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    L'Art et la danse

                   Marius Petipa    Portrait au pastel par Guillaume-Alfred Dartigueaux (1842)



        Le 29 Mai 1847 un jeune homme élégant  débarque d'un bâteau dans le port de St. Petersbourg et, tandis qu'un employé des douanes examine ses valises, la voix d'un supérieur s'élève sur le ton de la réprimande:
        "Quand les artistes-invités viennent pour la première fois on ne doit pas ouvrir leurs bagages!.." 

     

        Ce jeune homme est un danseur français, qui écrivit dans ses mémoires le lendemain:
        " J'ai mis ma queue de pie et une cravate blanche et je suis allé me présenter au directeur des Théatres Impériaux. Celui-ci m'a accueilli chaudement et je lui demandais quand je pourrais faire mes débuts..."

        Ainsi commence la brillante carrière de Marius Petipa, ce français qui devint le père du ballet russe.

        Michel-Victor-Marius-Alphonse Petipa naquit à Marseilles le 11 Mars 1818 dans le milieu prédestiné du spectacle, d'une mère tragédienne et d'un père, Jean-Antoine Petipa (1787-1855), maitre de ballet et professeur renommé.
        Sa petite enfance se passe à parcourir l'Europe au gré des engagements de ses parents jusqu'à ce que ces derniers se fixent à Bruxelles tout d'abord, puis à Bordeaux par la suite. Tout comme son ainé Lucien (1815-1898), le jeune Marius reçoit de son père dès l'age de 7 ans ses premières leçons de danse qui, il faut le dire, ne l'enthousiasment guère. Il préfère de beaucoup le violon qu'il étudie au Conservatoire, cependant ses aptitudes l'amènent très vite à se prendre de passion pour cet art qui anime sa famille et dans lequel il excelle rapidement.

     

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                   Marius Petipa à 9 ans dans un ballet de Pierre Gardel  La Dansomanie


        Sa formation achevée il se voit offrir en 1838 le poste de Premier danseur au Ballet de Nantes, puis fait ses débuts à Paris à la Comédie Française ( le ballet à l'époque servait d'intermède entre les pièces). Il lui arrive également de prendre part à des représentations à la salle Le Peletier où son frère Lucien est Premier danseur, et en 1841 sera lui-même nommé Premier danseur au théâtre de Bordeaux, puis en 1843 au King's Theatre de Madrid. Il a déjà à son actif de nombreuses chorégraphies (La Vendange, la Jolie Bordelaise...) et va acquérir dans la capitale madrilène une connaisance étendue des danses espagnoles traditionelles qui lui inspireront La Perle de Seville ou La fleur de Grenade... Mais son séjour au pays du fandango ne sera que de courte durée, car en 1846 il s'éprend de l'épouse d'un diplomate, le marquis de Châteaubriand, qui averti de la chose le provoque en duel... Et, pour ne pas courir le risque de priver Terpsichore de l'un de ses adorateurs, le coupable quittera alors rapidement l'Espagne pour ne plus jamais y revenir...

        Son père enseigne à l'époque dans la classe de perfectionnement de l'Ecole du Ballet Impérial à St. Petersbourg et en 1847 Marius, qui vient d'y être invité comme Premier danseur, va aller le rejoindre.
       Le Ballet Impérial connait à ce moment là un déclin de popularité considérable depuis le départ de l'artiste invitée Marie Taglioni, et les spectacles de danse sont largement délaissés au profit de l'opéra italien. C'est dans ce contexte difficile que Petipa va remonter consécutivement Paquita et Satanella (Le Diable Amoureux) dont le triomphe arrive comme une bouffée d'oxygène et permet à la Compagnie de retrouver son ancien prestige:
        "Paquita et Satanella ont fait renaître notre ballet, et ses excellentes prestations lui ont rendu la renommée qu'il avait perdue ainsi que notre affection" écrivit le critique Raphael Zotou. 

        Le public reçoit avec enthousiasme cet artiste français qui lui a rendu le goût de la danse, malheureusement celui-ci va devoir mettre de côté pour un temps ses ambitions chorégraphiques avec l'arrivée à St. Petersbourg du plus célèbre chorégraphe européen de l'époque: Jules Perrot à qui vient d'être attribuée la fonction de Premier Maitre de Ballet.

     

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                                             Jules Perrot (1810-1892)

     

        Bien qu'il assiste Perrot et participe à la création de la plupart de ses oeuvres Petipa consacrera plus particulièrement les années qui vont suivre à ses activités d'interprète et, lorsqu'en 1858 le Premier Maitre de Ballet regagne définitivement la France, pour le danseur qui a alors 41 ans et quitera bientôt la scène, il semble que la chorégraphie doive s'inscrire cette fois dans la suite logique de sa carrière...

     

       Mais son heure n'est décidément pas encore venue... Car c'est Arthur Saint Léon qui obtient le poste convoité... Et une saine émulation va alors s'établir entre les deux hommes qui vont rivaliser pour le meilleur dans chacune de leurs créations respectives.

     

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                                         Arthur Saint Léon (1821-1870)


        Fin 1861 le directeur des Théâtres Impériaux, Saburov, convoque en toute hâte Marius Petipa et lui demande très inquiet s'il serait capable de monter un ballet en six semaines seulement... Très confiant celui-ci répondit:
        "Oui, je vais essayer... et je réussirai probablement..."
    (Le contrat de la grande ballerine Carolina Rosati qui allait faire ses adieux à la scène lui accordait de paraitre dans une dernière production, et la danseuse italienne en exprimant ce désir au dernier moment déclencha un certain émoi...)
        En compagnie de Cesare Pugni (1802-1870) qui s'acquita de la partition avec la rapidité qui le caractérisait, Petipa se mit aussitôt à l'oeuvre, travaillant comme le décrivait Alexandre Shirkyaev, son assistant:
        "Petipa élaborait entièrement la production d'un nouveau ballet chez lui où il convoquait un pianiste et un violoniste. Il leur faisait jouer un passage plusieurs fois de suite et pendant ce temps construisait le ballet à sa table en se servant de petites figurines de papier maché. Il les déplaçait, les combinait, et inscrivait tout cela en détail sur un papier, avec des zéros pour les femmes et des croix pour les hommes. Et il notait les déplacements avec des flêches, des points, des tirets, dont il était le seul à connaitre le sens".

        La Fille du Pharaon, un ballet somptueux affirmant le "style Petipa" fut présenté le 30 Janvier 1862  et obtint un succés inégalé qui valut à son auteur la fonction officielle de Second maitre de ballet, avant que de devenir le ballet le plus populaire du Répertoire...

     

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       La Fille du Pharaon  Acte I  Grand Pas des Chasseresses   Au centre Mathilde Kschessinskaïa (à droite) et Olga Preobrajenskaïa (à gauche)


        Bien que Saint-Léon resta le supérieur hiérarchique de Petipa, les deux hommes étaient en fait placés sur un pied d'égalité par la critique et les balletomanes de l'époque, chacun d'eux composant pour sa ballerine favorite: Petipa montant la majorité de ses oeuvres pour sa femme la Prima Ballerina Surovshchikova, tandis que Saint Léon travaillait pour Mafa Muravieva.
        Petipa apportait aux variations des danseuses un soin tout particulier et, toujours selon Shirkyaev son assistant, "travaillait avec la danseuses séparément. Il étudait soigneusement ses dons particuliers, recherchait ses qualités intéressantes et s'efforçait constamment de les mettre en valeur du mieux possible".
        Et c'est à cette époque que verra le jour Don Quichotte (1869) l'un des piliers du répertoire classique.

        Lorsque le contrat de Saint Léon expira il ne fut pas renouvelé par la direction, et Marius Petipa fut enfin nommé cette fois Premier Maitre de Ballet le 12 Mars 1871.
        La Cour de la Russie Impériale était à l'époque la plus brillante d'Europe et les tsars dépensaient chaque année des dizaines de millons de roubles pour le Ballet et l'Ecole du Ballet (aujourd'hui l'Académie Vaganova). A chaque nouvelle saison Petipa devait créer un nouveau "Grand Ballet", mettre en scène divers opéras et préparer des galas et des divertissements pour des spectacles à la Cour ou des mariages royaux...
        Celui-ci entame alors une longue collaboration avec Ludwig Minkus (1826-1917), puis avec l'italien Riccardo Drigo (1846-1930) qui resta son collaborateur favori. Toutefois c'est avec Tchaïkovski qu'il crée en 1889 l'oeuvre qui sera considérée comme la quintescence du ballet classique: La Belle au Bois Dormant, suivie en 1892 de Casse Noisette, composé cette fois avec la collaboration de son assistant Lev Ivanov (1834-1901). Car Petipa souffre d'une affection très invalidante, le pemphigus (une maladie auto-immune attaquant la peau et les muqueuses, dont le pronostic pouvait alors être fatal) et se voit contraint de ce fait à de nombreuses absences. Ce sera également l'époque de Cendrillon (1893), du Lac des Cygnes (1895) qu'il reprendra après la mort de Tchaïkovski en 1894, ou encore de Raymonda (1898).

     

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        Première représentation de La Belle au Bois Dormant   Au centre Carlotta Brianza (Aurore)

     

        Son dernier chef d'oeuvre, Les Millions d'Arlequin (Harlequinade), que Drigo et lui même ont dédié à la nouvelle impératrice Alexandra Feodorovna sera présenté au théâtre de l'Hermitage le 23 Février 1900, et le reste de sa carrière sera dorénavant consacré à la reprise d'anciens ballets...

     

     

        Car le nouveau directeur des Théâtres Impériaux, Telyakovsky, n'aime pas Petipa et ne s'en cache pas... Dans l'impossibilité de rompre légalement son contrat il va alors employer tous les moyens pour l'inciter à partir et, sans considération aucune pour ce qu'il a accompli, lui infligera une impitoyable guerre des nerfs...
        Le chorégraphe n'était régulièrement pas averti de répétitions auxquelles il devait obligatoirement assister... et l'on n'envoyait plus de voiture le chercher à son domicile (il avait alors 80 ans passés)... Une nouvelle version de Don Quichotte fut même montée sans que lui soit demandée l'autorisation de remanier son oeuvre... et il put lire dans la presse que "la Compagnie va devoir s'habituer à un nouveau Maitre de Ballet".

       Les danseurs, eux, recherchaient toujours l'aide et les conseils de leur éminent professeur pour qui leur estime n'avait fait que grandir:
        "Quand j'ai rejoint le Ballet Imperial en 1889", dit Olga Preobrajenskaya, "Petipa était un vrai Maitre. Je me suis toujours estimée heureuse d'avoir pu côtoyer un tel génie dont l'art, à la fin de sa carrière, avait atteint une perfection sans égal, et notre ballet n'eut pas son pareil en Europe grâce à lui".
       ( En 1904, Marius Petipa fera travailler Anna Pavlova pour son rôle dans Giselle et ses débuts dans Paquita, et créa même pour elle une variation que les étoiles interprètent encore aujourd'hui dans le Grand Pas Classique).

     

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                        Olga Preobrajenskaya et Nicolas Legat dans Casse Noisette


        Le 5 Février 1904 devait paraitre sur la scène du théâtre de l'Hermitage "un petit chef d'oeuvre" selon Olga Preobrajenskaya, Le Bouton de Rose et le Papillon que venaient d'achever Drigo et Petipa... Mais le ballet ne vit jamais le jour... car, sous un prétexte falacieux, Telyakovsky annula la représentation...

        Marius Petipa redoublait d'activité malgré son âge, ou plus vraisemblablement à cause de celui-ci, car ses notes personnelles se font l'écho de sa peur de vieillir et du peu de temps qu'il lui reste à vivre.
        Le 17 Janvier 1905 verra dans ses carnets sa dernière composition: Destinée à Olga Preobrajenskaya, une variation de La Danseuse en Voyage sur une musique de Pugni, suivie de ces mots:

                                         " C'est terminé..." 

        Marius Petipa reçut le titre de Maitre de Ballet à Vie assorti d'une pension annuelle de 9000 roubles, et suivant les conseils de ses médecins s'installa à Gurzuf en Crimée (aujourd'hui Ukraine) où il rédige ses Mémoires (publiées en 1906) et passe ses dernières années plein d'amertume et de désillusion...
        Il mourut le 14 Juillet 1910 et selon un témoin pas un membre de l'administration des Théâtres Impériaux n'assista à ses obsèques...
        Petipa qui avait officiellement pris la citoyenneté russe en 1894 avait émis ce souhait :"La Russie m'a rendu célèbre, je veux être enseveli dans sa terre" et conformément à sa volonté le chorégraphe repose aujourd'hui au Monastère Alexandre Nevsky à St. Petersbourg. 

        Il n'avait cependant pas poussé l'amour du pays jusqu'à apprendre la langue, et c'est dans un véritable sabir que furent conçus les plus grands chefs d'oeuvre que le ballet a connus:
        "Il nous montrait les mouvements et les gestes avec des mots prononcés dans un russe exécrable" écrira Kschessinskaïa. 
         Pendant près de quarante ans Marius Petipa régna sur l'Ecole et le Théâtre Impérial. Il composa au moins 50 ballets, en remonta 20 autres, créa ceux de 35 opéra et fit encore certainement beaucoup plus encore... Alors que la danse s'étiolait  dans un académisme désuet c'est à lui que revient l'introduction des fameux Grands Pas d'Action où se mélangent mime et danse ainsi que des nombreuses variations requérant un haut niveau technique.
         Préparés minutieusement selon des plans précis pour les décorateurs et les compositeurs, ("il arrivait aux répétitions avec une pile de croquis et de dessins qu'il avait fait chez lui" dira encore Alexandre Shirkyaev) les ballets de Petipa étaient des spectacles somptueux produits devant un public de connaisseurs très exigeants que celui-ci s'efforça de satisfaire en atteignant avec sa compagnie un niveau de perfection et d'excellence qui fit de la seconde moitié du XIXème siècle l'Age d'Or du ballet russe.
        Sa longue carrière relie directement Vestris (1729-1808), dont il fut l'élève, à Diaghilev (1872-1929), et son oeuvre mariant l'élégance française et la virtuosité italienne devait rénover l'art chorégraphique dans tout le monde occidental.

     

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        "Je pense avoir créé une compagnie dont on aura pu dire: St. Petersbourg a le meilleur ballet de toute l'Europe"
                                                   Marius Petipa

     

        C'est à partir de 1891 qu'une grande partie des ballets de Petipa ont été transcrits dans la méthode de notation créée par Vladimir Stepanov. Et c'est grâce à ces notations que ces ballets furent mis en scène à l'Ouest et forment le noyau de ce qui est aujourd'hui le réperoire du Ballet Classique non seulement pour l'Europe mais pour le monde entier.
        La collection Sergeyev qui rassemble ces documents se trouve aujourd'hui aux Etats Unis, achetée en 1969 par la Bibliothèque de l'université d'Harvard. 

     

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                           Une page de la notation Stepanov pour La Bayadère


    Les Millions d'Arlequin est interprété par le Maly Mikhalovsky Theatre Ballet, avec Alla Malysheva (Colombine) et Sergeï Kosadaev (Arlequin), Tatiana Podkopayeva (Pierrette) et Evgenii Miasichef (Pierrot), Gennadii kolobkhov (Cassandre), Valerii Dolgallo (Leandre) et Galina Laricheva (la bonne fée).

    Les Mémoires de Marius Petipa ont été publiées en France par les éditions Actes Sud (1990)


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                                   Aminta et Sylvia  par  François Boucher (1703-1770)

      
     "Boy loves girl, girl captured by bad man, girl restored to boy by god"...

     

    C'est ainsi que Frederick Ashton (1904-1988) résume avec humour, lors de sa reprise du ballet en 1952, l'action de Sylvia fréquemment considérée comme médiocre:

        "Garçon aime fille, fille enlevée par méchant homme, fille rendue au garçon par dieu"... 

    Il faut reconnaitre que l'histoire ne permet pas beaucoup d'interprétation personnelle et n'est guère captivante, et que sans la contribution de Delibes le ballet serait vite tombé dans l'oubli.


        Initialement intitulé "Sylvia ou la Nymphe de Diane", le premier ballet monté à l'Opéra Garnier qui vient d'être inauguré, s'inspire d'une pastorale dramatique en vers et cinq actes avec prologue et choeurs que le poète Torquato Tasso, dit le Tasse (1544-1596), écrivit en 1563 et représenta la même année à la Cour de Ferrare sur l'ile de Belvédère où les ducs de Ferrare organisaient des fêtes.

                         "A l'ombre d'un beau hêtre étaient un jour assises,
                          Phyllis et ma Sylvia, et j'étais avec elles...."

        Les aventures effroyablement complexes des deux héros, Aminta et Sylvia, eurent à l'époque un succés considérable et quelques trois siècles plus tard Jules Barbier et le baron de Reinach les ressortent de l'oubli et les adaptent (après beaucoup de simplifications...) pour le ballet de l'Opéra de Paris.

        C'est  Louis Mérante (1828-1887), alors premier Maitre de ballet, qui sera le chorégraphe (et interprètera également le rôle d'Aminta), quand à la partition elle est confiée à Léo Delibes. Ce dernier dut regretter amèrement la disparition de Saint Léon, mort en 1870, avec lequel il avait collaboré pour créer son premier ballet Coppélia (1870). Car bien que fort compétent Louis Mérante n'avait ni l'intuition ni l'expérience de Saint Léon, et le scénario que l'on imposait au compositeur manquait d'intérêt dramatique et ne comportait aucune échappée pour le genre d'inspiration qui l'avait animé dans Coppélia.

     

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                                                   Louis Mérante

        La première répétition eut lieu le 15 Août 1875. Un tiers seulement de la partition avait été écrit et celle-ci fut constamment revue, reprise et transformée tout au long de son élaboration qui progressa au gré des désirs de Rita Sangalli (à qui a échu le rôle titre) ou de ceux de Louis Mérante interprète et chorégraphe exigeant (Léo Delibes, heureusement, était capable d'effectuer les modifications très rapidement...)
        Par bonheur ces difficultés n'inhibèrent pas le compositeur qui conçut un chef d'oeuvre, non seulement d'une merveilleuse richesse mélodique, mais aussi dans un style symphonique tout à fait neuf pour l'époque, qui classe l'oeuvre de Delibes très innovante, aux côtés de son prédécesseur Coppélia, parmi les tout premiers ballets modernes. Tchäïkovski qui eut l'occasion d'assister à une représentation de Sylvia à Vienne en 1876 fut rempli d'enthousiasme devant son inventivité et en fit part à son ami le compositeur Sergeï Taneyev en ces termes:
        "C'est le premier ballet dans lequel la musique constitue non seulement le principal mais le seul intérêt. Quel charme, quelle élégance, quelle richesse dans la mélodie, le rythme, l'harmonie!"
         Et il avoue:
        "Cela m'a fait honte...Si j'avais connu cette musique auparavant, je n'aurais, bien sûr, jamais écrit le Lac des Cygnes".
     

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                                                     Léo Delibes

         Sylvia redéfinit en effet le rôle de la musique de ballet reléguée jusque là à l'arrière plan sans autre utilité que celle d'évoquer une atmosphère. Car la partition ici s'impose, et en participant à l'action au même titre que la chorégraphie, les danseurs, les décors ou les costumes, acquiert une importance descriptive toute nouvelle que certains qualifièrent de pré-impressioniste.

        L'oeuvre de Delibes est également remarquable par l'utilisation du "leitmotiv", une autre nouveauté pour l'époque, et les passages les plus épiques ne sont pas sans rappeler Wagner (1813-1883) dont le compositeur est grand admirateur: Les "chasseresses", fidèles de Diane pourraient facilement passer pour d'antiques Walkyries, avec toutefois un pas plus léger et quelques kilos en moins...

     

     

         Cependant, Léo Delibes s'en défendit lui même:

    "Si j'ai voué au maitre allemand une profonde admiration, je me refuse comme producteur à l'imiter".
        Le modèle pour les "chasseresses" est plus certainement français: "La chasse Royale" des Troyens d'Hector Berlioz (1803-1869) que Delibes connait très bien car il était chef de choeur lors de la Première, et c'est le monde virgilien de Berlioz avec ses faunes, ses satyres et ses dryades qui est plus vraisemblablement la toile de fond utilisée dans Sylvia:

        "La musique de Delibes parvient souvent à sublimer le décor, plus que Berlioz n'en fut jamais capable" écrira David Nice dans son ouvrage Etudes sur Sylvia (Yale University Press)

        Des décors au luxe jugé excessif par certains et dont la réalisation, comme il était de tradition à l'époque, fut répartie entre plusieurs artistes travaillant pour l'Opéra: Joseph Chéret réalise ceux des deux premiers Actes et les associés Auguste Rubé et Philippe Chaperon ceux de l'Acte III. Toutefois leur travail somptueux sera chichement éclairé ce qui nuira à la qualité de la production dont les costumes réalisés par Lacoste seront eux pour leur part largement appréciés.

     

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                                          Sylvia   Décor pour l' Acte III

        La chorégraphie de Mérante, quand à elle, suit l'intrigue du livret de façon détaillée et pour cette raison fera une large part au dialogue mimé qui rend les rôles masculins, y compris celui d'Aminta, parfois plus proches de la pantomime que de la danse (le personnage d'Orion fut d'ailleurs confié au mime italien Magri Gennaro).
        Malheureusement, à côté des grands mouvements d'ensemble prétextes aux évolutions du Corps de ballet (les nymphes chasseresses ou le cortège de Bacchus), le ballet ne mettra que très peu en valeur les meilleurs éléments, réservant surtout les variations à l'héroïne campée par Rita Sangalli (1849-1909) qui brillait dans trois morceaux de bravoure: la scène de l'escarpolette à l'Acte I, celle où elle ennivre Orion à l'Acte II, et le clou du spectacle, celle dite des "pizzicati" où Sylvia voilée se fait reconnaitre d'Aminta.

        Et lorsque tous ces efforts conjugués voient leur aboutissement le soir du 14 Juin 1876, le livret programme a déjà connu deux impressions... dont la première ne fut pas mise en vente à la suite d'une réclamation de Rita Sangalli... Car la vedette du spectacle outrée que les rôles masculins soient mentionnés avant les rôles féminins exigea en effet une rectification et obtint gain de cause... 

     

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        L'Acte I a pour cadre une forêt sacrée où faunes et nymphes vénèrent la statue du dieu Eros qui domine la clairière. L'intrusion du berger Aminta secrètement amoureux de Sylvia, la nymphe préférée de Diane, interrompt le rituel et lorsque celle-ci arrive suivie de son cortège de chasseresses il fait en sorte de se dissimuler soigneusement. Mais il est cependant découvert, et Sylvia à qui il avoue ses sentiments en conçoit une colère si violente qu'elle s'apprête à tirer une flèche dans sa direction, lorsqu'elle détourne subitement son courroux contre ce dieu qui a semé l'amour dans le coeur du berger et vise la statue... Aminta qui s'interpose reçoit la flèche qui lui porte un coup fatal, et la statue, Eros en personne, tire alors sur Sylvia et la rend, pour sa punition, amoureuse d'un mort...

     



        Orion, un chasseur épris lui aussi de la nymphe, vient d'assister à la scène et se réjouit de la disparition de son rival, et tandis que celle-ci s'attendrit maintenant sur sa victime, il en profite pour l'enlever. C'est alors que les paysans éplorés découvrent le corps sans vie d'Aminta, mais le berger sera bientôt ranimé par un sorcier qui est en réalité Eros et, informé par ce dernier des actions d'Orion, il se lance à la poursuite de sa bien-aimée.

     

     

         Le rideau de l'Acte II s'ouvre sur le décor d'une grotte dans laquelle Orion tient Sylvia prisonnière. Celui ci lui propose vainement bijoux et cadeaux de toutes sortes en échange de son amour, mais sans succés... La nymphe pleure maintenant amèrement Aminta et réussit grâce à une ruse à echapper à son geôlier qu'elle a fait boire, lui et ses gardes, jusqu'à ce qu'ils sombrent dans l'inconscience. L'intervention d'Eros lui permet alors de quitter ces rivages hostiles.

     

     

        L'Acte III se déroule sur un bord de mer près du temple de Diane, où ont lieu des Bacchanales. L'arrivée d'Aminta est suivie par celle d'un pirate (Eros déguisé) qui retient sur son bateau des jeunes filles voilées. Ce dernier lui apprend que parmi elles se trouve Sylvia, et lui promet que s'il réussit à la reconnaitre elle lui appartiendra.
        Les amoureux sont réunis bien évidemment, mais c'est alors que fait irruption Orion furieux qui les oblige à se réfugier dans le temple de Diane. Le chasseur tente d'y pénétrer à leur suite, mais sera aussitôt abattu par une flêche de la déesse qui, dans son courroux, veut également châtier Sylvia coupable d'avoir aimé un mortel. Eros qui reprend son apparence rappelle à cette dernière qu'elle fut aussi en son temps amoureuse d'Endymion, et Diane finalement pardonne au milieu de la fête générale.

     

               Sylvia Acte III      Darcey Bussel


    Les extraits présentés sont la chorégraphie de Fréderick Ashton pour le Royal Ballet avec dans les principaux rôles Darcey Bussell (Sylvia)  Roberto Bolle (Aminta) Thiego Soares (Orion) et Martin Harvey (Eros).
     

        Le succés du ballet fut très modéré. Il n'y eut que 7 représentations dont les trois premières avaient, de plus, été données seules sans opéra d'accompagnement, une innovation très peu appréciée du public, et la critique dans l'ensemble émit des avis très partagés:

        "Le malheur est que Mr. Mérante, artiste estimable et qui ferait, je crois, un excellent répétiteur de danse n'a aucunement l'étoffe d'un maitre de ballet... Je n'ai pas souvenir dans le genre de quelquechose de plus nul et de plus vide" écrivit Charles de la Rounat...

    Quand au critique de "Paris Journal" il resta lui totalement insensible à l'engouement provoqué par l'étoile milanaise:
        "Par où le sensualisme peut-il trouver à se satisfaire avec cette vigoureuse et mâle ballerine, avec cette Sylvia muscleuse dont le biceps puissant assommera d'un coup le frêle Aminta au premier regard que celui-ci s'avisera de lancer à quelqu'autre nymphe de Diane? Chez mademoiselle Sangali, rien n'est donné à la grâce, au charme, tout est réservé à l'effort puissant, aux coups de force, et malgré son énergique mérite de danseuse, il lui manque l'art souverain, l'art de plaire".

        Paul Victor émettra pour sa part une opinion différente et, admirant le travail de Louis Mérante dont "les pas sont tracés selon les règles de l'art", il sera également subjugué par les prouesses de Rita Sangali "légère à la façon de la flèche" et "qui a créé le rôle de Sylvia avec un sentiment artistique remarquable".

     

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                                                   Rita Sangalli

        Le ballet fut repris par les Théatres Impéraiaux de St. Petersbourg en 1901. Serge Volonsky confia à Serge Diaghilev (1872-1929) le soin de monter Sylvia pour la saison 1900-1901, mais des tensions s'élevèrent entre les deux hommes et s'accrurent au point que le projet fut annulé et Diaghilev contraint à démissionner.
        Celui-ci serait-il jamais parti à l'étranger sans cette querelle?  Aurait-il alors créé les Ballets Russes à Paris en 1909? Pour cette raison Sylvia contribua, certes indirectement, à ouvrir la porte au ballet moderne.
        L'idée de Volonsky ne fut cependant pas abandonnée pour autant par le Marinsky qui la concrétisa l'année suivante avec une chorégraphie confiée à Lev Ivanov. Ce dernier disparut malheureusement  4 jours avant la Première et son ultime contribution à l'histoire du ballet aura été d'avoir changé le titre de "Sylvia ou la nymphe de Diane" en celui plus simple de "Sylvia".
        Bien que la danseuse Olga Preobrajenska (1871-1962) qui interprétait le rôle titre se soit attiré un franc succés, cette production n'enthousiasma pas non plus les spectateurs, on lui reprocha un argument léger ainsi qu'une chorégraphie de piètre qualité et le ballet disparut de l'affiche après seulement cinq représentations.

     

    L'Art et la danse

                                               Olga Preobrajenska

        C'est Frederick Ashton qui en reprenant Sylvia en 1952 va véritablement le populariser. D'après la légende, Delibes l'aurait chargé en rêve de donner vie à son ballet sous-estimé du public, et dès son réveil le chorégraphe se serait mis à la tâche...
        Il chorégraphia en réalité le ballet comme un hommage à sa danseuse fétiche, Margot Fonteyn: "la totalité du ballet est une couronne présentée par le chorégraphe à sa ballerine" écrit le critique Clive Barnes.
        Ashton simplifie l'action, il supprime l'épisode de l'escarpolette à l'Acte I ainsi que le personnage du pirate à l'Acte III, c'est Eros en personne qui ramène Sylvia.
        Cette version reste la base de toutes celles qui ont suivi, à quelques exceptions près: Beaucoup plus proche de la version de Mérante sera celle de Mark Morris en 2004 pour le San Francisco Ballet: "Je me suis servi de la partition et du livret exactement tels qu'ils ont été conçus" dira-t-il, tandis que la relecture de John Neumeier créée à la demande de l'Opéra de Paris présentait en 1997, dans un décor minimaliste situé aux antipodes de l'original, des nymphes vétues de shorts en cuir noir.

        Sans la partition dont l'orchestration brillante et variée surpassait encore celle de son prédécesseur Coppélia, il est évident que l'histoire de Sylvia aurait disparu du répertoire depuis bien longtemps. Ce dernier ballet du compositeur est cependant de loin le plus réussi et ne cesse d'enchanter aujourd'hui un public de connaisseurs: Admirablement adaptée à la scène la musique de Delibes, dont  le talent et la gloire se confirmèrent encore en 1883 avec son opéra Lakmé, fait de lui un maitre de la tradition musicale légère et mélodieuse auquel le monde de l'opéra et du ballet ne cesse de rendre hommage.

     

    Le Duo des Fleurs de Lakmé est interprété par Natalie Dessay (soprano) et Delphine Haidan (mezzo-soprano) accompagnées par l'orchestre du Capitole de Toulouse sous la direction de Michel Plasson.

     


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         "Il était naturel que Bourdelle avant tous les autres essaya de transposer dans ses dessins cette sorte de passion didactique qui rappelle tant la sienne à rejoindre à travers des formes très étudiées ce qu'il y a de simplement humain. Dans ses croquis pris au vif il a retrouvé chez la danseuse ce courant intérieur qui l'anime, et traduit le plus riche trésor de mythes et de symboles par les attitudes de la danse, trépidantes, échevelées, ondoyantes comme la mer ou les feuilles dans le vent". ( E. Faure - Ombres Solides 1924)

        Isadora Duncan qui révolutionna la pratique de la danse et dont Legrand-Chabrier a dit "elle sculpte la musique" occupa en effet, comme le souligne l'historien de l'Art Elie Faure, une place importante dans l'oeuvre d'Emile Antoine Bourdelle pour qui son image indélébile resta une source d'inspiration jusqu'à la fin de sa vie.

        Le sculpteur considéré non sans raisons comme le lien entre Rodin et Giacometti naquit à Montauban le 3O Octobre 1861. Son père, ébéniste, l'initie très tôt au travail des matériaux et dès l'age de 13 ans le jeune Antoine quitte l'école et préfère aider à l'atelier. Un faune qu'il a réalisé sur un bahut est remarqué par deux personalités locales qui l'encouragent alors à suivre les cours de l'école municipale de dessin, et en 1876 un buste d'Ingres exécuté sur bois alors qu'il n'a que 15 ans lui vaut une Bourse pour les Beaux Arts de Toulouse qu'il fréquente jusqu'en 1883.  Il s'y fait remarquer, et grâce à son talent et aux prix qu'il obtient régulièrement,  Antoine Bourdelle se voit cette fois attribuer par la ville une nouvelle Bourse qui lui permet de partir à Paris tenter sa chance...

     

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                            Antoine Bourdelle dans son atelier de la rue du Maine

        Reçu second au concours d'entrée des Beaux Arts de Paris, il installe alors un atelier rue du Maine (Celui-ci qui fut à la fois son habitation et son lieu de travail abrite aujourd'hui le musée Bourdelle dans la rue qui porte désormais son nom).
        Les premières années dans la capitale seront très difficiles, car sa famille lui manque, et sa Bourse ne suffisant pas à couvrir ses besoins il connait un temps la misère et tombe gravement malade.
        Mais la chance va bientôt lui sourire, et après un Prix obtenu au Salon des Artistes français en 1885 suivi par une médaille à l'Exposition Universelle de 1889, il arrive désormais à vivre de la vente de ses dessins à la galerie de Théo Van Gogh, le frère de Vincent, tout en réalisant dans le même temps quelques commandes de bustes.
        C'est une rencontre capitale qui donnera en 1893 un tour nouveau à son avenir lorsqu'il fait, cette année là, la connaissance de Rodin qui l'engage comme "praticien" dans son atelier (Le praticien est l'ouvrier qui d'après le moule en plâtre de l'oeuvre dégrossit le bloc de pierre ou de marbre afin de faire apparaitre "l'ébauche" que le Maitre achèvera).
     
        Les deux artistes vont se vouer une admiration réciproque et leur collaboration teintée d'amitié durera jusqu'en 1908. Très influencé dans un premier temps par l'auteur du Penseur, au point que la critique l'appellera "le demi-Rodin", Bourdelle s'en détachera cependant par la suite et cherche progressivement une toute autre voie, à la fois plus dépouillée et plus personnelle. Son ami Rodin résume ainsi ce style nouveau: "Pour moi la grande affaire, c'est le modelé. Pour Bourdelle c'est l'architecture. J'enferme le sentiment dans un muscle, lui le fait jaillir dans un style".
        Des idées en matière de renouveau qui le feront considérer comme l'incarnation de l'alternative fondamentale à la politique de la table rase des avant gardistes, et lui vaudront d'être célébré par le monde et plébiscité par ses contemporains tels Anatole France ou André Gide.

     

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         Trois évènements importants vont alors ponctuer sa carrière en 1909 :

    Le premier marque les débuts de l'enseignant à l'Académie de la Grande Chaumière où il dispense ses cours devant des élèves venus du monde entier et compte parmi eux des artistes majeurs de leur génération, Maillol, Matisse ou Giacometti. Tandis que le second consacre la renommée du sculpteur, avec la présentation au Salon de ce qui deviendra son oeuvre la plus célèbre, l'Héraklés archer dont l'équilibre parfait des pleins et des vides, le dessin simplifié ainsi que la pureté et la rigueur des formes fera de lui le rénovateur de l'art du XXème siècle.

     

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     (Devenue largement célèbre grâce à la couverture des cahiers d'écoliers les nombreux exemplaires en bronze de cette sculpture figurent dans les plus grands musées du monde. L'un d'eux se trouve à Toulouse, square de l'Héraklés situé sur les allées de Barcelone près du canal de Brienne et orne le monument dédiés aux sportifs victimes de la guerre).

     

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                                      Le Square de l'Héraklés     Toulouse

     

         C'est encore dans le courant de cette même année 1909 que Bourdelle rencontre Isadora Duncan. Il a déjà fait sa connaissance en 1903 lors du banquet offert en Juin à Rodin dans les bois de Vélizy pour sa promotion au grade de commandeur de la Légion d'Honneur. Mais ce n'est que six ans plus tard qu'il la voit sur scène pour la première fois et la découvre réellement lors d'un spectacle au théâtre du Châtelet où elle interprétait l'Iphigénie de Glück:

        "Lorsque la grande Isadora a dansé devant moi trente ans de ma vie regardaient tous les grands chefs d'oeuvre humains s'animer soudain dans ses plans ordonnés du dedans par l'élan de l'âme".

     

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        Le sculpteur est complètement fasciné et dès le lendemain réalise 50 dessins fixant le souvenir de cette rencontre déterminante. Ils seront suivis de beaucoup d'autres, car à partir de ce moment là la danseuse tiendra une part importante dans l'oeuvre de l'artiste qui lui consacra plus de 300 dessins.

     

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        Toutes techniques confondues, aquarelles, dessins au crayon ou à l'encre violette ou brune, Antoine Bourdelle cherchera inlassablement, à travers elle, à reproduire l'essence de la danse et jusqu'à la fin de sa vie se souviendra de ces images d'Isadora Duncan qu'il ne fit pourtant que très rarement poser car la plupart de ses croquis furent réalisés de mémoire après les spectacles.

     

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        Si les dessins et les aquarelles ne sont pas la partie la plus connue de son oeuvre ils sont pourtant selon ses propres dires "la part essentielle de ma vie d'artiste".
        Pratiqué avec passion, le dessin, selon lui, exercice quotidien nécessaire pour conserver la pratique de son art, lui servait aussi bien à coucher sur le papier ses visions d'artiste qu'à préparer une sculpture.
        "Quand j'ai dessiné passionément une partie de la nuit, je suis calme dans la journée pour penser à ma sculpture" dira-t-il.
        A un élève de la Grande Chaumière à qui il demande s'il dessine et qui lui répond "Oui..Un peu..", Bourdelle s'exclame: "Un peu! Mais ce n'est pas un peu qu'il faut dessiner, c'est constamment. Le dessin c'est la discipline et c'est là que résidait la grande force d'Ingres. La base de la beauté, le savoir, c'est le dessin. La sculpture finalement ce n'est pas autre chose que du dessin dans tous les sens". (Le musée Bourdelle conserve près de 6000 de ses oeuvres...)

     

       Bourdelle est désormais un sculpteur connu et s'ensuivent des commandes publiques de plus en plus importantes, et lorsque se construit le théâtre des Champs Elysées l'architecte Auguste Perret (le maitre du béton armé qui reconstruira la ville du Havre) fait appel à lui. Il ne s'agissait initialement que de réaliser le décor en marbre blanc du bâtiment, mais Bourdelle est très vite invité à participer aux aspects architecturaux et travaillera aux côtés de Perret de 1910 à 1914.

     

    L'Art et la danse

                                         Théatre des Champs Elysées

        Tout au long de l'élaboration de ses bas reliefs le sculpteur sera hanté par les attitudes d'Isadora Duncan à laquelle il dit lui même avoir pensé dès l'origine du projet. Sculpture et danse pourraient sembler s'opposer complètement à première vue, l'une traditionellement figée alors que l'autre utilise le mouvement sous toutes ses formes. Elles ont cependant une grande similitude en ce qu'elles utilisent toutes deux le langage du corps et ces mêmes ingrédients que sont volumes, géométrie et lumière mais, tandis que la danse fugitive engendre la transformation des formes dans l'espace, la sculpture capture la beauté de l'instant éphémère.

     

    L'Art et la danse

     

        L'architecte-sculpteur exécutera pour le théâtre des Champs Elysées pas moins de 75 ouvrages qu'il veut parfaitement intégrés à l'architecture afin que ce soit "le mur lui-même qui par endroits désignés, en bon ordre, semble s'émouvoir en figures humaines". Parmi eux six importants bas reliefs orneront la façade: La méditation d'Apollon, La Sculpture et l'Architecture, La Tragédie, La Danse, La Musique, et la Comédie.

     

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                                              Apollon et sa Méditation

       Toutes les figures féminines qui habitent cette oeuvre empruntent leur libre expressivité à Isadora Duncan pour lesquelles Bourdelle a trouvé le modèle des gestes et des attitudes sur les croquis qu'il réalisa de la danseuse en 1909, qu'il s'agisse des Muses qui apparaissent sur la frise centrale Apollon et sa Méditation ou encore de la violoniste qui figure La Musique et fait face à un faune, peut-être une discrète allusion à l'Après Midi d'un Faune de Debussy créé au théâtre du Châtelet en 1912 avec Nijinski comme interprète.

     

    L'Art et la danse

                                                    La Musique

         Quand à La Danse, le sculpteur ne pouvait que représenter, faisant face à Nijinski, Isadora en personne, reconnaissable à sa tunique légère fendue, ses grands cheveux épars et ses pieds nus, dans l'attitude qui lui est familière, tête renversée jambes  fléchies, que Bourdelle a de nombreuses fois transcrite dans ses premiers dessins.

     

    L'Art et la danse

                                                      La Danse

        Bourdelle qui fut aussi passionné de musique (Il sculpta plus de 80 bustes de Beethoven...), mais encore écrivain et poète à ses heures (La vie a été mon école 1913) sera également illustrateur et parmi les 26 livres auxquels il collabora, et qui furent édités de son vivant, plusieurs sont consacrés à la danse:

        Isadora Duncan, fille de Prométhée
                 de Ferdinand Divoise (Editions des Muses Françaises 1919)

        Découvertes sur la Danse
                 de Ferdinand Divoise (Editions G.Grès 1924)  ou encore,

        The Art of the Dance: Isadora Duncan
                                                 (Theatre Arts 1928)

     

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        Jusqu'à la fin de sa vie l'artiste se sera souvenu de l'image de la danseuse aux pieds nus, et ses dernières oeuvres "L'Eloquence" pour le monument du Général Alvéar à Buenos-Aires (1927) ou encore le "Monument à Falcon" en seront les plus beaux exemples.

     

       Décoré commandeur de la Légion d'Honneur en 1924, c'est en pleine gloire qu'Antoine Bourdelle s'éteint au Vésinet après une brève maladie, le 1er Octobre 1929 dans la maison de campagne de son ami le fondeur Eugène Rudier, au soir d'une vie consacrée comme celle de sa Muse: 

        "à chercher dans la nature les formes les plus belles et trouver le mouvement qui exprime leur âme"
                       Isadora Duncan

        Travailleur acharné, le sculpteur possédait comme elle le goût de la démesure qui lie l'Homme à la Nature et aux éléments forts de l'Univers et enseigna à ses élèves que:

        "L'art c'est l'amour. Celui qui ne donne pas sa vie à l'oeuvre doit renoncer à animer la pierre". 
                       Antoine Bourdelle 

     

     


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                                      Ballets Russes    August Macke 1912
     


        On a du mal à imaginer ce que fut en 1909 le choc artistique provoqué par les Ballets Russes, tant dans le domaine de la danse que ceux de la musique et des arts plastiques... Une oeuvre grandiose dont l'esthétique bouleversa l'Europe, et qui fit rêver les parisiens pendant vingt ans et ne serait pas née sans la personalité hors du commun de leur prodigieux imprésario, Serge Diaghilev:

         "Ce noble et ardent Chevalier de la plus grande croisade des Arts du XXème siècle qui par son génie devait réaliser cette union féconde entre toutes les valeurs spirituelles et artistiques, entre l'Orient et l'Occident, et ainsi accomplir la renaissance de l'art dans le monde". 
                                                             Serge Lifar   La Danse
        

        Epris de peinture et de musique (il eut Rimski-Korsakov comme professeur de piano...), le "noble et ardent chevalier" dut cependant, avant d'entamer sa croisade, sacrifier quelques années de sa vie à l'étude du droit à l'université de St. Petersbourg afin de satisfaire aux pressions familiales... Et mission accomplie et diplôme en poche, c'est l'âme en paix qu'il peut alors affronter son véritable destin.
        En compagnie de son cousin Dimitri Philosophoff il a rejoint un cercle d'artistes "les Pickwickiens" dont font également partie Léon Bakst et Alexandre Benois et le groupe d'avant garde fonde en 1898 le journal Mir Iskousstva (Le monde des Arts) où Diaghilev s'occupe à l'époque de peinture et de musique.
        De 1899 à 1901 il remplira brièvement auprès de Serge Volkonsky, directeur des Théâtres Impériaux, les fonctions de "chargé de missions extraordinaires" que des divergences d'opinions à propos du ballet Sylvia l'obligent à abandonner assez rapidement.

        Nullement découragé par ce renvoi il déclare au contraire "d'ailleurs je crois avoir trouvé ma véritable vocation: le mécénat. Pour cela j'ai tout ce qu'il faut... Sauf l'argent... mais ça viendra..."
        Avec l'appui de son cercle d'amis il monte alors des expositions de peinture et en 1905 présente à St.Petersbourg des portraits d'artistes russes qu'il produira l'année suivante à Paris au Petit Palais, encouragé par les liens culturels entre la France et la Russie qui se sont ressérés à la fin du XIXème siècle et promettent un nouvel essor.
        Le groupe conçoit alors l'idée de faire connaitre l'opéra russe en France et, après avoir organisé cinq concerts, présente Boris Godounov à l'Opéra Garnier en 1907. L'accueil est si chaleureux qu'ils envisagent une nouvelle saison l'année suivante et reviennent cette fois avec un programme qui mêle opéra et ballet... Des ballets qui font un véritable triomphe et les décident à ne plus présenter dorénavant que des spectacles chorégraphiques.

        Et lors de leur retour à Paris pour le premier spectacle officiel des Ballets Russes, le 19 Mai 1909, c'est Diaghilev cette fois qui tient fermement les rênes de la petite Compagnie qu'il a rassemblée, composée des meilleurs éléments du théâtre Marinsky: des danseurs de renom Tamara Karsavina, Anna Pavlova ou encore Vaslav Nijinski, qui mettent tous à profit leurs longues vacances pour suivre la tournée.
        Mais en 1911 l'impresario souhaite aller plus loin, et fait alors de cette Compagnie une troupe privée indépendante qui sans attache à un quelconque théatre particulier se fixera indifféremment au fil des ans à Paris, Londres ou Monte Carlo. 

        Présentés à l'Opéra Garnier et dans plusieurs théatres (Châtelet, théâtre des Champs Elysées, théâtre Sarah Bernard ou Gaité Lyrique) les Ballets Russes révèlent alors à l'Occident ébloui dans un feu d'artifices de couleurs des richesses cuturelles jusque là ignorées, et le haut niveau de ses danseurs contribue à l'immense succés qu'ils remportent dans un Paris où la technique de la danse avait beaucoup décliné et où la Compagnie, avec L'Oiseau de Feu (1910) ou Le Spectre de la Rose (1911), réhabilite le statut du danseur masculin largement ignoré par les chorégraphes et le public du XIXème siècle.

        "J'ai compris tout de suite que je me trouvais devant un miracle. Je voyais ce qui n'avait pas existé encore" écrira Anna de Noaille, et Cocteau ajoutait: "le rideau rouge s'est levé sur des fêtes qui bouleversent la France et qui entrainent une foule en extase".

     

                         Petrouchka (1911)    Décors et costumes d'Alexandre Benois


        Jusqu'en 1912 ce sont les folklores russe et oriental qui inspireront les ballets chorégraphiés par Michel Fokine, Pétrouchka (1911) ou encore Le Prince Igor (1909) et Shéhérazade (1910) qui à travers un imaginaire slave dévoilent un Orient digne des Mille et Une Nuits qui enthousiasma les spectateurs:
        "Nous découvrions l'Orient, l'Asie colorée et réveuse, les Mille et Une Nuits se levèrent du livre, pleines d'étoiles et de fleurs, de jets d'eau, de sang, de soupirs, tout éblouissantes de gemmes, et secouèrent la poussière des formes où elles sommeillaient" (E.Henriot).

     

                         Décor de Léon Bakst pour Shéhérazade  et divers costumes.


         Les quelques dix années suivantes verront ensuite, de 1912 à 1921, une plus grande diversité dans les productions ainsi que des créations originales, La Boutique Fantasque (1919), Le Tricorne (1919), Le Coq d'Or (1914) et des recherches expérimentales. C'est à cette époque que voient le jour les deux chorégraphies de Nijinski, L'Après Midi d'un Faune (1912) suivi par Le Sacre du Printemps (1913).

         Un style jugé beaucoup trop novateur par certains, et qui donna lieu à de très violentes polémiques et bouleversa la sensibilité artistique de l'époque: "On y rampe à la manière des phoques" s'exclama, outré, un critique contemporain à propos du Sacre dont la Première tourna quasiment à l'émeute...

     

                   Extrait du film The Riotous Premiere relatant la soirée mémorable...

     

        Mais, agitateur, provocateur, Diaghilev ne craint pas les scandales... Et son chorégraphe Michel Fokine en réaction contre la tradition représentée par les ballets d'un Marius Petipa écrira:
        "Il suffit d'avoir douté une seule fois pour perdre la foi fétichiste en la valeur absolue des cinq positions pour comprendre qu'elles n'épuisent pas toute la gamme, toute la beauté des mouvements du corps humain".

        Emportés par le contexte des "années folles" les Ballets Russes seront finalement de 1921 à 1929 un foyer de convergence de toutes les tendances artistiques nouvelles et verront naître Apollon Musagette (1928), Le Fils Prodigue (1929),  Une nuit sur le Mont Chauve (1920) ou encore Les Noces et Les Biches la même année 1923.
        Considérées souvent comme trop intellectuelles ou "stylish", ces dernières saisons n'eurent certainement pas le même succés que les premières mais servirent toutefois de tremplins à de jeunes talents tel George Balanchine.

     

        Toujours en quête d'un riche mécène, la Compagnie n'existait que grâce à l'habileté de son directeur, "grand charmeur, charlatan plein de brio", à gérer un équilibre financier extrêmement précaire, et malgré le succés toujours présent, ne survécut pas à son décès le 19 Août 1929.
        Ironie du sort, celui qui avait eu toute sa vie la phobie de mourir sur l'eau (et ne suivit jamais sa troupe lorsque la tournée exigeait une traversée en bateau) mourut à Venise... la ville construite sur l'eau... et rejoint en gondole sa dernière demeure...

        "le cortège quitte l'église orthodoxe de Venise. Une longue file de gondoles se dirige vers l'ile romantique de San Michele. Serge Diaghilev n'emporte avec lui qu'une paire de boutons de manchettes que Serge Lifar, effondré par la perte de son ami, a échangé contre les siens", ainsi relatera l'évênement Coco Chanel qui réglera elle même les frais des funérailles...

     

    L'Art et la danse

                                Tombe de Serge Diaghilev sur l'ile de San Michele
     

        Les Ballets Russes ne sont plus... mais viennent d'opérer une extraordinaire révolution culturelle entrainant dans leur sillage tous les arts.

        
        "Dans notre ballet, les danses ne sont que l'une des composantes du spectacle, et même pas la plus importante... la révolution que nous avons opérée dans le ballet concerne peut-être encore moins le domaine spécifique de la danse qu'avant tout les décors et les costumes".
        Cette citation de Serge Diaghilev, qui ouvrait la récente exposition célébrant le centenaire des Ballets Russes à l'Opéra de Paris, met en relief l'importance que celui-ci attacha à la scénographie de ses ballets, révolutionnant à la fois l'esthétique de la danse et celui de l'art contemporain en invitant les plus grands peintres modernes de son temps à signer les décors et dessiner les costumes.

     

     

          En 1900 la décoration théatrale faite de trompe l'oeil et de couleurs pâles n'avait su rendre jusque là qu'une atmosphère sombre, et les décors resplendissants des Ballets Russes, signés pour beaucoup d'entre eux par le peintre Léon Bakst mais aussi par des artistes comme Picasso (Le Tricorne, Parade, Le Train Bleu), Braque (Les Fâcheux), Matisse (Le chant du rossignol), Derain (Jack-in-the-Box) ou Max Ernst et Miro (Roméo et Juliette) recréent un univers aux couleurs éclatantes qui ne sera pas sans avoir inspiré les peintres fauvistes.

     

    L'Art et la danse

                                       Parade (1917)   Décor de Pablo Picasso


        Quand aux éblouissants costumes, conçus par ces mêmes artistes et réalisés à partir d'authentiques tissus que Diaghilev se procurait dans les boutiques orientales de St. Petersbourg, leur diversité et leur fantaisie colorée qui participèrent largement à l'émerveillement du public marqueront leur empreinte dans des domaines situés bien au de là de la scène et atteindront la vie de tous les jours.

     

     

        A la recherche d'un art de synthèse Diaghilev exerça encore son influence dans l'univers de la musique où il fut le tout premier à adopter le nouveau style de la fin du XIXème siècle et fit appel entre autres pour ses productions à Ravel (Daphnis et Chloé 1912), Satie (Parade 1917), Poulenc (Les Biches 1923) Prokofiev (Suite Scythe 1915) ou Stravinski (L'Oiseau de Feu 1910, Le Sacre du Printemps 1913, Les Noces 1923), qui influencera "le Groupe des Six", et pour lequel Arthur Honnegger aura ces mots:
        "Stravinski a été pour notre génération un exemple salutaire dont nous avons tous bénéficié".

        Mais bien au de là encore les Ballets Russes ont constitué selon Denis Bablet "un phénomène éminemment social" et atteint jusqu'au monde de la mode et des arts décoratifs.
        Les élégantes amèneront le couturier Paul Poiret à réaliser des turbans lamés dans le style de L'Oiseau de Feu et des robes inspirées des costumes de Schéhérazade et du Prince Igor, et Coco Chanel transcrira, elle, le goût pour les motifs slaves et créera des vêtements comme "la roubachka" et la blouse ceinturée des moujiks. Un intérêt qui se répercutera également sur les accessoires de mode ainsi que sur les bijoux.
        Ainsi que l'écrivit André Warnod:
        "Tout fut à la mode des Ballets Russes. Bientôt le décors des maisons, les boutiques, les brasseries, les cafés suivirent le mouvement", partout fleurit le style Art Déco.

        "Si dans le peuple de Paris on aime les lampes voilées par des abats-jour orange, et si les petits hôtels meublés ont renoncé à leur décor couleur de tanière pour offrir des chambres peintes et tapissées de jolies couleurs vives, c'est aux Ballets Russes que nous le devons" poursuit Alexandre Cingria.

        Les Ballets Russes n'ont pas manqué non plus de susciter l'intérêt d'écrivains comme Marcel Proust qui dira de L'Oiseau de Feu "Je n'ai jamais rien vu d'aussi beau", ou encore Paul Claudel qui aprés avoir vu danser Nijinski s'exclame ébloui "L'âme pour une seconde porte un corps!". Paul Valéry a écrit son poème L'Ame et la Danse après avoir été ému par L'Après midi d'un Faune, quand à Jean Cocteau il collabora lui-même à plusieurs ballets, entre autres Parade (1917) dont il écrivit le livret ainsi que celui du Train Bleu (pour lequel Coco Chanel réalisa les costumes et Pablo Picasso le décor).

     

     Le Train Bleu (E.Maurin N.Le Riche) Décor de Pablo Picasso, costumes de Gabrielle Chanel


        Mais qui était vraiment celui qui, doté d'un don remarquable pour repérer d'exceptionnels talents, engendra un pareil séisme?
       Dominateur et colérique, Ninette de Valois disait de lui que sa seule présence l'intimidait à un point tel qu'elle n'osait pas le regarder en face... et d'autres danseurs affirmèrent qu'il était capable de les paralyser d'un regard ou d'une phrase assassine.

     

    L'Art et la danse

                                         Serge Diaghilev (1872-1929)

        Mais il pouvait, d'un autre côté, faire preuve d'une extrême gentillesse et se montrer attentionné à l'égard de cette troupe qu'il dirigeait d'une main de fer (Au bord de la faillite en Espagne il lui arriva à une certaine occasion de donner ses derniers deniers pour faire soigner l'enfant de l'une de ses danseuses). Et Tamara Karsavina ou Serge Lifar se souviennent de lui comme d'un personnage paternaliste qui plaçait toujours les besoins de sa compagnie au dessus des siens propres et ne chercha jamais à faire de ses ballets une entreprise lucrative.
        Débordant d'imagination il faisait flêche de tout bois, et après le gouffre financier que fut en 1921 à Londres La Belle au Bois Dormant il n'hésita pas à découper le fond du décor du ballet Cuadro Flamenco, signé Picasso, en d'innombrables morceaux et à les vendre chacun comme d'authentiques toiles du Maitre... (Cette Belle au Bois Dormant dont il s'entéta à vouloir changer le titre original anglais de "Sleeping Beauty", la Belle Endormie, en "Sleeping Princess", la Princesse Endormie, et lorsqu'on lui en demanda la raison répondit froidement: "Parceque je n'ai pas de Belle!.." On se demande ce qu'en pensa Olga Spessivtseva qui incarnait alors la Princesse Aurore!).

     

        Acteurs à ses côtés de cette formidable aventure, plusieurs membres des Ballets Russes sont devenus des références de l'art chorégraphique en Occident:
        George Balanchine va créer le ballet américain, Serge Lifar recréer le ballet en France, tout comme Ninette de Valois et Marie Rambert le feront en Angleterre. 

        Une place à Paris située derrière l'Opéra Garnier rappelle aujourd'hui aux passants le souvenir de ce "mécène sans argent " comme il aimait lui même à s'appeler, qui réussit grace à son génie à atteindre le but ambitieux qu'il s'était fixé: révéler la Russie à la Russie, révéler la Russie au monde, révéler le monde nouveau à lui même...

     

     

    L'Art et la danse

     

                      Portrait de Serge Diaghilev et du mécène Alfred Seligsberg     Picasso


       - A ne pas manquer sur You Tube cette vidéo dont l'intégration a été malheureusement désactivée et où Jean Cocteau évoque quelques savoureux souvenirs avec les Ballets Russes:

                         Jean Cocteau and the Ballets Russes - Part1 (/2)

     

       - Le film de Michael Powell Les Chaussons rouges (1948),  met en scène un personnage d'impresario intraitable, Boris Lermontov, qui dirige ses troupes d'une main de fer et fait revivre Serge Diaghilev et ses Ballets Russes d'une façon à peine romancée (Un ancien membre des Ballets Russes, Léonide Massine, a réglé les chorégraphies et fait également partie de la distribution).

     

     

    The Red Shoes avec Moira Shearer (Vicky Page), Anton Walbrook (Boris Lermontov), Marius Goring (Julian Craster) et Leonide Massine (le répétiteur de la troupe et le cordonnier magicien)


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