• Charles Garnier (1825-1898) - Le treizième Opéra.

    L'Art et la danse

                             L' Avenue de l'Opéra     Camille Pissaro (1830-1903)

        Lorsque le 5 Janvier 1875 l'Opéra de Paris reçoit enfin l'écrin qu'il mérite il a, à ce jour, occupé pas moins de douze lieux diférents (certains cependant de façon très éphémère) et vécu trois incendies et deux attentats depuis sa création deux siècles auparavant.

        En Novembre 1672 Lully, qui vient de recevoir du roi le privilège de fonder une Académie Royale de Musique, établit à la hâte sa troupe dans un Jeu de Paume rapidement aménagé rue de Vaugirard. Mais l'endroit ne convient pas vraiment et à la mort de Molière, quelques mois plus tard, ils investissent les locaux du théâtre du Palais Royal.

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                              Le palais du temps de Richelieu (à droite le théâtre) 

        Ces lieux, devenus extrèmement vétustes, sont anéantis en quelques heures en 1763 par un incendie, et chanteurs et danseurs vont aller trouver refuge au théâtre des Tuileries. (Situé entre la Cour du Louvre et le Jardin des Tuileries, c'est lui qui donnera naissance à la façon de désigner sans ambiguité les deux cotés de la scène. Pour les spectateurs étourdis, se souvenir de Jésus Christ: Pour la salle Jardin est à gauche et Cour à droite).

       Le second théâtre du Palais Royal mis en chantier pendant ce temps et achevé en 1770 n'hébergera pas longtemps les artistes par la suite, car dix ans seulement après son ouverture il disparut comme son prédécesseur au cours d'un violent incendie...

        "Je vous donne jusqu'au 31 0ctobre... Si la clef de ma loge m'est remise ce jour là je vous promet le cordon de St. Michel en échange"... tel fut le marché que proposa la reine Marie Antoinette à l'architecte Nicolas Lenoir à qui l'on demanda alors le tour de force de rebâtir en deux mois un nouveau lieu de représentations pour l'Académie Royale de Musique...
        On ne sait s'il obtint sa décoration, mais le théâtre de la Porte Saint Martin fut inauguré le 27 Octobre 1781, quatre jours avant la fin du délai imposé...

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                                   Le théâtre de la Porte Saint Martin vers 1790.

        Mais lorsque sous le régime de la Terreur le site est réquisitionné en 1794 pour des réunions politiques, l'Académie Royale de Musique alors rebaptisée plus républicainement Opéra, s'en voit chassée, priée de porter ses pénates au théâtre de la rue de Richelieu d'où elle sera encore délogée en 1820, cette fois par un tragique incident: l'assassinat du duc de Berry. Car ce dernier ayant reçu les derniers sacrements à l'intérieur du théâtre où il avait été transporté, l'archevêque de Paris demanda à ce que l'endroit ne serve plus jamais de lieu de divertissement public.

        L'Opéra se retrouve alors installé à partir de ce moment là dans un nouveau local érigé à la hâte rue Le Peletier.

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                                        L'Opéra de la rue Le Peletier

        Une fois encore celui-ci ne devait servir que de résidence provisoire, mais il restera en service pendant plus de cinquante ans, et il fallut un second drame pour faire bouger les choses...

        Alors qu'il quittait l'Opéra le 14 Janvier 1858, Napoléon III fut en effet la cible d'un attentat duquel le couple impérial sortit miraculeusement indemne, mais qui fit 8 morts et 150 bléssés parmi la foule.
        Dès le lendemain l'empereur décide alors de la construction d'une nouvelle salle qu'il souhaite dans un lieu davantage sécurisable.

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                                         L'attentat d'Orsini   H. Vittori

        C'est l'architecte ordinaire de l'Opéra, Charles Rohault de Fleury, qui aurait dû logiquement se voir attribuer la commande, mais il s'en trouva écarté par un concours dont l'idée vint directement, selon certains, de Napoléon III lui-même (mais surtout de l'impératrice Eugénie qui souhaitait voir attribuer la charge à Viollet-le-Duc)...

        Le concours largement ouvert passionne tout Paris et jusqu'à la province... Des paris s'engagent et les résultats sont attendus avec impatience... Viollet-le-Duc est rapidement éliminé... Et parmi les 171 concurents inscrits, à la surprise générale, c'est un jeune Prix de Rome de 35 ans qui n'a pratiquement encore rien construit qui est déclaré vainqueur à l'unanimité du jury...

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        Charles Garnier a rendu des plans dont les chassis (devant rester anonymes) portent le N°38 et cette devise:
                          "J'aspire à beaucoup et j'attends peu"...

        S'il surprend, son projet séduit le plus grand nombre, car il réunit plusieurs styles harmonieusement agencés dans une architecture subtile et exubérante où prédominent le Baroque et la diversité des matériaux; et le jour de la présentation officielle des croquis au concours, l'impératrice Eugénie soutenant son favori apostropha Garnier avec cette question:

        "Qu'est-ce que c'est que ce style là?.. ce n'est ni du grec, ni du Louis XV, pas même du Louis XVI..."

                     Et Charles Garnier de répondre:

        "Non... ces styles là ont fait leur temps... c'est du Napoléon III... et vous vous plaignez!"

    L'empereur prit alors à part l'architecte et lui murmura:
        "Ne vous en faites pas... Elle n'y connait rien"...

        Les travaux débutent en 1862, et Garnier a choisi, pour bien mener sa tâche, de s'entourer d'amis rencontrés pendant ses études faisant, entre autres, de Victor Louvet, lui aussi Grand Prix de Rome, son adjoint et son bras droit.

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                                Le couple impérial visite le chantier de l'Opéra

        L'emplacement décidé par le préfet, le baron Haussmann, un losange étriqué et dissymétrique, ne se prête pas facilement au positionnement d'un bâtiment de cette envergure et impose tout d'abord d'importantes contraintes à l'architecte, qui sera ensuite obligé de rehausser les combles afin que la toiture se dégage avec majesté de l'ensemble des immeubles environnants.

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                                                    Le site de l'Opéra

        La nappe phréatique ayant été rapidement atteinte lors des excavations il lui faudra également créer afin de récupérer les eaux d'infiltration, un grand bassin en béton qui sert aujourd'hui de réserve en cas d'incendie. Situé sous la cage de scène la maintenance en est assurée par des techniciens qui y circulent en barque et nourrissent au passage les carpes qui ont été introduites pour tester la qualité de l'eau (Elles ne sont pas les seuls animaux à habiter l'Opéra dont les toitures abritent des ruches placées par un accessoiriste apiculteur à ses heures ).

       C'est cet imprévu au moment de la construction qui donna naissance à la légende d'un lac souterrain alimenté par une rivière la Grange Batelière... (légende savamment exploitée et entretenue par le célèbre roman de Gaston Leroux, Le fantôme de l'Opéra) et nombreux sont les touristes naïfs à y croire encore... (La Grange Batelière existe, il est vrai, mais elle coule un peu plus loin au niveau du magasin Printemps Haussmann).

        La construction de l'édifice va en fait s'étaler sur 15 ans... Car le chantier sera interrompu à plusieurs reprises à causes de problèmes budgétaires... Pendant le conflit avec la Prusse les batiments inachevés sont réquisitionnés pour y entreposer des vivres et de la paille pour les chevaux...
        Puis les difficultés économiques ne permettent pas dans l'après-guerre de reprendre le chantier... Et l'avènement de la IIIème république fait ensuite hésiter les dirigeants à achever la commande d'un régime discrédité...

        Mais, encore une fois, le sort va intevenir dans le cours des évênements... Car dans la nuit du 28 au 29 Octobre 1873 l'Opéra de la rue Le Peletier est réduit en cendres par un incendie

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                                    L'incendie de l'Opéra de la rue Le Peletier

         Charles Garnier
    sera aussitôt rappelé pour reprendre les travaux. Il se voit même attribuer une rallonge à son budget à la condition express de remplir sa mission dans un délai d'un an et demi...

        Certains lieux, à l'époque, ne sont pas encore complètement achevés et d'autres, telle la Galerie du Fumoir, ne seront jamais terminés par la suite, mais l'inauguration a lieu le 5 Janvier 1875 en présence du Président de la République Mac Mahon, du Lord Maire de Londres, du bourgmestre d'Amsterdam, de la famille royale d'Espagne et de près de deux mille invités venus de l'Europe entière.

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                                            L'Inauguration de l'opéra

        Charles Garnier, lui, a du payer sa place dans une seconde loge...

    La presse de l'époque fera des gorges chaudes de l'incident en raillant cette administration qui rejette ceux qui, de près ou de loin, ont servi l'empereur déchu "faisant payer à l'architecte le droit d'assister à l'inauguration de son propre bâtiment"...
        Napolèon III n'aura pour sa part jamais profité de cet Opéra qu'il avait tant désiré... Il était mort deux ans auparavant en exil en Angleterre.



        Charles Garnier qui possède un goût certain pour l'architecture d'apparat vient d'offrir aux parisiens un cadre somptueux où, dès son inauguration, l'on se doit d'être vu...

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                                   Soirée à l'Opéra (Début du XXème siècle) 
                                 On voit sur le tableau le haut relief de Carpeaux, la Danse

        Car l'Opéra est avant tout un endroit mondain, où la lumière est d'ailleurs encore constamment maintenue dans la salle qui constitue le lieu de représentation d'une classe sociale privilégiée (Ce n'est qu'au début du XXème siècle que l'obscurité sera imposée à la grande satisfaction des vrais amateurs de chant lyrique et de ballets).

        Et grâce à la reine d'Espagne qui, brisant les tabous, désira admirer la Galerie du Grand Foyer le jour de l'inauguration, les femmes vont investir ces lieux jusque là traditionellement résevés à l'usage exclusif de la gent masculine (les dames recevaient dans leurs loges pendant les entr'actes tandis que les messieurs se retrouvaient aux Foyers des théâtres).

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                   Le Grand Foyer (A gauche le buste de Charles Garnier par Carpeaux)

        Les artistes, eux, ont maintenant à leur disposition une scène de 1350 mètres carrés pouvant accueillir jusqu'à 455 personnes traditionellement inclinée de 5% vers la salle, et qui, lors des grandes occasions (Le Grand Défilé du corps de ballet par exemple) peut être prolongée au fond par l'ouverture du Foyer de la Danse situé exactement derrière, permettant d'obtenir une longueur de près de 50 mètres. 
        Ce Foyer,espace de répétition pour le corps de ballet, comporte un plancher incliné à l'identique mais à l'inverse de la scène ce qui accentue les effets de perspective lorsque son espace est utilisé comme prolongement du plateau principal.

        Dès l'ouverture du Palais Garnier les riches abonnés possèdent le privilège d'accéder à ce Foyer de la Danse qui  permet d'être directement au contact des danseuses et d'y faire des "rencontres"... Ces dernières mal rémunérées et issues pour la plupart de milieux très modestes ne dédaignent pas la protection d'un riche représentant de la haute bourgeoisie, voire de l'aristocratie.

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                                               Le Foyer de la Danse

        Une galerie supérieure à oculi, dissimulée sous la décoration exubérante du plafond permet même à ceux qui le souhaitent d'observer discrétement les membres du corps de ballet sans être reconnus... L'expression "s'offrir une danseuse" vient de cette pratique peu glorieuse des salles d'Opéra les plus prestigieuses...
        Cet usage perdure jusqu'au début du XXème siècle, période où la morale commence à réprouver ce curieux mélange des genres, et les abonnés sont dès lors interdits d'accés aux coulisses.
        Le rôle ambigu joué par le Foyer de la Danse se révèle d'ailleurs encore très clairement à travers les peintures un brin vulgaires qui en font le décor auquel plusieurs spécialistes et autres critiques ont même reproché d'évoquer l'univers des maisons closes.
     
        Claude Debussy qui de toute évidence ne fut pas particulièrement impressionné par l'oeuvre de Charles Garnier (qui comme toute oeuvre d'Art eut ses détracteurs) en donna lui cette description: "un bâtiment qui ressemble à une gare vu du dehors, mais que l'on pourrait facilement prendre à l'intérieur pour un bain turc"...


        A la fois rationnel dans ses dispositions, pur dans ses proportions et éclectique dans son décor qui fait appel à toutes les ressources de la couleur et de l'illusion (Le Grand Escalier est taillé dans vingt-quatre marbres précieux différents), le Palais Garnier symbolisera presque à lui tout seul l'art du Second Empire et considéré comme le chef d'oeuvre de l'architecture de son temps, sera l'un des premiers et l'un des très rares bâtiments de l'histoire à porter le nom de son auteur.

     

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                                                 Le Palais Garnier
     
         Charles Garnier construisit également, entre autres, le théâtre Marigny ainsi que l'Opéra de Monte Carlo, et à Bordighera où il passa plusieurs mois par ans les trente dernières années de sa vie, édifia sa résidence  la villa Garnier, ainsi que plusieurs habitations particulières et bâtiments municipaux.
       Et lorsqu'il disparait en Août 1898 il est l'architecte français le plus connu du XIXème siècle et l'un des plus célèbres au monde. 

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           "Si tu cherches un monument à ma mémoire regarde autour de toi" *
                                  
     Palais Garnier  Le Grand Escalier 


    * Cette phrase est gravée en latin sur la simple dalle de marbre noir sous laquelle est inhumé dans la crypte de la Cathédrale Saint Paul, à Londres, son architecte Christopher Wren: " Si monumentum requiris circumspice"


    Le roman de Gaston Leroux a inspiré plusieurs film dont le plus récent est celui de Joel Schumacher sorti en 2004, adaptation de la comédie musicale d'Andrew LLoyd Webber: The Phantom of the Opera.

                           ( Interprété par Sarah Brightman et Steve Harley)

     

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  • Commentaires

    2
    Mercredi 8 Septembre 2010 à 05:05

    Some lines is confusing to me in this article, on the whole it is great article for me and may be everyone also,

    1
    Elisabeth Brioude
    Jeudi 19 Août 2010 à 15:27

    Encore une visite pleine de plaisir

    et toujours de l'admiration devant le soin que vous apportez à vos publications,

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