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    L'Art et la danse

    Le Grand Pas de Quatre   

     Carlotta Grisi (1819-1907) à gauche, Marie Taglioni (1804-1864) au centre, Lucille Grahn (1819-1907) au fond à droite, et Fanny Cerrito (1817-1819) devant à droite (Gravure de Thomas Herbert Maguire, d'après une aquarelle d'Alfred Edward Chalon)
         

     

     

         Alfred Edward Chalon, l'auteur de l'une des plus célèbres gravures de l'histoire du ballet, naquit à Genève le 15 Février 1780, dans une famille de protestants français réfugiés en Suisse après la révocation de l'Edit de Nantes (1685).
        Son père ayant été engagé comme professeur au Royal Military College de High Wycombe (l'ancêtre de l'Académie Militaire de Sandhurst, le Saint-Cyr anglais), ils iront s'y installer en 1794, puis s'établissent ensuite à Londres dans le quartier de Kensington. Alfred et son ainé John montrent dès leur jeune âge des dispositions pour le dessin, mais leur entourage a pour eux d'autres ambitions, en l'occurrence une respectable carrière dans le commerce, et les deux garçons seront envoyés exercer leurs talents chez un comptable, où les malheureux durent aligner péniblement beaucoup de chiffres avant de pouvoir enfin se faire entendre et être finalement inscrits en 1797 aux cours de la Royal Academy of Art...


        Ils y excellent bientôt tous deux dans l'aquarelle, un genre qui est en train de prendre en Angleterre un véritable essor et auquel plusieurs artistes qui viennent de former, en 1804, la Société des Aquarellistes (The Society of Painters in Water Colours), souhaitent donner une autre dimension en organisant leurs propres expositions afin de pouvoir faire apprécier la qualité de leurs travaux sans le voisinage des peinture à l'huile.
        D'autres groupes les imitent bientôt et John et Alfred Chalon rejoignent les Aquarellistes Associés (Associated Artists in Water Colours), où en 1808 le cadet fera sa première exposition.

       Les deux frères créent cette même année la Société d'Etude de Dessin Epique et Pastoral (The Society for the Study of Epic and Pastoral Design) qui, formée de huit membres permanents, se réunissait tous les Mercredi, de Novembre à Mai. Un ou deux invités étaient conviés à ces soirées auxquelles assistèrent Turner et Constable et où chacun était tenu d'exécuter un dessin sur un sujet imposé, au départ des paysages, et par la suite des thèmes tirés de la littérature classique ou de la Bible.

        La réunion se terminant par une collation de pain et de fromage (arrosés de bière...) la société fut appelée un temps Bread and Cheese Society, puis plus simplement Chalon Sketching Society, et finalement The Sketching Society qui perdura pendant 40 ans.

        Très vite reconnu pour l'élégance de son style influencé par les peintres du XVIIIème siècle, ainsi que par son talent à peindre des petits portraits à l'aquarelle qui dans tous les cas flattaient le modèle, Alfred-Edward Chalon vit ses travaux largement prisés par la haute société.

     

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    Marguerite, Comtesse de Blessington


        Sa renommée qui s'étendit très vite auprès des dames de la Cour attira l'attention de la toute jeune reine Victoria qui, a l'occasion de sa première apparition en public accompagnée de son premier acte officiel (son discours à la Chambre des Lords pour la prorogation du Parlement le 17 Juillet 1837) demanda au peintre de réaliser un portrait souvenir qu'elle souhaitait offrir à sa mère la duchesse de Kent. 

     

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        Ce tableau, sur lequel elle porte le diadème d'apparat de George IV et dont il fut tiré des gravures distribuées à la foule à l'occasion de son couronnement le 28 Juin 1838, reçut plus tard le nom de Portrait du Couronnement, et l'oeuvre de Chalon sera ensuite portée aux quatre coins de l'empire lorsque l'effigie de la reine apparut sur les timbres poste des colonies britanniques de l'époque.

     

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        Premier peintre pour lequel avait posé la souveraine, Alfred-Edward Chalon fut bientôt nommé Aquarelliste de la Reine  (Portrait Painter in Water Colours to Her Majesty) et son prestige ne cessa de s'accroitre. Il eut pour modèle, outre Victoria elle même et la duchesse de Kent, beaucoup d'autres membres de la famille royale, mais avant tout et surtout la plupart des célébrités du moment.
        Amis de la comtesse de Blessington, Benjamin Disraëli etc... les frères Chalon et leur soeur fréquentaient assidument les milieux mondains de la capitale, et Alfred-Edward qui avait une passion pour le théâtre, l'opéra et le ballet consacra une grande partie de son oeuvre à ces artistes dont les nombreux portraits qu'il réalisa avec son habileté à traduire les contrastes de la soie, du velours et de la fourrure, offrent une découverte tout à fait passionante des costumes de théâtre du début du XXème siècle.

        Au nombre des acteurs célèbres qui posèrent pour lui figure le spécialiste des rôles de Shakespeare Charles Kemble,

     

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    Charles Kemble (Cassio)  dans Othello de Shakespeare

     

    ainsi que l'actrice et chanteuse Lucia Vestris, qui fut un temps l'épouse du danseur Auguste Vestris,

     

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    Lucia Elizabeth Vestris (Lucy Morton)  dans Court Favours

     

    et l'on retrouve également une cantatrice portant un nom illustre du monde de la danse: Giulia Grisi, la cousine de Carlotta.

     

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    Giulia Grisi et Luigi Lablache dans Les Puritains de Bellini

     

        Témoignage précieux de ce milieu du spectacle, c'est en grande partie grâce à l'oeuvre d'Alfred Edward Chalon que nous connaissons aujourd'hui le ballet romantique, car le peintre compta parmi ses modèles toutes les étoiles dont il donna d'innombrables représentations non seulement dans le célébrissime Pas de Quatre de Jules Perrot où apparaissent Lucile Grahn , Carlotta Grisi, Fanny Cerrito  et Marie Taglioni, mais dans des compositions moins connues comme Les Trois Grâces.

     

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    Les Trois Grâces

    De gauche à droite: Marie Taglioni (1804-1864) dans La Sylphide (1832), Fanny Elssler (1810-1884) dans la "Cachucha" du Diable Boiteux (1836), et Carlotta Grisi (1819-1899) dans La Jolie fille de Gand (1842)  


            Alfred Chalon représenta également la danseuse française Pauline Duvernay, 

     

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    Pauline Duvernay

     

    mais, son interprète favorite resta sans aucun doute Marie Taglioni à qui il consacra la majorité de ses aquarelles, et pour laquelle il conçut, à l'occasion de ses adieux dans La Sylphide en 1845, un album de lithographies publié à Londres et à Paris, La Sylphide - Souvenir d'Adieu. (Il faut noter à ce sujet qu'Alfred Chalon n'exécuta que très rarement lui même le travail de gravure et confiait cette tâche à Richard James Lane, John Templeton et Thomas Maguire)

     

    L'Art et la danse


        A travers ces images s'est constituée au fil des ans une vision très stéréotypée de la ballerine, le buste très souvent légèrement penché en avant, avec un ou deux bras croisés devant elle.

     

    L'Art et la danse

     

        Le succès de ce genre de poses les fit imiter par la suite par d'autres danseuses, et alors que la véritable intention du chorégraphe Filippe Taglioni était en fait de minimiser un défaut physique de sa fille dont la longueur des bras était particulièrement disproportionnée, ces attitudes particulières devinrent un cliché du ballet romantique.

     

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         L'amour de la danse aménera Alfred Edward Chalon à se costumer en ballerine un soir de bal masqué scandalisant outrageusement par ses bras nus une certaine madame Newton...
        Dans une lettre du 12 Mai 1833 celle-ci raconte ses impressions sur ses voisins de Great Marlborough Street:
        "La famille Chalon se compose de Mr. Chalon, un très vieux gentleman français, et ses trois enfants Alfred, John et Mademoiselle Chalon. Ils sont entièrement dévoués les uns aux autres et ce sont les personnes les plus gaies que j'ai jamais vues. Nous les entendons bavarder en français lorsqu'ils sont sur leur terrasse où ils roulent un grand fauteuil pour le gentleman, et alors quels éclats de rire! 
        Je pense que Mr. Chalon doit être un vieux monsieur très "drôle" comme il me l'a dit lui même dans sa langue maternelle, (il s'est adressé à moi dans un très mauvais anglais lorsque je suis allée lui rendre visite), car ils semblent tous beaucoup rire de ses propos.
        Mademoiselle Chalon est charmante et très intelligente. Elle est presque aussi grande que son frère Alfred qui est un homme corpulent avec des cheveux tirant sur le roux. John est plus petit et trappu, ce sont des peintres professionnels.(John opta finalement pour la peinture à l'huile)
        L'autre soir ils sont allés à un bal masqué. Mademoiselle Chalon était habillée en paysanne suisse, John en paysan espagnol, et Alfred en ballerine...
        Avec son décolleté, ses jupons en dentelle, ses bas de soie blancs, ses chaussons de satin et sa petite coiffure de plumes, ils le trouvaient tous très drôle... Mais j'ai trouvé que ce gros homme avec sa barbe rousse rasée et ses bras nus était terriblement choquant... Néanmoins il était joliment bien travesti...
     

        Une idée qui depuis a fait son chemin pour notre plus grand plaisir...

     

    Le Lac des Cygnes  Acte II   Version Ballets Trockadero...

     

        Lorsqu'apparurent les premiers daguérotypes, la reine Victoria demanda un jour à son aquarelliste si la photo ne risquait pas de faire disparaitre à la longue sa profession. Celui-ci très conscient de son art à embellir ses modèles, lui répondit alors dans son franglais habituel:

        " Ah, non madame, photographie can't flatter!"

       
        Les oeuvres d'Alfred Edward Chalon sont exposées pour la plupart dans les grands musées londoniens, Victoria & Albert, British Museum et National Portrait Gallery, ainsi que dans des collections privées (y compris celle de la reine Elizabeth II), et les nombreuses gravures qu'il consacra à la danse représentent aujourd'hui une documentation unique pour les chorégraphes (Pierre Lacotte lorsqu'il remonta La Sylphide en 1971 ou encore Anton Dolin qui en 1941 reconstruisit le Grand Pas de Quatre ne manquèrent pas de s'en inspirer).

     

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       Elu R.A.(Royal Academician, l'un des 80 membres qui gouvernent la Royal Academy of Arts), le portraitiste de Marie Taglioni resté célibataire finit ses jours avec son frère, célibataire lui aussi, dans leur maison du quartier de Kensington où il s'éteignit discrètement le 3 Octobre 1860, sans avoir davantage, par ses tenues, perturbé le voisinage...

           (Réunis jusqu'au bout Alfred et John Chalon reposent ensemble au cimetière de Highgate, près des parents de Charles Dickens, Karl Marx et Faraday)

     

    Le Grand Pas de Quatre (Première partie) 


    Interprété par Lyudmila Kovaleva (Lucille Grahan), Gabriela Komleva (Carlotta Grisi), Yelena Yevteyeva (Fanny Cerrito), Lyubov Galinskaya (Marie Taglioni).
    Musique de Cesare Pugni    Chorégraphie de Jules Perrot, reconstruite par Anton Dolin 

     


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        Les premières représentations publiques de ballet à Moscou furent données dans des lieux privés par le maitre de ballet italien Giovanni Battista Locatelli jusqu'en en 1776, date à laquelle le Prince Piotr Ouroussov obtint de la Grande Catherine un privilège d'Etat concédant la promotion et l'exclusivité des spectacles avec, détail important, obligation pour lui de construire un théâtre.

        Afin de mener à bien l'entreprise, Ouroussov s'attacha le concours du financier mécène anglais Michael Maddox et ensemble les deux hommes créent la première troupe, très modeste à l'époque, dont les danseurs étaient tous issus de l'école organisée en 1764 par Filippo Becari dans un orphelinat de Moscou, laquelle mise sous la direction du théâtre à venir devint l'ancêtre de l'actuelle Académie du Bolchoï.
       (Pour la petite histoire il faut signaler que l'impératrice passera commande, en 1768, d'un ballet très spécial, célébrant son acte héroïque de s'être faite vacciner la première contre la variole afin de montrer l'exemple). 

        Dans l'attente d'une salle, les artistes se produisaient à l'origine chez le comte Vorontzov, jusqu'à ce que le 26 Février 1780 le quotidien Moskovskie Vedomosti annonce le début de la construction du Grand Théâtre sur l'emplacement du Bolchoï actuel, à l'époque un vaste terrain sur les rives de la rivière Neglinka (un affluent de la Moscova aujourd'hui canalisé dans un tunnel souterrain qui traverse Moscou).
        Terminé dans un délai record de cinq mois l'édifice dont la façade donnait sur la rue Petrovskaïa reçut le nom de Théâtre Bolchoï Petrovsky:
        Opéra et ballet étant considérés en Russie comme des arts nobles, tous les théâtres qui leur étaient réservés étaient appelés Bolchoï (Grand), par comparaison à ceux dévolus exclusivement à l'art dramatique. Si le Mariinsky à St. Petersbourg fait exception c'est qu'il était à l'origine destiné au théâtre, comme en témoignent encore au plafond les médaillons d'auteurs célèbres, et ce n'est que 25 ans après son inauguration que la musique et la danse y apparurent par la force des choses lorsque le Bolchoï Kamenny devint trop vétuste.

     

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    Le premier Théâtre Bolchoï Petrovsky

     

          Le Théâtre Petrovsky n'aura malheureusement qu'une très brève existence et, "à cause de la négligence d'un costumier qui a laissé en partant deux bougies allumées dans la réserve des costumes", sera entièrement ravagé par un incendie en 1805.

        L'auteur S. Zhikharev écrivit dans son Journal:
        " C'est comme si le théâtre n'avait jamais existé, il n'y a plus rien à sa place, que des pans de murs noircis".
        Et pendant les vingt années qui suivirent les Muses cessèrent de hanter les rives de la rivière Neglinka et les représentations continuèrent dans des salles privées.

        Lorsque l'empereur Napoléon Ier et ses troupes "visitèrent" Moscou et que par voie de conséquence la ville fut quasiment anéantie par les flammes du tristement légendaire Grand Incendie (1812), l'architecte Andreï Mikhaïlov conçut dans le cadre du programme de reconstruction les plans d'un nouveau théâtre sur le site de l'ancien Petrovsky. Le Tsar ayant approuvé le projet décréta par la même occasion ce théâtre propriété d'Etat, et offrit ainsi à Moscou son premier Théâtre Impérial.

        L'inauguration officielle des lieux, le 6 Janvier 1825, dévoila aux moscovites un élégant monument classique flanqué d'un portique à huit colonnes surmonté par l'aurige d'Apollon, oeuvre à laquelle collabora l'architecte Ossip Ivanovich Bovet.

     

     

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        Le programme de la somptueuse soirée qui accompagnait la cérémonie, proposait Le Triomphe des Muses, une allégorie à la gloire du génie russe, suivie en seconde partie du ballet de Fernando Sor, Cendrillon, spectacle chaleureusement applaudi par des spectateurs séduits par la beauté de la salle ainsi que la taille et la noblesse de l'édifice.
        Sergueï Aksakov écrivit:
    "Le Bolchoï Petrovsky m'a étonné et j'ai été rempli d'admiration par ce bâtiment magnifique exclusivement réservé à mon art favori".

        Poursuivi par le mauvais sort le malheureux Théâtre Bolchoï Petrovsky fut une seconde fois réduit en cendres par un violent incendie qui se déclara cette fois pour une raison inconnue au petit matin du 11 Mars 1853. Le feu se propagea pendant deux jours malgré les efforts des pompiers et le chantier fumait encore, parait-il, une semaine plus tard.
        " Ce fut horrible de voir ce géant dévoré par les flammes, c'était comme si l'un de nos proches était en train de mourir devant nous" écrivit un témoin.

     

    L'Art et la danse

    Le second Théâtre Bolchoï Pétrovsky détruit par les flammes

     

        L'importance des dommages fut telle qu'il ne subsista de l'édifice que les colonnades de l'entrée principale et les murs extérieurs qui s'écroulèrent en partie les jours suivants. Tout avait entièrement disparu car le brasier s'était propagé à une vitesse telle que rien ne put être sauvé et costumes, décors, bibliothèque, archives et instruments de musique (certains très vieux et précieux) furent réduits en cendres.

        La reconstruction du bâtiment fut confiée à l'architecte du Mariinski, Alberto Cavos. Ce dernier utilisa les murs extérieurs et conserva le plan initial de Bovet, mais augmenta la hauteur du bâtiment et en améliora l'accoustique. Les travaux furent achevés en un peu plus d'un an et le théâtre rouvrit ses portes le 20 Août 1856 devant la famille impériale et les représentants de différents Etats.

     

    L'Art et la danse

     

      Tout est grandiose dans ce théâtre (à l'époque le plus grand après la Scala de Milan) dont le parterre et les cinq balcons peuvent contenir plus de 2000 spectateurs.

     

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       Et richement ornementée de lustres, la salle aux sièges de velours rouge (fabriqués en France) rivalise de magnificence avec le reste du bâtiment qui s'enorgueillit de plus de 1000 mètres carrés de fresques représentant Apollon et ses Muses.

     

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    Le Grand Foyer

     

       Endommagé par les bombardements pendant la Seconde Guerre Mondiale, mais rapidement remis en état, le temple élevé à la gloire de la culture russe ne cesse depuis de soigner son prestige dont l'un des plus beaux fleurons est son corps de ballet.

        Les premiers ballets montés à Moscou l'avaient été par des maitres de ballets italiens et français, Filippo Becari ou, entre autres, Jean Lamiral, puis le relais fut pris par de jeunes chorégraphes russes. Et dans les années 1820-1830 la compagnie résidente du Bolchoï Petrovsky qui s'était développée et comptait déjà 150 danseurs, s'ouvrit au romantisme grâce à la danseuse et chorégraphe française Félicité-Virginie Hullin-Sor. 
        Mariée au compositeur Fernando Sor, elle fut très vraisemblablement la chorégraphe de son ballet Cendrillon (présenté lors de la soirée d'inauguration du 6 Janvier 1825 et dans lequel elle tenait le premier rôle), mais à cette époque les femmes chorégraphes n'étaient pas créditées de leur travail... Et si le chorégraphe français du Mariinski, Marius Petipa, est universellement connu, son homologue féminin du Bolchoï est loin de s'être acquis semblable notoriété.

     

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    Félicité Hullin-Sor

     

         Félicité Hullin eut pourtant une influence considérable sur le ballet de Moscou qu'elle réforma en y introduisant élégance, simplicité et naturel. En 1837 elle monte La Sylphide, et c'est grâce à elle que vont apparaitre des danseuses comme Alexandra Voronina-Ivanova ou Tatyana Karpakova.

        Pendant une bonne partie du XIXème siècle la troupe du Bolchoï adapte, voire copie les oeuvres montées au Mariinsky, et en dépit de ses excellents danseurs rivalise difficilement avec celle de St. Petersbourg. Il faut attendre l'arrivée d'Alexandre Gorsky (un élève de Petipa) qui vient monter La Belle au Bois Dormant en 1899 et prend les commandes du ballet jusqu'à sa mort en 1924, pour voir la compagnie acquérir une vraie spécificité et se distinguer par un style plus athlétique et moins lyrique.
        Dès lors des danseurs tel Mikhaïl Mordkine connaissent une notoriété internationale, et le renom du Bolchoï lui vaut d'être invité à se produire à Londres en 1911 pour le couronnement de George V.

        Mais c'est pendant l'ère soviétique que viendront les heures de gloire: Staline qui désire s'attirer la sympathie des artistes les soutient activement (et les contrôle aussi activement...) et Moscou devient un foyer très important de création: Cendrillon (Prokofiev/ Zakharov- 1945) ou encore Spartacus (Khatchatourian/Yakobson-1956) restant parmi les ballets les plus emblématiques.
        Et lorsque le dictateur disparait, le début des tournées à l'étranger verra l'aura des danseurs porter le prestige culturel de la Russie à son apogée.

     

    L'Art et la danse


    (La fauçille et le marteau de l'ère soviétique viennent d'être remplacés dans le cadre des récentes rénovations par l'aigle à deux têtes des Romanov, armoiries d'origine de la Russie, et la même modification a été apportée dans la salle sur la loge du Tsar)  

     

    L'Art et la danse

     

         L'une des meilleures ambassadrices du Bolchoï fut sans conteste Maïa Plissetskaïa (1925- ), qui était fille d'un "ennemi du peuple" et à qui le pouvoir le fit sentir continuellement... Cependant elle ne céda jamais comme Alexander Godunov ou Valentina Koslova à la tentation de "passer à l'Ouest" car elle savait, confia-t--elle à plusieurs reprises, ce que ce geste aurait coûté à sa famillle...

     

    L'Art et la danse

    Maïa Plisseteskaïa décorée par Vladimir Poutine pour services rendus à la Patrie. (20 Novembre 2003)

     

        Quelque peu tombé en désuétude avec l'éclatement de l'Union Sovétique, le Ballet du Bolchoï compte aujourd'hui environ 200 danseurs (ce qui en fait l'une des plus importantes compagnies au monde avec le Mariinsky). Ces derniers se produisent actuellement dans une nouvelle salle inaugurée en Novembre 2002 jouxtant le bâtiment historique lequel subit depuis 2005 d'importants travaux de restauration qui devraient vraisemblablement être terminés à l'automne 2011.

        La scène mythique sera alors rendue à Natalia Osipova, Svetlana Zakharova, Ivan Vassiliev ou Sergueï Filine, des artistes qui n'ont rien à envier à leurs prédécesseurs Ekaterina Maximova, Vladimir Vassiliev, Natalia Bessmertnova ou encore Yuri Vladimirov dont le talent resté dans toutes les mémoires célébra avec éclat l'apothéose de la danse.

     

    Le couple légendaire Ekaterina Maximova (1939-2009) et Vladimir Vassiliev (1940- ) dans le ballet de l'Acte III de l'opéra de Verdi, La Traviata, adapté au cinéma par Franco Zeffirelli (1982).



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    Mathilde Kchessinskaïa    Talisman   (1909)

     

        Petite fille et fille de danseurs renommés (son père, danseur de caractère, porte le titre envié de "soliste du Tsar"), Mathilde Kchessinskaïa voit le jour le 1er Septembre 1872 à Ligovo, un faubourg de St. Petersbourg, dans un milieu prédestiné où comme sa soeur Julia et son frère Joseph elle suit tout naturellement la tradition familiale.
        Sur les traces de ses ainés, "Malia" qui grandit dans les coulisses des théâtres est acceptée en 1880 à l'âge de 8 ans à l'Ecole Impériale où elle sera pendant trois années consécutives l'élève de Lev Ivanov, puis après être passée tour à tour dans les classes d'Ekaterina Vazem et Christian Johansson fait ses débuts sur la scène du Mariinsky le 22 Avril 1890 dans un Pas de Deux de La Fille Mal Gardée avec Nicolas Legat comme partenaire.

         Ce gala, qui sanctionne la fin des études, est présidé comme à l'habitude par la famille impériale au grand complet, et lors du souper qui suit le spectacle, le tsar Alexandre III qui n'a pas été sans remarquer le talent de la jeune ballerine s'approche d'elle et lui glisse ces mots: "Soyez la gloire et la beauté de notre ballet!..."

          L'empereur ne fut cependant pas le seul à avoir été favorablement impressionné par la jolie Mathilde... car celle-ci vient d'éveiller ce soir là chez le tsarevich, le futur Nicolas II, un intérêt qui sera le début d'une longue histoire... 

     

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     Le Tsar Nicolas II (1868-1918)

     

        "Petite, d'une vivacité extrême, les jambes trop musclées, les traits du visage réguliers et bien dessinés, nous avions tous entendu parler de la célébrissime étoile dont les pires ennemis ne niaient pas le talent et le charme exceptionnel"  (Nina Tikanova  La Jeune Fille en Bleu)
        C'est en ces termes que sera décrite de nombreuse années plus tard celle qui effectivement devint la maitresse du tsar Nicolas II et qui, malgré des jambes épaisses et un pied très peu cambré, captivait le public par son charme alliant virtuosité et talent dramatique, et fut la première danseuse russe à s'imposer face aux étoiles italiennes (et à reproduire leurs célèbres 32 fouettés...)

     

    L'Art et la danse

     

         Entrée au Ballet Impérial en 1890, elle y fit une ascension fulgurante, et à peine nommée prima ballerina en 1893 devint prima ballerina assoluta deux ans plus tard... Un titre que Marius Petipa venait spécialement de créer pour Pierina Legnani et que Mathilde Kchessinskaïa n'obtint, il faut le dire, que grâce à sa position privilégiée à la Cour, le maestro ayant toujours estimé que la ballerine italienne lui était bien supérieure.

        C'est pourquoi, l'autorité de Petipa au sein du Ballet Impérial n'étant discutée par personne, pas même le tsar, le chorégraphe réserva ses nouveaux ballets à Pierina Legnani et cantonna la favorite des Romanov dans la reprise de ses anciens chefs d'oeuvres. Mettant à profit sa virtuosité, il revit certes pour elle des variations qui lui permirent de laisser s'exprimer tout son art dans des rôles comme celui de Nikya (La Baydère) ou encore Aspicia (La Fille du Pharaon) qui devinrent alors particulièrement difficiles, mais ne permit comparativement à la ballerine russe qu'un très petit nombre de créations parmi lesquels Flore dans Le Réveil de Flore (1894) ou encore Colombine dans Harlequinade (1900).

     

    L'Art et la danse

    Mathilde Kchessinskaïa    Flore    Le Réveil de Flore (1894)

     

        S'il la respectait comme artiste, Petipa méprisait profondément Mathilde Kchessinskaïa en tant que personne, et alla même jusqu'à la qualifier dans son Journal de "petite garce"...
        Une opinion que partagea sans aucun doute le prince Serge Volkonsky, alors directeur des Théâtres Impériaux, lorsqu'il lui fut demandé en 1899 de remettre sa démission après qu'il eut refusé à "la petite K" comme l'appelaient affectueusement entre eux les Romanov, de remonter pour elle le ballet de Jules Perrot Catarina ou la fille du bandit (1846)...

        Bien que sa relation avec Nicolas II ait, par la force des choses, momentanément cessé lorsque ce dernier épousa en 1894 la princesse Alix, la célèbrissime étoile avait conservé intacte son influence à la Cour, en les personnes (abondance de biens ne nuit pas...) de deux Grands Ducs de la famille impériale, Sergueï Mikhaïlovich et son cousin Andreï Vladimirovich dont elle cumula, si l'on peut dire, les bonnes grâces...
        Les rumeurs et le parfum de scandale s'enflèrent encore lorsqu'en 1902 elle mit au monde un fils, Wladimir, dont (Jim Watson et Francis Crick n'étant pas encore nés pour révéler les mystères de l'ADN) personne ne sut jamais qui était le père.

        Le superbe hôtel particulier de style Art Nouveau qui s'élève au N°2 de la rue Kuibeysheva  et qui fut construit sur les plans de l'architecte de la Cour, Van Goguen, laisse encore imaginer aujourd'hui le train de vie de son ancienne propriétaire et l'éclat des réceptions et des diners qu'elle organisait, entourée d'une sorte de Cour personnelle où se nouèrent maintes intrigues...

     

    L'Art et la danse

    N°2 Rue Kuibeysheva   St. Petersbourg    L'un des salons.

     

        Le "mythe Kchessinskaïa" n'épargna pas non plus la scène, où l'étoile ornait ses costumes avec les bijoux de sa collection privée et arborait sous les feux de la rampe les cadeaux de ses richissimes amants, tandis que dans les coulisses l'attendaient patiemment sa chèvre Esmeralda et un serpent qui avaient paru respectivement avec elle dans La Esmeralda (1899) et La Bayadère (1900) et qu'elle avait adoptés.

        Si elle pouvait se montrer tout à fait charmante avec de jeunes collègues comme Tamara Karsavina, elle savait aussi être extrêmement désagréable à l'égard de ses rivales...
        Lorsqu'elle ne put assurer les représentations de La Bayadère pendant sa grossesse, elle insista pour apprendre elle même le rôle à Anna Pavlova qu'elle pensait voir échouer lamentablement... Mais, contrairement à ses attentes, le public fit un triomphe à la sylphide longiligne qui les enchanta dans le Royaume des Ombres... Au plus grand déplaisir du "professeur" qui ne manquait pas d'imagination pour assouvir sa jalousie chaque fois qu'un premier rôle lui échappait... Et lors d'une mémorable reprise de La Fille Mal Gardée ce fut Olga Preobrajenska qui fit cette fois là les frais de son dépit:
        Afin d'ajouter à l'ambiance paysanne du ballet, des poules vivantes apparaissaient dans quelques tableaux (soigneusement réglés l'on s'en doute...) et tandis que Preobrajenska se préparait à attaquer la variation du Pas du Ruban, Kchessinskaïa ouvrit subrepticement en coulisses la cage des volatiles qui envahirent la scène à la première note de musique... On imagine la stupeur générale, néanmoins Preobrajenska/Lise s'en tira avec les honneurs au milieu des plumes et fut saluée par un tonnerre d'applaudissements...

     

    L'Art et la danse

    Olga Preobrajenska dans le rôle de Lise    La Fille Mal Gardée

     

         Les vingt années de présence de Mathilde Kchessinskaïa au Ballet Impérial furent célébrés avec la pompe qui convenait à l'évènement et donnèrent lieu le 13 Février 1911 à une inoubliable soirée décrite par Georges Solovieff qui réunit lui même plusieurs invités dans sa loge au théâtre Mariinsky "pour le spectacle de ballet consacrant les vingt années sur scène de Mathilde Kchessinskaïa, ci-devant maitresse du Tsar assis ce soir là avec sa famille dans la loge voisine."

        "Le programme comportait un extrait de Don Quichotte, un autre de Paquita, et le second acte de Fiammetta où Kchessinskaïa dansait le rôle principal.
        Pendant le premier entr'acte la direction du théâtre lui remit le cadeau du Tsar: un aigle en diamants aux ailes déployées. Avec le bijou épinglé à son corsage elle dansa le Pas de deux avec Nicolas Legat.
        Au deuxième entr'acte elle reçut sur scène l'hommage d'une délégation d'artistes de tous les théâtres impériaux. Sur une table occupant la longueur de la scène on avait disposé d'innombrables cadeaux, et la masse des bouquets de fleurs formait un véritable jardin".

        La grande histoire allait cependant bientôt venir bouleverser la petite, et la révolution de 1917 sonner la fin de l'ère Kchessinskaïa, les bolchéviks voyant en elle le symbole de l'élite décadente.
        La danseuse fut forcée à s'exiler, son hôtel particulier réquisitionné, et c'est de son balcon que Lénine s'adressa à la foule des révolutionnaires.

     

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    N°2 Rue Kuibeysheva    Saint Petersbourg

     

        Il y a quelques années une rumeur se répandit concernant un trésor qui aurait été caché à la hâte dans la cour par la propriétaire avant qu'elle ne quitte St. Petersbourg/Petrograd en révolution... néanmoins toutes les recherches effectuées sont restées vaines.
        Les lieux abritent aujourd'hui le Musée de l'Histoire Politique, mais une partie des bâtiments est en train de voir naitre le Musée Kchessinskaïa, réplique du glorieux passé, et l'on peut voir aujourd'hui dans la grande salle à manger de la rue Kuibeysheva une exposition émouvante des objets personnels, photos, souvenirs etc... qui ont accompagné la vie étonnante de l'ancienne occupante des lieux.

     

     

        Comme beaucoup de ses compatriotes, Mathilde Kchessinskaïa trouva refuge en France, sur la Riviéra tout d'abord, où elle finit par épouser en 1921 à Cannes le Grand Duc Andrei Vladimirovich et fut alors titrée par le chef de la maison impériale en exil, son beau frère Cyrille, Princesse Romanovsky-Krassinsky...
        Le couple s'installa ensuite à Paris où en 1929 l'ancienne étoile ouvrit son propre studio de danse et compta notamment parmi ses élèves, Boris Kniaseff, Yvette Chauviré, Alicia Markova, Tamara Toumanova, Margot Fonteyn et Zizi Jeanmaire.

        La vie qu'elle menait dans la capitale française était très éloignée des fastes de St. Petersbourg, mais n'avait altéré en rien son caractère, et la "princesse" se produisit sur scène pour la dernière fois à l'âge de 64 ans lors d'un gala de charité à Covent Garden avec le Royal Ballet.
        Avec l'aide de son mari elle retraça son destin hors du commun dans un ouvrage traduit en français en 1960 (Souvenirs de la Kchessinskaïa - Plon), dans lequel elle évoque non seulement sa carrière et le milieu de la danse, mais aussi ces moments tragiques où son monde s'est écroulé, emportant ceux qu'elle aimait, Nicolas II bien sûr, mais également Sergueï Mikhaïlovich assassiné lui aussi...
        Toutefois les revenus de ces travaux littéraires ne furent pas suffisants pour lui épargner quelques difficultés financières au cours de ses dernières années, et la Princesse Romanovsky s'éteignit loin des ors des palais à Paris le 6 Décembre 1971 (Huit mois avant son 100ème anniversaire...) et repose avec les siens au cimetière russe de Sainte Geneviève des Bois (Essonne). 

     

    L'Art et la danse

     


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    Robert Helpmann dans le rôle de Don Quichotte      

     

    "J'aime celui qui rêve l'impossible..."
                           Johann Wolfgang von Goethe 

     

     

        "Dans un village de la Manche dont je ne veux pas me rappeler le nom vivait il n'y a pas longtemps un hidalgo de ceux qui ont la lance au râtelier... Il passait l'essentiel de son temps à la lecture, des lectures dites d'évasion, avec un goût prononcé pour les romans de chevalerie. Il y consacra d'abord ses journées, puis ses nuits... A force son cerveau s'étiolait, si bien qu'un jour il eut une bien curieuse idée: il alla annoncer à sa vieille jument qu'il rebaptisa Rossinante qu'il se faisait chevalier errant et qu'il partait pour l'aventure sauver des pucelles en détresse et affronter leurs géoliers. A lui les dangers, les victoires, et la gloire éternelle! Il venait de se choisir un nom: il s'appelle maintenant Don Quichotte"...

        Second livre le plus vendu au monde après la Bible, les aventures de L'Ingénieux Hidalgo Don Quichotte de la Manche sont l'oeuvre de Miguel Cervantés, contemporain du "Siècle d'Or" espagnol: Né en 1547 dans une petite commune de la province de Madrid, il décédera le 23 Avril 1616 le même jour que Shakespeare (en apparence seulement, car le calendrier grégorien de l'Espagne catholique avait 10 jours de décalage avec son homologue julien de l'Angleterre anglicane).
        Ce premier roman moderne qui parut en deux parties, la première en 1605 et la seconde en 1615, était destiné selon son auteur à mettre en évidence la stupidité des romans de chevalerie à la mode et à en dégouter les lecteurs, mais se révéla finalement une extraordinaire version du genre avec ses anti-héros qui vivent des non-aventures qui les rendent à chaque page un peu plus sages ... 
        Triomphe de l'imagination et de l'originalité, cette quête du bien et de la lumière où se côtoient sagesse et folie à travers des personnages hauts en couleur eut un succès retentissant que le temps n'a fait qu'embellir.

     

    L'Art et la danse

     

        Le premier ballet à s'en inspirer fut créé dès 1740 à Vienne par Franz Hilverding (et vraisemblablement remanié en 1768 par Jean George Noverre). L'Opéra de Paris suivit en 1743 avec son Don Quichotte chez la Duchesse, et après encore deux nouvelles chorégraphies pour la Scala de Milan avant la fin du siècle, la popularité de l'histoire ne fit que s'accroitre avec les années...

        Le thème sera repris en 1801 à l'Opéra de Paris par Louis Milon (1766-1845) qui présente Le Mariage de Gamache où avec Auguste Vestris dans le premier rôle il met en scène pour la première fois avec succès les épisodes comiques, et lorsque Auguste Bournonville (1805-1879) monte en 1837 à Copenhague Les Noces de Gamache, il utilisera très largement le ballet français.
        Chorégraphié en Russie par Charles Didelot (1767-1837) en 1808, Don Quichotte parait l'année suivante en Angleterre produit cette fois par James Harvey d'Egville, puis se retrouve en 1839 en Allemagne, oeuvre de Paul Taglioni (le frère de Marie) dont l'oncle Salvatore présente sa version de l'histoire à Turin, suivie en 1845 par celle de Bernardo Vestris.

          La plupart de ces créations mettaient en scène divers épisodes des premiers chapitres du roman de Cervantés, et le seul à puiser dans la seconde partie de l'oeuvre avait été Louis Milon qui, avec l'aventure de Kitri et Basilio, introduisit l'argument que reprit en 1869 Marius Petipa lorsque, le directeur des Théâtres Impériaux ayant demandé à son chorégraphe de créer un nouveau grand ballet, celui-ci s'inspira de cette histoire d'amour mouvementée devenue avec le temps la référence.

        La commande était destinée au théâtre Bolchoï de Moscou, un public sans sophistication dont les goûts en matière de ballet diffèraient sensiblement de ceux de la cité des tsars, et Petipa ne ménagera pas de ce fait les éléments comiques fort appréciés par la province: un groupe de danseuses habillées en cactus, une lune qui pleure de vraies larmes, un arlequin qui poursuit les rossignols armé d'une cage à oiseau, etc.. l'ambiance espagnole étant évoquée par diverses danses de caractère dont la célèbre danse des toreros.

     

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    Ludwig Minkus (1826-1917)

     

         Composé sur une musique de Minkus, le ballet en 4 Actes fut présenté pour la première fois le 26 Décembre 1869, avec Anna Sobeshchanskaya (Kitri) et Wilhelm Vanner (Basilio), et redonné ensuite avec les même décors et la même partition le 21 Novembre 1871 à Saint-Petersbourg.
         Il s'agissait maintenant de satisfaire les goûts plus raffinés de la capitale, et le chorégraphe opéra une véritable ré-écriture de son ballet afin d'en offrir une version élargie et beaucoup plus élaborée: Cactus, lune en pleurs et chasse au rossignol disparurent, tandis que Minkus reçut commande d'un cinquième acte où apparut dans toute sa somptuosité la cour du duc et de la duchesse qui clôturait le ballet à Moscou.

        Lors de sa reprise de l'oeuvre en 1902 pour le Mariinsky, Alexandre Gorsky utilisera le livret de Petipa et une partie de sa chorégraphie avec une distribution rien moins que prestigieuse: Mathilde Kschessinskaïa (Kitri), Nicolas Legat (Basilio), Aleksei Bulgakov (Don Quichotte), Enrico Cecchettti (Sancho Pança), Pavel Gerdt (Gamache) et les toutes jeunes ballerines Olga Preobrajenska, Tamara Karsavina et Anna Pavlova.
        Et afin que justice soit rendue, il faut noter que c'est Ricardo Drigo qui composa à l'intention de Ksecchinskaïa la fameuse variation de Kitri avec l'éventail pour le Pas de deux final ainsi que celle de Dulcinée pour la scène du rêve, car toujours présentes dans les versions modernes celles-ci sont très souvent attribuées à tort à Minkus.


        Continuellement modifiée ou raccourcie, la version de Marius Petipa, où alternent harmonieusement pantomime, danses de caractère et ballet classique, a connu de multiples adaptations qui, mêlant dans tous les cas l'intrigue amoureuse de Kitri et Basilio aux aventures de l'hidalgo idéaliste et de son écuyer, suivent avec plus ou moins de fidélité les grandes lignes de la version qui fut présentée en 1869 sur la scène du Bolchoï:

        Au cours du Prologue qui a pour cadre un cabinet de lecture où Don Quichotte est absorbé dans ses romans de chevalerie, surgit Sancho Pança poursuivi par des paysannes à qui il a volé une oie. Don Quichotte renvoie les femmes avec humeur et annonce à son domestique son intention de faire de lui son écuyer afin de partager les aventures de ses héros.

         Le rideau découvre ensuite une place animée de Barcelone où Kitri, la fille de l'aubergiste Lorenzo, va rencontrer son amoureux, le barbier Basilio. Mais son père a décidé de la marier au riche et ridicule Gamache, et lorsque celui-ci se présente et la poursuit de ses assiduités la jeune fille aidée de ses amies le repousse.

        Les danses des paysans sont alors interrompues par l'arrivée de Don Quichotte monté sur Rossinante, accompagné de Sancho Pança qui chevauche un âne. Le fier hidalgo sonne du cor, ce qui fait sortir de chez lui Lorenzo qu'il prend pour le seigneur d'un château, et à qui il offre ses services. Tandis que Don Quichotte a été invité à pénétrer dans l'auberge Sancho resté sur la place est entrainé par les jeunes villageois qui le malmènent. Entendant ses cris son maitre vole à son secours et aperçoit soudain Kitri: Le chevalier croit reconnaitre en elle la Dame de ses rêves, sa Dulcinée, et pour la séduire l'invite à danser un menuet. Au milieu de cette ambiance festive Kitri et Basilio décident de s'enfuir, et disparaissent avec à leurs trousses Don Quichotte, Sancho Pança, Lorenzo et Gamache bien déterminés à les retrouver.

     

    Svetlana Zakharova (Kitri) Andrei Uvarov (Basilio) et le ballet du Bolchoï (Chorégraphie d'Alexandre Gorsky d'après Marius Petipa  Musique de Ludwig Minkus)


         Kitri et Basilio trouvent refuge dans une auberge et se mêlent a l'assistance qui festoie gaiement. Mais les réjouissances sont troublées par l'arrivée des poursuivants, et Lorenzo découvrant sa fille décide de la marier sur le champ avec Gamache. Face à cette situation sans issue Basilio tire alors son sabre faisant mine de se planter la lame dans le corps... et tandis qu'il git à terre il demande comme une ultime prière d'être uni à Kitri... Lorenzo refuse sur les instances de Gamache, et Don Quichotte outré provoque ce dernier en duel pour ne pas avoir voulu exécuter les dernières volontés d'un mourant... A ce moment là Basilio se relève et profitant de l'agitation générale les deux amoureux prennent une nouvelle fois la fuite toujours flanqués du quatuor.

         L'aventure se poursuit dans un campement de gitans où Kitri et Basilio se dissimulent avec la complicité de leurs hôtes. Averti de l'arrivée de Don Quichotte le chef détourne son attention en commandant une fête en son honneur: Aux danses gitanes succède un spectacle de marionnettes au cours duquel Don Quichotte va une nouvelle fois semer le trouble: croyant reconnaitre dans l'héroïne sa Dulcinée et prenant les autre marionnettes pour des soldats prêts à l'attaquer, il se précipite pour les anéantir saccageant le petit théâtre devant l'assistance terrifiée.

        Fier de sa victoire le chevalier remercie le Ciel où s'est levée la lune dans laquelle il croit revoir sa bien aimée qu'il tente de rejoindre. Mais celle ci disparait dans les nuages, et à mesure que se profilent à l'horizon des moulins à vent (le livre dit "30 ou 40") il les prend pour des géants maléfiques ayant enlevé sa Dame...
        Epieu en main il passe à l'attaque, et s'étant fait happer par une voilure retombe inconscient aux pieds de Sancho.

        Le fidèle écuyer conduit son maitre blessé dans une clairière et le dépose sur l'herbe afin qu'il trouve un peu de repos, mais celui-ci sombre aussitôt dans un sommeil agité où il doit affronter des créatures monstrueuses. Lorsque celles-ci disparaissent enfin elles sont remplacées par un jardin enchanté habité par des fées, Dulcinée (sous les traits de Kitri) se tient à l'entrée entourée de Dryades et de leur reine, lesquelles sont bientôt rejointes par Cupidon. Don Quichotte s'agenouille alors devant sa Dame, mais brusquement tout s'évanouit.

     

    Svetlana Zacharova  Variation de Dulcinée  (Chorégraphie d'Alexandre Gorsky d'après Marius Petipa  Musique de Ricardo Drigo)

     

         On entend au loin le son des cors de chasse, et le Duc accompagné de sa suite pénètre dans la clairière. Il réveille Don Quichotte qu'il invite à venir partager une fête qu'il donne en son château où tout le village célèbre le mariage de Basilio et Kitri, car Lorenzo s'est finalement laissé attendrir par les prières de sa fille, et le ballet se termine par un Grand Pas classique, tandis que le vieux chevalier et son écuyer s'en vont vers de nouvelles aventures.

     

    Emmanuel Thibault  Myriam Ould Braham et le Corps de Ballet de L'Opéra de Paris    (Chorégraphie de Rudolf Noureev d'après Marius Petipa  Musique de Ludwig Minkus et Ricardo Drigo)

     

           Bien qu'une grande partie du répertoire chorégraphique ait cessé d'être donnée en Russie après la révolution de 1917, Don Quichotte y demeura et fut amené à l'Ouest en 1920 par la troupe d'Anna Pavlova qui le présenta en Angleterre dans une version abrégée de la production de Gorsky.

        Il était de tradition d'utiliser sur scène des animaux vivants, et quand le ballet fut monté à Londres, le cheval mis à disposition, ayant été jugé un peu trop dodu pour le rôle de Rossinante, dut suivre un régime dont l'effet fut suffisamment radical pour que la RSPCA (la SPA britannique) s'en émeuve et déclenche une enquête pour savoir si l'animal mangeait à sa faim... L'affaire fit grand bruit et les journaux ne se privèrent pas de relater l'évènement...
        (L'ânesse Monika après 19 ans passés avec le Mariinsky eut elle aussi les honneurs de la presse lorsqu'elle prit sa retraite en Mars 2008... Lors de la cérémonie d'adieu elle valsa avec Anastasia Kolegova, l'une des solistes et se vit offrir un gâteau de carottes et bouquets de fleurs... Elle connaissait, parait-il, exactement les moments du ballet où elle entrait en scène et adorait les applaudissements...) 

     

    L'Art et la danse

    Don Quichotte    Pablo Picasso

     

         Don Quichotte fait aujourd'hui partie des grands classiques, monté dans le monde entier par de très nombreuses compagnies car le thème continua d'inspirer les chorégraphes du XXème siècle: 

        Ninette de Valois présente à Londres en 1950 son Don Quichotte pour le Royal Ballet (Musique de Robert Gerhard), et Serge Lifar donne la même année Le Chevalier Errant (musique d'Ibert) pour l'Opéra de Paris.

        L'American Ballet aura sa version créée en 1980 par Mikhaïl Baryshnikov, une mise en scène reprise par de nombreuses compagnies, mais avant lui Rudolf Noureev avait monté en 1966 son adaptation de la chorégraphie de Petipa pour l'Opéra de Vienne, sur la partition de Minkus adaptée par John Lanchberry. Inscrite au répertoire de l'Opéra de Paris en 1981, et régulièrement donnée, cette interprétation des aventures du "chevalier à la triste figure" a vu depuis lors plusieurs danseurs et danseuses être nommés étoiles à l'issue de la représentation:  
        Monique Loudières (1982), Marie Claude Pietragalla (1990), Aurélie Dupont (1998), Laetitia Pujol (2002), Mathieu Ganio (2004) et Jérémie Bélingart (2007).

     

    L'Art et la danse

    Aurélie Dupont  ( Kitri) 


         Dans un style plus contemporain il faut citer également la production de George Balanchine, montée pour le NYCB (New York City Ballet) en 1965 sur une musique de Nicolas Nabokov, avec Suzanne Farrell alors agée de 19 ans en Dulcinée, et Balanchine lui-même dans le rôle de Don Quichotte. 

     

    L'Art et la danse

    Suzanne Farrell et George Balanchine  -  Don Quichotte

     

         Comment Broadway aurait-il pu ne pas s'intéresser à l'ouvrage élu meilleur livre de l'histoire de la littérature 400 ans après sa parution?.. En 1965 la comédie musicale de Dale Wasserman, Man of la Mancha, obtient 5 premiers prix et 2 nominations aux Tony Awards (dont une pour la chorégraphie de Jack Cole). Avec plus de 2000 représentations en 6 ans le spectacle remporta un énorme succès qu'égala en 1972 la transposition à l'écran qu'en fit Arthur Miller en 1972 avec Sophia Loren (Dulcinée), Peter O'Toole (Don Quichotte) et James Coco (Sancho Pança).

        Et si l'un des plus beaux passages musicaux, The Impossible Dream, (la Quête) composé par Joe Darion sur la musique de Mitch Leigh, ne laisse personne insensible, c'est qu'il s'adresse à tous les Don Quichotte que nous sommes... obscurs héros à la poursuite d'une étoile, sans cesse confrontés à nos moulins à vent... 

     

     

    "It doesn't matter whether you win or loose if only you follow the quest..."
                                                                 Man of la Mancha 

    "Il est bien des choses qui ne paraissent impossibles que tant qu'on ne les a pas tentées"...
               André Gide 

     

     


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