• Casse Noisette (1892) - Un voyage entre rêve et magie.


    L'Art et la danse


       Traditionellement mis à l'affiche au moment des fêtes et synonyme de féerie à grand spectacle avec ses décors somptueux et ses éblouissantes danses de caractère, Casse Noisette vit le jour le 6 Décembre 1892 sur la scène du théatre Marinsky de Saint Petersbourg.

        L'année précédente, le directeur des théatres impériaux de Russie, Ivan Vsevolojski, avait proposé au tandem Petipa-Tchaïkovski, après le succés de la Belle au Bois Dormant, de créer ensemble un second ballet.
        Il en avait déjà choisi l'argument tiré du "Casse Noisette de Nuremberg" d'Alexandre Dumas, lui même inspiré du conte fantastique d'Ernst Theodor Amadeus Hoffmann (1776-1822), Le Casse Noisette et le Roi des Rats:
        Le sujet ne séduisit ni Tchaïkovski ni Petipa qui, ensemble, refusèrent la commande. Petipa jugeait que l'histoire ne se prétait pas à un brillant spectacle et surtout ne convenait pas à la danse classique, le personnage principal, une enfant, ne pouvant que difficilement servir de support à un rôle pour une danseuse. Quand à Tchaïkovski, il trouvait le sujet beaucoup trop mièvre. Malgré tout, devant l'insistance pressante de Vsevolojski, les deux hommes capitulèrent et s'attelèrent au projet, mais sans aucun enthousiasme de leur part, il faut le dire...

        Le premier essai de Petipa aboutit en tout et pour tout à ce que nous connaissons aujourd'hui du 1er Acte... Il le soumit sans conviction à Vsevolojski qui sut le convaincre malgré tout de persister dans ses recherches afin d'étoffer le ballet, ce qui donna alors l'idée au chorégraphe de prolonger l'intrigue en créant le royaume imaginaire de la Fée Dragée, prétexte de tout le second Acte.
        Autant de sucreries n'était pas fait pour plaire à Tchaïkovski qui essaya de persuader Petipa de revenir à l'histoire originale d'Hoffmann, car la version de Dumas beaucoup plus édulcorée faisait l'impasse sur un conte dans le conte qui lui aurait permis ,en relançant l'action, de composer un second Acte beaucoup plus dramatique...
        Petipa qui, lui, devait obéir à cette exigence imparable: employer un grand nombre de danseurs, se trouvait  en fin de compte fort bien de ce Divertissement final avec ses nombreuses variations, et le projet se concrétisa finalement sous cette forme.

        Tchaïkovski se mit à la tache sans aucun enthousiasme, car il sentait qu'il écrivait une musique qui ne lui venait pas du coeur. Avec le temps cependant, il se piqua sans doute au jeu malgré tout, puisqu'il écrivit ces lignes:

                "Je m'accorde chaque jour un peu plus avec mon travail"

        Un travail qui révèle une richesse d'inventions mélodiques inégalées dans la musique de ballet. A un ami lui ayant parié un jour qu'il ne serait pas capable d'écrire une mélodie basée sur la suite des notes dans l'octave, Tchaïkovski demanda s'il fallait que l'octave soit ascendant ou descendant, et comme cela n'avait apparement aucune importance le résultat du pari fut le Grand Adage du Grand Pas de deux de l'Acte II...
        Une musique mélancolique d'une très grande beauté qui contraste avec l'atmosphère festive de l'ensemble car elle fut composée par Tchaïkovski en mémoire de sa soeur décédée peu de temps avant la composition du ballet.


        Pour la petite histoire il faut noter également dans la partition de Casse Noisette l'apparition d'un nouvel instrument que le compositeur avait découvert à Paris: le Célesta, et qu'il choisit pour caractériser la Fée Dragée à cause de ses sonorités délicates.


        Lorsqu'il eut achevé son oeuvre Tchaïkovski n'était toujours pas convaincu par le résultat et il eut cette critique sévère:

                "Maintenant qu'il est terminé, Casse Noisette n'est que laideur". 


        Qui fut le chorégraphe du ballet fait encore pour quelques uns l'objet d'un débat...
        Il est certain que c'est Marius Petipa qui reçut la commande et commença le travail en Aout 1892. Mais il tomba malheureusement malade et c'est son assistant depuis 7ans, Lev Ivanov, qui prit la suite. Et, bien que celui ci soit souvent cité comme l'unique chorégraphe, des récits de l'époque attestent au contraire qu'il n'a fait que seconder Petipa resté seul maitre d'oeuvre. 
        Quoi qu'il en soit le travail fut mené a bien et le soir de la Première, l'orchestre était dirigé par le chef habituel du théatre Marinsky, Ricardo Drigo, et ce furent Sergei Legat et Stanislava Belinskaya qui parurent dans les premiers rôles.
        Cette soirée était une double Première pour Tchaïkovski, car Casse Noisette constituait la seconde partie d'un spectacle dont l'ouverture était un opéra pour lequel il avait également été commissioné.
                "C'est curieux", disait-il, "que quand je composais ce ballet je n'aie céssé de penser qu'il n'était pas très bon, mais que je montrerais ce dont j'étais capable avec mon opéra... Et maintenant il me semble que le ballet est bon et l'opéra beaucoup moins".
        Un jugement laissant parfaitement présager de l'avenir... Le dernier opéra de Tchaïkovski, Yolanta, n'a pas effectivement acquis une grande célébrité alors que son Casse Noisette est considéré aujourd'hui comme une oeuvre majeure du répertoire tchaïkovskien.

        L'opéra reçut pourtant au départ un accueil beaucoup plus chaleureux que le ballet et le compositeur constata avec amertume encore une fois:

                "L'opéra a été apprécié de toute évidence, mais pas le ballet. Les journaux comme d'habitude m'ont dénigré cruellement".

        Il faudra effectivement attendre quelques décénies pour que celui qui est devenu certainement aujourd'hui le ballet le plus populaire, n'entame sa carrière prometteuse dans le monde entier.

    L'Art et la danse


        C'est un objet plutôt inattendu que ce casse noisette à forme humaine qui se trouve au coeur de l'intrigue et dont l'origine est assez curieuse:
        On racconte qu'un riche fermier allemand ayant organisé un concours promettant une récompense à qui lui proposerait le meilleur objet pour ouvrir ses noix, ce fut un fabriquant de marionettes qui l'emporta avec une adaptation de ses propres poupées. Il reçut alors une forte somme d'argent avec laquelle il ouvrit une boutique où il continua à fabriquer ces casse noix originaux, des figurines en bois parfois de très grande taille, représentant des soldats, des gendarmes ou encore des notables du pays, et dont la mode se propagea très vite. Et avec un brin d'imagination pourquoi ne pas rêver qu'un jour une de ces créations ne puisse prendre vie?...

        Dans le texte original d'Hoffmann l'histoire est un conte aux sombres replis, où les réveries de l'enfance sont perturbées par les interdits de l' inconscient. Mais dans la version simplifiée de Petipa, une petite fille, Clara (Marie chez Hoffmann) cherche simplement à s'évader par le rêve de l' univers petit bourgeois qui l'entoure, sans autre ambition que celle de créer une féerie.

        L' Acte I s'ouvre sur un salon dans une petite ville allemande où le président Silberhaus et sa femme organisent un arbre de Noël avec parents et amis. Les enfants reçoivent leurs cadeaux et soudain arrive le vieux Drosselmeyer qui amène avec lui des automates et offre à Clara un casse noisette représentant un amusant personnage. Jaloux, son frère Fritz le casse, mais Drosselmeyer le répare et tandis que la fête se termine les invités se retirent et les enfants s'en vont au lit.
        Cependant Clara n'arrive pas à trouver le sommeil et elle revient dans le salon où elle retrouve son casse noisette près duquel elle s'endort et se met à rêver... Minuit sonne à l'horloge... et soudain la pièce est envahie par des souris... Sous le sapin les jouets s'animent et s'organisent en rangs de bataille, avec le Casse Noisette à leur tête, pour affronter l'attaque des souris emmmenées par leur roi. Ce dernier se faisant menaçant Clara lui lance alors sa pantoufle, ce qui détourne son attention et permet au Casse Noisette de profiter de l'occasion pour le tuer. Les souris battent en retraite et c'est alors que le Casse Noisette se transforme en Prince et emmène Clara dans un monde féerique où ils sont accueillis par des flocons de neige.



        L' Acte II est essentiellement un grand Divertissement ayant pour cadre le Royaume enchanté de la Fée Dragée où les gens du pays accueillent Clara et le Prince et exécutent plusieurs danses en leur honneur:
        Une danse espagnole, une danse chinoise, une danse arabe, une danse russe, la danse des mirlitons, la valse des fleurs et le Grand pas de deux.


        Suivant les productions, ces danses ne sont pas toujours données dans cet ordre, et changent même de nom car nous sommes au royaume des douceurs... et les danses espagnole, chinoise, arabe et russe deviennent respectivement  parfois: chocolat, thé, café, et trépak (bonbons russes à la menthe)


        Après le Grand Pas de deux arrive le Final et le ballet se termine habituellement ( mais pas toujours) par le réveil de Clara sous le sapin.

        Toutes les versions de Casse Noisette (et elles sont nombreuses...) ne se ressemblent pas, car plusieurs lectures du récit sont possibles, du simple conte de fée, en passant par l'éveil d'une jeune fille à l'amour pour aller jusqu'à l'exploration freudienne de l'inconscient... L'éventail est large et parmi les plus connues il faut citer la version de Balanchine où, tout comme dans celle de Petipa il n'y a pas d'intrigue romantique, mais les évènements fantastiques sont par contre bien réels et Clara et son prince s'en vont à la fin sur un traineau.
        Youri Vamos, le directeur du Ballet de Düsseldorf déclare lui que:
                "L'histoire de Casse Noisette est merveilleuse mais pas assez compliquée pour le spectateur d'aujourd'hui"... Du coup il crée son propre livret en s'inspirant du Conte de Noël de Dickens.


        Dans la plupart des autres versions il y a toujours une allusion à une romance naissante entre Clara et le Prince, chacun recadrant l'histoire à sa façon.
        Patrice Bart réecrit complètement le scénario: Clara a été enlevée par des révolutionnaires russes et vit dans une famille adoptive. Le Casse Noisette la sauve une seconde fois de l'enlèvement, et au second Acte elle retrouve sa mère.
        Pour Matthew Bourne, l'histoire se passe dans un orphelinat.


        John Neumeier, lui, crée pour le Frankfurt Ballet une version inspirée par le milieu de la danse classique où Clara, jeune danseuse, dont la soeur ainée est déjà étoile va vivre son rêve de succés grace au Casse Noisette.
        Hanté par la mort de sa mère, Maurice Béjart signe à son tour une chorégraphie très autobiographique nous entrainant dans un cirque où c'est la maman décédée d'un enfant qui reprend vie un soir de Noël.


        Et quand à la relecture de Noureev, tout en suivant le schéma classique, celle ci se plonge dans l'univers freudien où Drosselmeyer et le Casse Noisette ne font qu'un, suggérant le fantasme de l'homme mûr pour la jeune fille.

        En imaginant son Casse Noisette, Petipa n'avait d'autre ambition que celle de créer un conte chorégraphique avant tout destiné aux enfants et si l'on considère les relectures qui en ont été faites (remaniements psychologiques en particulier) on constate qu'elles n'ont plus rien à voir avec l'original et ne s'attireraient pas ce qualificatif d'un critique (de toute évidence pas très "fan"...) de "confiserie obligée de Noël".

        De tous les ballets du répertoire Casse Noisette est peut-être celui dont il existe le plus grand nombre de versions, même parmi celles qui suivent la structure de base et le cadre. Pour la raison très simple que ce n'est pas ici le livret qui porte le ballet, mais la musique. Une musique exceptionelle qui emporte l'imagination et sur laquelle tout est possible...

                                 Car l'homme est fait de l'essence du rêve... 



                                   "We are such stuff
                                    As dreams are made on..".
                                                  William Shakespeare - The Tempest IV 1

    L'Adage du Pas de Deux de l'Acte II est interprété par Myriam Ould Braham et Jérémie Bélingard. Chorégraphie de Rudolf Noureev. 

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