•  Face aux 120 euros annuels exigés par les ayant-droit de la succession Marc Chagall, j'ai été au regret de supprimer toutes les illustrations de cet article. Si vous jugez qu'il perd beaucoup de son intérêt en l'état merci de me le faire savoir, je le retirerai. Avec mes excuses pour cet inconvénient...

    La Danse    Marc Chagall    

     

    "Un jour où ma mère mettait le pain dans le four, je suis allé vers elle et je l'ai prise par son coude plein de farine et lui ai dit: Maman, je veux être peintre"  (Marc Chagall - Ma Vie)

     

        L'oeuvre de Marc Chagall est illuminée par les images de cette enfance heureuse passée dans la petite ville de Vitebsk où il naquit le 7 Juillet 1887, l'ainé de neuf enfants d'une famille juive de condition modeste mais qui ne connut jamais la pauvreté.
        Un univers plein de chaleur et d'amour qu'il décrira plus tard dans son autobiographie, relatant entre autres ces séjours passés à la campagne chez son grand père où la fascination qu'exerçaient sur lui les animaux de la ferme marqua à tout jamais son imaginaire.

     

     

     

         Attiré dès son plus jeune âge par le dessin pour lequel il montre de vraies aptitudes, il fréquente dès la fin de ses études secondaires en 1906 l'atelier de Jehuda Pen à Vitebsk. Mais peu satisfait de l'enseignement qu'il y reçoit il part l'année suivante à Saint Petersbourg où les cours de Nicolas Roerich et Léon Bakst, deux décorateurs des Ballets Russes de Diaghilev, lui offrent davantage de liberté et lui permettent d'affirmer sa vision de coloriste.
       Une vision que vient élargir sa découverte des peintres novateurs de Paris, Cézanne, Van Gogh, Lautrec, Matisse, et qu'il va enrichir grâce à un mécène qui lui offre la chance de se rendre en 1910 dans la capitale française, un séjour de quatre années qui sera pour lui une révélation:

        "J'y découvris la lumière, la couleur, la liberté, le soleil, la joie de vivre. C'est dès mon arrivée que j'ai enfin pu exprimer dans mon oeuvre la joie plutôt lunaire que j'avais parfois en Russie, celle de mes souvenirs d'enfance à Vitebsk. A Paris j'eus enfin la vision de ce que je voulais créer, l'intuition d'une nouvelle dimension psychique de mon art". 

     
        Si le fauvisme finissant lui inspira la couleur pure, gaie et claire, et le cubisme naissant une certaine déconstruction de l'objet, jamais Chagall ne choisit cependant d'adhérer pleinement à un mouvement ou à une école:

        "Les recherches sur le cubisme ne m'ont jamais passionné. Ils réduisaient tout ce qu'ils décrivaient à une création géométrique qui demeure un esclavage, tandis que je cherchais plutôt une libération, mais une libération plastique et non pas simplement de la fantaisie ou de l'imagination".

        "Je ne veux pas ressembler aux autres, je veux voir un monde nouveau", ajoutera-t-il.

     

     

     

         Ce séjour qui permit au peintre de se faire connaitre en exposant au Salon des Indépendants, fut également  pour lui l'occasion de rencontrer des artistes comme Guillaume Apollinaire (dont il écrira avec humour qu'il portait son ventre "comme un recueil d'oeuvres complètes"), où Blaise Cendrars devenu son ami intime. Cependant le premier conflit mondial va ramener Marc Chagall dans son pays natal et lorsqu'éclate la révolution russe en 1917 celui-ci se voit nommé Commissaire des Beaux Arts de la région de Vitebsk où il fonde une école d'Art, puis s'installe à Moscou et finalement émigre à Berlin.

        Il ne passera toutefois que peu de temps en Allemagne car il y reçoit bientôt un télégramme de Blaise Cendrars:" Reviens, tu es célèbre, et Vollard (un éditeur) t'attend."
        C'est ainsi qu'en 1923 Marc Chagall décide de venir s'installer en Fance, mais son art gardera toute sa vie la nostalgie de sa ville de Vitebsk et des paysages russes, des paysages qui n'apparaitront jamais dans ses oeuvres de façon réaliste, mais qui se feront les symboles de la paix intérieure et de la sensibilité de leur auteur.

       Le peintre ne manque pas de s'intéresser alors à la naissance de ce nouveau mouvement qu'est le surréalisme, mais encore une fois sans y adhérer vraiment, et les fleurs qu'il découvre dans le paysage français remplissent maintenant ses toiles à l'iconographie très personnelle marquées par la tradition juive et le folklore russe, et qu'il élabore autour de figures récurrentes: le violoniste, l'acrobate, le Christ, les amoureux, la vache etc...  

     

     


       Il n'oubliera jamais ses origines, et bien qu'il ait fait de Paris sa ville adoptive, lorsqu'il peint les ponts de la Seine ou la Tour Eiffel, il introduira des éléments de décors inspirés de ses souvenirs d'enfance qui ne le quitteront jamais.

     

     

     

         La richesse poétique et le merveilleux de son oeuvre lui valent des commandes de tous ordres et il exécute à cette époque à la demande de l'éditeur Ambroise Vollard de multiples gouaches et eaux fortes destinées à illustrer divers ouvrages, dont Les Fables de La Fontaine, qui ajouteront encore à sa renommée.
        Malheureusement la seconde Guerre Mondiale va obliger la famille Chagall à quitter la France et à se réfugier en 1941 à New York où l'artiste fait la découverte de la lithographie en couleurs, et s'attirera les éloges de la critique avec les décors et les costumes de l'Oiseau de Feu qu'il a réalisés pour le Ballet Theatre. Mais ce séjour aux Etats Unis sera tristement marqué par le décès impromptu de Bella, son épouse, et l'artiste très affecté cessera alors toute activité créatrice pendant plus d'une année. Leur amour infini avait duré pendant les 29 ans de leur vie commune:
        "Je ne finissais aucun tableau, aucune gravure sans entendre ses "oui" ou ses "non", écrira-t-il et l'on peut dire avec certitude que Chagall a chanté sa Bella de la même façon que Pétrarque a célébré sa Laure et Dante sa Béatrice.

     

     

     

         Marc Chagall regagne la France en 1947 à l'occasion d'une exposition retrospective de son oeuvre au Musée des Arts Modernes et s'installe à Orgeval tout d'abord, puis à Saint Paul de Vence où la lumière méditerranéenne va nourrir sa vitalité créatrice sans cesse renouvelée. Car il aborde maintenant la céramique et la sculpture et son oeuvre prend alors une ampleur exceptionnelle avec les grandes suites lithographiées, et surtout sa découverte de la mosaïque et du vitrail qui lui donne l'occasion d'explorer davantage encore l'un de ses sujets de prédilection: 

        "Depuis ma première jeunesse j'ai été captivé par la Bible. Il m'a toujours semblé et il me semble encore que c'est la plus grande source de poésie de tous les temps. Depuis lors, j'ai cherché ce reflet dans la vie et dans l'Art."

     

     

     

        L'Opéra de Paris a déjà fait appel en 1958 à Marc Chagall pour les décors et les costumes du ballet de Serge Lifar, Daphnis et Chloé, mais lorsque André Malraux (1901-1976), alors Ministre de la Culture, le contacte en 1961 il lui propose cette fois une entreprise monumentale: créer un nouveau plafond pour la grande salle du Palais Garnier.
        Après de longues et compréhensibles hésitations l'artiste finit par accepter et se lance dans le gigantesque travail que représente une oeuvre dans laquelle il va s'agir d'assembler harmonieusement des sujets sur une surface circulaire de 240 mètres carrés. 

        La décoration de la première coupole de la grande salle de l'Opéra avait été réalisée par le peintre préféré de Napoléon III, Jules Eugène Lenepveu (1819-1898) et représentait "les heures du jour et de la nuit" dans des tonalités douces en harmonie avec l'ambiance de la salle, et afin de préserver cette oeuvre, il fut décidé que les toiles du nouveau plafond seraient posées sur une armature de plastique supportant les 12 panneaux latéraux et le panneau circulaire, laquelle fut ajustée à 10 cms de la surface d'origine.

         Chagall choisit personnellement de respecter l'iconographie voulue par l'architecte, Charles Garnier (1825-1898), en continuant le panthéon des musiciens illustres de tous les temps, et 14 compositeurs d'opéras et de ballets célèbres seront représentés dans sa composition qu'il conçoit de la manière suivante:

        "J'ai voulu, en haut, tel dans un miroir, refléter en un bouquet les rêves, les créations des acteurs, des musiciens, me souvenant qu'en bas s'agitent les couleurs des habits des spectateurs. Chanter comme un oiseau, sans théorie ni méthode. Rendre hommage aux grands compositeurs d'opéras et de ballets".

     

        Sans hiérarchie aucune le peintre a simplement choisi dans le Répertoire les oeuvres qui lui tenaient particulièrement à coeur, et c'est dans son univers personnel, en osmose avec le monde qu'il surplombe et dont il exalte l'essence lyrique, que l'artiste nous invite:
        Extraordinaire coloriste, il a recherché la tonalité répondant le mieux à l'évocation de chaque musique, et divisé le plafond en cinq zones où dans chacune d'elles une teinte dominante vient caractériser l'hommage qu'il rend à deux musiciens et leurs oeuvres:

    - Le bleu pour Moussorgsky et Mozart, avec Boris Godounov et La Flûte Enchantée,
    - Le vert pour Wagner et Berlioz, avec Tristan et Isolde et Roméo et Juliette,
    - Le blanc cassé pour Rameau et Debussy, avec un sujet non précisé pour Rameau et Pélléas et Mélisande,
    -Le rouge pour Ravel et Stravinsky, avec Daphnis et Chloé et l'Oiseau de Feu,
    -Le jaune pour Tchaïkovski et Adam, avec Le Lac des Cygnes et Giselle,
     (ces deux derniers secteurs marquant l'importance du ballet),

        le disque central évoquant Bizet (Carmen), Verdi (La Traviata), Beethoven (Fidélio) et Glück (Orphée et Eurydice). 


     

     

        Une disposition centrifuge où une myriade d'éléments féeriques, femmes, oiseaux, étoiles, attirent le regard, fenêtres sur un monde inconnu, sorte de cosmogonie des grands Maitres.
        Un monde où règne l'apesanteur et où évoluent dans un enchevêtrement de courbes des personnages tout juste esquissés, parfois même transparents, dans une sorte de paradis lyrique, univers idéal d'un visionnaire:
         L'oeuvre d'un vrai poète qui fit, et fait encore de nos jours, polémique... et que son auteur, refusant d'être payé, offrit à la France en ces termes lors de son inauguration le 21 Septembre 1964:

        "J'ai souhaité être parmi et avec ceux d'aujourd'hui à offrir à Garnier un hommage qui resterait chez lui. 
        J'ai travaillé de tout mon coeur et j'offre ce travail en don, en reconnaissance à la France et à son Ecole de Paris, sans lesquelles il n'y aurait ni couleurs ni liberté".

     

        Une oeuvre qui inspira à un autre poète ces lignes magnifiques:

          
            ... "Tu nous peins les raisons d'être ce que nous sommes
                 L'éternel renouveau d'âge en âge fleuri
                 Tu peins ce firmament de la femme et de l'homme
                 Où d'oublier souffrir tu nous fais le pari

                 Tu peins cette légende appelée âme humaine
                 Tu peins ce jeu sans fin des amants réunis
                 Tu peins ce feu divin dont je suis le domaine
                 Tu peins ce vivre fou comme une épiphanie

                 Et le songe triomphe ici de toute chose
                 Il est le battement de chair du coeur humain
                 Demain comme la paix immense d'une rose
                 Ô prestidigitateur apparait dans tes mains

                 Ce que depuis toujours l'homme rêvant invente 
                 Va devenir sa loi c'est toi qui nous le dis
                 Marc Chagall ta lumière infiniment enfante
                 La future bonté notre seul paradis

                 Marc Chagall il y a désormais cette voûte
                 Au dessus de l'orchestre et du taire profond
                 Et fantastiquement dans la nuit à l'écoute
                 Une morale neuve est écrite au plafond."  

                                                                    Aragon
                                                            

     

     

     

        Un hommage également émouvant et qui mérite d'être mentionné est celui que rend au peintre son propre fils, né en 1946, le chanteur David Mc Neil (compositeur de Julien Clerc et Jacques Dutronc), à travers les chapitres de son livre:
                      Quelques pas dans les pas d'un ange,
    véritable chanson d'amour pour son père, récit de la vie d'un génie vu à travers les yeux d'un enfant. On y découvre l'humilité et l'humour de l'artiste qui lorsqu'on l'appelait "Maitre" corrigeait aussitôt "centi- Maitre", et ne détrompait pas qui le prenait pour un platrier:

        "C'était plein à craquer, des maçons, des peintres en salopettes prenaient le pousse café au comptoir où nous attendions que se libère une table. Le menu était affiché à la craie sur un des miroirs, ce jour là c'était une blanquette de veau. Papa portait une veste de velours et un bérèt serré comme celui d'un Auguste avec bien évidemment une chemise à carreaux. On ne dépareillait pas du tout dans le restaurant où, très vite, on avait trouvé à s'asseoir. Les deux ouvriers à la table à côté ont regardé les mains de papa tachées de couleurs diverses, ces mains dont il disait souvent qu'elle étaient imprégnées jusqu'à l'os. Il avait alors plus de 70 ans, mais avec son allure énergique et l'impression de puissance qui émanait de lui, il pouvait très bien passer pour un peintre en batiment:

        - Vous avez un chantier dans le coin? demanda l'un d'eux
        - Je refais un plafond à l'Opéra, répondit mon père en attaquant son oeuf dur mayonnaise..." 

         Des anecdotes contées avec tendresse à travers les quelles l'on perçoit avec émotion ce qui fut l'essence même de l'existence de ce peintre-poète, et qu'il ne cessa de proclamer lui-même:

        " Dans notre vie il n'y a qu'une seul couleur, comme sur la palette d'un artiste, qui donne le sens de la vie et de l'Art: C'est la couleur de l'Amour"

     

     

     

         Le 28 Mars 1985 à Saint Paul de Vence, Marc Chagall, célèbre et reconnu dans le monde entier, s'en est allé rejoindre le monde de ses créatures éthérées, laissant derrière lui une oeuvre monumentale qui fait de lui l'un des peintres les plus originaux et les plus prolifiques du XXème siècle et qui donna avec un éclat inégalé un véritable sens à ces paroles:

        "Si toute vie va inévitablement vers sa fin nous devons durant la notre la colorer avec nos couleurs d'amour et d'espoir".
                                                             Marc Chagall

     

              car malheureusement "les hommes d'aujourd'hui sont faconnés aux doctrines de l'égoïsme et de la cupidité" ?!!..
                                Louis Veuillot 

     


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  • L'Art et la danse

                      "Give me your tired, your poor,
                       Your hurddled masses yearning to breathe free
                       The wretched refuse of your teeming shore
                       Send these, the homeless, tempest-tost to me,
                       I lift my lamp beside the golden door!"
                                         Emma Lazarus (1849-1897) The New Colossus 

     

     

    "Donne moi tes pauvres, tes accablés,
     Qui en rangs sérrés aspirent à vivre libres,
     Le rebut de tes rivages surpeuplés,
     Envoie les moi, les déshérités que la tempête m'apporte,
     De ma lumière, j'éclaire la porte d'or!"

        Gravées sur la base de la plus célèbre statue de New York, symbole de l'immigration vers le Nouveau Monde et du rêve américain aux XIXème et XXème siècles, ces lignes ont accueilli des milliers d'arrivants en quête d'eldorado:
         " Une vieille croyance populaire, souvent prise au sérieux par les immigrés les plus naïfs, disait que les rues américaines étaient pavées d'or... A leur arrivée ils ont découvert trois choses: Premièrement que les rues n'étaient pas pavées d'or, deuxièmement que les rues n'étaient pas toutes pavées, et troisièmement que ce serait à eux de les paver".  Terry Coleman

     

    L'Art et la danse

     

         Si l'un des lieux les plus émouvants de l'histoire des Etats Unis est effectivement Ellis Island où, au nord de Liberty Island dans la baie de l'Hudson, son Musée rappelle le souvenir du flot des immigrés qui y débarquèrent à partir de l'ouverture de ses installations en 1892, c'est par contre à Castle Garden (Fort Clinton), à l'extrême sud de Manhattan, aujourd'hui dans Battery Park, que les premiers d'entre eux avaient posé le pied sur le sol américain quelques soixante ans plus tôt.
        Parmi cette première vague beaucoup de paysans irlandais ou écossais, mais aussi des ouvriers et des mineurs du nord de l'Angleterre qui, au plus bas de l'échelle sociale, après avoir découvert effectivement que les rues de Manhattan n'étaient pas pavées d'or, cohabitèrent dans certains quartiers des grandes villes avec les Noirs affranchis dont ils partageaient les misérables conditions de vie que tous s'efforçaient d'oublier en dansant...


        Les Européens ont amené avec eux bourrées, jigs, reels, qu'ils interprètent, costumes traditionnels à l'appui, en claquant des sabots (en anglais "clog", un mot qui signifie en Gaélique "temps","mesure"), lesquels produisent de la plante du pied des sons simples, doubles ou triples: une danse légère qui s'exécute au rythme entrainant du violon, le corps tenu très droit, les bras le long du corps.

     

     


        Tandis que de l'autre côté, la danse africaine met tout le corps relaché en mouvement dans des rythmes endiablés que les danseurs accentuent à pied plat en improvisant (Des rythmes hérités de leurs ancêtres qui les avaient rendus autrefois sur leurs tambours dont l'usage fut interdit dans tout le sud des Etats-Unis lorsque les propriétaires terriens craignant déjà des révoltes, s'aperçurent que les esclaves communiquaient entre eux sur de longues distances par le biais de cet instrument).

     

     

         Deux styles de danse fondamentalement opposés dont le seul lien apparent est cette prédilection pour le rythme, et que vont respectivement découvrir ces deux groupes culturels différents lorsqu'ils confrontent leurs techniques au cours de véritables compétitions organisées:

        Les Blancs admirant la souplesse de mouvement des Noirs tandis que ceux-ci appréciaient la technique des mouvements de pieds des premiers, chaque camp rivalisant d'habileté dans sa propre expression, mais aussi s'inspirant du camp adverse...
        Ce melting pot créa un fructueux échange et ces danses s'enrichirent mutuellement et se fondirent en un style, le Shuffle Dance, mélange de l'African Shuffle et de pas de danses folkloriques européennes, qui vit le jour dans le quartier populaire de Five Points à New York dans les années 1830, et que l'on s'accorde à reconnaitre comme l'ancêtre des claquettes.

     

    L'Art et la danse

    Le quartier de Five Points en 1827

     

        L'aventure naissante du spectacle, une activité ne jouissant alors d'aucune considération et de ce fait ouverte à tous (Noirs y compris, en cette époque de Ségrégation), amena la création de nombreuses troupes itinérantes qui offrirent à tous ces danseurs l'occasion de présenter leurs prouesses en public, une forme de divertissement qui aux alentours des années 1840 devint de plus en plus populaire: Le Minstrel Show.
       La grande majorité des troupes restant cependant composée de danseurs blancs, le thème traditionnel du spectacle était une caricature du Noir supposé paresseux, joueur et voleur de poules. Les artistes se maquillaient le visage en blanchissant le contour des yeux et des lèvres, et le tout se présentait sous la forme d'un enchainement de numéros chantés et dansés. Dans ce contexte, les danseurs blancs se devaient plus que jamais d'imiter les danseurs noirs qui avaient, eux, du mal à se faire une place, car il n'y avait que de rares troupes noires ou quelques individuels intégrés dans des troupes blanches qui, pour ne pas se faire remarquer, étaient obligés de s'affubler du même maquillage, un procédé qui finit par être très mal accepté par la population noire, cependant s'ils voulaient accéder à la scène ces artistes n'avaient guère d'autre choix.

        Dès 1846 un danseur noir d'exception, William Henry Lane (1825-1852), intégré à une troupe de Minstrels blancs, va entrer dans la légende... Le jeune homme sidère les spectateurs par sa frappe de pied étonnante, véritable virtuose à la rapidité d'exécution prodigieuse...
        Sa danse, il l'a apprise dans sa prime jeunesses auprès d'un irlandais dénommé Uncle Jim Lowe qui lui a enseigné tous les secrets du reel et de la jig irlandaise qu'il mélange d'instinct aux rythmes syncopés afro-américains, et Master Juba (ce sera son nom de scène) créera dans son répertoire maintes combinaisons dont sont issus nombre de pas de claquettes d'aujourd'hui.
        Sa réputation devint telle qu'il partit en Europe pour une grande tournée dont il ne revint malheureusement pas car il mourut d'épuisement à Londres en plein triomphe agé seulement de 27 ans: La misère et la faim trop souvent connues, puis le rythme infernal des spectacles avaient eu raison de ses forces. 

     

    L'Art et la danse

                      Master Juba                          

     

        Lien essentiel entre les Minstrels blancs et les sources noires véritables, William Henry Lane poussa les danseurs blancs à chercher une inspiration plus authentique dans le follkore noir, et du même coup contribua largement à l'évolution de la discipline.
        C'est à cette époque que va précisément apparaitre le premier style de danse américain: le Soft Shoe, qui pour davantage d'élégance et de fluidité s'exécute, comme son nom l'indique, en chaussures de ville et se distingue alors du Clog Dance interprété en sabots. 

     

        Ce spectacle populaire, alors essentiellement destiné dans les années 1850 à un public masculin, se composait la plupart du temps de sketches grossiers et vulgaires quand ce n'était pas obscènes, et la qualité des prestations en tenait éloignés les oreilles délicates...  Un manque à gagner que réalisa en 1860 un directeur de théâtre, Tony Pastor, qui eut l'idée géniale pour accroitre ses recettes de réformer les spectacles pour les rendre accessibles aux familles entières, enfants y compris et fit construire à cet effet des théâtres, certains superbes aux allures de palaces, et lança une nouvelle formule: Le Vaudeville, music-hall américain.

     

    L'Art et la danse

     

         Le spectacle, une succession libre de numéros de variété, tous genres confondus, avec cependant une prédilection pour les danses sonores, connut aussitôt un immense succès, et c'est dans ces établissements classés selon une hiérarchie d'étoiles qui traduisaient le nombre de séances quotidiennes (entre 2 et 5, le summum de la catégorie étant Le Palace à New York) que va s'écrire désormais le nouveau chapitre de l'histoire des claquettes.

        Car avec plusieurs numéros de danse au programme, la compétition entre les interprètes s'avéra déterminante pour le développement de la technique et de la rapidité, chaque danseur se devant de surpasser ses concurrents, innovant ou copiant allègrement les pas de ses collègues, grand écart, sauts etc.. et de véritables spécialistes firent leur apparition: On dansait sur des piedestals, sur pointes, en sautant à la corde, ou encore sur une fine couche de sable (en anglais "sand", d'où le nom de sand dance)

     

    Sand dance exécutée par Ned Haverly, le fils de l'impresario de la plus importante troupe de Minstrels de la fin du XIXème siècle.

     
        Ces numéros de danse requérant de plus en plus d'agilité avaient conduit à l'abandon des lourds sabots au profit de semelles de bois en deux parties (I/2 pointe et talon), les split clogs, adaptées à des chaussures de cuir, quand aux vêtements et aux musiques traditionnels ils laissèrent, à la même époque, la place aux airs à la mode et aux costumes de ville pailletés.

        Une évolution qui se poursuivit sur scène avec l'apparition d'un nouveau style aux alentours de 1880 : Le Buck Dancing, sorte de compromis entre le Soft Shoe et le Clog Dancing, développé autrefois par les esclaves noirs que les boucaniers (en anglais buccaneers) faisaient danser sur le pont afin de garder le moral; et dont l'élément déterminant le Time Step, qui intervient comme un refrain dans les chorégraphies entre chaque pas spectaculaire, est mondialement connu aujourd'hui.
         Un paysage qui sera encore enrichi, quelques années plus tard, par la seconde vague d'immigration irlandaise  qui amènera avec elle un type de danse très impressionnant par la rapidité et la précision de ses pas ainsi que la hauteur de ses sauts, le Step Dancing, lequel avait autrefois traditionnellement sa place dans les maisons où l'on aménageait, parfois, devant les cheminées un espace recouvert d'un certain types de dalles provenant de la région du Shannon sous lesquelles on enfouissait des poteries pour créer une caisse de résonance.


        Lorsque le jazz fait son apparition, à la fin de la Première Guerre Mondiale, de nouvelles perspectives s'ouvrent alors pour les claquettes car il impose des temps plus lents avec son fameux "swing" particulier qui, à partir de cette époque, va véritablement révéler à l'Europe les talents des danseurs noirs.

        L'un d'entre eux, Bill Bojangles Robinson (1878-1949), qui avait été en son temps le roi des danseurs sur escaliers (et menaçait de mort par télégraphe tous ses concurrents à qui leur directeur demandait de copier son numéro) atteignit une renommée considérable que vint accroitre par la suite son apparition aux cotés de Shirley Temple dans le film Le Petit Colonel.

     

          Le Petit Colonel (1935)   Bill Bojangles Robinson et Shirley Temple

         
         Bill Robinson avait utilisé les split clogs jusqu'à la fin de sa vie à raison de 36 paires par an... Une usure couteuse qui, dans les années 1920, conduisit à remplacer les semelles de bois par des fers, des pièces de métal, appelées en anglais taps, qui donnèrent son nom à la discipline: Tap Dance, et assurèrent alors la véritable naissance des claquettes modernes. 

     

    L'Art et la danse

     

         La première école de claquettes, qui ouvrit ses portes en 1918 à New York, enseignait les styles devenus désormais classiques, Soft Shoe et Buck Dancing, et comptait parmi ses élèves les stars de la discipline à New York et à Londres, dont faisaient partie Fred Astaire et sa soeur Adèle.
       Afin de trouver les mouvements parfaitement adaptés au "swing" du jazz, les danseurs blancs avaient alors besoin plus que jamais de s'appuyer sur les talents des chorégraphes noirs, et les vedettes prirent l'habitude de se faire créer des numéros en cours particuliers, avec notamment Bud Bradley qui s'acquit une véritable célébrité dans ce domaine: Le déhanchement commençait à être de rigueur, mais tout en étant cependant toujours regardé d'un oeil louche, et Adèle Astaire interviewée à la sortie de l'un de ses cours confia un jour aux journalistes "I just love those dirty steps!" (J'adore ces pas "cochon"!).

        Plus un spectacle, une revue, ou un cabaret ne pouvait dorénavant se passer des claquettes qui devinrent incontournables et les nouveaux styles se succédaient au fur et à mesure que les musiques arrivaient sur le marché: A la fin de la décade la grande nouveauté fut le Rythm Tap, qui avait été lui-même précédé en 1925 par le Tap Charleston, époque  à laquelle  l'on s'accorde à fixer l'arrivée des claquettes en France, plus précisément dans le quartier de Montparnasse où se produisaient musiciens de jazz et danseurs ainsi que de nombreux spectacles exotiques comme ceux de Joséphine Baker (1906-1975) qui commença sa carrière comme danseuse de claquettes dans une de ces Revues Nègres qui enthousiasmèrent Paris.

        De leur côté, les comédies musicales intégraient aux claquettes, avec beaucoup de succès, des éléments de danse classique avec deux célèbres interprètes, la fameuse Eleanor Powell (1912-1982), suivie par Ann Miller (1923-2004), et pendant plus d'une vingtaine d'années, les spectacles de toutes sortes, et les nombreux films témoigneront de l'engouement du public pour cette discipline.

     

    Swing Time (1936)  avec Fred Astaire et Ginger Rogers


        Car après Broadway c'est Hollywood qui s'est emparé de la danse à la mode, et produira les films mondialement connus de Fred Astaire (1899-1987), Gene Kelly (1912-1996) et Ginger Rogers (1911-1995)

     

    Singing in the rain (1952) avec Gene Kelly et Debbie Reynolds


        Les derniers, qui datent des années 1950 (Chantons sous la pluieUn Américain à Paris), verront cependant, malgré leur immense succès, arriver le déclin des claquettes. 
        Les prouesses des danseurs avaient elles fini par laisser un goût de déjà vu et imprimé une certaine lassitude auprès du grand public?

        Bien que cela soit tout à fait possible, c'est surtout l'arrivée du Rock'n Roll qui confirma cette évolution, car les claquettes qui ne purent s'adapter à ce nouveau rythme passèrent cette fois complètement de mode.

        S'en suivit une traversée du désert jusqu'en 1970 où la vogue des festivals de jazz fit renaitre un regain d'intérêt pour la discipline.
        Et remises aux goûts du jour, les claquettes vivent aujourd'hui une renaissance, issue d'une part de l'intérêt renouvelé du grand public pour les danses folkloriques avec le succés mondial des claquettes irlandaises portées par des troupes comme Riverdance, et de l'autre par leur adaptation aux styles nouveaux et aux rythmes contemporains à travers l'inventivité d'artistes comme les Tap Dogs, qui en jeans et chaussures de chantier ouvrent incontestablement la voie des claquettes du IIIème millénaire et perpétuent avec bonheur cette aventure unique qui, née dans la misère, fit son chemin jusqu'à Broadway...

     

    Riverdance (1995) Final    Jean Butler et Michael Flatley

     

        En 1989, un vote du Congrès proclama le 25 Mai, anniversaire de la naissance du fameux Bill Bojangles Robinson, Journée Nationale des Claquettes (National Tap Dance Day). Célébré en fait par les enthousiastes du monde entier, l'évènement est marqué à Broadway par une interdiction de la circulation automobile, et la célèbre avenue devient une immense piste de danse où chacun peut venir faire des claquettes.

     

           Tournée 2009 des Tap Dogs en Afrique du Sud

     


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    L'Art et la danse

     

         Dernier des prestigieux danseurs formés par Diaghilev, c'est presque par accident que Serge Lifar, fils d'un fonctionnaire russe, né à Kiev le 2 Avril 1905, découvrit sa voie un certain jour de 1920 alors que, se plaisant à parcourir au hasard les rues de la ville dans le chaos de la révolution bolchévique, ses pas d'adolescent le conduisirent jusqu'à l'école de Bronislava Nijinska où il resta médusé à la vue des danseurs à la barre:
        "J'étais sorti d'un monde chaotique" écrira-t-il en 1965 dans Ma Vie, "et j'avais trouvé l'ordre et l'harmonie".

        A 15 ans il a passé depuis longtemps l'âge idéal pour commencer à étudier la danse... et il lui faudra vaincre les nombreuses réticences de Nijinska avant qu'elle ne consente à l'accepter parmi ses élèves...
       Pourtant il ne reculera devant rien, et grâce à son obstination acquiert très vite les bases nécessaires à l'accomplissement de son rêve.

        Le destin intervient une seconde fois en sa faveur lorsque, deux ans plus tard, Diaghilev toujours à la recherche de danseurs masculins pour ses Ballets Russes, demande à Nijinska de lui envoyer ses cinq meilleurs élèves... 
        Serge Lifar n'est pas sur la liste car son professeur estime qu'il n'est pas encore prêt... Cependant, l'un de ses camarades ayant fait faux bond à la dernière minute, c'est lui qui prend sa place et rejoint la troupe à Paris en 1923. 
        D'une grande beauté physique, doté d'une présence rayonnante et d'un ego démesuré, le nouveau venu plein d'ambition fait alors tout ce qu'il peut pour se faire remarquer de Diaghilev... allant même jusqu'à menacer de se faire moine... Et le directeur des Ballets Russes, qui n'est pas resté insensible à son charme, après l'avoir envoyé parfaire sa formation auprès de Nicolas Legat, Pierre Vladimirov et Cecchetti (et lui avoir fait rectifier les dents et refaire le nez pour accentuer son type asiatique...), le nomme soliste en 1924 et premier danseur l'année suivante, promotion qui fut reportée d'un an après que Lifar ait refusé une invitation au petit déjeuner de Diaghilev...
        Dans l'ouvrage qu'il consacre au célèbre imprésario Richard Buckle comment ainsi l'anecdote:
        "On peut considérer avec le recul que ce fut une chance... Car, si Diaghilev avait fait de Lifar une étoile un an plus tôt, il n'aurait peut-être jamais engagé Anton Dolin".


    L'Art et la danse

    Serge Lifar dans Zéphir et Flore

     

        Serge Lifar participe alors aux créations des ballets de Nijinska et de Massine, Le Train Bleu (1924) ou Zéphyre et Flore (1925), mais ce sera surtout Balanchine qui transformera le jeune homme de Kiev en dieu de la scène, en lui créant des rôles comme celui d'Apollon Musagète (1928) et Le Fils Prodigue (1929), qui lui ouvriront les horizons du style néo-classique.

     

        Lorsque Serge Diaghilev décède en 1929, et que disparaissent les Ballets Russes, la carrière de Lifar prend alors un tournant décisif qui le voit accéder en quelques années aux plus hautes fonctions de l'Opéra de Paris, où, engagé d'abord comme interprète, il devient étoile, maitre de ballet et chorégraphe, et enfin directeur en 1933. 

        La prestigieuse institution française est tombée à l'époque à son plus bas niveau et a grand besoin de réformes, et par son prestige et son enthousiasme irrésistible, Serge Lifar va faire revivre la compagnie moribonde et la rétablir parmi les meilleures. Il écrira lui-même dans sa biographie que lorsqu'il accède au poste de directeur,
        "Il n'y avait pas de troupe, pas de public, et pas de tradition vivante digne de ce nom".

        A une époque où le ballet, relégué au rang de divertissement pour vieil abonné, sert encore d'accompagnement à l'opéra, cet ancien usage sera enfin aboli avec l'instauration d'une soirée hebdomadaire essentiellement consacrée à la danse, les Mercredi du Ballet, élargis plus tard en 1940 en un mois complet.
        Quand aux spectateurs habitués à tenir salon pendant les spectacles, ils seront dorénavant plongés dans l'obscurité pendant la représentation et obligés de se concentrer sur les évènements de la scène et non plus ceux de la salle dont l'accès sera, dans le même ordre d'idées, interdit dès les premières mesures de l'orchestre, afin que cessent les interminables allées et venues.
        Les danseuses dont le laisser aller était évident voient, elles, s'ouvrir la chasse aux collants percés, aux élastiques qui remplacent sur les chaussons les rubans de satin, et le nouveau directeur les oblige à danser sur les pointes (?!!..), auxquelles elles avaient négligemment pris l'habitude de substituer de confortables demi-pointes... Dans un autre domaine, les danseurs masculins seront priés de se raser... et un véritable maquillage professionnel fait son apparition...
        Parmi ce train de réformes méritant d'être signalées, l'une d'elle et non des moindres, ordonnera la fermeture du Foyer de la Danse  et mettra enfin un point final à la réputation de "bordel chic" que s'était acquise au cours des années le Palais Garnier.

        Après avoir rétabli cet ordre primordial, Serge Lifar s'attaqua à la partie la plus importante de sa tâche: former des interprètes à la technique sans faille... Considéré lui même comme le meilleur danseur européen de sa génération, il institua une classe d'adage où il enseignait en personne, et bien qu'ancien élève de Cecchetti remplaça la technique italienne par celle de l'école Vaganova, faisant venir à Paris les grands professeurs russes, Preobrajenska et Kschessinskaïa.

     

     

         Il formera ainsi des étoiles comme Darsonval, Schwartz ou Chauviré, capables d'exécuter les oeuvres du répertoire comme les ballets les plus modernes... les siens en particulier...
         Car s'il remonta les ballets classiques, Lifar mit en scène à l'Opéra plus de 50 de ses créations, mettant en scène sa théorie de la chorégraphie selon laquelle la danse doit créer elle même son propre rythme et ne pas se faire l'esclave de la musique. Un concept qu'il démontre dans Icare (1935), simplement accompagné par des percussions qui ne furent ajoutées qu'une fois la chorégraphie terminée. Et s'il utilisa des musiques plus conventionnelles dans ses ballets suivants il ne cessa d'exiger des compositeurs que les rythmes obéissent à la danse.

     

    L'Art et la danse

    Serge Lifar dans Icare

     

        Tout en conservant une structure classique la plupart de ses créations seront considérées comme modernes, et leurs thèmes tirés de la mythologie et des légendes anciennes, ou encore de la Bible, Prométhée (1929), Bacchus et Ariane (1931), Icare (1935) etc..., attirèrent à la danse un public sérieux d'un nouveau genre. Avec la collaboration de ses amis, Cocteau (Phèdre), Derain, Bakst ou encore Picasso (Icare), Lifar élabora des ballets qui, considérés à l'heure actuelle comme les purs produits d'une époque, ont peut-être en cela mal vieilli, ce qui pourrait expliquer pourquoi seul un très petit nombre d'entre eux (Les Mirages, Suite en blanc...) est encore représenté aujourd'hui.

     

          Suite en Blanc   Musique d'Edouard Lalo (1823-1892)    Final

     

        Cependant la raison la plus évidente de cette disparition, et sans doute la plus probable, tient au fait qu'il s'agissait en majorité de ballets trop personnels... dans lesquels le chorégraphe s'était attribué la plupart du temps le premier rôle, incapable de résister à ce penchant narcissique notoirement connu qui le fit étaler son ego sans aucuns scrupules en d'innombrables occasions...

        En témoigne le véritable scandale qu'il déclancha un soir à Londres, jaloux du triomphe qu'avait obtenu sa partenaire Alicia Markova, ou encore l'importance qu'il se donna lorsqu'ils dansèrent ensemble Giselle en Amérique, inspirant ces lignes à un critique:
        "Son interprétation de Giselle justifierait que l'on change le titre du ballet en Albrecht".

        Gore Vidal rapporte cette conversation qu'il eut à une certaine occasion avec Antony Tudor: 
       - "J'ai toujours voulu voir Serge Lifar. C'est fait... et tout est vrai..." me dit Tudor
       -"Qu'est ce qui est vrai" demandais-je?    Tudor répondit:
       -"Il est aussi insupportable, non odieux, que je l'ai entendu dire..." 


    L'Art et la danse

    Tamara Toumanova et Serge Lifar dans Le Lac des Cygnes

      

         Quoi qu'il en fut Lifar est célébré, voire adulé, par les amateurs de danse de son époque qui le décrivent comme
        "Une oeuvre d'art, un chef d'oeuvre de la nature" ou encore
        "Un félin, un corps à la Donatello, avec des cuisses longues, le genou pur, la cheville mince et sèche, le thorax bombé, vaste et profond, où il retient en sautant un souffle inépuisable".
        Car ce personnage au caractère versatile, voire ombrageux, égocentrique et mégalomane, est extrêmement séduisant et doué d'un charisme indéniable.
         Plus qu'un danseur étoile, Serge Lifar était une véritable célébrité qui fréquentait le Tout Paris:

        "Artiste sur la scène, comédien dans la rue" disait-il de lui-même...

        Son ego exige qu'il soit continuellement en représentation, et l'ami de Paul Valery, Stravinsky ou Arthur Honegger deviendra une figure mondaine capable, en 1958, de provoquer en duel le marquis de Cuevas.

        La querelle a pour objet la reprise du ballet Suite en Blanc, dont Lifar lui avait par lettre recommandée, interdit la représentation... Au cours de la discussion un peu vive, le marquis soufflette Lifar qui demande aussitôt réparation sur le pré... Cuevas est alors agé de 73 ans, Lifar de 54, et il laisse à son adversaire en raison de son age, le choix des armes: ce sera l'épée.
        La date de la rencontre est fixée au 30 Mars, et bretteurs, directeur de combat, témoins et médecins, entourés d'une meute de journalistes, se retrouvent en Normandie à Blaru. Au bout de trois reprises, Lifar est touché, ou plutôt se laisse toucher à l'avant bras, et les béligérants tombent dans les bras l'un de l'autre à l'issue de ce duel d'opérette...

     

    (Le dernier duel eut lieu en France en 1967, opposant Gaston Deferre à un autre parlementaire, Roger Ribière, qu'il avait traité d'"abruti" dans l'hémicycle)

     

        Quelques dix années avant cet évènement très médiatique, la carrière de Serge Lifar avait connu une ecclipse avec, à la Libération, son renvoi de l'Opéra de Paris pour ses activités sous l'Occupation qui le firent accuser (comme son amie Coco Chanel) de collaboration avec l'ennemi, et interdire de scène par le Comité National d'Epuration.
        "Lifar au plus haut de son zénith pendant les années noires de l'Occupation a été ébloui par son propre soleil et a bu le poison des louanges et des privilèges offerts par de mauvais prophètes" peut-on lire à son sujet,
        "Citoyen défaillant et créateur de génie", ainsi le stigmatisera Jean Cocteau.

        Pendant ces années d'"exil" Lifar forme avec quelques danseurs qui lui sont restés fidèles le Nouveau Ballet de Monte Carlo, pour lequel il crée  Aubade (1944), La Péri, ou encore Une Nuit sur le Mont Chauve (1946), et développe son esthétique dite néo-classique où il ajoute deux positions aux cinq existantes et deux arabesques aux quatre préalables. (La 6ème et la 7ème position permettent à la danseuse de plier sur les pointes sans ouvrir les genoux, prolongeant le mouvement et le décalant en déplaçant l'axe du corps).

     

    L'Art et la danse

    Zizi Jeanmaire dans Aubade (1944) 

     

         Lifar ne reparut sur la scène de l'Opéra de Paris qu'en 1949, bien qu'il ait retrouvé en 1947 ses fonctions de premier chorégraphe qu'il occupera jusqu'en 1958, créant entre autres Les Mirages (1947, inspiré de la Nuit de Décembre de Musset), Le Chevalier Errant (1950), Phèdre (1950), Blanche Neige (1951), Roméo et Juliette (1955) ou encore La Dame de Pique (1954) dont il a offert la Première à la ville de Lausanne après y avoir fondé l'Académie de Danse.
     

    L'Art et la danse

                                Serge Lifar et Nina Vyroubova
                  Inauguration de l'Académie de Danse de Lausanne (1954)


      
        Serge Lifar ne mettra fin à sa carrière de danseur qu'à l'age de 50 ans, après avoir interprété une dernière fois le rôle d'Albrecht avec Yvette Chauviré comme partenaire, et lorsqu'il quitte définitivement l'Opéra de Paris deux ans plus tard, il poursuit son activité chorégraphique jusqu'en 1969 avec le Netherlands Ballet, le London Festival Ballet, ou encore les Grands Ballets du marquis de Cuevas.

     

        Chorégraphe, théoricien, auteur prolifique (il a écrit 25 livres dans lesquels il relate sa carrière et ses théories de chorégraphie expérimentale) ou encore conférencier (il introduisit la danse à la Sorbonne en 1947 avec la création de l'Institut Chorégraphique de Paris, renommé en 1957 l'Université de la Danse), Serge Lifar a promu et a contribué à l'épanouissement, à la diffusion et à la modernisation de l'art chorégraphique dans le monde entier.

        Décédé le 15 Décembre 1986 à Lausanne où il passa les dernières années de sa vie dans sa suite du Beau Rivage Palace, avec vue sur le Léman, le danseur et chorégraphe russe repose aujourd'hui à Paris au cimetière de Sainte Geneviève des Bois.
        Si l'homme a pu connaitre quelques défaillances, celles-ci ne doivent pas jeter le discrédit sur le rôle important qu'il a en même temps joué dans l'histoire du ballet ainsi que celle de l'Opéra de Paris; et encensé par les uns ou vilipendé par les autres, l'artiste mérite amplement la place qu'il s'est acquise au firmament de la danse.

     

     


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    L'Art et la danse

    Delphine Moussin dans le rôle de Cendrillon



        "Un jour comme elle était au bain, un aigle enleva une de ses sandales des mains de sa suivante, et s'envola vers Memphis où il la laissa tomber dans les replis de la robe du roi qui rendait justice en plein air dans une des cours du palais. Emu par les proportions mignonnes de la chaussure et le merveilleux de l'aventure le souverain envoya aussitôt des agents par tout le pays à la recherche de la femme dont le pied pourrait chausser une telle sandale; ceux-ci finirent par la trouver dans la ville de Naucratis et l'amenèrent au roi qui l'épousa et qui, après sa mort, lui fit élever ce magnifique tombeau".

       L'héroïne de cette histoire se nomme Rhodopis (Yeux de rose) et le tombeau en question est la pyramide de Mykerinos (l'une des trois célèbres pyramides du site de Giseh), qu'une légende contée par le grec Strabon (58av.JC-25) attribuait effectivement comme dernière demeure à cette courtisane aux beaux yeux... Retranscrite au IIIème siècle par Elien (175-235), cette fable représente certainement la plus ancienne version connue de Cendrillon dont plus de 500 interprétations différentes apparaitront par la suite au cours des siècles, en Asie, en Amérique (la légende d'Oochigeas a été popularisée par la chanson de Roch Voisine), et en Europe où l'on découvre dans le premier recueil de contes de fées, Le Pentamerone (1634-36) de Giambatista Basile, les aventures de La Gatta Cenerentola, La Chatte des Cendres.

     

     

         Il semble que ce soit la fiction italienne qui ait inspiré Charles Perrault (1628-1703) lorsqu'il écrivit en 1697 Cendrillon ou la petite pantoufle de verre, repris en 1812 par les frères Grimm, fixant définitivement cette fois le conte dans l'imaginaire collectif sous la forme qu'on lui connait.
        En rédigeant son célèbre récit, l'auteur se doutait-il qu'il serait aussi largement repris à la scène?

        Depuis maintenant plus de deux siècles Cendrillon chante, danse et vit sous nos yeux, et l'histoire de la pauvre jeune fille à qui une belle mère et deux soeurs rendent la vie impossible, mais qui épouse finalement un beau prince grâce à l'intervention d'une bonne fée, est omniprésente dans le monde du spectacle, qu'il s'agisse d'opéra, ballet, cinéma, dessin animé ou comédie musicale...

        C'est en 1803 qu'elle fait, en Angleterre, sa première apparition au théâtre, mais il ne s'agit à l'époque que d'un simple divertissement, et le premier véritable ballet sur le thème ne sera produit que dix ans plus tard à Vienne. Il sera suivi à Londres en 1822 par une nouvelle chorégraphie élaborée sur une partition du catalan Fernando Sor, tandis que Paris découvre à cette époque l'héroïne de Perrault avec l'opéra de Rossini (1792-1868), La Cenerentola, inspiré de l'oeuvre de Nicolo Isouard (1773-1818), un compositeur français oublié aujourd'hui dont le Cendrillon avait remporté en son temps un succès considérable qu'égalera en 1899 celui de Jules Massenet (1842-1912). 

        Cet univers magique de fées et de princes, ne pouvait qu'inspirer le maitre du ballet à grand spectacle, Marius Petipa (1818-1910), qui monta le ballet à Saint Petersbourg le 17 Décembre 1893 sur une musique du baron Boris Vietinghoff-Schell, et un livret de Lydia Pashkova et Ivan Vsevolojski. Chorégraphié par Enrico Cecchetti (Acte I et III) et Lev Ivanov (Acte II), ce Cendrillon a marqué les mémoires avec les débuts au Marinski de Pierina Legnani qui, ce soir là, selon les dires de la critique:
         "a tout balayé devant elle"...


    L'Art et la danse

    Pierina Legnani (1868-1930) dans le rôle de Cendrillon


        Legnani fit un triomphe en exécutant pour la toute première fois ses célèbres 32 fouettés, et Skalkovsky relate ainsi la soirée dans La Gazette de Saint-Petersbourg:
        "Au cours du dernier acte, Legnani s'est positivement surpassée. Lorsque Emma Bessona a dansé le rôle principal de La Tulipe de Harlem, elle a exécuté 14 fouettés. Dans sa variation Legnani en a exécuté 32 sans s'arrêter et sans dévier d'un pouce. Le public aux anges, ovationna la ballerine et lui enjoignit de répéter sa variation: Legnani en ré-interpréta 28..." (Un exploit qu'elle réitérera dans Le Lac des Cygnes, y imprimant cette fois son sceau de manière indélébile)
        Le succès de la production fut considérable, et la scène du bal au château à l'Acte II interprétée par les solistes et le corps de ballet dans le plus pur style du XIXème siècle et la tradition Petipa, restera longtemps dans les annales (L'Acte II sera d'ailleurs repris par Lev Ivanov pour les adieux de Pierina Legnani au Marinski le 5 Février 1900).

     

    L'Art et la danse

    Illustration de Gustave Doré dans l'édition de 1867 intitulée Les Contes de Perrault.
            "On n'entendait qu'un bruit confus: Ah, qu'elle est belle!" 


        Le Cendrillon de Marius Petipa aura cependant un destin moins prestigieux que celui de ses frères, Casse Noisette ou autre Belle au Bois Dormant, et ne s'imposa pas comme référence pour les chorégraphes à venir. Quand à la version que Mikhaïl Fokine présenta à Covent Garden le 19 Juillet 1938 avec Les Ballets Russes de Monte Carlo celle-ci ne fit guère mieux. Sur une musique de Frédéric d'Erlanger, le chorégraphe en avance sur Walt Disney s'y était amusé à introduire un rôle pour le chat de Cendrillon (Tatiana Riabouchinska), et son fils Vitale décrit ainsi la création de son père:

        "Le ballet était beau par son cadre naïf, son inventivité chorégraphique et son interprétation excellente. Destiné au jeune public, il ne portait aucun message profond, et n'introduisait aucune forme nouvelle de danse. Et l'interprétation des deux méchantes soeurs par des hommes avec un maquillage excessif ajoutait un véritable élément de comédie".
                                         (Fokine: Mémoires d'un Maitre de Ballet)

         Monté pour la dernière fois pendant une tournée aux Etats Unis en 1940-41, le ballet disparut malgré tout comme ses prédécesseurs, sans avoir donné à Cendrillon ses lettres de noblesse... 

     

    L'Art et la danse

    Tatiana Riabouchinska dans le rôle de Cendrillon


        Lorsqu'à la demande de Galina Oulanova qui venait de triompher dans Roméo et Juliette, Prokofiev commence en 1941 l'écriture de Cendrillon, le compositeur va enfin après toutes ces années combler cette lacune, et offrir au monde du ballet la partition de référence... (la liste des nombreuses versions de Cendrillon deviendrait fastidieuse, mais on peut toutefois mentionner que Johann Strauss, Weber et Rossini furent mis à contribution pour l'occasion par les chorégraphes)
        Ayant interrompu son travail pour composer son opéra Guerre et Paix, Prokofiev ne termine son ballet qu'en 1944; il a, à cette époque, regagné la Russie, et toute la nostalgie qu'il éprouve alors pour l'Occident se retrouve dans cette musique mélodique dont les accents n'ont rien de très slave bien qu'il n'en dédie pas moins cependant son oeuvre à Tchaïkovski et la présenta ainsi:

        "Je le conçois comme un ballet classique avec des variations, des adagios, des pas de deux... Je vois Cendrillon non seulement comme un personnage de conte de fées, mais également comme un personnage en chair et en os qui vit parmi nous et nous émeut... Ce que j'ai voulu exprimer par ma musique c'est l'amour poétique de Cendrillon et du Prince, la naissance et l'éclosion de cet amour, les obstacles dressés sur son chemin, et finalement l'accomplissement d'un rêve... et j'ai essayé de peindre les différents personnages de telle manière que les spectateurs ne puissent pas ne pas partager leurs joies et leurs peines".

         Si la chorégraphie de Rotislav Zakharov, présentée pour la première fois au théâtre Bolchoï le 21 Novembre 1945, avec Olga Lepechinskaïa dans le rôle titre, n'a pas davantage survécu que les précédentes, la partition de Sergueï Prokofiev s'imposera, elle, dorénavant aux chorégraphes qui vont interpréter cette fois le conte à leur manière, revisitant la fable à travers la musique sous des éclairages nouveaux.

     

    L'Art et la danse

    Sergueï Prokofiev (1891-1953)

     

        Le premier à faire mondialement connaitre la partition de Prokofiev fut Frederic Ashton (1904-1988), dont le ballet présente sa propre vision du monde de Petipa, dans lequel une danseuse de demi-caractère rêve de devenir une ballerine. Créé le 23 Décembre 1948 à Covent Garden, avec Moira Shearer (Margot Fonteyn s'était blessée) Cinderella, est inscrit au répertoire de plusieurs compagnies et demeure encore aujourd'hui la version du ballet la plus célèbre et la plus jouée (Considéré aujourd'hui en Angleterre comme l'un des grands classiques du ballet au même titre que Le Lac des Cygnes ou Casse Noisette, Cinderella y fait partie des spectacles incontournables de Noël).

     

    Alina Cojocaru    Cendrillon Acte II   (Prokofiev- Ashton)


        On sait depuis longtemps que les contes de fées ne sont pas aussi innocents qu'ils peuvent le paraitre, en témoignent les relectures personnelles et parfois inattendues auxquelles Cendrillon n'a pas échappé.
         En 1963, Paris découvre une nouvelle adaptation du ballet de Prokofiev chorégraphiée par Vaslav Orlikowski, à laquelle participait Géraldine Chaplin, ballerine avant d'être actrice, dont le célèbre père sera évoqué dans la version que Noureev crée à Paris en 1986, car le chorégraphe s'est amusé à transposer l'histoire dans l'univers hollywoodien des années 1930:

        Découverte par un producteur de cinéma, une modeste jeune fille échappant à un père alcoolique et à une marâtre odieuse fait ses débuts à l'écran et accroche au passage le coeur du jeune premier.
        Tout en adaptant le récit, la création de Noureev l'enrichit des résonances freudiennes chères au chorégraphe, et on y retrouve l'habituel désir de s'évader de la dure réalité, le rêve initiatique, le réel qui rejoint l'imaginaire, et enfin l'art comme accomplissement du rêve devenu réalité.

        "Le ballet Cendrillon est devenu un rêve de cinéma. Un rêve de robe blanche, teintée d'un peu de rose pour rendre hommage à l'innocence, légèrement argentée aussi parce que Cendrillon est un personnage d'aujourd'hui, elle ne rêve que d'une chose: devenir star. Dans ma version de Cendrillon la fée s'est alors métamorphosée en producteur de cinéma, seul personnage de la mythologie moderne capable par la magie de son art de transformer une citrouille en carrosserie de voiture"  
                                                                   (Rudolf Nureev 1986)

     

    Sylvie Guillem  Cendrillon Acte I   (Prokofiev-Nureev)

     (Le Cendrillon de Rudolf Noureev fut créé à l'Opéra de Paris le 25 Octobre 1986 avec Sylvie Guillem et Charles Jude dans les premiers rôles, et Monique Loudières et Isabelle Guérin dans ceux des soeurs. Inscrit au répertoire de l'Opéra de Paris, il est entré ensuite à ceux de l'Opéra de Naples et de la Scala de Milan)

        Un an avant Noureev, Maguy Marin avait donné à Lyon une autre Cendrillon, nettement plus insolite que celles de ses devanciers dans laquelle elle déplace l'histoire dans un monde de poupées de chiffon où les danseurs masqués, à la gestuelle maladroite et saccadée, évoluent dans le décor d'une maison de poupée:
        Un triomphe, qui a fait le tour du monde (le ballet a même été donné sur la scène du Bolchoï à Moscou) et lancé la carrière internationale du Ballet de l'Opéra de Lyon, portant haut la réputation de la danse contemporaine française.

     

    Cendrillon Acte II   Opéra de Lyon  (Prokofiev- Maguy Marin)

     

        Parmi les versions les plus récentes il faut encore citer celle que Jean Christophe Maillot créa pour l'Opéra de Monte Carlo le 3 Avril 1999 où dans un décor de livre d'images il combine humour et poésie, et donne cette fois aux personnages du conte une dimension humaine inhabituelle tout en y incorporant la notion de l'au-de-là:
        C'est en effet guidée par le souvenir de sa mère que Cendrillon, à la recherche de reconnaissance et d'amour, fait son chemin parmi une cour impitoyable et ridicule, et le ballet, à la lisière du contemporain, nous propose une relecture déroutante qui met en avant la symbolique du conte plus que l'histoire à proprement parler.

     

    Cendrillon  Ballets de Monte Carlo  (Prokofiev- Jean-Christophe Maillot)

     

        A l'heure actuelle, l'héroïne de Perrault a déjà bien entamé sa carrière dans le XXI ème siècle avec, entre autres, la comédie musicale de Luc Plamodon: Cindy- Cendrillon 2002.
        Mais un nouveau ballet verra-t-il, lui, le jour? Serait-il la version de trop de ce conte qui reste parmi les plus lus ?... Pas si sûr...
        Car, histoire universelle du Bien et du Mal qui démontre qu'avec un peu de chance tout est possible, Cendrillon, la lointaine descendante de Rhodopis, n'a certainement pas encore fini de nous en conter...

     

     

    Pantoufle "en verre" ou "en vair"?
        L'édition de 1697 du conte de Perrault mentionne sans ambiguité une "pantoufle de verre". Le verre est à cette époque un matériau précieux et l'on retrouve des pantoufles de verre ou de cristal dans les contes catalans, écossais ou irlandais.
        Ce sont deux représentants de la gent masculine, Honoré de Balzac et Emile Littré, qui estimant la chose totalement "déraisonnable" voulurent corriger cette graphie en "vair" (fourrure d'écureuil petit-gris), d'où la querelle qui s'est installée depuis...
        On imagine pourtant très mal une princesse aller au bal en charentaises...                                                             Quoi que...

     

    L'Art et la danse

     


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    L'Art et la danse

     

         La roche tarpéienne n'est jamais loin du Capitole lorsque souffle le vent de l'Histoire... Et le photographe le plus populaires depuis les année 1970, dont les livres se sont vendus à des millions d'exemplaires et les posters s'affichaient dans la chambre de toutes les adolescentes de l'époque, est aujourd'hui montré du doigt par ceux là même qui l'ont encensé pendant 40 ans...

          David Hamilton, l'auteur de ces clichés maudits, naquit à Londres le 15 Avril 1933 et passa son enfance dans la capitale anglaise que la Seconde Guerre Mondiale l'obligea à quitter pour trouver refuge avec sa famille dans le comté du Dorset dont les délicats paysages inspirent encore aujourd'hui son oeuvre.
        De retour à Londres à la fin des hostilités il fut attiré un temps par l'architecture et la décoration, mais leur préféra la typographie et la mise en page pour lesquelles ses compétences lui valurent de travailler comme maquettiste pour la revue allemande Twen.

        Remarqué pour ses talents artistiques, le futur photographe est par la suite engagé à Paris comme graphiste au magazine Elle, et  finalement "débauché" à Londres par la revue anglaise Queen qui lui offre le poste de directeur artistique alors qu'il n'a pas encore 30 ans. Est ce parce que cette fonction l'amène à critiquer les clichés des autres qu'il achète précisément à ce moment là son premier appareil photo? Nul ne le sait, mais c'est en tous cas à cette époque qu'il fait ses premières expériences d'amateur dans ce domaine. 
        Cependant, si les fonctions qu'il occupe dans la capitale anglaise lui conviennent en tous points, elles ne le satisfont pas pleinement car Paris qu'il a appris à aimer lors de son premier séjour lui manque... Et il choisit d'y retourner dès que l'occasion se présente, c'est à dire lorsque s'offre à lui le poste de directeur artistique des grands magasins du Printemps.
        Un changement qui va affecter son activité de photographe et lui donner une autre dimension, car c'est en France qu'il commence à vendre des clichés et à se faire connaitre dans le milieu de la profession où ses images si particulières lui apporteront très rapidement succès et renommée.

     

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         Car David Hamilton a inventé un style nouveau, reconnaissable entre mille, et tandis qu'il collabore déjà avec Nina Ricci ou Chanel, les plus prestigieux magazines internationaux se disputent ses photos (Réalité, Twen, Photo etc...) dévoilant un monde à la sérénité bucolique, nostalgique, mais éternel.
        Du chaos visuel il choisit ce qui le touche: la pureté, la fraicheur, la simplicité, l'innocence; et qu'il photographie des paysages, des bords de mer, des natures mortes, des fleurs ou des adolescentes, il leur donne à tous cette qualité de rêve, sorte de vision d'un Paradis perdu.

     

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        Dès son premier livre, Rêves de jeunes filles (1971), il dévoile ce style fait de fleurs, de dentelles, de souples capelines et de jeunes filles nimbées de voiles diaphanes, avec un raffinement esthétique qui donne à ses images une qualité intemporelle. Aucune trace du monde moderne ne s'incruste dans ces compositions harmonieuses et ses photos prennent l'apparence de véritables toiles impressionnistes grâce au flou artistique dont il les habille, un effet si souvent imité depuis et qui est resté sa signature.
        (Afin d'obtenir cette ambiance vaporeuse début de siècle on dit qu'il fixait un bas nylon sur l'objectif de son appareil, ce qu'il a toujours persisté à nier... Mais sans jamais rien révéler de son secret... On sait toutefois qu'afin de contrôler parfaitement l'éclairage il travaille à l'aube ou au crépuscule quand la lumière est douce, et en décors naturels).

     

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        Combinaison parfaite de sa maitrise de la lumière et de la couleur, ses images évanescentes ne cessent d'exprimer son admiration de la beauté sous toutes ses formes et font de lui avant tout un esthète projetant sa vision subjective de la réalité: La photo selon lui est issue de la peinture, il tient délibérément à rester dans ce champ et son second album paru en 1972 consacré à la danse lui vaudra même le titre de "Degas de la photographie".


     

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         A travers les étoffes légères et les couleurs pastels La Danse nous fait vivre des moments de rêve avec toujours la même perfection dans l'art d'exprimer l'inexprimable ou d'éterniser l'instant fugitif du mouvement parfait. Car c'est encore une fois pour le grand photographe la même quête de la grâce, de la beauté des corps et de l'expression: "La danse est le langage international. C'est l'ambassade de la paix, se servant du corps et du mime pour parler de l'âme" peut on lire dans la préface de Charles Murand.


     

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        Au rythme d'un livre par an en moyenne, vendu chacun à des millions d'exemplaires (L'Age de l'Innocence paru en 1995 se vendit à 50.000 exemplaires à Londres la semaine de sa sortie), le photographe devient une véritable icône et expose dans tous les hauts lieux dédiés à l'Art, de New York à Tokyo, en passant par Hambourg, Milan et Paris où son oeuvre figure dans la collection de la Bibliothèque Nationale. 
        Cartes postales, calendriers, posters, auxquels viennent s'ajouter 5 films et d'innombrables publications dans les magazines, font de lui l'un des artistes les plus populaires du moment, couronné de succès et universellement applaudi et apprécié.

     

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         Mais voilà que 30 ans plus tard certaines de ces photos si admirées font scandale, mises à l'index par ceux qui les ont autrefois portées aux nues... Les très jeunes filles à la silhouette longiligne et au corps d'adolescente que le photographe en quête de beauté et d'innocence est allé chercher pour modèles en Suède, dédaignant les agences de mannequins trop sophistiqués, sont en effet regardées aujourd'hui d'un autre oeil...
       Car l'époque des années 70 où une société débarrassée de ses tabous ose la nudité, surtout pas érotique encore moins pornographique mais simple symbole d'une nouvelle liberté, cette époque qui célèbre avec ivresse un monde dont l'innocence retrouvée en fera un univers de paix et d'amour que reflètent les photos de David Hamilton, est aujourd'hui bel et bien révolue...
        Ces images, conçues et perçues avec enthousiasme lorsque s'ouvrirent ces horizons, ne reçoivent plus du tout aujourd'hui le même accueil... Les regards ont changé, l'oeil s'est perverti et les affaires de pédophilie sont passées par là : Peut on, après les sordides histoires dont nous abreuvent les médias, feindre encore l'innocence d'un temps révolu et partager avec Hamilton ce pudique et candide goût des jeunes filles tout juste en fleur?

     

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        Même si, comme il le fait lui même remarquer, il n'eut jamais aucun problème avec la censure, ses photographies de jeunes blondes dénudées n'en ont pas moins semé leur lot de soupçons, et malheureusement terni sa gloire (Tout en étant de véritables nus artistiques pleins de goût et de délicatesse, ce que l'on ne saurait dire de toutes les images plus ou moins vulgaires qui envahissent notre vie quotidienne apparemment avec l'approbation générale).

     

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        Si en France, pays moins puritain, la réaction est beaucoup plus modérée, la situation en Amérique du Nord et en Grande Bretagne a pris parfois des proportions considérables... Dans les années 1990 aux USA, les conservateurs chrétiens s'en prirent avec violence aux librairies qui vendaient les albums de David Hamilton, l'accusant de pornographie enfantine et de pédophilie, et en 2005, un policier du Surrey alla jusqu'à déclarer officiellement que l'oeuvre du photographe avait été mise à l'index au Royaume Uni et que tout détenteur de l'un de ses livre s'exposait aux sanctions de rigueur... Le journal Le Guardian s'emparant de l'évènement titra dans son édition du 25 Juin 2005 : "Les photos de David Hamilton sont-elles de l'Art ou de la pornographie?"
         (Aucune décision de la sorte n'ayant été bien évidemment prise par un quelconque tribunal, la police du Surrey fut alors forcée de faire, pour les allégations infondées du "constable"  Simon Ledger, des excuses formelles qui parurent dans le British Journal of Photography -Septembre 2005)


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         Glen Holland, le porte parole du photographe de 77 ans qui vit aujourd'hui à Saint Tropez répond simplement à tout cela "Nous sommes profondément attristés..."

        Pour ceux qui le croyaient disparu David Hamilton a publié en 2007 un album regroupant 20 ans de photographies qui retracent un paradis perdu, que ce soit des paysages, des natures mortes ou des portraits de jeunes femmes.

     

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        Tous les éditeurs américains refusèrent de publier le livre, ceux là mêmes qui dans les années 1970 les vendaient à plus d'un million d'exemplaires chacun... et en France les éditions La Martinière n'en tirèrent seulement que 8000 copies. 

        A trop vouloir célébrer les Chants de l'Innocence David Hamilton a été rattrapé  par ceux de l'Expérience... Et libre à chacun, en effet, de regarder son oeuvre selon ce qu'il souhaite y voir... Mais, quoi qu'il en soit, celui qui a su capter et maitriser la lumière fixant la fragilité de l'existence grâce à ses images nimbées de flou, renverra toujours avec une extrême sensibilité artistique et une profonde délicatesse à cette même idée de la beauté éternelle, et mérite pleinement la place qu'il s'est acquise auprès des plus grands photographes.

     

     


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