturelle au dessus de la scène.

        Aucune modification notable n'a été apportée à son chausson de satin (qui ne pèse encore qu'une quarantaine de grammes) dont seul le boût et les côtés ont été rebrodés pour les rigidifier et qu'elle garnit simplement de coton, ce qui signifie que la position sur pointe ne pouvait, dès lors, être que très brève en raison du support inefficace de la semelle : Si la pointe, en effet, donne l'impression que le poids du corps se porte sur l'extrémité du pied, l'appui se fait en réalité sur la cambrure qui doit être soutenue pour que le corps puisse s'aligner verticalement. Dans le cas contraire toute stabilité est impossible et, pour Marie Taglioni (1804-1884) et ses consoeurs, seuls relevés, piqués et pirouettes simples étaient réalisables car il était techniquement inconcevable de penser pouvoir effectuer dans ces conditions des équilibres ou des pirouettes multiples. 

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         La Fance  toutefois mettait l'accent sur le raffinement et la délicatesse tandis que l'école italienne beaucoup plus athlétique recherchait prouesses et virtuosité... On a compris que pour accomplir ces exploits il fallait un outil de travail plus performant... en l'occurence un chausson offrant un meilleur support réalisé par les cordoniers italiens à la demande de leurs danseuses, et sur lequel apparaissent une véritable boite rigide, cette coque qui enveloppe l'extrémité du pied, ainsi qu'une semelle renforcée (Jusque là le rembourage des chaussons était resté très artisanal, chaque danseuse recourant à ses propres méthodes coton, crin ou feuille de carton). Mais si ces nouveaux chaussons sont plus durs que ceux de Taglioni, ils restent encore cependant relativement souples et n'ont rien à voir avec ceux d'aujourd'hui.

        Equilibres et tours multiples sont maintenant à la portée de Pierina Legnani (1868 -1930) qui sidère le public du théatre Marinsky à St.Petersbourg  avec ses 32 fouéttés lors de la représentation de Cendrillon tout d'abord et du Lac des Cygnes ensuite (Sa technique était telle qu'elle était, parait-il, capable d'exécuter les 32 fouéttés sans que sa pointe d'appui ne sorte de la circonférence d'une pièce de monnaie tracée à la craie sur le sol...)

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           Pierina Legnani dont on comparera  l'alignement du corps avec celui de Marie Taglioni .

        Aussitôt toutes les ballerines russes se doivent de l'imiter, cependant formées à l'école française par Marius Petipa (1818-1910) elles découvrent vite qu'avec leurs chaussons souples de pareils records sont totalement hors de leur portée... Si, malgré tout, les étoiles comme Kchessinskaïa (1872-1971) ou Karsavina (1885-1978) arrivent à relever le défi en portant les chaussons semi-rigides italiens, la majorité des danseuses qui ne possèdent pas la musculature athlétique des italiennes (aux jambes et aux cuisses puissantes) ont besoin de plus de maintien, et l'on vit alors apparaitre en Russie des chaussons beaucoup plus durs et aux semelles beaucoup plus rigides (dont la mode subsiste encore aujourd'hui).

       Mais c'est Anna Pavlova (1881-1931) qui va donner au chausson son aspect définitif lorsqu'à la fin de sa carrière elle renforce encore la cambrure et, surtout, applatit et élargit le bout afin de faciliter ses équilibres. Sur quoi, très désireuse de préserver son image et ne voulant pas être accusée de tricher, l'étoile fit alors retoucher toutes les photos où elle portait des chaussons à bout large en demandant à ce qu'ils soient amincis. (Certains clichés prouvent effectivement que la cliente en a eu pour son argent...)

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                                     Anna Pavlova dans La Fille Mal Gardée

       Avec une cambrure beaucoup plus ferme, une boite renforcée et une plateforme (l'extrémité du chausson) plus large, le chausson de Pavlova se présente tel que nous le connaissons aujourd'hui, et les matéraux de base qui servent à sa fabrication: cuir, toile, papier, colle, clous et satin vont, à partir de ce moment là, rester les mêmes, aussi surprenant que cela puisse le paraitre, pendant près de 100 ans...



          Parceque la danse est un art et que, tout en étant un athlète de haut niveau une danseuse à l'inverse des dieux du stade dissimule son effort derrière un sourire, on s'est tout à fait désintéréssé de son équipement pendant de longues années, à croire que certains s'étaient imaginés qu'elle naissait chaussons aux pieds...

        L'histoire de la technique des pointes a pourtant montré que chaque progrés du chausson a porté un peu plus haut le niveau du ballet. Il serait ainsi totalement impossible de danser les ballets d'aujourd'hui avec les chaussons du XIXème siècle, et la réciproque est tout aussi vraie:
        Dans les années 1800 Bournonville (1760-1843) chorégraphia pour des danseuses qui portaient des chaussons souples, n'effectuant donc équilibres soutenus ou pirouettes multiples que sur demi-pointe, mais exécutant par contre de nombreux sauts complexes... Et lorsque le Royal Danish Ballet voulut plus tard faire danser ces passages sur pointes les danseuses rencontrèrent un vrai problème:
        Comment avoir des chaussons qui soient en même temps suffisament souples pour permettre des sauts et suffisament rigides pour les tours et les équilibres? Certaines danseuses résolurent astucieusement le problème en portant un chausson souple sur le pied d'appel pour les sauts et un chausson rigide sur le pied d'appui pour les équilibres et les pirouettes...

        Cette différence entre les chaussons a d'ailleurs donné naissance à deux écoles différentes:
        L'école française, où les danseuses équipées de chaussons souples montaient naturellement sur pointe à partir de la demi pointe en déroulant le pied,
        et l'école italienne (et russe) où en raison du chausson rigide il est plus facile de monter directement sur pointe avec un léger saut.
        (Il est courant et admis de nos jours de combiner les deux techniques)



        Les esprits curieux souhaiteront peut-être savoir pourquoi les danseurs masculins se limitent aux demi-pointes?
        Tout simplement parceque se tenir sur pointe requiert une particularité morphologique du pied et du bassin que l'homme ne possède habituellement pas (Il existe cependant quelques variations où des danseurs dans des rôles en travesti montent sur pointe: Simone dans La Fille Mal Gardée ou Bottom dans Le Songe d'une Nuit d'Eté par exemple)

             Le rôle de Simone est interprété par Otto Ris du Basler Ballett (Ballet de Bâle)

       L'exception qui confirme la règle existe cependant, représentée par les viriles danseuses des Ballets Trockadero dont la virtuosité, sous le couvert de la parodie, représente une performance extraordinaire qui met la danse en valeur bien plus qu'elle ne la ridiculise, et à laquelle on se doit d'adresser un clin d'oeil appréciateur.



        Quand aux amateurs de chiffres ils seront étonnés de savoir qu'au cours d'une classe de danse les chaussons de pointe supportent un poids cumulé de plus de 5 tonnes dont 80% sont répartis sur la plateforme qui mesure environ 4 cm2...
        Une traction  d'environ 100 kgs est exercée sur le chausson lors de chaque passage sur pointe, et au cours de cette même leçon ils auront absorbé à peu près 2 litres de transpiration...
       Mais le nombre d'ampoules qu'ils auront engendrées reste un secret...

    L'Art et la danse

          "Avancez dans la vie comme dans la danse.... Sourire aux lèvres... avec les pieds pleins d'ampoules..."

                            Alice Abrams


         

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         Noverre déplorait déjà en 1760 que "la danse à l'Opéra se perd dans les tours" et appellait de ses voeux le retour de "ces grâces qui ont disparu du théatre à cause d'un excés de tours maladroits et de difficultés techniques".

        Mais le public de l'époque réclamant de plus en plus d'exploits éblouissants, le ballet dégénèra jusqu'à n'être plus qu'un spectacle purement acrobatique "où l'on ne trouve point d'élégance, point de goût, mais d'effroyables pirouettes, d'horribles efforts de muscles et de jarrets, des jambes disgracieusement tendues, raides, et se tenant toute une soirée à la hauteur de l'oeil ou du menton".
        Et dans les années qui suivirent la Révolution, Pierre Gardel (1758-1840) qui dirigeait alors l'Opéra, constata lui même avec regrets que "le public canaille à bonnets rouges a fait oublier que la grâce était le vernis du tableau mouvant de l'Opéra".

        Cependant une ère nouvelle se préparait... Car, dès 1820, le climat romantique issu de l'Allemagne avait déjà répandu ses idées dans les arts, boulversant bientôt tous les domaines y compris celui de la danse:
        Les claquements de talons bruyants des danseurs du XVIIIème siècle allaient se voir détronés par de délicats chaussons de satin, et les pirouettes sonores et les sauts "à la Vestris" faire place au silence et à une atmosphère d'immatérialité éthérée...


        La période du "ballet romantique" proprement dit, qui ne s'étend que sur une dizaine d'années, est jalonnée par trois dates importantes dont la première est celle du 21 Novembre 1831:
        Ce soir là, le public parisien qui était encore dans l'esprit de Vestris et des Muses, s'éveilla avec un sursaut au troisième Acte du nouvel opéra de Meyerbeer (1791-1864), Robert le Diable. Théophile Gautier avait dit: "Assez de driades, donnez nous des sorcières..."  Ses prières étaient enfin exaucées...

        En lieu et place du divertissement conventionnel qui acconpagnait habituellement les opéras, un ballet, le ballet des nonnes déchues, faisait cette fois partie intégrante du spectacle et intervenait au moment où les spectres des religieuses sortent de leurs tombes pour ensorceler le héros.
        Pierre Ciceri (1782-1868) avait conçu, grâce au nouvel éclairage au gaz qui permettait toute une série de nouveaux effets, une ambiance saisissante éclairée par la lune, et le cadre lugubre de son cloitre en ruines était en parfait accord avec la chorégraphie de Filippo Taglioni. Si l'on en croit le témoignage d'une visiteuse américaine (la future épouse du poète Longfellow), le tout était "magnifique et terrible,diabolique et enchanteur, et les danseuses semblaient de très charmantes sorcières" (Marie Taglioni tenait le rôle de l'abbesse Hélène)

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                                                             Robert le Diable  par Degas 

        L'effet de cette première manifestation du romantisme dans le monde du ballet fut considérable et l'oeuvre conçue par Taglioni pendant que l'opéra était en préparation allait bientôt confirmer cette véritable révolution: 
        Le scénario de La Sylphide, dont la Première eut lieu le 12 Mars 1832 et fut un véritable triomphe, abordait un thème qui allait devenir au cours des années suivantes le modèle le plus largement exploité: la quête d'un idéal, en l'occurence l'amour impossible d'un mortel et d'un esprit.
        Ce spectacle dévoilait les deux faces du romantisme à travers le contraste de ses deux Actes: Le premier très coloré, très couleur locale, reflétant la soif d'exotisme (l'action est située en Ecosse), et le second un "ballet blanc" manifestant l'attrait pour le surnaturel. (Ces deux aspects du mouvement se retrouvent à travers tous les arts, peinture, musique où littérature. Auteur des Orientales Victor Hugo est aussi celui des Rayons et des Ombres, pour ne citer que ce simple exemple).
        Tous les ballets romantiques obéiront à ces principes, avec un nombre variable d'Actes, mais toujours la même opposition ballet coloré/ballet blanc (ainsi que le recours aux "effets spéciaux" et l'utilisation à profusion des pointes et du fameux tutu immaculé conçu par Eugène Lami qui conservera, au cours des années, l'appelation de "tutu romantique").

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        Considéré de l'avis unanime comme l'apothéose du genre, Giselle, fruit de la collaboration de Coralli et Perrot, créé à l'Opéra de Paris le 28 Juin 1841, avait certes beaucoup de points communs avec La Sylphide, fondé sur la même formule avec une action sur deux niveaux, celui du réel (couleur locale villageoise) et du surnaturel (apparition d'outre tombe des Willis). Mais sur le plan dramatique l'oeuvre est beaucoup plus profonde et l'on estime aujourd'hui à très juste titre qu'elle représente la réalisation la plus parfaite du ballet romantique et la troisième, et dernière, des dates importantes à en avoir marqué l'histoire. Car, si d'autres créations suivirent au cours du temps, rien de nouveau ne fut produit par la suite.

        Une nouvelle oeuvre de Coralli vit le jour en 1843: La Peri. Il s'agissait d'une fantaisie orientale toujours basée sur la relation entre un mortel et un esprit, et qui mérite une mention spéciale car le clou du spectacle était un saut de l'interprète principale, en l'occurence Carlotta Grisi, qui se jettait dans les bras de Lucien Petipa du haut d'une plateforme de deux mètres... Celle-ci n'était pas toujours à même de réussir cet exploit et un jour où elle échoua, à Londres, le public applaudit son courage et la pria de ne pas recommencer... Mais les spectateurs parisiens étaient, semble-t-il, plus exigeants et en une certaine occasion ils l'obligèrent trois fois à refaire son saut... On racconte aussi qu'un anglais (certainement amateur d'émotions fortes...) ne manquait jamais une représentation de La Péri car il était convaincu que Carlotta un jour ou l'autre se tuerait au cours de ce ballet...
        Ce funeste pressentiment ne se réalisa heureusement pas et permit à la ballerine italienne de créer encore La Filleule des Fées de Jules Perrot en 1849, après quoi son départ de l'Opéra de Paris marqua le terme du ballet romantique car il ne restait véritablement rien de nouveau à dire et les possibilités étaient épuisées. Quand à la nouvelle technique des pointes, elle avait été exploitée jusqu'à ses dernières limites dans cette quête de légèreté immatérielle, et était destinée maintenant à servir d'autres concepts.

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        Le genre du ballet romantique resta essentiellement français et n'exista hors de nos frontières que sous la forme de plagiats ou d'adaptations et les danseurs vinrent du monde entier se former au style français. A Paris cette décennie légendaire du "ballet blanc" fut dominée par trois "déesses de la danse":
        Marie Taglioni (1804-1884), Carlotta Grisi (1819-1899), et Fanny Elssler (1810-1884) qui enflammèrent l'imagination du public et donnèrent au ballet une popularité qu'il n'avait jamais connue auparavant .
        Si le nom de Marie Taglioni est attaché à la Sylphide et celui de Carlotta Grisi à Giselle, Fanny Elssler quand à elle, n'appartient pas au sens strict du terme au ballet romantique (si ce n'est peut-être à sa part d'exotisme), mais elle marqua précisément l'époque par son style qui formait avec celui de Taglioni une opposition frappante. Elssler était une créature de la terre qui excellait dans les danses de caractère et c'est "la cachucha" du Diable Boiteux(1836) de Coralli qui fit sa renommée. De plus, d'une beauté extraordinaire, elle avait été précédée par une rumeur selon laquelle elle avait été le dernier amour du duc de Reichstadt, l'infortuné fils de Napoléon mort à Vienne, et jouissait de ce fait d'une aura romantique à souhait...

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        Les critiques comparaient inlasablement le "taqueté" d'Essler avec le "ballonné" de Taglioni qui restait, elle, toujours la Sylphide, et Fanny "cette jolie fille qui fait tant de bruit"... (Selon Théophile Gautier Elssler était une danseuse "païenne" alors que Taglioni était une danseuse "chrétienne"). Quoiqu'il en soit chacune avait ses admirateurs et lorsque Fanny essaya de reprendre le rôle de Taglioni dans La Fille du Danube ( F.Taglioni-1849), ceci mit en fureur les "taglionistes" et une bagarre éclata dans la salle et nécessita l'intervention de la police... autres temps autres supporters... (Le sculpteur Jean Baptiste Barre immortalisa les deux rivales, la première en Sylphide, la seconde dansant la "cachucha").
         Parmi les ballerines de l'époque figurait également Amina Boschetti qui inspira ces vers à Baudelaire:
                "Amina bondit, fuit, puis voltige et sourit,
                 Du bout de son pied fin et de son oeil qui rit,
                 Amina verse à flots le délire et l'esprit".

        Peut-être pas de la même veine que Les Fleurs du Mal, mais certes un témoignage certain d'admiration...

        Lorsque Taglioni fut sur le point de prendre sa retraite le directeur du Her Majesty Theatre de Londres eut l'idée de réunir dans un Pas de Quatre les quatre plus grandes danseuses du siècle... Comme on l'imagine la tâche ne fut pas aisée pour ne froisser aucune susceptibilité... 


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                                  Le Pas de Quatre    ( lithographie d'Alfred Edouard Chalon)
                              
            C.Grisi (gauche) M.Taglioni (centre) L.Grahn (arrière droite) F.Cerrito (avant droite)

        Le choix se porta finalement sur la jeune Fanny Cerrito (1817-1909), la danoise Lucile Grahn (1819-1907), Carlotta Grisi (1819-1899) et Marie Taglioni (1804-1884), et le ballet fut donné pour la première fois le 26 Juin 1845 sur une chorégraphie de Jules Perrot, l'un des seuls grands danseurs masculins de l'époque...

        Car, comme venait de le matérialiser si besoin était le Pas de Quatre, la Femme était devenue la reine incontestée du ballet ... (et devait garder son prestige jusqu'au début du XXème siècle). Une suprématie qui se fit aux dépends du danseur de sexe masculin qui se trouva ravalé à une condition déplorable de subordination par cet engouement du public pour les danseuses.
        L'époque où un Dupré ou un Vestris étaient les piliers de l'Opéra de Paris était bien révolue. Tant admiré qu'il fut Lucien Petipa ne fut jamais applaudi (ni rémunéré...) au même titre que les danseuses dont il était le partenaire, et pendant près d'un siècle ses successeurs seront encore plus mal traités que lui. Comme le suggère l'une des nombreuses caricatures de l'époque montrant une Sylphide affublée d'un partenaire des plus empoté et disgracieux, avec cette légende:

        "Le désagrément d'une danseuse, c'est qu'elle nous amène quelquefois un danseur".

        On en arrivera, afin de satisfaire les goûts du public, à faire exécuter "en travesti" des rôles masculins par des danseuses, et le déclin dont la danse fut victime dès que s'estompèrent les derniers feux du romantisme ne révèlera que trop clairement cette eclipse des hommes qui pendant trop longtemps avait émasculé l'art du ballet.

     

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                                                             Marie Anne de Camargo par Lancret.

         Louis XV (1710-1774), l'arrière petit fils de Louis XIV, n'a pas hérité du penchant de son aïeul pour la danse, le ballet de Cour en conséquence a perdu peu à peu de sa raison d'être et en ce XVIIIème siècle les artistes de profession formés à l'Académie qui ont remplacé sur scène les nobles amateurs se partagent maintenant les faveurs du public dans deux genres principaux: la tragédie lyrique et l'opéra-ballet.


         La Régence qui a secoué l'austérité du règne précédent a placé l'Opéra au centre d'une vie sociale brillante vouée aux plaisirs de toutes sortes (la direction du théatre dut même faire poster des sentinelles dans les couloirs des loges des danseuses afin d'éloigner les dons Juans en quête d'aventures...)
         Mais si les coulisses étaient apparement très apréciées la qualité de ce qui se passait sur scène  était par contre, semble-t-il, très discutable en témoignent ces critiques:

                 "Il y a dans nos ballets une certaine uniformité qui me lasse et qui m'ennuie. Nos danses sont presque toutes dessinées les unes comme les autres", écrit Rémond de Saint Mard (1682-1757) dans ses Réfléxions sur l'Opéra (1741)

        et Jean-Jacques Rousseau (1712-1778) déplore dans La Nouvelle Héloïse (1761):

                "Ils ont des opéras appelés ballets qui remplissent si mal leur titre que la danse n'y est pas moins déplacée que dans les autres arts".

        Qu'il s'agisse en effet d'opéra-ballet ou de tragédie lyrique où la danse est certes moins présente, celle ci est reléguée en fait à une fonction purement décorative c'est à dire, en ce qui concerne l'opéra-ballet, à une succession de tableaux dont la signification est si vague et peu évidente qu'il est tout à fait possible d'enlever des "entrées" ou d'en mettre de nouvelles sans aucun problème, voire même d'en réutiliser pour d'autres créations.
        ("Faire entrer les danses" telle était la mention indiquée par le librettiste, c'est la raison pour laquelle ces passages de danse intercalés étaient appelés "entrées").

        A ce bric à brac organisé s'ajoutent les caprices des danseurs vedettes qui imposent leurs désiderata et exigent impérativement de paraitre à leur avantage. Aucun interprète à ce niveau ne se soucie d'un quelconque ensemble, l'unique préoccupation de chacun étant de briller dans sa prestation personelle "l'ajustant toujours à sa mode, et sans aucune relation directe ou indirecte au plan général qu'il ignore et qu'il ne s'embarasse pas de connaitre" (Louis de Cahussac 1706-1759). 
        Le maitre de ballet, qui n'était pas traité comme un égal par les autres concepteurs du spectacle mais comme un subalterne, ne recevait d'ailleurs aucune indication sur l'intrigue principale... et ne se voyait remettre qu'un simple mémoire détaillant le nombre d'entrées nécessaires... 
        Il est vrai que le sujet des opéra-ballets n'offrait d'ailleurs en lui-même que peu d'intérêt, simple prétexte à célébrer un monde de plaisirs, de fêtes et d'amours, en témoignent les titres: Les Fêtes Vénitiennes (1710), Les Amours de Vénus (1712) ou Les Caprices de l'Amour (1747).

        Le danseur, dont seules les prouesses physiques présentaient un réel attrait aux yeux du public, et que le port du masque cantonnait toujours dans un rôle de pantin, était encore très loin d'être considéré comme un véritable artiste voué à l'inteprétation... 
        Comme l'écrivit très justement Louis de Cahussac, le librettiste de Rameau, collaborateur de l'Encyclopédie et théoricien de la danse et de l'opéra français:
                "Dans l'état où est la danse de nos jours les danseurs et les compositeurs de ballet même ne connaissent, n'ambitionnent, ne cultivent que la partie mécanique de l'art. Elle semble suffire en effet aux désirs des spectateurs auxquels ils ont intérêt à plaire". 

      
     Et pour plaire on ne reculera devant aucun sacrifice sur le costume qui, il faut bien le reconnaitre, sombre dans le ridicule... Les mendiants sont vêtus de lamé comme les princes, les plumes et le clinquant sont partout, on représente les vents avec des soufflets à la main et des moulins à vent sur la tête... Mais le public qui use lui avec abondance de dentelles et de colifichets ne s'offusque pas de cet état de choses, bien au contraire.
        Quand au décor il est tout aussi riche... avec profusion de mers et de rochers qui valurent aux danseuses du corps de ballet d'être surnommées "les gardes côte". 

        Il ne reste pas de transcription chorégraphique de l'oeuvre de Jean Philippe Rameau (1683-1764), Les Indes Galantes (1735), qui amena le genre de l'opéra ballet à son apogée. Mais la partition permit de constater par contre l'importance qui y avait été donnée à la danse considérée cette fois comme un élément essentiel, peut être était-ce là un semblant de premier pas préfigurant les changements à venir...

                    Chorégraphie de Maurice Béjart pour le Béjart Ballet de Lausanne.

         Car un renouveau s'était opéré en fait en Angleterre où le danseur-chorégraphe John Weaver (1693-1753), en ajoutant au ballet de Cour des éléments de pantomime propres au théatre anglais, venait de semer les prémices d'un ballet qui rendait chants et récitatifs complètement démodés:
                "Sans recours au verbe, les gestes et les mouvements suffisent à exprimer une manière d'être, des actions et des passions. Le corps parlant des pieds à la tête ainsi que les Grecs et les Romains l'avaient compris".

        Il faut dire que contrairement à ce qui se passait en Angleterre, la pantomime se résumait en France à des farces grossières, et ce fut l'ambition du danseur et chorégraphe Jean Georges Noverre (1727-1810) que de lui redonner ses lettres de noblesses, entreprise dont se fit l'écho Le Mercure de France:
                "Mr. Noverre fut révolté de ces basses caricatures et il résolut d'en purger la scène de l'Opéra", et ce dernier de ponctuer lui-même:
                "J'ose dire sans amour propre que j'ai ressuscité l'art de la pantomime, il était enseveli sous les ruines de l'Antiquité".
        Car la pantomime allait pouvoir donner un sens à l'intrigue et la danse se concevoir enfin comme un art organisé et non plus comme un divertissement bavard et confus: La porte s'ouvrait sur le "ballet d'action" totalement indépendant.
           Mais la route était encore très longue avant que ne s'accomplisse cette importante évolution qui fera que "la danse mécanique et d'exécution" sera remplacée par "la danse pantomime ou d'action", et Jean-George Noverre, initiateur de cette réforme complète, et que l'on considère à juste titre comme le créateur du ballet moderne, se retrouva, pour employer l'expression restée célèbre de l'un de nos anciens ministres de l'Education, face à un autre "Mammouth à dégraisser"...

        Parmi ses principaux objectifs figurera la suppression des masques:
                "Détruisons les masques" écrivait-il, "ayons une âme, et nous serons les premiers danseurs de l'univers",
        suivi de cet autre impératif, l'allègement des costumes traditionnels:
                "Défaites vous de ces perruques énormes et de ces coiffures gigantesques qui font perdre à la tête les justes proportions qu'elle doit avoir avec le corps, secouez l'usage de ces paniers raides et guindés qui privent l'exécution de ses charmes, qui défigurent l'élégance des attitudes, et qui effacent la beauté des contours que le buste doit avoir dans ses différentes positions... Je ne voudrai plus de ces tonnelles raides... Je diminuerai de trois-quarts les paniers ridicules de nos danseuses".

    L'Art et la danse


         L'essentiel de sa doctrine résumée dans ses Lettres sur la danse et sur les ballets (1760)  qui demeure aujourd'hui le plus célèbre classique fut aussitôt traduit en anglais, allemand ou italien... Car ces idées nouvelles reçurent un accueil immédiatement favorable dans toutes les grandes capitales européennes, Vienne, Londres, Stuttgart ou Berlin, où elle furent aussitôt développées. Mais l'Opéra de Paris par contre très conservateur n'était pas ouvert aux innovations... Noverre parcourut alors l'étranger, devint entre autres l'ami de Glück (1714-1787) et de Fréderic II, et fort de ses succés revint en France où il obtint alors le poste de maitre de ballet à l'Académie (1776).
        Mais il n'y jouit pas malheureusement d'une entière liberté d'expression et dut se contenter la plupart du temps de présenter des divertissements et des oeuvres mineures. Il est certain que  Les Petits Riens (1778) serait complètement tombé dans l'oubli si le compositeur n'en avait été Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) (Les Petits Riens est la seule partition de Mozart spécifiquement destinée au ballet).


         Constamment en butte aux intrigues et aux jalousies Noverre fut finalement contraint à démissionner de l'Opéra en 1781, cependant ce qu'il y avait réalisé était décisif car il n'y avait plus de retour en arrière possible et ses ballets Médée et Jason (1763) ou Les Horaces (1777) qui, dit-on, inspira à  David (1748-1825) son tableau "Le Serment de Horaces", avaient définitivement ouvert la voie à ses disciples.


        Dans ce chaos que fut le ballet au XVIIIème siècle on vit émerger un nombre important de danseurs et de danseuses qui se mirent alors à rivaliser avec leurs homologues masculins et commencèrent à dominer la scène. Outre Marie Madeleine Guimard (1743-1816) Marie Allard (1742-1802) ou Louise Lamy, deux d'entre elles entrèrent dans la légende:

    L'Art et la danse


          La première est une danseuse gracieuse et émouvante, Marie Sallé (1707-1756) dont la technique, exempte de virtuosité "sans gambades ni sauts" (elle n'a jamais fait un entrechat ou une pirouette) se distinguait par un don fortement développé pour l'expression. Son désir de rendre la danse théatrale plus expressive n'était, hélas, guère compris à Paris, mais très goûté au contraire à Londres où elle présenta Pygmalion, un ballet pantomime où elle parut "sans jupe, sans corps, et échevellée, et sans aucun ornement sur sa tête, elle n'était vétue, avec son corset et un jupon que d'une simple robe de mousseline tournée en draperie et ajustée sur le modèle d'une statue grecque". Tout comme Noverre, elle souhaitait une danse expressive libérée du poids des costumes encombrants, et militait déjà avant lui en ce sens à l'Opéra.

    L'Art et la danse


          La grande rivale de Marie Sallé était une brillante technicienne, Marie Anne de Cupis de Camargo (1710-1770) qui réalisait avec un brio encore jamais vu sauts complexes, cabrioles ou entrechats et fut la première authentique ballerine virtuose.
        Elle est restée célèbre pour sa jupe dévoilant ses chevilles qui, plus qu'une simple anecdote, fut une innovation fondamentale qui permit l'introduction des pas battus pour les femmes (les jupes courtes triomphèrent finalement mais, comme l'exigera le règlement de police, à condition d'être portées "avec des caleçons de protection" qui semblent être à l'origine de ce qui sera plus tard le justaucorps).
        Le nom de Camargo passa alors dans le langage courant, toutes les grandes élégantes se chaussaient "à la Camargo" et une contredanse baptisée "la Camargo" fut même dansée dans les bals pendant tout le reste du XVIIIème siècle.

        Le contraste qui existait entre le style de "la Camargo" et de "la Sallé" attisa à l'époque de violentes passions et Voltaire (1694-1778) lui même ne savait laquelle choisir...

                "Ah, Camargo, que vous êtes brillante!
                 Mais que Sallé grands Dieux est ravissante!
                 Que vos pas sont légers et que les siens sont doux! 
                 Elle est inimitable et vous êtes nouvelle
                 Les nymphes sautent comme vous
                 Mais les Grâces dansent comme elle."



        Les danseurs masculins de leur côté ne cédaient rien en popularité aux danseuses et il faut citer Louis Dupré (1690-1774), le premier danseur à avoir été qualifié du titre flatteur de "dieu de la danse":

                "Lorsque le grand Dupré, d'une démarche hautaine,
                 Orné de son panache avançait sur la scène,
                 On croyait voir un dieu descendre des autels
                 Qui venait se mêler aux danses des mortels".


        Décrit en ces termes élogieux par l'écrivain Claude Joseph Dorat (1734-1780), Noverre par contre le qualifia de "machine parfaitement organisée mais à laquelle il manquait une âme".

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                                          Gaetano Vestris par Gainsborough.

        Sa succession à l'Opéra de Paris fut assurée ensuite par un florentin Gaetano Vestris (1729-1808) insupportable de vanité et d'arrogance. A une dame qui lui avait marché sur le pied par inadvertance et lui demandait en s'excusant si elle lui avait fait mal il répondit "Non madame, mais vous avez failli mettre tout Paris en deuil pendant 15 jours"... Celui ci affirmait également sans la moindre hésitation: "Il n'y a que trois grands hommes en Europe: le roi de Prusse, Mr de Voltaire et moi"... Gaetano Vestris resta 52 ans à l'Opéra et disait en toute simplicité de son fils qui lui succéda "Quand mon fils touche le sol c'est seulement par fraternité avec les autres danseurs"...
        A côté de ces fortes personalités il ne faut pas oublier de citer Jean Dauberval (1842-1806) qui termina sa carrière à Bordeaux où il créa le plus remarquable de tous les ballets comiques La Fille mal gardée qui fut présenté au tout début de la Révolution en 1789. Celui ci avait cotoyé pendant ses années à l'Opéra Maximilien Gardel (1741-1787) et son frère Pierre Gardel (1758-1840) également chorégraphe dont Noverre aimait à dire:
                "Il a parcouru à pas de géants la route que je lui ai ouverte, celle du ballet d'action".


       Ce ballet d'action qui finira malgré tout par triompher aussi en France même si le premier accueil a été un peu tiède... Car en accord avec l'esprit du "siècle des Lumières" la danse a maintenant réuni avec bonheur esprit et matière,

       "et en séduisant l'oeil elle captive le coeur et l'entraine aux plus vives émotions. Voilà ce qui constitue l'Art".
                ( J.G. Noverre)
         

     

      Chorégraphie de Frederic Ashton pour le Royal Ballet. Avec Marianela Nunes et Carlos Acosta dans les premiers roles. La danse des sabots est interprétée par William Tucket (rôle en travesti) La partition musicale consistait à l'origine en un pot pourri de 55 airs français à la mode, depuis elle s'est enrichie d'extraits d'oeuvres de Pugni, Minkus, Delibes etc... 

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