• André Derain (1880-1954) - A la recherche des secrets perdus

     

    L'Art et la danse

    Danseuse (1928)  André Derain 

     

    "Les idées ne suffisent pas, il faut le miracle"

                                                 André Derain

     

        L'un des peintres les plus controversés de la première moitié du XXème siècle, André Derain, naquit à Chatou le 10 Juin 1880. Son père, crémier-glacier prospère, est conseiller municipal de la bourgade et souhaite une vie bourgeoise pour ce fils intelligent qui excelle dans ses études et entamera après son baccalauréat un cursus d'ingénieur, tout en ne cachant pas son goût prononcé pour l'art.
        Ses premières leçons de peinture il les a reçues de son ami La Noé à l'âge de 15 ans, et tandis qu'il poursuit ses études d'ingénieur à Paris, il est inscrit à l'Académie Carrière qu'il fréquente de 1898 à 1900 et où il fait la connaissance de Matisse puis rencontre Vlaminck avec lequel il partage un atelier, une partie d'un ancien restaurant qu'ils louent en commun et que, désargentés, ils chauffent en faisant brûler les chaises et les tables inutilisées:
        "Il faut peindre avec du cobalt pur, des vermillons purs, du véronèse pur!" lui répétera son co-locataire qui se flatte d'avoir "dessalé l'ami Derain" l'initiant "à la couleur sortie du tube comme aux plaisirs populaires"...

       Trois années de service militaire vont interrompre études et activités artistiques que Derain reprendra à son retour en s'inscrivant à l'Académie Julian, après que Matisse ait réussi à convaincre ses parents de lui laisser abandonner sa carrière d'ingénieur pour se consacrer entièrement à la peinture. 
        Les deux amis travaillent alors ensemble pendant l'été 1905 qu'ils passent à Collioure, où Derain, dira-t-il, "se laisse aller à la couleur pour la couleur" et où sa peinture va une première fois frôler le génie.

     

    L'Art et la danse

    Le Phare de Collioure (1905) 

     

        Exposées au Salon d'Automne de cette année là leurs toiles, aux côtés de celles de Vlaminck et quelques acolytes, leur vaudront le surnom fameux de "fauves" et déclencheront le célèbre scandale...
        "J'avais fait chaud" dira Derain, "très, très chaud. Le fauvisme a été pour nous l'épreuve du feu. Les couleurs devenaient des cartouches de dynamite. Elles devaient décharger la lumière".

        L'année suivante le marchand d'art Ambroise Vollard lui achète la totalité de son atelier (89 peintures et des aquarelles dont le montant lui assurent désormais la stabilité financière...) et l'envoie à Londres sur les traces de Monet.


    L'Art et la danse

     Londres   Tower Bridge  (1906)

     

        En 30 peintures, Derain va donner avec des couleurs éclatantes et des compositions inhabituelles une image magique de la ville à travers des toiles qui resteront parmi ses oeuvres les plus célèbres.

      Le critique d'art T.G. Rosenthal écrira à son propos:
        "Depuis Monet, personne n'avait su donner de Londres une vision aussi originale et en même temps si profondément anglaise".

     

    L'Art et la danse

    Londres  Big Ben (1906)


        A la même époque, l'artiste illustre les oeuvres de Guillaume Apollinaire et André Breton, et alors qu'il n'a pas 30 ans figure en bonne place dans toutes les expositions ou dans les publications consacrées à la peinture française d'avant-garde.
        "La couleur est la matérialisation de la lumière. C'est donc une matérialisation de l'esprit. La couleur fixe la lumière. Où il y a lumière il y a l'esprit" écrira-t-il.

        Ce novateur extrêmement hardi est cependant en même temps un homme délibérément tourné avec une sorte de passion vers la tradition et, dès 1911, son oeuvre revient à une vision plus objective de la nature.
        "Je me sens m'orienter vers quelque chose de meilleur où le pittoresque compterait moins pour ne soigner que la question peinture" écrit-t-il à Vlaminck, et il exprime également son envie de "faire des choses plus raffinées, moins primitives", désirant "faire du stable, du fixe, du précis".

        Sous l'influence du cubisme et de Cézanne sa palette colorée commence à glisser vers des tons plus doux et dès cette époque ses tableaux reflètent déjà son étude des anciens Maitres, les formes deviennent austères et les années 1911-1914 seront parfois appelées sa "période gothique".


    L'Art et la danse

     Nature Morte (1913)


        Mobilisé pendant la guerre qui interrompt sa carrière, il se fait cette fois à son retour le chef du renouveau classique, s'intéresse à partir de 1920 à Raphaël et au Quattrocento italien, et dans une époque où la forme se dissout dans les brumes de l'impressionnisme ou se brise dans le cubisme, Derain tente de la saisir de la façon la plus simple et la plus directe, se faisant l'avocat de l'ordre, la sobriété et la raison, la nature devenant son inspiration et les vieux Maitres des musées ses modèles.
        Certains critiques le traitèrent d'apostat, d'autres au contraire le reconnurent comme le plus grand artiste de l'époque. Apollinaire dira de lui en 1916:
        "Derain a étudié les Maitres avec passion. Les copies qu'il a faites montrent comme il était désireux de les connaitre. En même temps avec un courage inégalé, ignorant toutes les audaces de l'art contemporain, il a trouvé dans la fraicheur et la simplicité les principes et les règles de l'art".
      

    L'Art et la danse

     Paysage près de Barbizon (1922)

     

        L'entre deux guerres est pour l'ingénieur manqué une période de consécration où sa célébrité ne cesse de s'accroitre. A l'apogée du succès il reçoit en 1920 le prix Carnegie et expose à l'étranger, Londres, Berlin, Francfort, Düsseldorf, New-York, Cincinnati... Il collectionne les Bugatti (il en possédera successivement 14 dit-on...), pilote des machines volantes, conduit des bateaux ou achète des châteaux... Tour à tour vénitien, flamand, florentin, inspiré par l'Extrême Orient ou l'art nègre, Renoir, Modigliani, le Douanier Rousseau, il ne cesse de changer de manière, reniant toutes les avant garde:
         Il dénonce tour à tour l'impressionnisme "une peinture de petites jeunes filles un peu artistes", l'art non figuratif "plus c'est abstrait plus c'est bête", le fauvisme "une histoire de teinturiers" ou encore le cubisme "une chose vraiment idiote qui me révolte de plus en plus".


    L'Art et la danse

     Fleurs dans un vase (1932)


        Aucun peintre n'a montré à la fois autant de doute et de maitrise et donné cette impression de dominer son siècle tout en le rejetant en même temps, et en véritable virtuose Derain passera sa vie à la recherche des secrets perdus, refaisant sans trêve le parcours des anciens, multipliant les techniques, maitrisant avec brio les lumières et les contrastes, jusqu'à ce que lui, le "fauve", au soir de sa vie abandonne la couleur pour produire des Paysages tristes (1946) ou des natures mortes sur fond noir ou marron, à l'image de son environnement car, ostracisé après la seconde guerre mondiale pour avoir effectué un voyage officiel en Allemagne en 1941, l'artiste mourra dans la plus complète solitude.

     

    L'Art et la danse

    Nature Morte (1946) 

     

        Pleines de fantaisie, ses créations consacrée aux arts de le scène se distinguent très nettement de son oeuvre picturale, et comprennent quelques 13 ballets, 20 opéras et 2 pièces de théâtre pour lesquels entre 1919 et 1953 il a créé décors et costumes.
        Cette longue série de collaboration avec le monde du spectacle débute en 1919, lorsque Serge Diaghilev qui jusque là a eu recours à des décorateurs russes comme Bakst, Benois ou Roerich (puis en 1917 à Picasso pour Parade), sollicite Derain pour La Boutique Fantasque, un début qui amènera celui-ci à travailler ensuite avec les plus prestigieuses compagnies, les Ballets Russes de Monte Carlo (La Concurrence 1932), les ballets de George Balanchine (Les Songes 1933), l'Opéra de Paris (Salade 1935) ou encore les Ballets de Paris de Roland Petit (Que le Diable l'Emporte 1948).

     

    L'Art et la danse

    Esquisse pour le rideau de fond de La Boutique Fantasque (1919)

     

        Toujours éclectique il n'hésitera jamais à mêler époques et genres présentant indifféremment des personnages arborant des masques d'influence africaine et d'autres d'influence grecque, ou s'inspirant de peintures étrusques tout en puisant en même temps des idées sur une carte postale du Tyrol...
        Ne laissant rien au hasard il participe aux essayages des costumes, choisit lui-même les tissus et accroche dans les loges le dessin des maquillages à appliquer aux danseurs... 

     

    L'Art et la danse

     Costume pour la danseuse de can-can de La Boutique Fantasque (1919)

     

        Passionné de ballet, André Derain fut en fait plus qu'un décorateur, car, véritable créateur il imagina des arguments, choisissant les musiques et intervenant dans la mise en scène. Il rédigea ainsi plusieurs livrets pour des ballets dont il avait dessiné les décors et les costumes, entre autres La Concurrence, Les Songes, Fastes, et Que le Diable l'Emporte.
        A propos de ce dernier ballet Roland Petit écrira:
    "Derain, lui, a tout fait! Il a choisi la musique et l'orchestrateur. Il a écrit le sujet du ballet pour finir par faire ce pour quoi il avait du génie, c'est à dire les costumes et les décors". 
        (L'artiste qui avait aussi également quelques idées sur l'art de la chorégraphie ira même jusqu'à élaborer un projet "relatif à la composition d'un ballet entièrement créé par monsieur Erik Satie musicien insigne et monsieur Derain peintre idoine", ballet qui présente "les instruments avec lesquels un maitre de ballet peut composer des ballets à l'infini).


    L'Art et la danse

    Alexandra Danilova et Léonide Massine dans La Boutique Fantasque

     

        Collaborateur des plus grands, André Derain reste toutefois très méconnu dans ce domaine de la production scénique. Une activité qu'il n'abandonna cependant jamais, et un an avant sa mort dessinait les décors et les costumes de l'opéra de Rossini, Le Barbier de Séville. Il se remettait à l'époque d'une maladie infectieuse qui diminua sa vision de façon importante, peut-être est-ce la raison pour laquelle il ne voit pas arriver le véhicule qui le renverse en Juillet 1954, et atteint très gravement par le choc il sera conduit à l'hôpital de Garches où il décède le 8 Septembre à l'âge de 74 ans.

     

    L'Art et la danse

    Pierrot (1923)

     

         L'artiste repose au cimetière de Chambourcy (Yvelines) où il possédait une vaste propriété "La Roseraie" (aujourd'hui transformée en musée) dans laquelle il vécut et travailla les vingt dernières années de sa vie, s'isolant volontairement après l'épisode de la guerre, et refusant même la direction de l'Ecoles des Beaux Arts de Paris.

        Sans jamais vraiment choisir son camp, Derain fut à sa façon tous les peintres à la fois, les anciens comme les modernes, épousant tous les styles avant de les renier. Si son retour à l'ordre déconcerta les partisans d'un art nouveau, d'autres comme Giacometti ont exprimé leur admiration et leur compréhension devant cette quête fondamentale avec ses incertitudes, ses retours en arrière et aussi ses découragements.
        L'artiste laisse à la postérité, une oeuvre exigeante et honnête, pleine d'interrogations mais aussi de réussites, accomplie par un homme qui, tout en semblant vivre dans son époque, vivait avec l'Histoire, et auquel Modigliani rendit un jour ce juste hommage en lui accordant le titre mérité de "fabriquant de chefs d'oeuvre".



        
         "Derain ne voulait peut-être que fixer un peu l'apparence des choses, l'apparence merveilleuse, attrayante et inconnue de tout ce qui l'entourait. Derain est le peintre qui me passionne le plus, qui m'a le plus apporté et le plus appris depuis Cézanne, il est pour moi le plus audacieux".

                                                                
                                                                      Alberto Giacometti 



    Tags Tags : , , , , , , , , , , , ,
  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :