• Arthur Saint-Léon (1821-1870) - Un diable de violon

    L'Art et la danse

    Arthur Saint-Léon dans Le Violon du Diable 

     

        Charles Victor Arthur Michel naquit à Paris le 17 Septembre 1821, fils de Léon Michel assistant de Pierre Gardel (1758-1840) à l'Opéra. Encouragé par son père il étudie très tôt la musique et la danse, deux disciplines dans lesquelles il fait preuve de dons surprenants et, lorsque Léon Michel est nommé maitre de ballet à la Cour des ducs de Würtemberg, la famille s'installe à Stuttgart où Arthur passera la plus grande partie de son enfance et de son adolescence.
        Si la danse demeure sa première ambition ce dernier n'en cultive pas moins cependant très sérieusement ses talents pour le violon sous la direction de Joseph Mayseder (1789-1863) puis de Niccolo Paganini (1782-1840), et à peine âgé de 13 ans donne son premier concert à Stuttgart. Ses débuts de danseur il les fera en 1835, l'année suivante, à Munich dans un ballet de Joseph Schneider, Die Reisende Ballet-Gesellschaft (La Compagnie de Ballet Itinérante), adoptant pour l'occasion le patronyme de Saint-Léon et, aussi bon danseur qu'excellent musicien, le jeune artiste ira ensuite parfaire sa formation à Paris où, tout en continuant à étudier la danse, il donne des récitals de violon...

        Elève de François Descombe dit François Albert (1789-1865), ancien danseur de l'Opéra de Paris réputé pour développer la virtuosité chez ses élèves, Arthur Saint-Léon est engagé dès 1838 comme premier danseur au théâtre de la Monnaie à Bruxelles où son professeur s'est vu lui-même offrir la fonction de maitre de ballet. Il se produit alors sur les plus grandes scènes européennes et de Milan à Vienne et de Londres à Paris sa virtuosité lui vaut un succès immédiat: 
        "Sa danse rappelle les ébats d'un jeune Hercule... Il a été tellement impressionnant dans ses prouesses que le public, un public qui n'éprouve le plus souvent que détestation ou indifférence pour les danseurs masculins, l'a acclamé aussitôt... On ne peut avoir qu'une idée imprécise du nombre de tours qu'il est capable d'exécuter en une seule fois" écrira le Times.
      ( Il faut insister tout particulièrement sur le caractère exceptionnel de cette reconnaissance qui mérite que l'on s'y attarde car, à une époque où seules les femmes étaient vraiment appréciées sur la scène, Arthur Saint-Léon, admiré pour son ballon et ses pirouettes, réussit à se faire apprécier du public grâce à un incomparable talent)

        C'est au cours d'une tournée à Milan que le danseur fit la connaissance de la ballerine italienne Fanny Cerrito (1817-1909) mais l'occasion de danser ensemble ne leur fut offerte que quelques temps plus tard à Vienne: Le couple d'interprètes devint alors très vite inséparable, à la scène comme à la ville, se produisant à travers toute l'Europe où leur popularité ne cesse de grandir, et ils seront à Londres les créateurs des premiers rôles des ballets de Jules Perrot (1810-1892)Ondine et La Esmeralda.

        Sans doute inspiré par celle qui est devenue sa "muse", Saint-Léon va laisser parler à son tour ses talents de chorégraphe et créer dans la capitale anglaise le 23 Mai 1843 au Her Majesty Theatre, La Vivandière, dont il sera également l'interprète dans le rôle de Hans tandis que Fanny Cerrito sera Kathi la vivandière, ballet dont il avait donné une première version à Rome l'année précédente: La Vivandiera ed il postiglione. Le public anglais débordant d'enthousiasme lui fera un véritable triomphe, et tournées et créations nouvelles vont alors s'enchainer, mais laisseront cependant au couple le temps de séjourner assez longuement à Paris pour s'y marier le 17 Avril 1845 à l'église des Batignoles.

     

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    Fanny Cerrito et Arthur Saint-Léon dans le Pas de la Redowa de La Vivandière 

    Le ballet dut en partie sa notoriété à 4 Pas rendus célèbre par le couple: Le Pas de la Vivandière, le Pas de l'Inconstance, le Pas de Six et le Pas de la Redowa (une danse bohémienne à 3 temps, très gaie, qui ressemblait à la mazurka et fit fureur à Londres avant d'être mise à la mode dans les bals français aux alentours de 1850)


        Considérés comme un inséparable tandem Cerrito et Saint-Léon sont alors engagés ensemble à l'Opéra de Paris en 1847 et y débutent avec des reprises de succès éprouvés : La Fille de Marbre (adaptation d'Alma créé à Londres en 1842 par Jules Perrot), puis La Vivandière remarquée tout particulièrement pour l'étincelante danse de caractère la "redowa", ou encore Le Violon du Diable dans lequel la prestation de Saint-Léon faisait doublement sensation:
        "Une des principales curiosités de ce ballet c'est d'entendre Saint-Léon jouer du violon non comme un maitre à danser qui agace sa pochette, mais comme un virtuose consommé. Un instrument magique n'a rien d'invraisemblable entre ses mains. Ce double talent ne peut manquer de produire un effet sur les recettes, car Le Violon du Diable a l'attrait d'un concert et d'un ballet, les morceaux et les pas se valent, Saint-Léon a les doigts aussi agiles que les jambes" écrira Théophile Gautier.
        "Il commande ses jambes aussi bien que les cordes" renchérira un autre critique dans un article tout à l'éloge de l'artiste dont la virtuosité avait considérablement impressionné Adolphe Adam (1803-1856).

     

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     Fanny Cerrito et Arthur Saint-Léon dans La Fille de Marbre

     

        Au cours de ces années le chorégraphe composera quelques 16 ballets ou divertissements pour l'Opéra de Paris parmi lesquels figureront Stella ou encore Les Contrebandiers. Mais les prétentions chorégraphiques de Saint-Léon étaient à l'époque relativement modestes car toutes ses créations étaient en réalité destinés à mettre en valeur Fanny Cerrito, bien que quelques traits distinctifs de ses ouvrages ultérieurs y apparaissent déjà, en particulier son intérêt pour les danses nationales.
        Nommé maitre de ballet et professeur de la classe de perfectionnement, il quitte cependant l'Opéra en 1852 avant la fin de son contrat, après qu'il se soit séparé de son épouse à qui, en galant homme, il ne voulut pas imposer sa présence sur leur lieu de travail...  Demeuré cependant un temps à Paris il chorégraphie et compose alors de la musique pour le Théâtre Lyrique où il donnera en 1853 Le Lutin de la Vallée, y démontrant une nouvelle fois, si besoin était, ses talents conjugués de danseur et de violoniste.

     

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    Arthur Saint-Léon dans Le Lutin de la Vallée

     

          Après une saison à Londres, ses pas le conduisent ensuite au Portugal où il est engagé en 1855 par le Thêatre Sao Carlos de Lisbonne qui, en raison de difficultés financières, sera dans l'obligation trois ans plus tard de mettre fin prématurément à son contrat. C'est alors qu'ayant repris à cette époque le chemin des tournées à travers l'Europe, Arthur Saint-Léon se voit offrir à 38 ans le poste qui vient couronner sa carrière: Succédant à Jules Perrot il va en effet occuper la fonction prestigieuse de Maitre de ballet au théâtre Bolchoï Kamenny de Saint-Petersbourg, et ce jusqu'à sa mort.

        Saltarello ou la Passion de la Danse y marque ses débuts en Octobre 1859 et démontre immédiatement ses talents multiples: librettiste, chorégraphe, interprète du rôle principal, compositeur et musicien professionnel, car il est cette fois l'auteur de la partition et s'illustre sur scène avec deux solos de violon.
        Parmi les oeuvres qui vont suivre figurent Graziella (1860), Paquerette (1860), La Perle de Séville (1862) et, certainement la plus connue, Le Petit Cheval Bossu (1864) au sujet de laquelle il est intéressant de remarquer que le premier ballet basé sur une légende russe est l'oeuvre d'un français...

     

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    Le Petit Cheval Bossu (repris par Marius Petipa pour le Mariinski en 1895)

     

        Parce que la saison de ballet en Russie ne durait que six mois Saint-Léon mettait à profit ses longues "vacances" pour travailler avec d'autres compagnies comme chorégraphe invité. Aussi fut-il en mesure huit ans durant de 1863 à 1870 de consacrer son activité des mois d'été à l'Opéra de Paris, réalisant ainsi cette prouesse de rêgner simultanément sur l'art du ballet en Russie et en France.
        Il présenta tout d'abord au public français Diavolina (1863), suivi de Néméa (1864) dont la partition était l'oeuvre de l'un de ses amis intimes, Ludwig Minkus (1826-1917), mais Saint-Léon découvrit bientôt à Paris un jeune compositeur avec lequel il se sentait à même de travailler dans un climat de sympathie: Léo Delibes (1836-1891), et avec la collaboration de Charles Nuitter (1828-1899) pour le livret il va créer La Source (1866) qui devait être la première apparition à Paris d'Adèle Grantzow, (1845-1877) une danseuse allemande rencontrée à Hanovre en 1858 et qu'il avait recommandée comme prima ballerina au Bolchoï de Moscou (et dont il avait fait sa muse en Russie).

     

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    Mademoiselle Fiocre dans La Source par Edgar Degas (1834-1917)

     

        Malheureusement, rappelée par le Bolchoï, Adèle Grantzow fut privée de l'occasion de créer le rôle de Naïla et, poursuivie par la malchance, ne put tenir, cette fois pour des raisons de santé, le rôle principal de la nouvelle création de Saint-Léon, Delibes et Nutter qui allait devenir le ballet le plus souvent dansé de toute l'histoire de l'Opéra de Paris: Coppélia (1870).

        Dès sa première représentation l'histoire de "la fille aux yeux d'émail" fut un immense succès aussi bien pour ses auteurs que pour ses interprètes. Malheureusement des évènements tragiques se préparaient: ce même été la guerre éclata entre la France et la Prusse, l'Opéra fut fermé, et le 2 Septembre, juste trois mois après la gloire de Coppélia, Saint-Léon décéda d'une crise cardiaque. (Pour clore cette série noire, en Novembre, Giuseppina Bozzachi (1853-1870) qui avait été la première Coppélia fut emportée par la petite vérole le jour de son dix-septième anniversaire).

     

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        Violoniste respecté dans le milieu des salons musicaux en dehors de ses succès chorégraphiques, Arthur Saint-Léon laissait derrière lui outre ses nombreux ballets, plus de 170 oeuvres musicales principalement destinées a son instrument de prédilection (dont un concerto), et dans un autre domaine deux ouvrages consacrés à la danse: De l'Etat Actuel de la Danse, paru en 1856, lequel avait été précédé quatre ans plus tôt par La Sténochorégraphie ou Art d'Ecrire Promptement la Danse.
        Car plus qu'aucun de ses confrères, celui-ci était préoccupé par la nature éphémère de l'oeuvre du chorégraphe dont la survie dépendait entièrement à l'époque de la mémoire humaine. Pour y remédier il inventa une méthode de notation, la sténochorégraphie, et rédigea un manuel qu'il dédia au tsar Nicolas II de Russie.
        Cet ouvrage publié en 1852 représente le premier système d'écriture qui documentait non seulement les pieds, mais aussi les mouvements de la tête, des bras et du buste:
         Superposée à la portée musicale, une portée de 5 lignes renseigne la position des jambes, tandis que sur une ligne supplémentaire placée au dessus apparaissent en pictogrammes les indications relatives au reste du corps.

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         Sans doute trop occupé à créer pour s'astreindre à noter, Saint-Léon n'a laissé que quelques rares exemples de son système d'écriture, entre autres une partie du Pas de Deux des paysans de Giselle, et surtout le Pas de Six de La Vivandière qu'il mit comme exemple dans son livre et qui représente aujourd'hui la seule de ses chorégraphies à avoir survécu intacte.

         En 1975 l'expert en notation de ballet Ann Hutchinson-Guest (1918- ) et Pierre Lacotte (1932- ) ont reconstruit la chorégraphie de Saint-Léon et la musique de Cesare Pugni (1802-1870) pour le Joffrey Ballet d'après les documents préservés dans les archives de l'Opéra de Paris. Le Pas de Six a été ensuite remonté en 1978 par Pierre Lacotte pour le Kirov-Mariinski qui l'a inscrit à son répertoire sous son titre russe de Markitenka, et l'oeuvre a été reprise par la suite par plusieurs compagnies de ballet dans le monde.

     

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    Arthur Saint-Léon (1821-1870)

     

        "Auteur brillant de variations qui pourraient être considérées comme un modèle de beauté pour leur dessin chorégraphique et leur musicalité" (Yekaterina Vazem), Arthur Saint-Léon avait comme principal souci de plaire au public, et chaque fois parait-il qu'il introduisait quelque idée d'avant garde en composant un ballet il la supprimait finalement pour ne pas choquer le spectateur...
        Il fut cependant le premier à introduire des danses nationales dans les ballets (plus de 50 différentes, dit-on) et, ouvrant la voie d'une ère nouvelle dans laquelle s'illustrera son successeur Marius Petipa (1818-1910), s'inscrit assurément dans l'histoire de la danse comme le dernier des grands chorégraphes du XIXème siècle.


         

      Coppélia (Mazurka) Interprété par Leanne Benjamin, Carlos Acosta et le Royal Ballet. Chorégraphie de Ninette de Valois d'après Lev Ivanov et Enrico Cecchetti.

     

     

     


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