• Gaëtan et Auguste Vestris: Une Dynastie de Légende

     

    L'Art et la danse

    Florence  par Jean-Baptiste Corot (1796-1875)

     

        La saga des "dieux de la danse" débute à Florence où Thomas- MarieHippolythe Vestris et Violante- Béatrix de Dominique Bruscagli élèvent une famille de huit enfants dont ils consacrent majoritairement l'éducation à la musique et à la danse, et lorsqu'ils jugent celle-ci suffisante entament avec eux un véritable vagabondage à travers l'Italie tout d'abord, puis vers l'Europe ensuite, se séparant ou se regroupant au gré de leurs engagements respectifs ou des riches soutiens qu'exploitent en séductrices expertes les membres féminins de la famille.

     

    L'Art et la danse

    Térésa Vestris par Elisabeth Vigée-Lebrun (1755-1842)

     

         C'est Térésa (1726-1808) qui la première arrive en France en 1746, après avoir démontré ses divers talents (dont accessoirement celui de danseuse...) à Palerme, puis Vienne où elle devint la maîtresses du prince Eszterahazy, et provoquant la jalousie de l'impératrice Marie-Thérèse fut ensuite envoyée à Dresde. Engagée à Paris à l'Académie Royale de Musique, en courtisane accomplie elle prépare alors le terrain pour ses frères, et grâce à ses "relations" influentes en peu de temps Gaétano (1729-1808) et Angiolo (1730-1809) l'y rejoindront en 1848.

        Les deux garçons deviennent les élèves de Louis Dupré (1690-1774), Gaétano alors âgé de 19 ans est le type parfait du florentin blond et charmant, et bien qu'étant "jarreté", une imperfection qui se caractérise par des hanches étroites et des cuisses trop rapprochées, il réussit à force de travail à surmonter ce handicap et après avoir dansé quelques temps dans les ensembles il est nommé soliste en 1751 (Angiolo le sera en 1753).
        Les élèves de l'Académie Royale de Musique sont à l'époque (et le resteront jusqu'en 1830) classés, d'après leur physique, en trois genres dont ils ne peuvent sortir sauf autorisation du directeur:
        -La danse noble qui exige une haute stature bien proportionnée, et surtout des traits empreints de distinction et de majesté,
        -La danse de demi-caractère qui demande, elle, une taille moyenne, une silhouette svelte et gracieuse et un visage agréable,
       -La danse comique qui requiert un aspect plus trappu et une physionomie enjouée.

        De Gaëtan Vestris, Noverre (1727-1810) disait qu'il représentait "le modèle le plus parfait du genre noble" dont les pas lents, les amples mouvements de bras et les poses élégantes mettaient parfaitement en valeur son talent et ses qualités physiques qui l'imposèrent bientôt comme le plus grand danseur de son temps, et firent de lui le représentant sans égal de tous les dieux de l'Olympe et tous les héros grecs qui figuraient à l'époque dans le répertoire de la scène lyrique française.

        "Vestris hérita du beau talent de Dupré et de son sobriquet: on le proclama le dieu de la danse. Il égala son maitre en perfection et le dépassa en variété et en goût"  (J.B. Noverre. Lettres sur la danse).

        Recherché comme modèle de prestance et de grâce masculine, il devient bientôt le maitre à danser de Louis XVI, et règne à la Cour où chacun s'évertue à imiter ses toilettes et ses coiffures élégantes; cependant son aplomb frisant l'impudence, ses airs prétentieux et hautains et son épouvantable accent italien font en même temps de lui la cible de toutes les plaisanteries, et l'on se gausse de ses fanfaronnades dont certaines sont demeurées célèbres...
        Devant la beauté du duc de Devonshire il s'était exclamé:
    "Si je n'étais pas Vestris, je voudrait être le duc de Devonshire!",
        et après les victoires de Bonaparte en Italie il s'écria, fou d'enthousiasme:
    "Cet homme mérite une récompense extraordinaire: Il me verra danser!"
       Quoi de plus normal lorsque l'on sait qu'il n'y avait d'après lui que trois grands hommes: Voltaire, lui-même et le roi de Prusse...

     

    L'Art et la danse

     Gaëtan Vestris  par Thomas Gainsborough (1727-1788)

      

         Très imbu de sa personne, totalement inconscient de son ridicule, et tyrannique à l'extrême, Gaëtan Vestris éprouva, de par son caractère exécrable, de nombreuses difficultés avec son entourage, et quelques mémorables altercations avec ses partenaires eurent des fins mouvementées....
        Il gifla Mademoiselle Heinel (1753-1808) sa grande rivale dans le domaine de la virtuosité (qui lui pardonna sûrement l'incident puisqu'elle l'épousa lorsqu'il prit sa retraite de l'Opéra), et traita une certaine fois Mademoiselle Dorival de "rognole"... Cette dernière ayant porté plainte sans succès, Vestris obtint contre elle une lettre d'incarcération, et elle fut emprisonnée quelques heures, le temps que l'on demande à l'irascible danseur d'aller, en s'excusant, la rechercher afin de la ramener à son public... Hué par les spectateurs à la suite de cet incident il n'en fut pas le moins du monde affecté, car quoi qu'il advint il reprenait toujours son ascendant sur le public par son talent prodigieux:
        "l'impudence de ce danseur l'a soutenu et ne l'a pas empêché de danser comme un dieu" écrivit un témoin. 

        A la suite d'un différend avec le maitre de ballet Jean-Barthélémy Lany (1718-1786), qui se solda par un duel, Vestris fut finalement lui-même emprisonné puis renvoyé cette fois de l'Académie de Musique. Il s'exila alors un temps à Berlin et à Turin en 1754-55, puis réintégré  à Paris où son public le réclamait y poursuivit sa carrière triomphale.
        A partir de 1761 il se rend régulièrement à Stuttgart et à Londres où il sera l'un des pionniers de l'ère nouvelle initiée par la grande réforme de Noverre (boudée à Paris) et jouera un rôle important en faisant découvrir le ballet d'action tout en conservant les caractères de la danse noble.
        Gaëtan Vestris fut également le premier à profiter de l'allègement des costumes et peut-être encore le premier à avoir dansé à visage découvert, selon certaines sources (d'autres attribuent en effet cet événement à Gardel qui aurait abandonné le masque un certain soir pour prouver au public qu'il n'était pas Vestris qui était annoncé au programme ce jour là).

     

    L'Art et la danse

    Gaëtan Vestris dans Jason et Médée de Noverre

     

        Exclu une nouvelle fois de l'Opéra à la suite d'un énième incident, le danseur y fut réintégré comme maitre de ballet et occupa le poste jusqu'en 1776, cédant la place à Noverre; et lorsque en 1780, l'Administration redoutant ses mouvements d'humeur hésite à le mettre à la retraite après 30 années de présence à l'Académie de Musique, c'est finalement son mariage avec Anne Heinel qui réglera la question et les deux artistes feront ensemble leurs adieux à la scène le 12 Mai 1782.

     

        Un pareil Apollon ne manqua pas d'être aimé des femmes et triompha sur les coeurs comme sur les planches, multipliant les conquètes dont la plus célèbre, sinon la plus importante dans l'histoire de la famille Vestris, fut la danseuse Mademoiselle Allard (1741-1802).

        Car un jour qu'il inspectait l'école de danse (il avait été nommé directeur des Ecoles de danse) les yeux de Gaëtan Vestris se posèrent sur un garçon de 9 ans exceptionnellement doué, et il s'enquit auprès du professeur de son identité:
        -"C'est le petit Allard" répondit celui-ci
        -"Un fils de... Mademoiselle Allard?"
        -"Précisément... de Mademoiselle Allard..."
        -"Mais mon Dieu! Alors ce doit être mon fils!.... Sais tu mon fils que tu ressembles à ton père?" s'écria-t-il en se tournant vers l'enfant...

        A compter de ce jour, Vestris éleva chez lui le petit Auguste, et le fit lui même travailler de façon telle qu'à l'âge de 13 ans il débuta sur la scène de l'Opéra subjuguant le public:
        "Un prodige de talent tel qu'on ne peut se le persuader qu'en le voyant" écrira un témoin de l'évènement.
        Tel un Mozart de la danse le fils de Gaëtan Vestris était en effet un petit prodige que l'on promenait de Cour en Cour, choyé et gavé de friandises; son nom d'Allard fut bientôt transformé en VestrAllard et lorsqu'il fut légalement adopté par son père ne porta plus que le nom de ce dernier.

     

    L'Art et la danse

    Auguste Vestris  par Adèle Romanée (1769-1846)

     

        On imagine difficilement le degré de célébrité alors atteint par des artistes comme les Vestris: Lorsque le père et le fils paraissent à Londres Horace Walpole décrit ainsi l'entrée en scène du jeune Auguste:
        "Le public l'accueillit par une ovation indescriptible, les hommes applaudissaient à tout rompre et les dames oubliant leur délicatesse claquèrent des mains avec une telle véhémence que 17 se cassèrent le bras, 65 se foulèrent le poignet et 3 crièrent "Bravo! Bravissimo!" si fort qu'elles en devinrent complètement aphones..." 
        Le costume bleu dans lequel parut le danseur lança immédiatement la mode du "bleu Vestris" et le Parlement interrompit sa session pour que les membres puissent assister à toutes les représentations...

        Comme Auguste Vestris n'était pas très grand et n'avait pas la morphologie de son père, son style de danse était le demi-caractère dans lequel il fit preuve d'un "ballon" peu commun et d'une virtuosité sans précédent tournant comme une toupie. Noverre le décrivit ainsi:
        "Je vais vous montrer Monsieur Vestris fils: il est sous tous rapports le premier danseur de l'Opéra et de l'Europe. Tant qu'il aura la faculté de se mouvoir il sera le modèle inimitable de son art". 


        "Si Auguste est plus fort que moi" disait en toute modestie son géniteur, "c'est qu'il a pour père Gaëtan Vestris, avantage que la nature m'a refusé",  et il continuait:
        "S'il ne s'élève pas plus haut c'est pour ne pas trop humilier ses camarades ..."


    L'Art et la danse

     Auguste Vestris (1760-1842)   

            

         Au cours des 36 années qu'il passa à l'Opéra comme premier danseur Auguste Vestris créa une multitude de nouveaux pas de grande élévation qu'il intégra à l'ancienne danse terre à terre du XVIIIème siècle, et son talent de mime fut reconnu par tous les grands acteurs du moment. C'est à lui que revint l'honneur d'inaugurer le théâtre de la porte Saint Martin, construit en deux mois sur une commande de la reine Marie Antoinette afin de remplacer l'ancien Opéra détruit par un incendie, et il laissa également son nom à une danse que le chorégraphe Maximilien Gardel (1741-1787) composa pour lui dans Panurge dans l'ile des lanternes d'André Grétry (1741-1813), et qu'il exécuta si brillamment qu'elle ne fut plus connue ensuite que sous le nom de La Gavotte de Vestris.


    L'Art et la danse

       La Gavotte de Vestris

     
        Exilé à Londres pendant quatre ans par la Révolution, de retour à Paris il continua à se produire sur scène jusqu'en 1816 et se consacra ensuite à l'enseignement. Devenu un professeur recherché il comptera entre autres parmi ses élèves Marie Taglioni, Fanny Elssler, Carlotta Grisi, Marius Petipa et Auguste Bournonville. Ce dernier reproduira d'ailleurs fidèlement au Premier Acte de son ballet, Le Conservatoire, encore dansé de nos jours, une leçon de Vestris à l'Opéra de Paris en 1820. 

     

    Le Conservatoire- Acte I   Interprété par Ian Poulis et le Ballet Arizona

     

        Si Auguste Vestris avait hérité du talent de son père il hérita aussi malheureusement de son caractère... Très infatué de sa personne, capricieux, son arrogance ne connut pas de limites car, stars avant la lettre, les Vestris se permirent d'invraisemblables caprices et perdaient en certaines occasion toute retenue...
        "Excellent danseur dans son genre, mais bête, insolent, impudent, ne se prêtant jamais au bien de la chose lorsque les circonstances l'exigent" se plaindra la direction de l'Opéra... Il est de toutes les coalitions formées par les danseurs insoumis, et refusa un soir de danser devant la reine, soutenu en cela par son père qui l'avertit:
        "Si tu danses, je t'empêcherai de porter le nom du grand Vestris!"

     

    L'Art et la danse

    Auguste Vestris

     

        Les succès ininterrompus auraient du rendre Auguste Vestris immensément riche, mais ses dépenses exorbitantes et son désir de briller parmi les "aimables roués" de l'époque le conduisirent tout droit à la ruine en passant par la case prison.
        Même les remontrances de son père resteront sans effets, et Noverre qui aime admirer la grâce et le talent "lorsqu'ils sont entourés par les charmes de l'esprit, de l'honnêteté, de la politesse et des moeurs" exprimera toute la déception qu'il ressent à son égard:
        "Je regretterai toujours de voir les grands talents sans moeurs et sans reconnaissance. Il a donné et donnera toute sa vie l'exemple de l'immoralité, toutes ses pirouettes passées ne peuvent le sauver de la honte de son inconduite"  (Lettres sur la danse).

     

        Lorsque Gaétan Vestris reparait une dernière fois sur scène il a alors 61 ans et est accompagné d'Auguste et du fils de ce dernier, Auguste Armand (1795-1825) qui, à 5 ans, fait ses débuts...
       La troisième génération de Vestris se fera toutefois plus discrète, mais si l'on a tendance à associer aujourd'hui à ce nom une ridicule vanité, des excès en tous genres ou des ego surdimensionnés, il faut se rappeler cependant que ceux qui le portèrent furent aussi de très grands artistes.

     

    Vestris

        Premier ballet spécialement chorégraphié pour Mikhaïl Baryshnikov par Leonid Jacobson sur une musique de Genaldi Banschikov

     

     


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  • Commentaires

    1
    chanain
    Lundi 22 Avril 2013 à 16:42

    Je prépare un ouvrage "fêtes et Plaisirs chez les Condé". Les archives me disent que le petit Vestris est venu danser à Chantilly en 1772. Puis-je, dans mon ouvrage, utiliser le portrait d'Augustre Vestris peint par Adèle Romanée comme illustration ? y a-t'il copyright ?

    Merci

     

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